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Pour la première fois en France… un Souverain Grand Commandeur devient Grand Maître… d’Arts Martiaux

Nous vous présentions le Frère Benjamin John en octobre dernier lors de son élection à la charge de Grand Commandeur de la Grande Loge Française de Misraïm. Il se rendait, il y a quelques semaines, à Séoul (Corée) pour passer le 9ème et plus haut grade de cet Art Martial Coréen qu’est le Taekwondo.

Cette performance est assez exceptionnelle, car il est ainsi devenu le Français le plus haut gradé

Nous partageons ci-dessous l’interview qu’il a donné à notre confrère Taekwondo Choc

GM Benjamin JOHN : premier français 9ème Dan Kukkiwon !

L’itinéraire et les enseignements d’une voie royale et sacrée

Devenir 9ème dan de Taekwondo, c’est entrer dans le monde de la SAGESSE, mais on n’y arrive pas tout seul, ni par hasard. C’est le fruit de longues années de travail et d’acharnement contre toutes les épreuves de la vie, sans oublier tous ceux qui nous ont montré le chemin, cru en nous, supportés et accompagnés. Il s’agit de nos différents grands maîtres, professeurs, instructeurs, assistants, coachs, arbitres et juges, sparing partenaires, les présidents, dirigeants et le personnel fédéral, de ligue ou de département, les maires, responsables dans les mairies, financeurs de projets, les médecins,  kinésithérapeutes, ostéopathes, nos parents, époux, épouses, enfants, nos assistants, nos élèves, les bénévoles, etc …

TKDC – GM Benjamin JOHN, il y a 13 ans vous reveniez de Corée, auréolé du premier 8ème dan Kukkiwon français et vous aviez fait la fierté du Taekwondo français. Vous voici aujourd’hui de retour parmi nous, avec le premier 9ème dan Kukkiwon français et nous souhaitons faire un bilan de votre vie sur cette voie royale et sacrée, qu’est le TAEKWONDO et à laquelle vous avez consacré toute votre vie, au détriment parfois de votre famille. Vos origines GM ?

GM Benjamin John – Je suis né en Côte-d’Ivoire le 31 mars 1953, de père ivoirien et de mère béninoise, j’ai vécu toute mon enfance au Bénin par les soins, essentiellement de feu mon grand-père maternel, dont j’ai hérité du caractère, de l’opiniâtreté, de l’obstination, du leadership, de l’esprit de liberté, du libre-arbitre et de bonnes mœurs… J’ai découvert très tardivement mon père biologique en Côte-d’Ivoire en 1970, Alexandre NIABA JOHN, très peu de temps avant sa mort, lui qui avait été le chef des gendarmes de toute l’Afrique de l’Ouest, comme cela m’avait été raconté.

Le président de la république de l’époque, feu SEM Houphouët Boigny avait alors désigné feu le général Gaston OUASSENAN KONE, commandant la gendarmerie, comme mon tuteur légal, appuyé par Mme Angèle NEMIN assistante sociale. Au passage, on doit au général, mon père adoptif, la création de la fédération ivoirienne de Taekwondo, la FITKD, la meilleure et la plus brillante des fédérations de Taekwondo en Afrique avec tous ses grands champions olympiques et mondiaux.

J’ai été entraîné au tout début par mes premiers maitres, Aime Aikpa Gnamba, mon cousin qui vit actuellement en Italie, par feu Arsène Zirignon, un grand combattant de son époque, autant au Taekwondo qu’en full-contact, ancien président de la FITKD, et enfin par le GM Kim Young Tae, pionnier du Taekwondo en Afrique de l’Ouest en 1967, ex directeur technique de la WT, ex président du Kukkiwon par intérim et actuellement le plus ancien 9ème dan au Kukkiwon qu’il détient depuis le 7 avril 1990 soit près de 34 ans ! Il est à ce jour le président du comité des sages au Kukkiwon.

TKDC – Puis vous êtes arrivé en France … et quel fut votre apport au Taekwondo français?

GM Benjamin John – De la Côte d’Ivoire, je suis arrivé en France en 1974, il y a tout juste 50 ans, après avoir obtenu ma CN 1er dan directement des mains du GM Kim Young-Tae, la veille de mon départ et non de la FITKD…

J’ai travaillé successivement avec le GM Michel Morlon, avec Feu le GM Bang Seo Hong, un grand ami du GM KIM Young-Tae, puis depuis son retour en France en 1975, après la réalisation de plusieurs films à Hong Kong, avec le GM LEE Kwan Young, pionnier du Taekwondo en France, depuis 1969 duquel j’ai été son assistant. Nous avons œuvré, et réalisé de belles choses, vécu de belles aventures. Il a formé la plupart de tous les hauts gradés en France, accompagnés des autres GM et maitres coréens dont bons nombres sont arrivés en France grâce à lui.

Avec son 1er président, le Dr. Paul VISCOGLIOSI, assisté de feu le GM Serge TROCHET et de moi-même, est née la Fédération Française de Taekwondo, FFTDA, issue de la Fédération Française de Karaté, grâce à notre statut de Sport olympique, que nous devons à feu le Dr Un Young KIM, lors de la 103ème session du CIO, au CNIT à la Défense à Paris, le 4 septembre 1994.

J’avais réuni sur les instructions du Dr. Paul VISCOGLIOSI plus de 300 pratiquants devant le CNIT à la Défense à Paris pour attendre le signe de notre admission comme sport olympique par le Dr. Un-Young KIM. Que de joie et de bonheur ce jour-là …Nous avions traversé plusieurs phases, à la fois passionnantes, excitantes, difficiles et douloureuses, comme notre marche sur Paris, depuis la Bastille et qui s’est achevée devant la maison de la Radio par une grande démonstration de plus de 500 pratiquants de Taekwondo que je dirigeais, face à des CRS en arme …

Très vite, vu la jeunesse de la fédération française, le président fulminait avec les autorités de tutelle pour préparer la stabilité qui a vu émerger les présidents suivants : Roger PIARULLI, Denis ODJO et Hassan SADOK, et tous ceux qui ont contribué comme ils ont pu de leur côté, comme Philippe BOUEDO, Janine MORANDIN, Sydney MELOUL, Martine STANSZACK, etc..

Feu le GM Serge Trochet bâtissait les prémices de la DTN avec l’aide du GM Lee Kwan-Young, alors que j’ai décidé pour ma part de continuer l’œuvre démarrée sous la FKATAMA en 1989, à savoir consolider la commission d’arbitrage du Taekwondo français, compte-tenu de l’importance que prenaient la compétition, les championnats nationaux, internationaux et olympiques.

TKDC – Votre contribution à la pérennité du taekwondo en France et dans le monde ?

GM Benjamin John – J’ai ainsi formé tous les arbitres nationaux, internationaux et olympiques français jusqu’en 2016, près de 30 ans, avant de passer la main à Maître My Youansamouth puis à Maître Serge Sembona.

J’ai été le 1er arbitre WT français, arbitré plusieurs Championnats WT et Coupe du monde. Puis je suis devenu le 1er arbitre olympique français à l’occasion des JO de Barcelone en 1992 et d’Athènes en 2004. Avec Denis ODJO, nous sommes les deux arbitres olympiques à avoir été deux fois arbitres olympiques et j’en profite pour remercier tous ceux qui ont contribué au rayonnement de la commission française, à savoir maître Edouard BRANCO, Pascale METIFEU, 1ère arbitre internationale féminine française, Richard PASSALAQUA et bien d’autres dont personne ne se souvient, comme Jean-Louis SOTTIL, Frédéric FOUBERT, Mandé MAHMOUD. Malgré leur âge, d’autres sont encore actifs comme les maitres Joël BRIEND, Engelbert AGBOTON, Adolphe YAO et bien d’autres que je remercie ici pour fidélité à la cause de l’arbitrage en France.

Je veux ici remercier tous les grands champions français qui ont fait progresser l’arbitrage français, Mikael MELOUL, le 1er Champion du Monde français, Franck CRIBALLET, Myriam BAVEREL, Gwladys EPANGUE, Mamedy DOUKARA, Pascal GENTIL, etc …

J’ai eu à effectuer plusieurs missions, stages et passages de grade confiés par la WTF et la solidarité olympique dans plusieurs pays en Afrique, notamment au Bénin et en Centrafrique. J’ai été Membre de la commission d’arbitrage de la WT et je suis actuellement le 1er et seul arbitre international S Class en France et en Afrique depuis 2011.

TKDC – Il parait que le chemin vers ce graal fut laborieux. Racontez-nous s’il vous plait.

GM Benjamin John – Aujourd’hui à 71 ans, je deviens le premier 9ème dan Kukkiwon français depuis l’introduction du Taekwondo en France en 1969 par le GM Lee Kwan-Young. L’obtention de ce 9ème dan est l’aboutissement de l’œuvre suprême pour mes deux grands maîtres, en l’occurrence pour le GM KIM Young-Tae en Côte-d’Ivoire avec les deux premiers 9ème dan africains, le GM Siaka Minayaha COULIBALY en 2022 et moi-même en 2023 et pour le GM Lee Kwan-Young avec le premier 9ème Dan Kukkiwon en France !

Avec l’apparition de mes difficultés physiques et de santé actuelles, suite au Covid en 2021, j’ai dû me battre avec grande volonté, acharnement et sans abnégation aucune, avec de grandes souffrances, à la recherche de toutes les solutions médicales, pour enfin réussir, au bout de 3 tentatives, à l’obtenir cette CN 9ème dan Kukkiwon, le 8 décembre 2023, suite aux tests du 15 novembre 2023.

Comme l’a si bien dit le GM LEE Kwan-Young, ce fut un match douloureux, gagné au 3ème round. Quelle belle image pour l’arbitre que je suis.

Merci ici à tous ceux qui, nombreux, m’ont soutenu dans ce vaillant combat, des coréens comme Maître Pierre KIM DUNCK YONG, qui dirige une boutique de produits coréens à Paris, que très peu connaissent car très discret, il aime plutôt rester dans l’ombre. Il m’a soutenu de toutes ses forces et a même pleuré à mon deuxième échec. Je ne le connaissais pas bien, il est devenu mon ami. Merci à tous les soutiens venus d’Afrique, de Corée, des USA, etc. Je remercie très chaleureusement le GM Kwon Yong UN qui m’a accompagné durant mes quatre voyages en Corée, sans rechigner, tellement ému par ce courage inexplicable pour lui.

TKDC – Un enseignement à partager GM John ?

GM Benjamin John – Il est intéressant de comprendre comment le Taekwondo, qui nous place sur un chemin où notre égo est sublimé par nos hauts grades, tous nos combats et nos accomplissements pour le rayonnement du Taekwondo dans nos pays, sur le plan mondial, de nous-mêmes, de nos Dojangs, de nos élèves, pour devoir à la fin de chemin magnifique chemin, cultiver et faire naitre au plus profond de nous, de nouvelles valeurs symboliques pour nous relever là ou beaucoup sombrent ou baissent les bras.

En fait c’est l’ultime cheminement vers la sagesse pour porter cet ultime grade du 9eme dan qui m’a fait passer par ces chemins difficiles, pour enfin comprendre les vertus du DO contenus dans notre art royal qu’est le Taekwondo. D’ailleurs, très peu de nos grands maîtres enseignent le DO, alors que c’est le fondement même de leur culture, du confucianisme et du Bouddhisme.

Dans cette culture asiatique, comme nous le pratiquons en général, la notion d’un Dieu incarné et sublimé est absent, représenté par l’amour de la complémentarité de notre prochain, la paix, l’altruisme, la sérénité, l’élévation de soi vers son accomplissement ultime.

C’est la seule voie d’élévation recherchée dans cette culture.

Le seul fait de nos saluts permanents en nous prosternant avant de pénétrer sur le Dojang, nos saluts avant et à la fin des cours, autant envers les drapeaux de nos différents pays, les différents symboles qui ornent l’Orient de nos Dojangs, les photos de nos maîtres, de même que les œuvres et accomplissements de nos assistants, nos Élèves, vers nous et entres-eux, nos parents, la société, la vie et ses composantes, nous montrent le sens et la direction du DO, tel qu’il est inscrit dans les symboles du drapeau coréen pour ceux qui s’en donnent la peine. Le drapeau coréen rappelons-le ici, est le seul drapeau au monde qui contient un enseignement digne d’être pratiqué toute une vie durant pour l’élévation de son âme vers le salut final, car il contient tous les codes pour une vie accomplie et bien dirigée.

TKDC – Il y a une cérémonie d’investiture particulière réservée a cet ultime grade. Qu’en avez-vous retenu GM John ?

GM Benjamin John – Ce 9ème dan comporte plusieurs éléments très symboliques.

Tout d’abord c’est le seul grade qui est ponctué par une cérémonie d’investiture, d’intronisation et d’élévation particulière au Kukkiwon, le centre mondial du Taekwondo, devant son président, le comité des sages du Kukkiwon, les Hauts Dignitaires 9ème dan Kukkiwon et tous les membres des jurys de passage des grades. Tous les récipiendaires, le président et les deux assistants devant diriger la cérémonie portent des costumes typiques coréens, comprenant différents attributs et sont de trois couleurs différentes, le doré pour le président, le bleu pour ses deux assistants et le rouge pour les récipiendaires.

Le jaune symbole du sol et la fertilité de la terre, correspond au centre de l’univers; c’est la couleur principale utilisée par les empereurs, et en Corée il est associé à la noblesse, la dignité et à la sainteté. Le bleu, associé au bois et à l’Est, représente le printemps, la création, la vie, la créativité, l’immortalité et l’espoir. Le rouge représenté l’autorité, la création, la production, la passion, l’amour et la poursuite du bonheur. Cette couleur d’après les croyances chamanistes a la propriété de repousser les esprits malins, les mauvaises énergies et la malchance.

Après une minute de silence et une allégeance aux disparus, aux symboles et aux vertus de la Corée, le président de la cérémonie explique l’itinéraire, le temps et les épreuves qui conduisent au 9ème dan et ce que devrait dorénavant devenir l’axe de vie des récipiendaires porteurs de cet ultime grade du Taekwondo. Puis remerciement à tous ceux qui œuvrent dans le monde pour le rayonnement du Taekwondo dont les 9ème dan en sont les garants.

Rappelons ici qu’actuellement, on compte environ 80.000.000 de pratiquants de Taekwondo dans le monde, environ 3.000.000 de ceintures noires Kukkiwon, et seulement 1.200 ceintures noires 9ème dan Kukkiwon dont environ 200 étrangers, 12 en Europe, 1 Français.

Puis nous recevons officiellement notre diplôme, notre ceinture noire 9ème dan et prêtons un serment qui nous est propre et où nous faisons chacun à son tour, allégeance à être les garants d’une pratique du Taekwondo teintée de sagesse, d’apaisement et d’amour.

TKDC – Que de symboles pour marquer la fin d’un itinéraire de vie. C’est aussi le seul grade avec un dobok très spécial n’est-ce pas  ?

GM Benjamin John – Il nous est aussi demandé lors de la cérémonie d’investiture, en référence à la culture et aux traditions coréennes de promouvoir la pratique du Taekwondo en respect des traditions coréennes et de promouvoir le Kukkiwon dont nous devenons de facto les représentants à travers le monde.

A ce propos, c’est le seul grade avec un dobok différent où différents symboles sont gravés en lettre dorée.

Il y a tout d’abord aux cols du Dobok, le dessin du phénix, qui comme nous le savons renaît de ses cendres, et représente pour les coréens le symbole de la beauté et de la pureté.

Il y a aussi le symbole du Gankyil et du Sam-taegueug, outil rituélique issu du bouddhisme coréen, japonais, tibétain et le chamanisme himalayen. Il illustre l’inséparabilité entre les éléments de la vie qui sont le ciel, la terre et les humains, tel qu’il est dit « que ce qui est haut est comme ce qui est en bas et que ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, pour faire les miracles d’une seule chose grâce aux humains ».

Enfin, il y a 9 anneaux dorés qui sont au bout des manches du dobok pour symboliser les 9 dans.

La symbolique du chiffre 9 revêt aussi tout un sens car c’est la marque de l’accomplissement final, de l’univers. Il permet d’ouvrir les horizons et d’élever la conscience. Il est l’amour, le positif et le sens de l’absolu. Le chiffre 9 évoque la triple triade, esprit, corps et âme sur le plan humain, Dieu, l’univers et l’homme sur le plan cosmique ou encore conscience, matière et vie sur le plan spirituel.

Deux derniers symboles se trouvent au bout de chaque extrémité du pantalon du dobok : d’un côté, le Dragon et de l’autre côté le Tigre, des animaux sacrés de l’ancienne Corée au 6è siècle et de nos jours, étroitement associés à la culture, le folklore, la mythologie, les peintures et la sculpture coréenne. On constate ainsi que tous les symboles attachés à ce grade, montrent à quel point le Kukkiwon donne une mission subtile, mais très claire à tous les 9è dan, de faire rayonner les principes et les symboles de la culture coréenne, pour ceux qui s’en donnent les moyens qui prennent le temps de le comprendre

Mieux encore, ce grade est l’achèvement d’un parcours, d’un cycle et l’aboutissement des missions terrestres, car le 10ème dan n’est attribué qu’à titre posthume pour manifester à mon sens, l’ultime étape qui permet de réunir ce qui est épars, afin de réunir tout en 1, pour la rencontre ou la confrontation avec celui-là qui gouverne et ordonne tout de par le monde et dont la non-rencontre rendrait la mort bien triste comme l’a si bien écrit Jean d’Ormesson.

TKDC – un dernier message pour terminer GM ?

GM Benjamin John Je dédie ce testament à tous ceux qui, un seul instant de leur vie, ont cru en moi, mes Parents, mes maîtres et mes grands maîtres, les GM et les maitres coréens qui m’ont tendu les mains durant ce passage laborieux en Corée, mes Enfants et leurs Mères, Marie-Paule et Sigolène, mes élèves, les éditeurs de mes livres, les maires et les député-maires qui m’ont tendu les mains, les Présidents des fédérations que j’ai servis, ici en France et dans différents pays africains, surtout au Bénin et en Côte-d’Ivoire.

Tout particulièrement, je voudrais remercier l’ex-Président de la FITKD, Mr le ministre et maître Bamba Cheick Daniel qui a œuvré pour la réhabilitation de mon honneur en CI, en réussissant à me faire décerner la médaille d’officier dans l’ordre du mérite National ivoirien, par le président de la République, SEM Alassane Dramane Ouattara, lors de l’inauguration du Centre Sportif culturel et TIC Ivoiro-coréen Alassane OUATTARA d’Abidjan.

Je prie de toutes mes forces pour qu’ensemble, le nouveau président, maître Jean-Marc YACE, maire de Cocody à Abidjan, dont je suis le conseiller spécial et lui-même, œuvrent de concert pour que le Taekwondo ivoirien maintienne sa place de leadeur en Afrique.

Je me tiens dès cet instant à la disposition de tous les présidents des fédérations de Taekwondo en Afrique qui souhaiteraient mon implication à leur côté.

La réussite de ce 9ème dan, malgré tous les obstacles et les épreuves qui se sont dressées sur mon chemin, montre l’exemple à suivre et démontre bien que la résilience vient d’abord soi-même, de l’acharnement dans la volonté d’aboutir, de notre capacité à nous dépasser et à aller chercher au plus profond de soi, de notre cabinet de réflexion, les solutions qui nous permettront de nous placer sur d’autres chemins plus lumineux, loin des ténèbres et dépouillés de tout l’égocentricité qui bloque les humains.

TKDC – Peut-on savoir quel est le serment prononcé lors de la cérémonie d’investiture et d’élévation au grade de 9è dan, le 8 mars 2024 au Kukkiwon ?

Benjamin John

GM Benjamin John – « Devenir 9ème dan de Taekwondo, c’est entrer dans le monde de la Sagesse. Mais on n’y arrive pas tout seul, ni par hasard. C’est le fruit de longues années de travail et d’acharnement contre toutes les épreuves de la vie, sans oublier tous ceux qui nous ont montrés le chemin et accompagnés.

Merci à mes Parents, au GM KIM Young Tae, mon père spirituel, au GM LEE Kwan-Young en France, à mes Maîtres Gnamba Aimé AIKPA, et feu Arsène ZIRIGNON, à tous mes élèves, les pratiquants et les Arbitres de Taekwondo en France, en Côte-d’Ivoire, au Bénin, et partout en Afrique.

Un grand merci au président du Kukkiwon, aux présidents des fédérations que j’ai servi, aux membres du jury et à tous ceux qui m’ont soutenu à travers le monde. Enfin, par la grâce de Dieu, je m’engage devant vous, à poursuivre l’enseignement du Taekwondo jusqu’à ma mort, quelles que soient les épreuves qui se dresseront devant moi. »

Les droits de l’homme au cœur des défis contemporains

La cinquième édition de,Les droits de l’homme de la professeure émérite à l’université Paris Ouest-Nanterre Danièle Lochak, publiée en 2024 dans la collection Repères sciences politiques – droit chez La Découverte, est une œuvre essentielle pour quiconque souhaite comprendre les dynamiques, les conditions d’existence et les défis contemporains des droits de l’homme.

En 128 pages, cet ouvrage propose une réflexion approfondie et critique sur l’évolution des droits humains, en les situant dans leur contexte historique, idéologique et juridique.

Dès l’introduction, Danièle Lochak nous rappelle que les droits de l’homme ne sont pas des principes immuables mais des concepts en constante évolution. Elle souligne leur naissance sur le terrain des idées avant d’être consacrés par le droit positif et utilisés comme étendard dans de nombreux combats politiques. Cette perspective historique pose les bases d’une analyse qui se décline en trois parties : « La dynamique des droits de l’homme », « Les conditions d’existence des droits de l’homme » et « L’achèvement des droits de l’homme ».

Dans la première partie, intitulée « La dynamique des droits de l’homme », en son premier chapitre  « De l’émergence du concept à la proclamation solennelle », l’auteure explore la généalogie des droits de l’homme, en retraçant leur développement depuis les sociétés anciennes jusqu’à la modernité, avec un accent particulier sur les Lumières et les déclarations révolutionnaires. Elle met en lumière la transition vers une conception juridique et politique des droits humains, marquée par des proclamations emblématiques comme celles de l’État de Virginie ou de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Danièle Lochak poursuit avec une analyse des « Contestation et mutations des droits de l’homme », où elle examine les différentes formes de contestation et de reconnaissance de nouveaux droits. Elle traite des prolongements et des critiques des droits traditionnels, ainsi que des nouvelles revendications sociales et environnementales qui redéfinissent constamment la portée des droits humains.

« Les conditions d’existence des droits de l’homme », titre du deuxième chapitre, débute avec « L’état de droit », chapitre qui aborde les conditions d’existence des droits de l’homme, en se concentrant sur l’assimilation progressive des droits dans le système juridique. Elle examine les garanties d’efficacité inégale, les autorités indépendantes, et les instances internationales, en soulignant les défis actuels auxquels fait face l’état de droit, tels que les tensions politiques et le spectre de la régression démocratique.

« La démocratie » est un autre thème central de cette partie, où Danièle Lochak discute du lien entre démocratie et droits de l’homme, l’indépendance des juges, et les enjeux civiques. Elle met en avant l’importance d’une vigilance citoyenne active pour protéger et promouvoir les droits humains dans un contexte de tensions politiques croissantes.

« La justice sociale », dernier chapitre de cette partie, explore les figures de la justice et de l’égalité, les critères de justice sociale, et les dilemmes liés à la non-discrimination et aux législations antidiscriminatoires.

Danièle Lochak traite également des « Équilibres instables et toujours menacés » débutant la troisième et dernière partie titrée « L’inachèvement des droits de l’homme », abordant les bornes légitimes de la liberté, les impératifs contradictoires de sécurité et liberté, et les défis posés par l’État-nation.

Enfin, l’ouvrage se termine par une réflexion sur « De nouveaux défis », où l’auteure examine l’impact des progrès techniques, de la mondialisation et des migrations sur les droits de l’homme. Elle analyse la mutation des risques, les enjeux pour l’individu et la société, et la montée des inégalités. Danièle Lochak conclut sur la nécessité de continuer à lutter pour les droits humains malgré les menaces et les reculs apparents, soulignant que leur histoire est celle de combats incessants pour plus de justice et d’égalité.

Source Babelio

Cette cinquième édition de, Les droits de l’homme est une lecture incontournable, offrant une perspective enrichie et nuancée sur les droits humains, ancrée dans une solide compréhension historique et une analyse critique des défis contemporains.

L’engagement de Danièle Lochak, tant académique qu’associatif – elle a été présidente du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme. confère à cet ouvrage une profondeur et une pertinence qui en font un guide précieux pour tous ceux qui s’intéressent à la défense et à la promotion des droits de l’homme dans le monde d’aujourd’hui.

Les droits de l’homme

Danièle Lochak La Découverte, Coll. Repères sciences politiques – droit, 2024, 5e édition, 2024, 128 pages, 11 € – Format Kindle 8,90 €

« Corto Maltese – Une vie romanesque », l’expo à la Bpi (Paris)

Vous avez dit Corto Maltese ?

Immédiatement nous vient à l’esprit ce qu’en disait Umberto Eco (1932-2016) !

Umberto Eco

En maître de l’ironie, l’écrivain, philosophe, médiéviste et sémiologue italien distille son intelligence avec finesse dans cette phrase : « Quand je cherche à me détendre, je lis un essai d’Engels, quand je veux quelque chose de sérieux, je lis Corto Maltese ». À travers ces mots, il nous convie à une réflexion profonde et ludique sur la nature même de la lecture et les clivages culturels souvent artificiels.

L’antithèse initiale se révèle avec éclat. Friedrich Engels, philosophe et théoricien politique, cofondateur du marxisme avec Karl Marx, se voit attribuer le rôle de pourvoyeur de détente. Ses essais, denses et érudits, abordant des thématiques économiques, sociales et politiques, sont ainsi ironiquement suggérés comme des lectures légères. C’est un pied-de-nez évident à la réalité de la rigueur intellectuelle qu’exigent ses œuvres.

À l’opposé, Corto Maltese, héros de bande dessinée créé par Hugo Pratt, incarne le sérieux. Ce marin aventurier, évoluant dans des récits mêlant aventure, mystère et fantastique, est présenté comme une source de lecture sérieuse, malgré le statut souvent frivole attribué aux bandes dessinées. Umberto Eco, par ce retournement, joue malicieusement avec les stéréotypes culturels : il bouscule les idées reçues, où les essais académiques sont perçus comme graves et les bandes dessinées comme du simple divertissement.

Cet exercice de style nous pousse à revoir nos préjugés. Umberto Eco suggère que la gravité et la légèreté résident là où on les attend le moins. Il interroge les frontières entre culture « haute » et « basse », révélant leur caractère parfois arbitraire. En exaltant la profondeur des bandes dessinées et en soulignant la complexité des œuvres littéraires, quelle que soit leur forme, il invite à une appréciation plus nuancée de la littérature.

Ainsi, cette déclaration d’Umberto Eco ne se contente pas d’être une boutade spirituelle ; elle incite à une méditation sur la valeur intrinsèque de toute œuvre littéraire. En exaltant les vertus cachées de la bande dessinée et en redéfinissant la gravité des essais, Eco nous rappelle que la lecture est une aventure intellectuelle où les surprises sont la norme, et où les distinctions rigides méritent d’être revisitées. En somme, c’est une ode à la curiosité intellectuelle et à l’ouverture d’esprit, emblématique de l’esprit brillant et ironique d’Eco.

Corto Maltese est devenu l’un des personnages les plus emblématiques de la bande dessinée

Centre Pompidou

Créé par Hugo Pratt en 1967, Corto Maltese est devenu l’un des personnages les plus emblématiques de la bande dessinée. Gentilhomme de fortune, aventurier romantique, ce marin anarchiste et solitaire parcourt le monde en traversant les bouleversements politiques et historiques du premier quart du XXe siècle. Le récit de ses pérégrinations, riches en intrigues et rebondissements, est aussi parsemé de références et de citations littéraires. Elles viennent donner une dimension sensible à cette odyssée et construire une poétique singulière, où la valeur fictionnelle est nourrie et troublée par des “effets de réel” qui participent à l’ambiguïté du héros.

Appuyée sur une sélection de documents originaux (photographies, notes, storyboard, croquis, études, planches et aquarelles), l’exposition proposée par la Bibliothèque publique d’information explorera tout particulièrement cette dimension “littéraire” des albums de la série.

Elle évoquera pour cela la genèse du personnage : son apparition dans le paysage de la bande dessinée, la biographie “imaginaire” qui fait de Corto Maltese un héros à l’existence partagée entre réel et fiction, ainsi que sa relation complexe aux événements historiques de son époque : en même temps qu’il y est toujours plus fortement impliqué, il les tient à distance par le biais de l’ironie et d’une fausse indifférence. On appréciera les interactions qu’il établit avec d’autres personnages, féminins et masculins, qui lui permettent de révéler et d’affirmer sa personnalité au contact de figures tout aussi attachantes, qu’il s’agisse de Pandora, de Bouche Dorée, de Shanghai Lil, de Steiner ou du guerrier Cush.

Pour construire son personnage et l’inscrire dans une tradition littéraire, Hugo Pratt puise une partie de son inspiration dans les grands récits qui ont fondé notre histoire littéraire : les légendes celtiques et leur déclinaison shakespearienne, la poésie de Coleridge et de Rimbaud, les romans d’aventure de Stevenson. Constamment présente dans l’intrigue, cette inspiration se retrouve de surcroît dans de nombreuses scènes de lecture évoquées dans la série : l’image de Corto un livre à la main est récurrente, ses lectures se mêlent souvent à ses rêves et donnent aux histoires racontées une forte dimension onirique. Corto Maltese croise dans ses périples d’illustres personnages : des écrivains, tels que Jack London, Hermann Hesse, Gabriele D’Annunzio, mais aussi des figures inscrites dans l’Histoire, qui viennent ajouter une véracité trouble au récit et apporter à la trame romanesque une dimension spatio-temporelle tout à fait originale par rapport aux codes traditionnels de la bande dessinée.

En filigrane à ces différents fils rouges, la figure imposante et tutélaire de Hugo Pratt, grand lecteur et amoureux de la littérature, reste toujours omniprésente.

L’exposition Corto Maltese, une vie romanesque sera accompagnée d’une riche programmation associée (en cours) : ateliers, visites gratuites, rencontres…

Le catalogue

Corto Maltese | Une vie romanesque

Le catalogue de l’exposition Corto Maltese à la Bibliothèque publique d’information (Bpi).

25 € (23,75 € pour les adhérents)

Hugo Pratt, franc-maçon

Hugo Pratt, né le 15 juin 1927 à Rimini, en Italie, et décédé le 20 août 1995 à Grandvaux, en Suisse, est surtout connu comme le créateur de Corto Maltese, une des bandes dessinées les plus influentes du XXe siècle. Outre ses talents d’auteur et d’illustrateur, Pratt est souvent mentionné en lien avec la franc-maçonnerie, un sujet qui a éveillé beaucoup d’intérêt et de spéculation.

Hugo Pratt, nom de plume d’Ugo Eugenio Prat,

Son œuvre et la franc-maçonnerie

Les œuvres de Pratt, en particulier les aventures de Corto Maltese, sont imprégnées de références historiques, culturelles et ésotériques. La franc-maçonnerie, avec ses symboles et ses mystères, apparaît fréquemment dans ses récits.

Des éléments ne sont pas purement décoratifs mais servent souvent à enrichir les intrigues et à ajouter une couche de complexité et de mystère à ses histoires.

Chacun a encore en mémoire la remarquable exposition temporaire « Corto Maltese et les secrets de l’initiation »

Elle se tenait au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France) du 15 février au 15 juillet 2012 au « 16 Cadet », siège du Grand Orient de France (GODF).

Hugo Pratt (1927-1995) révèle une facette méconnue de sa personnalité à travers cette exposition captivante. Membre de la loge maçonnique Hermès de Venise pendant vingt ans, Pratt a subtilement intégré de nombreuses références maçonniques dans ses albums.

Les visiteurs purent découvrir des trésors inédits de l’œuvre de Pratt. Parmi eux, des planches originales de plusieurs albums, dont Fable de Venise, le plus emblématique de sa relation avec la franc-maçonnerie. Sont également exposés des aquarelles, son cordon maçonnique, et deux de ses tabliers, dont l’un est orné de l’initiale « Z », symbole hébreu associé à son grade de Maître secret. Deux masques africains ayant inspiré « Les Éthiopiques » et un pectoral de Nouvelle-Guinée complètent cette collection fascinante.

Un des objets les plus intrigants est une épée maçonnique flamboyante

Cette épée, ramenée par Pratt à la loge Hermès en 1976, avait été dérobée par son père lors du sac de la loge de Venise par les milices fascistes en 1924. Ce geste symbolique de restitution révèle une dimension profondément personnelle et historique de l’engagement maçonnique de Pratt.

Durant cette période troublée en Italie, marquée par les scandales autour de la loge P2, Pratt n’a jamais publiquement avoué son appartenance maçonnique. Cependant, son biographe Dominique Petitfaux raconte que Pratt laissait entendre cette affiliation sans jamais la confirmer explicitement. Ce n’est qu’après sa mort que son ami Luigi Danesin a révélé cette appartenance dans une revue maçonnique italienne.

Toute l’œuvre d’Hugo Pratt est nourrie de ses rencontres avec des peuples aux rites initiatiques variés, qu’il s’agisse des Indiens d’Amazonie, des sociétés précolombiennes, de l’Afrique, de la Mélanésie ou de la Nouvelle-Guinée. Guy Arcizet, Grand Maître du Grand Orient de France d’alors, soulignait que Pratt était toujours en quête d’altérité, un trait partagé avec les francs-maçons, malgré ses nombreuses autres facettes.

Infos pratiques

Jusqu’au 4 novembre 2024/Centre Pompidou – Place Georges-Pompidou 75004 Paris

Horaires d’ouverture : 12h – 22h en semaine (fermeture le mardi)/10h – 22h le week-end. L’agenda

Centre Pompidou

Carl de Nys voyait en Titus un initié Franc-maçon

De notre confrère resmusica.com – Par Matthieu Roc

Luxe vocal pour la Clémence de Titus de Mozart à Aix-en-Provence

Tous les rôles sont tenus magnifiquement par des chanteurs à l’apogée de leurs moyens : Pene PatiMarianne CrebassaKarine Deshayes… mais la direction de Raphaël Pichon à la tête de l’ensemble Pygmalion pose question.

Donné en version de concert, tout doit être fait pour privilégier la beauté sonore d’un opéra. C’est bien le cas ce soir, dans l’acoustique remarquable du Grand Théâtre de Provence. L’ensemble Pygmalion en grande forme développe les couleurs boisées et cuivrées magnifiques des instruments d’époque, encore agrémentées par un pianoforte un rien bavard mais non-envahissant. Le chœur, qui n’a pas une partie très longue ni très difficile, chante avec une précision extrême, de façon investie, avec délicatesse ou dramatisme selon le moment de l’intrigue. La mise en espace de Romain Gilbert, discrète et efficace, profite des très beaux éclairages de Cécile Giovansili Vissiere et porte efficacement l’évolution de l’histoire et des personnages.

Dans le rôle-titre, Pene Pati rayonne. La voix est une merveille de timbre solaire, de souplesse et d’élocution, et il en joue avec un style parfait, des demi-teintes subtiles et des nuances fines. On pardonnera volontiers au ténor un petit coup de savon sur les vocalises, car son interprétation est non seulement superbe, mais fort intéressante : il arrive à donner à son personnage une dimension réellement impériale, mais aussi humaine et fraternelle qui rend enfin intéressant ce personnage, en soi peu évolutif. La tendresse avec laquelle il interroge son ami-traître est étonnamment émouvante.

On ne peut pas ne pas penser à l’analyse de Carl de Nys, qui voyait en Titus un initié franc-maçon : voilà un roi jeune et éclairé, un géant de bonté, une sorte de Tamino qui aurait succédé à Sarastro, et en mission d’aider l’humanité à évoluer.

Face à lui, Marianne Crebassa dans Sextus éclate elle aussi de splendeur. Même niveau de beauté de timbre (mais sombre, velouté et toujours homogène sur tout l’ambitus), même style châtié, mais avec une plus belle aisance encore dans les vocalises. Son interprétation, de surcroit fort digne et dramatiquement crédible, déclenche les succès les plus tapageurs de la soirée. Dans le rôle impossible de Vittelia, on est souvent obligé de renoncer aux graves ou aux aigus. Mais Karine Deshayes, qui évolue en Falcon en gagnant des aigus tout en conservant son beau médium de mezzo-soprano (voir sa dernière Norma à Strasbourg), fait fi de cette difficulté. Ses notes basses ne sont pas « poitrinées », et ses aigus (jusqu’au contre-ré) semblent parfaitement naturels. Pas de problème pour les vocalises, ni pour les écarts vertigineux ! Voilà une Vitellia de première classe, interprétée comme une grande princesse qu’elle est censée être, et non pas comme folle écartelée. Dans les autres rôles, on reste au même niveau d’excellence. Léa Desandre aborde Annius avec une simplicité désarmante, et c’est sans doute elle qui nous donne les moments de beauté mozartienne la plus pure de toute la soirée. Emily Pogorelc fait une très belle Servilia, et Nahuel di Pierro un Publius d’une parfaite stature.

A la baguette, Raphael Pichon use de toutes les libertés que se sont progressivement accordées les chefs dits « baroqueux » : coupures voire longues amputations dans les récitatifs, greffe d’un prélude orchestral venu d’ailleurs pour le deuxième acte, intégration du pianoforte dans la trame de l’orchestre, diverses ornementations vocales plus ou moins signifiantes, et usage immodéré du rubato. C’est sans doute ce dernier point qui est le plus désagréable : de fortes décélérations (par exemple, au milieu de l’air « Parto ») qui vont jusqu’à l’arrêt de quelques secondes, suivis de brutales accélérations. Certes, ces ralentissements expriment quelque chose, comme le doute, le désarroi, et dans les duos le sentiment d’amitié, d’amour, mais la phrase mozartienne est, intrinsèquement, suffisamment porteuse de sens et d’émotion, et n’a pas besoin d’être étirée comme un caoutchouc pour être surinterprétée. Avec tous ces tics et licences importées du répertoire baroque, Raphaël Pichon traite Mozart comme un Vivaldi ou un Porpora. Ce serait acceptable, à la limite, pour Idomeneo, qui est encore un opéra séria « à l’ancienne », mais pas pour la Clemenza, dont Mozart a bien notifié de sa main que ce n’était pas un opéra seria, mais un « opera vera » (sic), un vrai opéra. Le contresens interprétatif est encore plus patent quand on analyse tout ce qui est novateur dans cette œuvre charnière de 1791, et tous les germes du romantisme qu’elle porte en elle et qui annoncent Beethoven, Von Weber, etc. Ce n’est donc pas rendre service ni justice à Mozart que de traiter ce monument testamentaire comme un opéra vénitien de 1715, même si cela plait au public. Et pourtant… Mozart résiste, comme il a résisté à tous les autres traitements qui lui ont été infligés au long des XIXe et XXe siècles. Malgré tous les choix discutables de Raphaël Pichon, la beauté de la musique de Mozart nous subjugue toujours, nous émeut et nous transporte. La soirée se termine en succès, bien mérité pour les valeureux interprètes, mais la question demeure, de savoir comment il faut jouer Mozart de nos jours.

Crédit photographique : Festival d’Aix-en-Provence 2024 — La clemenza di Tito © Vincent Beaume

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 21 VII 2024.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clemenza di Tito, livret de Caterino Mazzola d’après Pietro Métastasio. Pene Pati, ténor (Tito) ; Karine Deshayes, mezzo-soprano (Vitellia) ; Marianne Crebassa, mezzo-soprano (Sesto) ; Lea Desandre, mezzo-soprano (Annio) ; Emily Pogorelc, soprano (Servilia) ; Nahuel di Pierro, basse (Publio) ; Chœur et orchestre Pygmalion ; Raphaël Pichon, direction. Romain Gilbert, mise en espace ; Cécile Giovansili Vissiere, éclairages.

Premier film documentaire en Italie « Franc-maçonnerie »

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De notre confrère milanotoday.it

Participez à la présentation exclusive du docufilm Lux Vera 6023, une enquête unique sur le monde de la franc-maçonnerie qui montrera pour la première fois des images uniques à l’intérieur d’une véritable loge maçonnique.

L’événement comprend la projection du film documentaire (avec pop-corn et eau) d’une durée de 114 minutes et le débat de 2 heures avec les protagonistes afin de pouvoir poser directement des questions à Morris San, le Grand Maître Honoraire Stefano Erario, le directeur de le documentaire Samuel Scodeggio, Andrea Guadalupi Vénérable Maître de la Loge et Mattia Vadacca Chevalier élu des Neuf.

Il est également possible d’acheter un billet comprenant des séquences exclusives et des scènes inédites du film ainsi que d’assister à un dîner dans un restaurant de luxe de la région avec les protagonistes (le dîner est inclus dans le prix du billet).

Il s’agit d’un événement unique et les images présentées dans le film documentaire n’ont jamais été vues à la télévision auparavant. (Comment s’y rendre… cliquez ici)

Dans ce Medley du 22 juillet Morris San parle du Docufilm Lux Vera 6023 sur la Franc-maçonnerie expliquant pourquoi il a voulu réaliser ce documentaire alors qu’il a eu l’opportunité d’accéder à une véritable Loge Maçonnique.

Venez nombreux pour la première exclusive à :

Connaissez-vous ce Club Secret : Le Garrick Club ?

De notre confrère anglais theneweuropean.co.uk

Ce groupe secret semble plus digne d’attention qu’un club de vieux comédiens

Nous vous en parlions le mois dernier lors de l’article : « Grande première : Communiqué commun de la GLUA et des deux obédiences féminines anglaises ! », le Garrick Club est un groupe fermé.

Présentation : Le Garrick Club est un célèbre club de Londres auquel appartiennent principalement des comédiens, des écrivains et d’autres artistes, mais aussi, dans une certaine mesure, des représentants des professions juridiques. Il a été fondé en 1831 sous l’égide du duc de Sussex, frère cadet du roi Guillaume IV et président de la Royal Society. Le club doit son nom à David Garrick, le plus grand comédien britannique du xviiie siècle, dont un portrait en costume de roi domine l’escalier d’honneur.

Le recrutement se fait par cooptation. La rigueur des critères d’admission tient dans l’expression : « It would be better that ten unobjectionable men should be excluded than one terrible bore should be admitted. » Les statuts d’origine précisent que le Garrick a pour mission d’encourager l’art du théâtre d’une façon générale, en étant à la fois un club et une société littéraire. Il se donne notamment pour but de rassembler une bibliothèque consacrée au théâtre. Sa réputation vient aussi d’une vaste collection de plus de 1 000 objets qui y sont exposés, relatifs à l’art et au théâtre.

Le Garrick n’accepte pas les femmes.

Parmi les plus célèbres des membres figuraient entre autres les écrivains Charles Dickens, Thackeray, George Meredith et J. M. Barrie, les peintres Dante Gabriel Rossetti, Frederic Leighton et John Everett Millais, l’acteur Henry Irving et le compositeur Edward Elgar. À une date plus récente, on citera A. A. Milne, le créateur de Winnie l’ourson, George Mikes et Kingsley Amis. Par ailleurs, la Literary Society se réunit une fois par mois dans les locaux du Garrick.

Polémique :

En mars 2024, The Guardian s’est procuré la liste des membres du club et a décidé d’en publier un extrait. Parmi les membres, figurent le roi Charles III, plusieurs ministres, le chef du MI6 Richard Moore ou encore le secrétaire général de Downing Street Simon Case. Or ce club est toujours réservé aux hommes selon une ancienne règle dénoncée comme archaïque et symbolisant l’entre-soi masculin des lieux de pouvoir britanniques. Richard Moore et Simon Case ont annoncé démissionner de ce club.

Le 15 mai dernier Patience Wheatcroft s’exprimait dans le magazine The New European pour dénoncer la non mixité de ce club à l’anglaise. Nous laissons le magazine vous raconter la suite :

C’est la lâcheté plutôt que la conviction qui explique pourquoi le Garrick Club a finalement cédé au principe d’avoir des femmes parmi ses membres. Pendant 193 ans, le club a prospéré malgré son engagement à n’autoriser que les hommes à y adhérer. Pourtant, la décision du Guardian de publier les noms de ses membres a suffi à forcer la démission d’une série de gars nerveux. Ils étaient, semble-t-il, terrifiés à l’idée d’être présentés comme des partisans d’un régime discriminatoire envers les femmes.

Ironiquement, la décision d’autoriser les femmes à adhérer au club est intervenue presque simultanément avec la déclaration de la ministre de l’égalité, Kemi Badenoch, selon laquelle il serait illégal pour les nouveaux bâtiments tels que les clubs, les restaurants et les centres commerciaux de ne pas fournir de toilettes réservées aux hommes. Les femmes ont fait campagne pour cette liberté de la présence masculine en bien plus grand nombre qu’elles n’ont réclamé l’adhésion au club.

Les clubs de gentlemen, sous une forme ou une autre, font partie de la vie sociale, notamment à Londres, depuis des siècles, tandis que les femmes ont également leurs propres institutions. Ceux qui étaient déterminés à briser la barrière « réservée aux hommes » de Garrick Street ont fait valoir qu’il s’agissait d’un cas particulier, car les questions vraiment importantes étaient discutées et décidées par les personnes vraiment importantes qui s’y réunissaient, ce qui ne faisait que perpétuer le patriarcat cruel qui persiste au Royaume-Uni.

Une fois qu’ils ont traversé le processus compliqué de demande d’adhésion et ont subi un contrôle approfondi avant d’être autorisés à payer une cotisation, ils risquent d’être déçus. 

Laissons de côté le fait que les règles interdisent les discussions d’affaires, une restriction qui, il faut l’admettre, pourrait être difficile à appliquer, mais le bâtiment richement décoré de Covent Garden n’est pas le cœur battant de la Grande-Bretagne. C’est un refuge pour les comédiens âgés et ceux qui souhaitent les côtoyer. Oui, cela inclut une ribambelle de politiciens conservateurs, mais Michael Gove serait probablement plus intéressé par la collecte d’autographes de Brian Cox ou de Hugh Bonneville que par la discussion sur les affaires de l’État. Jacob Rees-Mogg, s’il daignait un jour s’asseoir à la longue table commune, serait sûrement trop occupé à jouer devant la foule pour dire quoi que ce soit d’important.

Pour les politiciens conservateurs qui veulent faire des affaires sérieuses – ce qui est peu probable de nos jours et probablement pour les décennies à venir – le Carlton Club est le lieu idéal, et il accorde aux femmes une adhésion complète depuis 2008. Le Garrick est un lieu de détente et de divertissement, comme l’a bien compris Winnie l’ourson, l’une de ses principales sources de financement. La fortune que son géniteur a laissée au club finance désormais son œuvre caritative au profit des arts.

Le secrétaire du Cabinet et le chef du MI6 ont des emplois stressants et, comme Winnie l’ourson, ils apprécient probablement un peu de détente et leur plat préféré. Alors qu’ils se précipitaient vers la sortie du club avec une ribambelle de juges face à la campagne du Guardian , ils ne cherchaient pas à garantir que les femmes aient un accès égal au pouvoir, mais simplement à ce que leur propre carrière ne soit pas gâchée par des allégations de discrimination injuste. Leur volonté de renoncer à leur adhésion à Garrick montre à quel point ils y accordent peu d’importance – ces gens savent où se trouve réellement le pouvoir aujourd’hui : dans la Silicon Valley, dans les bureaux de trading de Goldman Sachs et dans les bureaux de Blackrock.

Et juste à côté du lieu où le vote historique de Garrick a eu lieu au début du mois – les Connaught Rooms – se trouve l’imposante salle des francs-maçons. C’est là que se trouve la Grande Loge Unie d’Angleterre, une organisation bien antérieure à Garrick et qui reste fermement fermée aux femmes.

Si le Guardian voulait vraiment défendre le principe d’égalité, le pouvoir mystérieux et l’influence de la franc-maçonnerie mériteraient qu’on s’y intéresse. Ce mouvement international énonce ses principes comme « Intégrité, Amitié, Respect et Service », autant de qualités qui pourraient plaire à tous les sexes et à tous les non-sexe. Il ne fait aucun doute que le mouvement fait des œuvres caritatives, mais certains pensent que sa charité commence avant tout chez soi.

Pour expliquer son objectif de favoriser l’amitié, la Grande Loge déclare dans ses écrits : « Tous les membres partagent un sentiment d’unité qui renforce leur capacité à réussir et à grandir ». Serait-il surprenant que ce succès au travail soit encouragé par un collègue franc-maçon de la même entreprise, peut-être par une promotion ?

L’Angleterre compte actuellement environ 200 000 membres, qui se réunissent régulièrement dans plus de 6 800 loges. Bien que la majorité d’entre eux ne soient pas aussi connus que les membres de Garrick, ils sont dirigés par un duc et comptent régulièrement des monarques parmi leurs membres. Le prince Philip était connu pour être franc-maçon.

Au cœur même de la gestion de la Cité de Londres, le City Corporation’s Guildhall, se réunit la « City of London Lodge of Installed Masters no. 8220 ». Ce titre mystérieux s’accompagnera certainement de rituels étranges, notamment le port de tabliers et le retroussement des jambes de pantalon. Après s’être réjouies de pouvoir se débarrasser de leur dossard, la plupart des femmes n’ont probablement guère envie d’être admises dans cet étrange club (il existe deux Loges réservées aux femmes au Royaume-Uni). 

Mais nous aimerions tous voir un peu plus de transparence sur l’identité exacte des membres et sur ce qu’ils font pour s’entraider. Les francs-maçons pourraient avoir beaucoup plus d’impact que les Garrick. Ou ils pourraient être aussi inoffensifs que Winnie l’ourson.

Du plaisir comme éthique et esthétique

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Lucrèce (90–53 av. J-C.) : « de la nature » comme hymne joyeux et admiratif au cosmos.

« Je ne suis pas un philosophe. Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment il faut se conduire. Et plus précisément comment se conduire quand on ne croit ni en Dieu ni en la raison »

(Albert Camus)

Six siècles avant Jésus-Christ des philosophes grecs découvraient que « ce qui est ne saurait ne pas être ». Ainsi en jugeait Parménide : l’Être est un absolu qui existe de toute éternité, mais que cela ne préjuge en rien des formes qu’il peut prendre. Il appartient à la fois à l’ordre de la matière et à celui de la pensée : « Ce qu’il est possible de penser, est identique à ce qui peut être » disait Parménide. Il en résulte que l’univers est connaissable puisqu’il est consubstantiel à la pensée humaine. Il ne peut avoir été créé de l’extérieur par aucune puissance, car cela supposerait l’existence de celle-ci, indépendamment de l’Être, ce qui serait absurde. Lucrèce écrit : « Aucune chose, jamais ne naît du néant par une action divine ». C’est le monde qui est divinisé et comprendre par la pensée la nature profonde des choses nous égale aux dieux. Connaître les lois des choses nous permet d’échapper à l’angoisse inhérente de la condition humaine plongée dans l’incertitude du devenir, soumise à la vacuité et à la disparition par la mort qui n’est chaque fois qu’une transformation de l’Être. Conséquence de la doctrine atomiste, imaginée pour résoudre la contradiction entre un Être plein et immobile et la réalité du mouvement et des changements qui surviennent dans le vécu des choses. Découvrir et reconnaître que notre existence individuelle n’est que relative à un certain état du monde, mais que notre pensée est capable de percevoir la totalité et l’éternité de l’Être remet, selon l’expression de Pascal, « le prix aux choses » et découvrir, dans chacun des instants de l’Être, la plénitude de celui-ci.

Chez Lucrèce, nous pouvons noter, cette permanence de l’intérêt à l’Être est supérieure à celle du plaisir chez son maître Épicure. Cela s’explique par le discrédit attaché par la mentalité romaine de la notion même de plaisir, à son époque, alors que le plaisir fut considéré, par le passé, comme le Bien suprême et la mobilisation dans les épisodes politiques que traversait Rome, le rendait comme un frein. Lucrèce n’ignorait pas que la notion de plaisir chez Épicure (qu’il appelait « ataraxie ») était bien différente de ce que les Latins nommaient « voluptas » et Lucrèce va préférer le terme « tranquillitas » pour évoquer le plaisir, retrouvant ainsi toute une tradition qui remontait à Démocrite, assimilant le calme intérieur à celui de la mer que n’agite aucune tempête. L’épicurisme devient alors la mise en forme d’une attitude de l’âme, et non l’addition de concepts comme dans le platonisme qui conduit l’initié, de degré en degré vers une vision exaltante de l’univers, alors que lui le met en présence de celui-ci et lui fait entrevoir le bonheur des dieux et ne déduit qu’ensuite les conditions qu’il doit remplir pour le retrouver… Avant Lucrèce existaient des poèmes cosmologiques depuis que les premiers philosophes avaient essayé de donner à l’univers une représentation cohérente, mais le « logos », le discours, succédait à l’ « epos », l’épopée. Un temps plus concerné au jeu des concepts abstraits qu’à une vision globale de l’Être. Cependant, demeurait dans les mémoires un poème cosmogonique : celui d’Empédocle le sicilien, qui donnait aux hommes une révélation plus mystique que discursive sur les lois de l’Être. Lucrèce s’est souvenu de cette œuvre étrange dans la composition « De la Nature ». D’autres noms vont être associés à la création poétique : Catulle, Virgile, Horace. Le temps devenait propice pour un poète moins préoccupé d’exposer un système scientifique ou rationnel que de rendre sensible ce qui permettait à l’âme humaine de renouveler son alliance avec les « choses » (une matérialité en soi, hors des dieux), et de parvenir ainsi à la sérénité.

I- TROUVER LA PAIX DANS LES REMOUS DE L’HISTOIRE.

Drôle d’époque que celle de Lucrèce ! Elle voit l’agonie de la République deux guerre civiles abominables dont il est le témoin. Né vers 90 av. J.-C, il mourut en 53, selon l’historien Pierre Grimal et assistera à la proscription de Marius (87) et de Sylla (82), à la revolte de Spartacus (73-71), au consulat de Cicéron et à la mort de Catilina (63-62), au premier Triumvirat (60) et à l’extension de l’empire romain vers le Proche-Orient. Nous ne possédons pas de documents biographiques sur la vie de Titus Lucretius Carus. Le seul document, très contestable, nous vient de Saint-Jérôme qui nous informerait que Lucrèce, victime d’un philtre d’amour, devenu à moitié fou, se serait suicidé ! Il fut surtout l’observateur d’un monde disloqué où scepticisme, épicurisme, stoïcisme constituent l’écho de la décadence de la République. Lucrèce, comme beaucoup de ses concitoyens, va chercher une philosophie qui permette de surnager dans un océan de violences. Découvrant Démocrite et surtout Épicure, il va se rallier aux philosophies atomistes en leur donnant, son interprétation personnelle, à-travers son poème didactique en six livres. Concernant Démocrite, laissons Diogène Laërce, doxographe du IIIe siècle ap. J.-C. nous en expliquer la teneur (1) : « A l’origine de toutes choses, il y a les atomes et le vide (tout le reste n’est que supposition). Les mondes sont illimités, engendrés et périssables. Rien ne naît du néant, ni ne retourne au néant. Les atomes sont illimités en grandeur et en nombre et ils sont emportés dans le tout en un tourbillon. Ainsi naissent tous les composés : le feu, l’air, l’eau, la terre. Car ce sont des ensembles d’atomes incorruptibles et fixes en raison de leur fermeté. Le soleil et la lune sont composés de masses semblables, lisses et rondes, tout comme l’âme qui ne se sépare pas de l’esprit. Nous voyons par des projections d’images, et tout se fait par nécessité, car le tourbillon est la cause universelle, et c’est ce tourbillon qui est le destin »

Mais c’est évidemment Épicure qui va rallier les suffrages de Lucrèce, jusqu’à en faire une sorte de Dieu, ou en tout cas le philosophe des philosophes, bien qu’il accomplît certains aménagements à la doctrine d’origine ! Épicure est né en 341 av. J.-C. Dans l’île de Samos, où son père, Néoclès, était maître d’école. Platon est mort depuis 6 ans et Aristote est devenu le précepteur du futur Alexandre le Grand. A 14 ans, Épicure, fut envoyé à Téos pour suivre les leçons de Nausiphane, disciple de Démocrite. Durant l’été de 306, il vient s’installer à Athènes avec plusieurs amis. Deux grandes philosophies de l’âge hellénistique vont voir le jour à Athènes : Épicure s’installe dans son fameux jardin en 306 et Zénon de Citium, fonde, en 301 l’école du Portique, « Stoa », d’où stoïcisme. Épicure mourut en 270, âgé de 71 ans. Son enseignement comprenait trois parties :

– La canonique qui était le fondement de la science et qui définissait les moyens d’approche du réel pour l’homme.

– La physique qui traite de la nature des choses. Pour lui la Nature est un donné purement matériel et n’a pas besoin de recourir à une explication surnaturelle.

L’éthique qui enseigne ce qu’il faut éviter pour atteindre le bonheur.

Le sage épicurien connaît un plaisir en repos caractérisé par la disparition de toute tension dans le désir. Il convient d’échapper à la fuite du temps par le souvenir ou l’anticipation. Le sage, cependant, cherche la satisfaction de ses désirs mais il distingue différentes sortes de désirs selon la célèbre « hiérarchie des désirs » d’Épicure : il y a les désirs vains (vouloir toujours plus) et les désirs conformes à la nature (qui sont bornés et nécessaires). Dans ce chapitre est aussi définie la différence entre l’amour et l’amitié : le sage doit éviter l’amour car il est impossible de se fondre dans l’autre et de ne faire qu’un avec lui. L’exigence d’exclusivité est incompatible avec le bonheur. En revanche, l’amitié, plus ouverte et moins débordante sera la marque du sage. Les épicuriens sont une petite communauté d’amis, préservant leur indépendance. Mais ces communautés mettaient un point d’honneur à rester fidèles à la pensée du Maître. Deux siècles après sa disparition on disait encore : « Agis toujours comme si Épicure te voyait » ! Presque de manière religieuse ou sectaire Lucrèce restera fidèle d’Epicure.

II- LA NATURE EST-ELLE UN ÊTRE ?

Ce sont dans les trois premiers livres de « De rerum Natura » que vont se définir les grandes problématiques de la pensée de Lucrèce en premier lieu, nous pouvons noter la présence permanente du principe féminin par deux hymnes dédiés à Vénus et à Cybèle, en l’honneur de deux génératrices de vie et sont des temps forts de l’hymne à l’univers. La Nature par définition est une mère qui donne naissance et vers qui tout retourne. Cependant, pour celui qui est inapte au bonheur, la nature met en place un mécanisme impitoyable : « Il n’y a rien d’autre à attendre de l’avenir que ce que tu as déjà connu dans le passé ». La durée n’est que la répétition incessante d’un même instant qui roule sur lui-même. Ce qui nous fait échapper à l’enfer de l’ennui de ce mécanisme est la relation avec les autres, aussi y tient-elle une plus grande place que la nature biologique. Cette fraternité de la forme humaine vient du fait que les mourants ont le même âge, du fait de la permanence de la mort, avec la dérive parfois de penser ce qui n’est pas, d’aller au-delà du réel, de porter en soi une aspiration à l’infini, ce qui mène à une éternelle insatisfaction. Il faut donc renoncer à ce « péché originel » de l’imaginaire et discipliner son esprit afin qu’il cesse de lâcher la proie pour l’ombre. L’homme souffre d’un divorce entre corps et esprit, et pour Lucrèce, c’est le corps qui a raison, car c’est lui qui doit affronter la mort, et donc l’esprit dont le corps était porteur, disparaît. Contrairement à Épicure, Lucrèce parle de la Nature comme d’une maîtresse sévère et non comme d’une mère : au désir de vivre, elle répond par la nécessité de la mort. L’orientation matricielle est pondérée par le fait que la Nature est « la mère de toutes choses et leur commun tombeau » Ce que Montaigne résume dans un message commun à l’épicurisme et au stoïcisme : « Philosopher c’est apprendre à mourir ». Dans son poème « Océan », Victor Hugo saluera le visionnaire, mais condamnera le désespéré :

Lucrèce,
spectateur de l’infini hideux.
Il pense, il songe, il cherche, il sonde l’insondable,
Avec un penchement de tête formidable ;
La nature l’emplit de son vaste frisson ;
Son poème est un morne et livide horizon ;
On entend dans son vers les spectres qui s’appellent.
Les écailles de l’ombre et de l’onde se mêlent
Dans son rythme sinistre où par moment reluit
Le vague gonflement des hydres de la nuit…

Face à la lucidité d’un pareil destin, il convient que l’homme trouve et vive une recherche et une conception du bonheur. Quels en sont les ingrédients que Lucrèce nous propose ?

La sérénité est le premier point de la félicité et s’obtient par la satisfaction des plaisirs sous réserve que ceux-ci s’inscrivent dans la sobriété. L’adjectif « serenus », en latin, suggérant à la fois le calme et la pureté. Elle se donne, en premier lieu, par la distanciation : « Il est doux, quand sur la grande mer les vents soulèvent les flots, d’assister de la terre aux dures épreuves d’autrui : non que la souffrance de personne nous soit un plaisir si grand mais voir à quels maux on échappe soi-même est chose douce. Il est doux encore de regarder les grandes batailles de la guerre, rangées parmi les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais rien n’est plus doux que d’occuper les hauts lieux fortifiés par la science des sages, régions sereines d’où l’on peut abaisser ses regards sur les autres hommes, les voir errer de toutes parts et chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser de génie, se disputer la gloire de la naissance, nuit et jour s’efforcer, par un labeur sans égal, de s’élever au comble des richesses ou de s’emparer du pouvoir » (II, V. 1-13). Les sages constituent ainsi une forme d’élite liés par les mêmes croyances et qui ont plaisir à se retrouver par amitié, cette dernière n’étant pas simplement humaine mais aussi philosophique, et les séparant du commun des mortels : « Ô misérables esprit des hommes, ô coeurs aveugles ! Dans qu’elles ténèbres et dans quels dangers s’écoule ce peu d’instants qu’est la vie ! Ne voyez-vous pas ce que crie la nature ? Réclame-t-elle autre chose que pour le corps l’absence de douleur, et pour l’esprit un sentiment de bien-être, dépourvu d’inquiétude et de crainte ? » (II, V. 16-19).

La sérénité s’obtient aussi par la purification des passions en invitant les hommes à se libérer des vaines espérances et des désirs superflus en leur montrant que leurs ennemis sont à l’intérieur d’eux-mêmes. La crainte des dieux et celle de la mort sont à bannir. Concernant les dieux, il doute de leur existence devant la pluralité des mondes infinis : « Qui pourrait tenir d’une main assez ferme les fortes rênes capables de gouverner l’infini ? Qui donc pourrait faire tourner de concert tous les cieux, échauffer des feux de l’éther toutes les terres fertilisées, en tous lieux, en tout temps se trouver toujours prêt, pour faire les ténèbres avec les nuages, pour ébranler du tonnerre les espaces sereins du ciel, lancer la foudre… (II, V. 1095-1101). La connaissance scientifique va s’intensifier chez Épicure et Lucrèce, afin de donner une finalité morale : dissiper la crainte des dieux et celle de la mort qui obscurcissent la vision du vrai bien et empêchent l’homme d’atteindre le Plaisir pur et la Félicité. En fait, de parvenir à la lumière, à l’accession « in dias luminis ora », aux rivages divins de la luminosité. Denis Diderot déclarera : « Il n’est qu’un devoir, c’est d’être heureux » ! Pour Lucrèce, le plaisir (« Voluptas ») est une voie pour conduire l’homme à la Félicité du bonheur. Mais nous devons connaître la terre dont l’homme est le miroir, « C’est ainsi que la terre n’est pas une étrangère » (V.546). D’ailleurs, le mot « Natura » vient de la racine sanskrite « g’n » qui signifie naître, engendrer et amène l’idée d’une incontestable parenté. Lucrèce devient ainsi un poète de l’origine. ; origine du monde, du langage, de l’écriture, de la musique et de la poésie.

Mais toute cette réflexion, va s’appuyer chez Lucrèce sur le renforcement de la théorie de l’atomisme ; développée par Épicure. Il repart, pour cela, de deux principes fondamentaux : rien ne naît de rien et rien ne périt complètement. Il en conclut que c’est au moyen de ces corps invisibles, insécables, ou atomes que la nature accomplit son œuvre de modelage du vivant, le temps n’ayant pas d’existence en soi. Le plus petit corps est aussi complexe que l’univers lui-même et ce plus petit corps est l’atome. Les atomes ne sont jamais au repos puisque rien ne borne l’univers qui se trouve dans le vide infini. Les uns s’agglomèrent et forment des combinaisons, d’autres errent libres dans le vide en opérant parfois une déclinaison aléatoire, le « clinamen » dans lequel réside le principe de la liberté dont jouissent sur terre les êtres vivants : la faculté que nous avons d’aller où bon nous semble ou de résister à ce qui nous contraint prend sa source dans l’atome même. Les atomes sont infinis et n’ont pas tous la même forme et les corps se constituent à la suite de la rencontre des rencontres fortuites du clinamen, cependant ils ne peuvent se combiner entre eux de toutes les façons car les êtres vivants se répartissent en espèces définies et les choses inanimées sont elles-mêmes soumises à ces lois. Les atomes ne ressentent rien et l’univers ne dépend que de lui-même : aucun dieu ne pourrait gouverner le grand « TOUT », aucun ne pourrait contrôler les forces de la nature.

Lucrèce, dans son poème, va développer aussi la notion d’âme. Pour lui, l’âme réside dans le corps sous la forme d’un souffle vital dont la perte accompagne la mort. Esprit et âme sont faits d’une même substance, mais c’est de l’esprit plus que de l’âme que dépendent la vie ou la mort : il est le principe vital au centre de l’homme. L’âme est vulnérable et peut-être endommagée à l’intérieur du corps par des atteintes pathologique. Elle quitte progressivement le corps durant l’agonie et elle n’est pas immortelle et la mort signifie la dispersion totale de l’être, ce qui fait écrire à Albert Jacquard (2) : « Pourquoi ne pas réintégrer le pouvoir de penser au sein du pouvoir de vivre, comme la capacité à vivre peut-être ramenée à la capacité d’être ? Nous sommes tout entiers, corps et âme, des produits de l’univers ; en l’acceptant, nous ne nous enlevons aucune dignité. Nous donnons à l’univers une immense dignité ». En fait, cette intégration de l’âme dans l’éternité mouvante de la Nature n’amène t-elle pas Lucrèce à la création d’une forme de théologie où les dieux seraient paradoxalement exclus ?

III- IL Y A MATIERE A EN PARLER !

Dans son célèbre ouvrage (3) Sylvain Maréchal écrit à propos de Lucrèce : « Lucrèce chante l’athéisme ; il le réduit en système et cherche à l’embellir des charmes de la poésie : tout le monde applaudit à ses beaux vers. Il les dédie à son ami Memnius, sans que personne lui en fasse un crime : on ne persécuta ni l’auteur ni l’ouvrage parce qu’on sait que la liberté publique repose sur la liberté de pensée (Milton) ». Cette approche de Lucrèce mérite quelques nuances : évoquer Le poète, il y a quelques années, vous mettait d’emblée dans le camp du matérialisme, de l’athéisme ou de l’irréligion, alors que, en réalité, Lucrèce bâtit une théologie qui a pour but de mener à une connaissance du monde et de l’homme et à la pratique d’une éthique, sinon à un art de vivre fondé sur une contemplation presque mystique de l’univers. Cependant, il convient de ne pas oublier que tout au long du « De rerum natura », et en particulier dans les chants 1 à 3, Lucrèce ne cesse d’affirmer :

– Que les dieux se désintéressent totalement d’un monde auquel ils n’ont pas participé à la création ;

– Que toute religion et tout acte de culte, par voie de conséquence, sont parfaitement absurdes. Le but principal de Lucrèce est d’affranchir l’homme de la crainte des dieux et de dépasser l’image paralysante qu’il existerait un paradis ou des enfers.

La pensée de Lucrèce repose sur l’adoption de l’atomisme dont le concepteur en fut Démocrite d’Abdère (460-370 av. J.-C.) qui pense que la matière est divisible, non pas à l’infini, mais jusqu’à une certaine limite qui est précisément l’atome, c’est à dire l’insécable, le non-divisible, élément primordial de toute réalité matérielle et spirituelle. Quant à Épicure (341-270 av. J.-C), figure centrale de la pensée de Lucrèce, il enseigne que les atomes tombent dans le vide, non verticalement, mais certains selon une certaine obliquité dite « clinamen » et c’est ainsi que, de façon tout à fait imprévisible, les atomes se rencontrent et s’accrochent et forment le monde évolutif des formes pris dans un transformisme incessant. Rien n’a été ni voulu, ni projeté, ni créé. Tout ce qui existe est l’oeuvre du hasard et de la nécessité, comme le pense Jacques Monod.

L’Antiquité a peut-être ignoré le concept d’athéisme au sens que nous lui donnons aujourd’hui pour le remplacer par le mot « Eidola » pour caractériser les dieux : pour certains philosophes, ils ne sont que des images, des « simulacres », qui vivent dans des zones mal définies de l’espace qu’Epicure appelle des « intermondes », sans s’inquiéter des hommes ni des choses qu’ils n’ont nullement créés et dont le destin ne leur incombe pas. Ils se désintéressent totalement de l’homme : les réussites ou les échecs de ce dernier n’ont pas de sens et ne sauraient avoir valeur de récompenses ou de châtiments. L’âme étant mortelle se dissipe en atome avec la mort. Il n’y a aucune survie et l’homme n’a rien à redouter du « ciel » ou des « enfers » qui n’existent pas. Pour Lucrèce, tout acte de culte est une folie et une sottise et il remplace la piété par le pouvoir à tout regarder d’un esprit que rien ne trouble, découvrant en permanence la beauté du monde. Puisque aucune règle de conduite ne s’impose, que les dieux ne sont ni auteurs ni gardiens ni cautions d’aucune morale, l’homme, maître de son destin, doit se choisir une ligne de conduite. Pour la première fois dans l’histoire antique, l’homme est confronté au problème de sa liberté. Concept qui sera reprit par Jean-Paul Sartre dans l’impératif pour l’homme de se choisir « Solus et ipse », seul et lui-même.

Cela nous amène à nous poser la question du « Souverain Bien » chez Lucrèce : comme chez son Maître Épicure, le Souverain Bien est le plaisir bien que sa morale soit moins sévère que le maître du jardin. Mais il reste intransigeant sur le fait que supprimer la religion, c’est supprimer le mal. Il écrit : « L’amour des richesses, l’aveugle désir des honneurs qui poussent les misérables hommes à transgresser les limites du droit, parfois même à se faire complices et les serviteurs du crime… C’est pour la plus grande part la crainte de la mort qui les nourrit. Non minimam partem mortis formidine aluntur. (Chant III, v. 59-64). En fait, Lucrèce, plus que de constituer une morale, veut édifier une sagesse, tellement recherchée par les philosophes de l’Antiquité, la fameuse « Tranquillitas animi », la paix de l’âme, qui permet de vivre avec un recul qui met à l’écart ceux qui y parviennent : « Rien n’est plus doux que d’occuper solidement les hauts lieux fortifiés par la science des sages, régions sereines d’où l’on peut abaisser ses regards sur les autres hommes, les voir errer de toutes parts et chercher au hasard le chemin de la vie. (Chant II, v. 7-10). Le bonheur réside dans la modération, laquelle consiste à s’imposer une mesure (modus) à ses sentiments, désirs et actes, ceci pour éviter toute « turbulence ». Cette sagesse porte aussi ses fruits dans l’éloignement de la peur de la mort dont Lucrèce affirme qu’elle n’est rien de plus qu’une dissolution générale de l’être par la désagrégation et la dispersion totale des atomes qui composent aussi bien l’âme que le corps qui rejoignent l’Être, le Grand Tout. La vision de Lucrèce devient mystique à certains moments et rejoint la pensée de Blaise Pascal dans la recherche de cette Force Unique porteuse et créatrice de vie. A la différence toutefois que Pascal met un Dieu créateur à la base de sa réflexion : « Je sais seulement qu’en sortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d’un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions, je dois être éternellement en partage » (Pensées, section III, 194). Nous retrouverons aussi chez Pierre Teilhard de Chardin cette forme d’admiration quasi religieuse du cosmos et cette sorte d’ivresse de l’esprit qu’il partage avec Lucrèce. Nous retrouvons aussi chez des scientifiques ce parallélisme avec l’auteur de rerum Natura. Par exemple Jacques Monod qui envisage une éthique et peut-être même un art de vivre fondés sur la seule connaissance scientifique (4) : « C’est peut-être une utopie, mais ce n’est pas un rêve incohérent…L’ancienne alliance est rompue : l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres »…

Les théoriciens de l’anarchie vont naturellement puiser chez Lucrèce le « Ni Dieu, ni maître » de leur fondement ! Placée sous le signe double de l’éternel et du passager, chaque « circonstance » singulière et individuelle provient donc au plus bas, du gouffre de l’entropie maximale, au plus proche du tourbillon qui lui donne naissance et la précipite enfin dans le gouffre. Entre hasard absolu et nécessité inflexible du retour et de la disparition, « l’écoulement tourbillonnaire sauve le maintenant ». Dès lors, la connaissance devient le miroir du monde.

IV- ECLAIRER CE QUI DEMEURE DANS L’OMBRE ET CHEMINER VERS LA PENSEE LIBRE ET FINALEMENT VERS LA LIBRE-PENSEE.

Ces concepts vont donner tout un champ d’investigations en matière de psychologie des profondeurs. Pour Épicure, l’humanité est la proie de maladies physiques, mais aussi mentales et que nous retrouvons dans le « Tetrapharmakos », exposé par Philodème au 1er siècle avant J.C. A l’origine un onguent qui va se transformer en orientation philosophique, en « ingrédients » pour que chacun puisse atteindre le plaisir. Épicure écrit (5) : « Qu’on ait seulement sous la main ce quadruple remède : Dieu n’est pas à craindre, la mort est privée, le bien est facile à se procurer, la souffrance est facile à supporter ». Naturellement, Lucrèce va marcher dans les traces de son maître et insister sur le fait que le tétrapharmakos est surtout là pour délivrer l’homme de la crainte des dieux et celle de la mort en éloignant les « fables divines ». La figure d’un père tout-puissant, castrateur, s’éloigne ainsi du sujet et est remplacé par la figure féminine de Vénus dès le premier chapitre : cette divinisation de la nature comme image du principe féminin, créé une orientation parfaitement révolutionnaire dans la pensée antique. Le sujet sortant de la mère-nature y retourne à sa mort et renaît dans une nouvelle forme. En fait, Lucrèce nous dit que l’homme est déjà dans l’éternité et qu’il n’a rien à faire pour l’atteindre et ce, dans un mouvement ou Eros triomphe de Thanatos. C’est la peur de la mort et la disparition narcissique, l’ « aphanisis » qui pousse le sujet aux « divertissements » pascaliens : le pouvoir, l’argent, une sexualité débridée ne sont pas recherchés pour eux-mêmes, mais pour parer à une angoisse profonde. L’équilibre consiste à se suffire à soi-même et ne dépendre de rien ni de personne en limitant ses désirs. Orientations que Freud développera dans son « Malaise dans la civilisation » et « l’avenir d’une illusion » (6). Il découvre aussi que le plaisir est la fin de la tension négative dans la décharge et que l’ataraxie est le summum du bonheur, là où le sujet et l’objet extérieur ne font plus qu’un dans un moment provisoire où ils se rencontrent. Moment que nous rappelle la psychanalyste Gisela Pankov quand elle le cite dans son ouvrage sur un article publié en anglais, en 1927, sous le titre « The Ego and the Id » (7) : « C’est-à-dire que le moi dérive, en fin de compte, de sensations corporelles, principalement de celles qui surgissent à partir de la surface du corps. Il peut alors être tenu pour une projection mentale de la surface du corps, qui en outre, ainsi que nous l’avons vu, représente la superficie de l’appareil mental ». Vision qui sera reprise par Didier Anzieu dans son « Moi-peau ». Pour Freud, le Moi est d’abord et surtout un Moi corporel ; non seulement il est une entité de surface, mais il est lui-même encore la projection d’une surface. Il rejoignait là la pensée matérialiste de Lucrèce.

Mais, c’est dans le domaine de la philosophie que Lucrèce va laisser le plus de traces, principalement dans le grand courant libertin avec Gassendi, Cyrano de Bergerac, Molière et Diderot. Dès le XVIe siècle, l’influence des atomistes de l’Antiquité se firent sentir dans certains cercles intellectuels, notamment dans la lutte qu’ils entreprenaient contre la philosophie d’Aristote qui avait occupé la place durant une éternité. Cette dernière affirmait la prédominance de la forme sur les idées (Orientation platonicienne) et avait promu une certaine volonté de connaissance des lois physiques que ne reniera pas Lucrèce, bien qu’il en réfutât la théorie de l’inertie de la matière, lui qui la juge en mouvement permanent et créateur. De plus, durant des siècles, l’Église catholique avait fait sienne la pensée d’Aristote en l’asservissant aux dogmes du christianisme. En même temps avait lieu une formidable révolution scientifique : Copernic meurt en 1543, Gallilé mourra en 1642, Kepler et Tycho Brahé tracent le chemin de Newton. Et surtout, nous assistons à la séparation de la philosophie et de la religion. L’Église va réagir : le panthéisme Giordano Bruno est condamné et brûlé en 1600, ainsi que le matérialiste Vanini en 1619. Le nom de Campanella restera aussi dans le souvenir des victimes de la répression pour les libres-penseurs français.

Bientôt d’autres personnalités vont surgir dans le champ des concepts lucrétien. Par exemple Pierre Gassendi (1592-1655) qui écrit (8) : « Tous les libertins conviennent entre eux que les plus grands législateurs ne se sont servis de l’opinion vulgaire sur ce sujet (l’immortalité de l’âme), laquelle ils ont non seulement fomentée mais accrue de toute leur puissance, que pour emboucher de ce mors le sot peuple… ». Le nombre des libres-penseurs va s’accroître : Naudé, La Mothe Le Vayer, Cyrano de Bergerac qui va écrire son brûlot blasphémateur et satirique « L’Autre Monde ou les Etats et Empires de la lune ». Ce qui est prôné par les libertins du 17e siècle relève d’une économie des passions et d’un détachement aux valeurs fausses et matérielles du monde. Au XVIIIe siècle, une véritable rupture politique va s’opérer entre les libres-penseurs et la monarchie, ainsi qu’avec l’Église catholique qui la soutient. Philosophes et libertins vont se retrouver côte à côte dans ce travail de sape entrepris au nom de la raison contre la puissance des clercs et des églises. Pourtant, entre philosophes et libertins, existent des divergences en matière de morale, selon qu’existe une référence ou non à l’atomisme. Par exemple, Denis Diderot, matérialiste convaincu, adopte dans ses fameuses « lettres à Sophie Volland » un ton typiquement « lucrétien » quand il écrit, le 15 octobre 1759 (9) : « Ceux qui se sont aimés pendant leur vie et qui se font inhumer l’un à côté de l’autre ne sont peut-être pas si fous qu’on pense. Peut-être leurs cendres se pressent, se mêlent et s’unissent. Que sais-je ? Peut-être n’ont-elles pas perdu tout sentiment, toute mémoire de leur premier état. Peut-être ont-elles un reste de chaleur et de vie dont elles jouissent à leur manière au font de l’urne froide qui les renferme. Nous jugeons de la vie des éléments par la vie des masses grossières. Peut-être sont-ce des choses bien diverses. On croit qu’il n’y a qu’un polype ; et pourquoi la nature entière ne serait-elle pas du même ordre ? Lorsque le polype est divisé en cent mille parties, l’animal primitif et générateur n’est plus, mais tous ses principes sont vivants. O ma Sophie, il me resterait donc un espoir de vous toucher, de vous sentir, de vous aimer, de vous chercher, de m’unir, de me confondre avec vous, quand nous ne serons plus. S’il y avait dans nos principes une loi d’affinité, s’il nous était réservé de composer un être commun ; si je devais dans la suite des siècles refaire un tout avec vous ; si les molécules de votre amant dissous venaient à s’agiter, à se mouvoir et à rechercher les vôtres éparses dans la nature ! Laissez-moi cette chimère. Elle m’est douce. Elle m’assurerait l’éternité en vous et avec vous… ». Etrange envolée lyrico-mystique d’un athée ! De Lucrèce à Voltaire, il n’y a qu’un élargissement d’un combat, entrepris 18 siècles plus tôt par un insoumis, silencieux et poète. N’oublions pas aussi que la thèse de doctorat du jeune Karl Marx, en 1841, portait pour titre : « Différence de la philosophie de la Nature chez Démocrite et Epicure » !

 L’oeuvre de Lucrèce est celle d’un trouble-fête, ce que nous rappelle, avec humour, Jean-François Peyret, enseignant et metteur en scène (10) : « Les bien-pensants, passés, actuels, de toujours n’aiment pas Lucrèce. Il commence à mettre les Dieux (Dieu) en chômage technique ; ah ! Il n’est pas, je sais bien, véritablement athée ; il pense que les dieux existent quelque part au-dessus de nous mais ils sont complètement indifférents à nos affaires et, pire encore, à nos prières. Ils se foutent de nous et de nos petites misères ; ils sont heureux, les Dieux. Ils baignent dans le plaisir, donc ils sont des sages ; c’est même pour cela que Lucrèce n’a pas intérêt à s’en débarrasser : ils sont un modèle pour les hommes ; ils sont l’idéal du sage. Mais pour le cours de l’univers, de la nature des choses, ils ne sont pas plus nécessaires que des joueurs de quilles ». Lucrèce donne une gifle à la gloriole de l’humanité et remet l’homme, « petit paquet de matière et de vide », à sa place dans la nature. Il ne lui fait plus l’honneur d’en faire le portrait de maître et possesseur de celle-ci. L’homme est nature, ce par quoi la nature se connaît elle-même.

Cependant, efforçons-nous de croire qu’il existerait une permanence de l’émerveillement et de la découverte du monde, comme le dit le poète et peintre britannique William Blake :

Voir un monde dans un grain
de sable
Et un ciel dans une fleur sauvage
Tenir l’infini dans la paume
de la main
Et l’éternité dans une heure.

Notre recherche permanente et notre prise de conscience est que, comme tous les êtres de la création, un courant de Vie unique coulerait sans cesse vers nous et à travers nous et cette prise de conscience là deviendrait gratitude…

 NOTES

(1) Voilquin Jean : Les penseurs Grecs avant Socrate. Paris. Ed. Garnier-Flammarion. 1964. (Page 193).

(2) Jacquard Albert : idées reçues. Paris. Ed. Flammarion. 1989. (Page 180).

(3) Maréchal Sylvain : Dictionnaire des athées. Suivi de culte et lois d’une société d’hommes sans dieu. Paris. Ed. Coda. 2008. (Pages 181-182).

(4) Monod Jacques : Le hasard et la nécessité. Paris. Ed. Du Seuil 1970.

(5) Épicure : Doctrine et maximes. Paris. Ed. M. Solovine, Hermann. 1965. (Page 151).

(6) Freud Sigmund : L’avenir d’une illusion. Paris. PUF. 1971 et Malaise dans la civilisation. Paris. PUF. 1971.

(7) Pankov Gisela : Structure familiale et psychose. Paris. Ed. Aubier et Montaigne. 1977. (Page 31).

(8) Gassendi Pierre : Recherches métaphysiques. Paris. Ed.Vrin. 1962. (Page 334).

(9) Diderot Denis : Lettres à Sophie Volland. Paris. Ed. Gallimard. 1984. (Pages 90 et 91)

(10) Peyret Jean-François : A propos du spectacle de la Nature des Choses, in Lucrèce. Paris. Ed. Ellipses. 1990. (Page 110).

 BIBLIOGRAPHIE

– Bloch Olivier René : La philosophie de Gassendi. Nominalisme, matérialisme et métaphysique. La Haye. Martinus Nijhoff. 1971.

– Boyancé Pierre : Lucrèce et l’épicurisme. Paris. PUF. 1963.

– Cyrano de Bergerac : L’autre Monde ou les Estats et Empires de la lune. Paris. Librairie Nizet. 1977.

– De Viau Théophile : Oeuvres poétiques. Paris. Librairie Droz. 1958.

– Épicure : Lettres et Maximes. Paris. PUF. 1987.

– Erlanger Philippe : Ninon de Lenclos. Paris. Ed. Perrin. 1985.

– Gassendi Pierre : Vie et mœurs d’Epicure. (2 tomes). Paris. Ed. Les Belles Lettres. 2006.

– Lucrèce : De la Nature. Paris. Ed.Belles Lettres. 1985.

– Mongredien Georges : Cyrano de Bergerac. Paris. Ed.Berger-Levrault. 1964.

– Nagy Péter : Libertinage et révolution. Paris. Ed. Gallimard. 1975.

– Ouvrage collectif : Analyses et réflexions sur Lucrèce. Paris. Ed. Ellipses. 1990.

– Ouvrage collectif : Théophile de Viau. Actes du colloque CMRM 17. Paris. Biblio 17. 1991.

– Ouvrage collectif : Les Epicuriens. Paris. Ed. Gallimard/ Bibliothèque de la Pleiade. 2010.

– Pintard René : Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle. Paris. Ed. Slatkine. 1983.

– Rodis-Lewis Geneviève : Épicure et son école. Paris. Ed. Gallimard. 1975.

– Russel Bertrand : Histoire de la philosophie occidentale. Paris. Ed. Gallimard. 1952.

– Serres Michel : La naissance de la physique dans le texte de Lutèce. Paris. Ed. De Minuit. 1977.

Les vertus de demain : Dialogue entre espérance et modernité

Ce jeudi 25 juillet 2024 à 19h30 dans le cadre de sa thématique estivale, « Quelle modernité pour les Vertus ? », le Collège Maçonnique vous invite, en visio, à assister à l’intervention de François Euvé, s.j. sur

La Vertu Espérance

Quelle Espérance ?

Quelques propos introductifs

Source l’Écho de Meulan

« La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance… ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. Et je n’en reviens pas. L’espérance est une toute petite fille de rien du tout… La foi va de soi. La charité va de soi. Mais l’espérance ne va pas de soi. … La foi voit ce qui est. La charité aime ce qui est. L’espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera. » — Charles Péguy, « Le porche du mystère de la deuxième vertu »

Cependant, l’Écclésiaste nous rappelle : « J’ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ; mais voici que tout est vanité et poursuite de vent. » — Qohelet 1,14

Vertu théologale pour les chrétiens, l’espérance occupe également une place cruciale chez les francs-maçons, bien que son sens symbolique diffère : « Espérer contre toute espérance… » Ici, l’espérance dépasse la foi et la charité, lesquelles revêtent elles-mêmes des significations symboliques distinctes de leurs interprétations religieuses.

Quel dialogue peut naître entre Chrétiens et Francs-maçons autour de cette Espérance commune ?

Sceau de la Compagnie 

François Euvé, jésuite et théologien, incarne la figure d’un intellectuel à la croisée des chemins entre science et foi. Sa formation académique prestigieuse débute à l’École Normale Supérieure de Cachan, où il excelle en physique et obtient l’agrégation. Son esprit curieux et méthodique le conduit d’abord à la recherche en physique des plasmas à Paris XI, puis à l’enseignement.

François Euvé

Toutefois, une vocation plus profonde l’appelle. En 1983, François Euvé rejoint la Compagnie de Jésus, attiré par la quête spirituelle et l’engagement intellectuel de l’ordre. Ordonné prêtre en 1989, il se consacre à l’enseignement de la théologie systématique au Centre Sèvres. Sa thèse de doctorat, véritable œuvre de synthèse, explore la théologie de la création, soulignant sa capacité à marier rigueur scientifique et réflexion théologique.

François Euvé fonde la « Chaire Teilhard de Chardin » afin de perpétuer la réflexion du célèbre jésuite du XXe siècle, dont les idées avant-gardistes sur la relation entre science et foi continuent d’inspirer. Depuis 2013, il dirige avec brio la revue « Études », influente dans les milieux intellectuels et spirituels.

Auteur prolifique, ses œuvres témoignent de son engagement à éclairer les rapports complexes entre science, foi et société avec, notamment, Penser la création comme jeu (Éditions du Cerf, « Cogitatio fidei », 2000), Darwin et le christianisme (Buchet-Chastel, 2009), Au nom de la religion ? Barbarie ou fraternité (L’Atelier, 2016), Théologie de l’écologie – Une création à partager (Salvator, 2021)et La science, l’épreuve de Dieu ? (avec Étienne Klein, (Salvator, 2022)

Les modérateurs

– Ysabeau Tay-Botner : Diplômée en droit et sciences politiques, journaliste de métier, artiste peintre, membre de la Grande Loge Féminine de France.

– Dominique Freymond : Administrateur et consultant en gouvernance d’entreprise et en stratégie, rédacteur en chef de Masonica, revue du Groupe de recherche Alpina (GRA), membre de la Grande Loge Suisse Alpina.

Les organisateurs

Alain-Noël Dubart : Ancien Grand Maître de la Grande Loge de France.

Marie-Thérèse Besson : Ancienne Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France.

Le jeudi 1er août à 19h30, le Collège Maçonnique accueillera le Dr Jean Furtos, psychiatre des hôpitaux, pour une conférence intitulée « Quelle Foi pour l’Homme d’aujourd’hui ? »

Infos pratiques

Inscription obligatoire sur le site/Toutes les conférences sont gratuites, ouvertes à tous, enregistrées et disponibles gratuitement sur le site du Collège Maçonnique

« Regard sur le siècle » : Leçons d’histoire par René Rémond

Cette recension, réalisée dans le cadre de nos lectures estivales, se penche sur un ouvrage d’une importance capitale, Regard sur le siècle de René Rémond, éminent intellectuel et membre de l’Académie française. Publié initialement en 2000 et réédité en 2007, ce livre offre une réflexion profonde et nuancée sur le XXe siècle, ses tragédies et ses triomphes, et garde toute son actualité en cette période de bouleversements contemporains.

René Rémond, avec la rigueur et la perspicacité qui caractérisent son œuvre, nous invite à revisiter un siècle marqué à la fois par des atrocités inouïes et des avancées extraordinaires. À travers son regard analytique, il nous pousse à questionner notre propre perception de l’histoire et à considérer les leçons que nous pouvons en tirer pour l’avenir.

Ce livre s’inscrit dans la collection « La Bibliothèque du citoyen », une série d’ouvrages dédiée à éclairer les débats publics et à rendre accessibles les grandes questions de notre temps. Pour un initié, cette collection résonne particulièrement fort. Même s’il ne parle pas de religion et de politique en loge, il ne peut rester étranger au monde qui l’entoure. En effet, la quête de vérité, la diffusion de la connaissance et l’amélioration de la société sont des valeurs chères à la fois aux francs-maçons et à cette collection.

Ainsi, Regard sur le siècle est plus qu’une simple analyse historique ; c’est une invitation à la réflexion et à l’engagement citoyen. Dans le cadre donc de nos lectures estivales, ce livre nous offre une opportunité précieuse de méditer sur notre passé pour mieux appréhender notre présent et envisager notre futur.

L’ouvrage de René Rémond, publié initialement en 2000 par les Presses de Sciences Po, est une réflexion dense et nuancée sur le XXe siècle. Ce livre est une tentative d’appréciation de ce que ce siècle a apporté à l’humanité en termes de progrès et de tragédies.

Un tableau sombre des horreurs du XXe siècle

René Rémond commence son ouvrage en dressant un tableau sombre et poignant des horreurs qui ont marqué le XXe siècle, qu’il qualifie de « siècle de fer ». Cette appellation n’est pas choisie au hasard, mais pour illustrer la dureté, la brutalité et les atrocités qui ont émaillé cette période.

Sciences Po, la librairie

Les deux guerres mondiales, par leur ampleur et leur violence, ont laissé des cicatrices profondes dans l’histoire humaine. Ces conflits ont causé la mort de millions de personnes et ont bouleversé l’ordre mondial, entraînant des destructions massives et des souffrances indescriptibles. La Première Guerre mondiale, avec ses tranchées sanglantes et ses batailles meurtrières, et la Seconde Guerre mondiale, avec son théâtre de guerre globalisé et ses bombardements dévastateurs, ont marqué la mémoire collective de l’humanité.

Le génocide des Juifs, perpétré par le régime nazi, est une autre ombre indélébile sur ce siècle. La Shoah représente l’une des plus grandes abominations de l’histoire, où des millions de vies ont été anéanties dans une tentative systématique d’éradication d’un peuple entier. Cette atrocité a révélé la capacité de l’humanité à plonger dans les abysses de la cruauté et de la barbarie.

L’univers du goulag, symbole des répressions politiques sous le régime stalinien, illustre également l’horreur du XXe siècle. Des millions de personnes ont été déportées, emprisonnées et exterminées dans ces camps de travail forcé, souvent sans autre raison que la suspicion ou la dissidence politique. Ces pratiques ont souligné l’oppression et la terreur qui régnaient sous les régimes totalitaires.

Enfin, la chute des idéologies totalitaires, comme le fascisme et le communisme, après avoir causé tant de souffrances, démontre l’échec des systèmes qui prétendaient apporter une vérité ultime et un sens à l’histoire. Ces idéologies, en promettant le salut et la grandeur, ont souvent conduit à la tyrannie et à la désolation.

Ces événements, parmi tant d’autres, ont laissé des cicatrices indélébiles dans l’histoire humaine. Le « siècle de fer » de Rémond est une période où l’horreur a atteint des proportions inouïes, forçant l’humanité à faire face à ses pires excès et à ses plus sombres chapitres. En dressant ce tableau, René Rémond nous rappelle l’importance de ne jamais oublier ces leçons du passé, pour éviter que de telles atrocités ne se reproduisent.

C’est dans cette perspective que Regard sur le siècle invite à une réflexion approfondie et continue, non seulement sur les tragédies qui ont marqué le XXe siècle, mais aussi sur les responsabilités et les devoirs de notre génération pour construire un avenir meilleur.

Les avancées extraordinaires du XXe siècle

Cependant, René Rémond ne se limite pas à cette énumération accablante des tragédies du XXe siècle. Il met également en lumière les avancées extraordinaires réalisées durant cette période, soulignant ainsi un autre visage du siècle.

Le XXe siècle est aussi celui où l’humanité a réalisé des progrès spectaculaires dans divers domaines. La conquête de l’espace en est un exemple emblématique. L’humanité a réussi l’exploit monumental de poser le pied sur la Lune, ouvrant une nouvelle ère d’exploration spatiale et de découvertes scientifiques. Cet exploit a symbolisé la capacité de l’humanité à dépasser ses limites et à explorer de nouveaux horizons.

La Liberté guidant le peuple – Eugène Delacroix – Musée du Louvre Peintures RF 129 – après restauration 2024

Les avancées scientifiques et technologiques ont également marqué ce siècle. Les secrets de la matière ont été découverts, menant à des innovations radicales dans la physique et la chimie. L’exploration du génome humain a ouvert des perspectives inédites en médecine, permettant de mieux comprendre les mécanismes de la vie et de développer des traitements innovants pour de nombreuses maladies.

La prolongation de la durée de vie humaine est une autre réalisation majeure du XXe siècle. Grâce aux progrès de la médecine, de l’hygiène et de la nutrition, l’espérance de vie a considérablement augmenté, offrant à de nombreuses personnes la possibilité de vivre plus longtemps et en meilleure santé.

Ces avancées témoignent du triomphe de la démocratie et des valeurs humanistes, qui semblent désormais bénéficier d’un consentement presque universel. À l’échelle mondiale, Rémond souligne le développement d’un sentiment de responsabilité collective qui tend à surpasser la souveraineté des États. La conscience morale de l’humanité est devenue plus exigeante, condamnant aujourd’hui ce qu’elle tolérait hier et légitimait avant-hier.

Cette évolution éthique et morale est un signe d’espoir pour l’avenir, même si les événements postérieurs, comme les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres en Afghanistan et en Irak, ont pu semer le doute. L’auteur maintient que ces défis ne doivent pas nous détourner de la reconnaissance des progrès accomplis et de la nécessité de poursuivre sur cette voie.

2de éd.

La réédition en 2007

En 2007, les Presses de Sciences Po ont publié une réédition de l’ouvrage de René Rémond. Cette nouvelle édition, enrichie et mise à jour, est particulièrement significative dans le contexte des événements survenus au début du XXIe siècle, notamment les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres en Afghanistan et en Irak. Ces événements ont incité à une réévaluation de l’optimisme que René Rémond exprimait à la fin du XXe siècle.

Nouveaux enjeux et perspectives

La réédition de 2007 inclut une postface de René Rémond, écrite pour cette nouvelle édition, dans laquelle il aborde les conséquences des événements du 11 septembre et les conflits qui ont suivi. L’auteur y examine comment ces événements ont remis en question certaines des avancées démocratiques et les sentiments de responsabilité collective et de moralité accrue qu’il avait salués dans son analyse initiale.

1re éd., détail de la couverture

René Rémond maintient cependant une vision nuancée et refuse de sombrer dans un pessimisme excessif. Il reconnaît que si les défis du nouveau siècle sont nombreux et complexes, ils n’annulent pas les progrès accomplis au cours du XXe siècle. Cette capacité à mettre en perspective les bouleversements contemporains avec une vision historique plus large est caractéristique de l’approche analytique de Rémond.

Actualisation et réflexion

La réédition de 2007 n’est pas seulement une mise à jour factuelle ; elle est une invitation à poursuivre la réflexion sur les leçons du XXe siècle à la lumière des événements récents. L’auteur encourage ses lecteurs à considérer non seulement les tragédies et les défis, mais aussi les progrès réalisés et les potentiels pour un avenir meilleur. Cette perspective reflète l’engagement de René Rémond envers une analyse équilibrée et éclairée de l’histoire.

Cette réédition est un rappel de la pertinence continue des réflexions de René Rémond. En intégrant les développements du début du XXIe siècle, cette nouvelle édition offre une perspective renouvelée sur le siècle écoulé et ses répercussions sur notre époque actuelle. Pour les lecteurs, y compris les francs-maçons, cette réédition est une occasion de revisiter les enseignements du passé avec une compréhension enrichie des défis contemporains, tout en continuant à chercher des voies vers le progrès et la lumière.

Site Académie française

La biographie de René Rémond

René Rémond (1918-2007) est un historien, politologue et académicien français. Il est né à Lons-le-Saunier et a été un étudiant brillant, obtenant son agrégation d’histoire en 1945. René Rémond est surtout connu pour ses travaux sur l’histoire politique et religieuse de la France contemporaine. Il a enseigné à l’Université de Lille et à l’Institut d’études politiques de Paris, où il a également dirigé la Fondation nationale des sciences politiques.

Membre de l’Académie française à partir de 1998, Rémond a été président de la Fondation nationale des sciences politiques et a dirigé la Revue française de science politique. Ses ouvrages les plus célèbres incluent Les Droites en France, Introduction à l’histoire de notre temps, et bien sûr, Regard sur le siècle. Il est honoré par le Prix de l’Académie 1967 Prix Broquette-Gonin (histoire) – prix annuel destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage philosophique, politique ou littéraire, jugé susceptible d’inspirer l’amour du vrai, du beau et du bien – pour La vie politique en France (1789-1848). Son travail a profondément influencé la compréhension de l’histoire politique française et européenne.

« La Bibliothèque du citoyen » : Une collection qui ne peut laisser le franc-maçon indifférent

Publiée par les Presses de Sciences Po, cette collection s’adresse à un public intéressé par les grands thèmes de l’actualité, cherchant à comprendre et à participer aux débats contemporains. Interdisciplinaire par nature, cette collection traite des problèmes de la société française et mondiale, abordant des questions d’ordre politique, économique et social.

Les valeurs partagées avec l’art royal

Les principes qui sous-tendent cette collection résonnent profondément avec les valeurs maçonniques. La recherche de la vérité, la promotion de la connaissance, et l’engagement envers l’amélioration de la société sont des idéaux centraux à la fois pour les francs-maçons et pour les auteurs de « La Bibliothèque du citoyen ». La démarche de rendre accessibles les analyses et les réflexions académiques à un large public citoyen s’aligne parfaitement avec l’idéal maçonnique de diffusion de la lumière et de l’éducation.

L’interdisciplinarité et l’ouverture

« La Bibliothèque du citoyen » se distingue par son approche interdisciplinaire et son ouverture aux grandes controverses publiques. Cette capacité à aborder les problèmes sous différents angles et à accueillir des points de vue divers est une pratique courante dans les loges maçonniques, où le débat et l’échange sont encouragés pour enrichir la compréhension collective. De plus, le fait que cette collection soit accessible au-delà du monde universitaire démontre une volonté d’inclusion et de participation citoyenne qui ne peut que trouver écho auprès des francs-maçons.

Nouvelle graphie, 2de éd.

Une réflexion sur l’Humanité

Les ouvrages de cette collection, tels que Regard sur le siècle de René Rémond, invitent à une réflexion profonde sur l’humanité, son histoire, et ses perspectives. Pour un franc-maçon, engagé dans la quête de l’amélioration morale et intellectuelle, ces textes offrent une matière riche à méditer. La capacité de René Rémond à analyser le siècle passé en mettant en balance ses horreurs et ses progrès est un exemple de la profondeur et de la nuance que les francs-maçons recherchent dans leurs propres travaux et discussions.

En conclusion

René Rémond, dans Regard sur le siècle, nous offre une vision équilibrée du XXe siècle, où les ombres des tragédies et les lumières des avancées se côtoient. Son analyse nous invite à ne jamais oublier les leçons du passé tout en nous encourageant à continuer de chercher des solutions pour un avenir meilleur. C’est cette dualité, entre le sombre et le lumineux, qui rend ce livre si précieux et pertinent pour notre temps.

René Rémond nous offre avec ce livre une analyse approfondie et équilibrée des ombres et lumières du XXe siècle. Son œuvre témoigne d’une capacité remarquable à synthétiser des événements complexes tout en conservant une vision globale de l’évolution de l’humanité.

Regard sur le siècle

René Rémond de l’Académie française

Presse de Sciences Po, Coll. La Bibliothèque du citoyen, 2000, 1re éd. 120 pages, 11,43 € ; 2e éd., 2007, 132 pages, 12 € – ePub 6,99 €

L’Institut d’études politiques de Paris, communément appelé Sciences Po, ou Sciences Po Paris, 27 rue Saint-Guillaume- Paris VIIe arr.

L’Épopée des Compagnons : Patrimoine vivant à Bordeaux (33) pour les JEP 2024

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Dans une bâtisse de caractère, la Fédération Compagnonnique de Bordeaux vous convie à une immersion dans le Compagnonnage, depuis 1850 jusqu’à nos jours. Vous serez émerveillés par les chefs-d’œuvre exposés, qui témoignent de la passion et du savoir-faire des artisans. Le joyau de cette collection est une maquette rassemblant les principaux monuments de Bordeaux, datant de 1850 et culminant à 5,50 mètres de hauteur, une pièce incontournable.

Les maquettes les plus récentes illustrent le Compagnonnage contemporain et offrent un aperçu de la vie actuelle des itinérants sur le Tour de France. Les jeunes découvriront les nombreux débouchés des métiers manuels, tandis que les adultes, amateurs d’art et d’histoire, apprécieront la dextérité des artisans.

Image générée par Intelligence Artificielle (IA)

Les portes du musée seront ouvertes le samedi 21 et le dimanche 22 septembre 2024, de 10h00 à 16h00. L’entrée est gratuite et sans réservation. Le Musée des Compagnons du Tour de France, situé au 112 rue Malbec à Bordeaux, est un lieu dédié à l’histoire, aux traditions et à l’actualité du Compagnonnage. Vous y trouverez plus de 100 maquettes et chefs-d’œuvre de charpente, menuiserie, ébénisterie, taille de pierre, ferronnerie d’art et peinture, réalisés de 1803 à nos jours.

Cet événement s’inscrit dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine (JEP) 2024, avec pour thème « Patrimoines des itinéraires, des réseaux et des connexions ». Il est ouvert à tous, gratuit et sans réservation. Plus d’informations sur d’autres événements des Journées Européennes du Patrimoine, prévues les 21 et 22 septembre, sont disponibles sur le site officiel des Journées du Patrimoine 2024 – Bordeaux et sa région.

Infos pratiques

Musée des Compagnons du Tour de France Bordeaux
112 rue Malbec – 33800 BORDEAUX

Définitivement fermé, le musée se situe près de la gare Saint-Jean

Pour toute information supplémentaire, vous pouvez contacter le musée au 05 57 54 23 80 ou par courriel – visiter le site.