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Lettre d’information de la GLMF n°45 – Octobre 2024

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Du site officiel de la Grande Loge Mixte de France

Éditorial du Grand Maître
Octobre 2024

Le quatrième mur

« J’avais très envie, aussi, de casser la rampe, ce quatrième mur invisible qui, au théâtre, coupe la scène et la salle. »  Peter Brook – Le Monde – Novembre 2010.

Dans une recherche aboutie en 1968 par la sortie de son livre « L’Espace vide », le metteur en scène Peter Brook explique : « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé. »

Britannique francophile et parlant un Français remarquable, il ajoutait que parmi les mots polysémiques de la langue française se glisse le mot « assistance ». L’assistance peut être la réunion d’une assemblée spectatrice d’un évènement (assister signifiant voir) ; elle peut être également l’élan d’un entourage pour porter secours, soutien ou protection (assister signifiant aider).

Alors que le 17 juin 1789 les députés du Tiers Etat se forment en Assemblée Nationale, le 20 juin le Roi en récuse l’autorité et fait fermer la salle des séances (l’hémicycle). Sans plus de lieu pour tenir leur séance, les députés se réunissent alors dans la Salle du Jeu de Paume et affirment dans le serment éponyme leur volonté d’établir la Constitution du pays.
Dans son « Arrêté contre toute suspension ou interruption de l’Assemblée », les députés déclarent que « partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée Nationale ».

La Loge est entre les quatre murs du Temple. C’est ce que l’on pourrait penser. Pourtant à l’image de l’Assemblée Nationale, la Loge est en réalité partout où les Francs-Maçons veulent se réunir. Mais ce n’est pas tout.
Car le Franc-Maçon n’est pas une île, il rencontre le monde et partout où est le Franc-Maçon, ce qu’il a appris dans le Temple est avec lui.

En voulant « casser le quatrième mur », Peter Brook nous invite à réfléchir à cette ambivalence : le public participe-t-il ou non à la représentation ?
« Casser le quatrième mur », c’est ouvrir la salle. Ainsi la pièce n’est plus donnée en un lieu clos et celui qui y assiste est davantage qu’un simple spectateur, il s’empare en pleine conscience du message de l’œuvre, le comprend à la lumière de ce qu’il est. Et l’art de l’auteur est véhiculé au monde.

Et nous Francs-Maçons, que voulons-nous être dans la Société ? Réécoutons Peter Brook, soyons cette assistance qui écoute et entend, qui entoure et soutient. L’assistance du Franc-Maçon qui perçoit et véhicule ses valeurs sur la place de son village, le Franc-Maçon qui participe à la vie de la Cité.

Les Francs-Maçons ne cherchent pas l’uniformisation, ils ne désirent pas que nous soyons tous les mêmes. Ce que cherchent les Francs-Maçons, c’est l’unité entre des personnes différentes, l’harmonie. Et l’harmonie ne peut être atteinte en restant indifférent à ce qu’il se passe à côté de nous.

Si rien n’est plus triste qu’un théâtre sans public, si rien n’est plus morne qu’une Société sans art, alors rien n’est plus inutile qu’un Franc-Maçon qui conserve pour lui toutes les richesses qu’il a acquises.

« Les mauvais coups, les lâchetés
Quelle importance
Laisse-moi te dire, laisse-moi te dire
Et te redire ce que tu sais
Ce qui détruit le monde c’est
L’indifférence (l’indifférence) »

L’indifférence – Gilbert Bécaud et Maurice Vidalin – 1977

Félix Natali
Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France.
28 septembre 2024

La Franc-Maçonnerie est-elle un compromis entre Ataraxia et Praxis

« Une vie qui ne se met pas elle-même à l’épreuve ne mérite pas d’être vécue », Socrate.
Nous prenons le risque, en glissant dans notre titre deux mots grecs, d’apparaître comme faisant preuve de prétention et de jouer à Monsieur Jourdain ! Nulle n’est notre intention : nous voulons seulement souligner que la phrase de Socrate s’inscrit essentiellement dans l’affrontement entre deux philosophies. L’une, considérant que le retrait sur soi, loin du monde, est le but de toute sagesse philosophique (l’épicurisme et le stoïcisme) et l’autre que le sujet est avant tout un homme membre d’une cité dans laquelle il doit s’engager. Bien entendu, Socrate, Platon et Aristote feront partie de cette deuxième version, où philosophie et politique se confondent.

Des courants philosophiques

Ces courants philosophiques étaient renforcés par l’extension du commerce grec et de la colonisation de la Méditerranée. Ce qui demandait à la Grèce une mise à l’épreuve de ses capacités entrepreneuriales, de sortir vers l’extérieur de la mère-patrie au lieu de retourner dans le ventre maternel et le liquide amniotique de l’origine du monde des idées.

En fait, cette phrase reflète le conflit entre le jardin d’Épicure et l’Agora, la place publique des socratiques. Il est intéressant de constater que l’Asie sera au cœur du même débat philosophique : par exemple en Chine où le Taoïsme et le Confucianisme sont l’exemple de la même confrontation. Pour Lao-Tseu, le taoïsme, vision mystique et totalisante donne « la royauté au sujet » :

« Atteins à l’apogée du vide
Et garde avec zèle ta sérénité
Devant l’agitation simultanée de tous les êtres
Ne contemple que leur retour.

Les êtres multiples du monde
Feront chacun retour à leur racine
Faire retour à la racine, c’est être serein ;
Être serein, c’est retrouver le destin ;
Retrouver le destin, c’est le constant ;
Connaître le constant, c’est l’illumination.

Qui ne connaît le constant
Crée aveuglément son malheur
Qui connaît le constant embrasse
Qui embrasse peut-être universel
Qui est universel peut être royal
Qui est royal peut être céleste
Qui est céleste peut faire un avec le Tao
Qui fait un avec le Tao peut vivre longtemps
Celui-là demeure inépuisé jusqu’à la fin de ses jours »

Sans trop pousser les parallélismes ou les influences interculturelles, nous avons, dans le taoïsme, un étonnant rapprochement avec le courant épicurien ! Ce qui n’est pas le cas de Confucius, chez qui l’implication dans la cité devient une forme de sagesse incontournable, à partir des obligations morales (Jen, humanité parfaite ; Yi, équité ; Li, étiquette, rite ; Tche, perspicacité, intelligence ; Sin, loyauté, fidélité à la parole donnée) qui sont des actions orientées vers la cité :

« Répandre ses bienfaits à tout le peuple, aider tout le monde sans exception, est-ce le Jen ?
Est-ce encore le Jen ? Répartit Confucius. N’est-ce pas plutôt la sainteté ? Les rois Yao et Chouen eux-mêmes avaient la douleur de ne pas y parvenir. L’homme du Jen se tient ferme et affermit les autres, il réussit et fait réussir les autres. Il juge par ce qu’il peut de près de ce qui convient au loin »

Nous voyons ainsi, qu’à l’inverse du Taoïsme, le Confucianisme est une incitation au renouvellement et à la mise à l’épreuve permanente quotidienne. Mais, le philosophe Arthur Schopenhauer (1788-1860), attiré par le bouddhisme et sa philosophie, lui, préconisera l’ataraxie comme sortie de crise aux conflits intérieurs, dans son célèbre ouvrage « Le monde comme volonté et représentation » (1818) rejoignant une pensée asiatique classique, de type zen :

« Avant tout, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la forme propre de la manifestation du vouloir, la forme par conséquent de la vie et de la réalité, c’est le présent, le présent seul, non l’avenir, ni le passé, ceux-ci n’ont d’existence que comme notions, relativement à la connaissance et parce qu’elle obéit au principe de raison suffisante. Jamais homme n’a vécu dans son passé, ni ne vivra dans son avenir, c’est le présent seul qui est forme de toute vie mais elle a là un domaine assuré, que rien ne saurait lui ravir. Le présent existe toujours, lui et ce qu’il contient tous deux se tiennent là, solides en place, inébranlables ».

La mise à l’épreuve socratique de la destinée est battue en brèche par la pensée de Schopenhauer : pour lui, nous n’habitons que le présent et toute remise en cause de son destin suppose la prise de conscience d’un passé et celle d’un avenir ! Ne reste plus que le retrait dans la distance, ce que Maître Eckhart appelait la « Gelassenheit », le « Laisser tomber », première démarche vers la théologie apophatique, mais aussi billet d’entrée dans l’ataraxia.

Pour Schopenhauer existe une subordination des fonctions intellectuelles aux fonctions affectives qui, par la recherche de motivations inconscientes à l’origine des pensées conscientes préfigure Nietzsche et surtout Freud qui l’attestera à plusieurs reprises dans son œuvre, notamment dans : « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique » où il dit que les travaux de Schopenhauer sont « rigoureusement superposables à la doctrine du refoulement », car le philosophe joue là un rôle opposé à celui de l’illusionniste : d’être décrits comme de vains tourments, les avatars de l’expérience humaine sont fictifs, c’est-à-dire irréels, à l’image du décor de théâtre, mais la différence entre le théâtre et le réel c’est que le théâtre prend appui sur le réel, mais le réel ne prend appui sur rien. La vie humaine est donc une dramaturgie à vide. Il y aurait donc une illusion à vouloir changer les choses, à les remettre en cause : le devenir est une illusion. Si la mort n’interrompt pas la vie, c’est que toute vie est morte !

I – Mais revenons à nos Grecs !

Socrate attaque la philosophie de l’ataraxie, comme une réaction contre la bonne conscience, cette espèce de volonté de n’en rien savoir du monde qui nous entoure et de constituer un monde factice en recherchant « l’Aponie », qui est absence de troubles corporels et mentaux.

Épicure (-341 à -270) va s’efforcer de bâtir par le rejet du moindre souci et l’intérêt pour le plaisir, une morale traditionnelle. Ici, la vertu s’explique par la nature de ce qui est moralement désirable. Elle se fonde, en fait, sur ce qui est désiré : le philosophe épicurien ne cultive que les plaisirs à la fois strictement nécessaires et matériels. C’est en fait une morale austère et ascétique fondée sur un culte du plaisir, surtout intellectuel, qui amène à la fuite du mouvement du monde, sur lequel nous n’avons ni prise ni goût, la fuite des passions au profit du culte de l’amitié, sentiment calme qui se refuse à la remise en question de l’autre, à un conflit quelconque dans la relation, afin de vivre une perfection où tout s’arrête. C’est l’idéal du retour à la mère où tout n’est que « luxe, calme et volupté » : le monde baudelairien étant, sous bien des aspects, un monde de l’ataraxie. Épicure, dans sa lettre à Ménécée, écrit :

« Quand nous disons que le plaisir est la fin, nous ne parlons pas des gens dissolus et de ceux qui résident dans la jouissance, comme le croient certains qui ignorent la doctrine, ou ne lui donnent pas leur accord ou l’interprètent mal, mais du fait, pour le corps de ne pas souffrir, pour l’âme, de n’être pas troublée. Car ni les beuveries et les festins continuels, ni la jouissance des garçons et des femmes, ni celle des poissons et de tous les autres mets que porte une table somptueuse, n’engendrent la vie heureuse, mais le raisonnement sobre cherchant les causes de tout choix et de tout refus, et chassant les opinions par lesquelles le trouble le plus grand s’empare des âmes ».

Épicure introduit la pratique du discernement qui fait devenir le sujet comme une déité :

« Ces choses-là, donc, et celles qui leur sont apparentées, médite-les jour et nuit en toi-même et avec qui est semblable à toi, et jamais, ni en état de veille ni en songe, tu ne seras sérieusement troublé, mais tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car il ne ressemble en rien à un vivant mortel, l’homme vivant dans des biens immortels ».

Étrangement, au-delà d’une philosophie qui les opposerait en apparence, entre devoir et plaisir, les stoïciens de Zénon d’Élée (-495 à -425) à Marc-Aurèle (121-180), en passant par Sénèque ou Épictète, vont rejoindre Épicure vers la sagesse du désengagement ataraxique. Nous ne citerons que deux exemples : Sénèque (-4 avant J-C à 65 après J-C) prône l’isolement aristocratique du philosophe comme « sortie de crise » aux fureurs du monde :

« Ainsi donc, la vie du sage s’étend très loin, car il n’est pas enfermé dans les mêmes limites que les autres. Lui seul est délivré des lois du genre humain, et tous les siècles lui sont soumis comme à un dieu. Le temps est-il passé qu’il le retient par son souvenir, présent il l’utilise, futur il s’en réjouit par avance. Ce qui fait la longueur de sa vie, c’est la réunion de tous ces moments en un seul ».

Pour Épictète (50-135), ancien esclave, la liberté individuelle, inattaquable, supérieure, se met en place par la distance avec le monde environnant :

« Supprime donc en toi toute aversion pour ce qui ne dépend pas de nous et, cette aversion, reporte-là sur ce qui dépend de nous et n’est pas en accord avec la nature. Quant au désir, pour le moment, supprime-le complètement. Car si tu désires une chose qui ne dépend pas de nous, tu ne pourras qu’échouer, sans compter que tu te mettras dans l’impossibilité d’atteindre ce qui est à notre portée et qu’il est plus sage de désirer. Borne-toi à suivre tes impulsions, tes répulsions, mais fais-le avec légèreté, de façon non-systématique et sans effort excessif ».

Naturellement, l’idéal socratique et platonicien est celui d’une action sur la cité, une dynamique de l’action et de l’ « Autoritas », concept ne signifiant pas le pouvoir sur autrui, mais s’accroître, se grandir « Domine non sum dignus ! ».

Alors qu’il n’y a aucun intérêt pour les affaires de la cité, ou même le prochain, chez les tenants de l’Ataraxia. La praxis, elle, est avant tout, l’agir qui vient du grec « agein », mener, diriger, conduire les bêtes de somme en les poussant en avant ! Elle puise sa force dans l’ « energia » qui est le service actif pour ce qui est relatif aux bateaux.

Être dans la praxis est, pour les Grecs, savoir mener sa barque ! Dans l’Antiquité, la liberté, qui est un signe de noblesse, est un attribut du faire et de l’agir, associé au commencement (« En Arkhein », au commencement était… ) plutôt qu’à un processus.

À partir d’Aristote, nous allons surtout entendre parler de « dunamis » qui va résumer ce qui bouge, ce qui passe à l’acte. Il est intéressant de noter que pour le lexicographe Hésychios d’Alexandrie, le « Akté Trophé », vient du sanskrit « Açnati » signifiant manger et qui donnera le mot grec « esthio », la nourriture. Passer à l’acte, en fait, c’est dévorer ce qu’il en est de l’environnement, « bouffer l’autre ». Nous sommes loin du plaisir d’Épicure devant son ascétique pot de yaourt !…

II – « Être ou ne pas Être » du côté du divan »

Il n’apparaît pas artificiel d’associer notre réflexion à la psychanalyse, car cette dernière prend naissance dans les mythes, la philosophie de la Grèce et des philosophes qui s’en inspirèrent plus tard, notamment Nietzsche et Schopenhauer.

Freud, à de nombreuses reprises, exprimera combien il doit à l’Antiquité dans l’avènement de la naissance de la psychanalyse et de la connaissance de l’inconscient. Ce qui sera notamment le cas dans l’opposition entre Ataraxia et Praxis. À cet égard deux textes sont fondamentaux pour saisir la pensée psychanalytique de Freud sur le sujet : « Pulsions et destin des pulsions » (1915) et « Au-delà du principe de plaisir » (1920).

Freud va examiner, en premier lieu, ce qu’il en est des pulsions « Triebe » et de leur action sur notre psychologie. La pulsion est une excitation apportée de l’extérieur au tissu vivant, la substance nerveuse, et déchargée vers l’extérieur sous forme d’action. Mais elle est aussi une excitation pour le psychique car elle ne provient pas du monde extérieur mais de l’intérieur de l’organisme lui-même. Elle n’agit jamais comme une force d’impact momentanée, mais toujours comme une forme constante. Elle est un besoin qui demande une satisfaction qui n’est obtenue que par une modification conforme au but visé de la source interne d’excitation. Origine dans des sources d’excitation à l’intérieur de l’organisme et manifestation comme force constante, nous amènent à l’impossibilité d’en venir à bout par des actions de fuite. Dès lors, le système nerveux est un appareil auquel est impartie la fonction d’écarter les excitations à chaque fois qu’elles l’atteignent, de les ramener à un niveau aussi bas que possible et, dans le meilleur des cas, de parvenir au maintien rigoureux de non-excitation. En fait, un état d’homéostasie, car la sensation de déplaisir est en rapport avec un accroissement de l’excitation et la sensation de plaisir avec une diminution de celle-ci.

Nous pouvons donc conclure que ce sont les pulsions et non les excitations externes qui sont les véritables moteurs des progrès qui ont porté le système nerveux au degré actuel de son développement. Le concept de pulsion apparaît comme un concept limite entre le psychique et le somatique dont le but est sa satisfaction, donc sa décharge sur un objet plus ou moins adapté ou parcellaire : le Banquet de Platon en est l’exemple classique dont se servira beaucoup Jacques Lacan, dans l’un de ses séminaires et qui lui fera dire :

« Donner de l’amour, c’est vouloir donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » !

La pulsion a donc un aspect « poussant » demandant, pour le sujet un effort constant de « choix d’objet » pour opérer une décharge qui permette une satisfaction provisoire. Le résultat, rare, peut-être une satisfaction, mais souvent on assiste à des pulsions « inhibées quant au but », refoulées, ou à une dérivation que l’on qualifie de sublimation, objet imaginaire qui permet une décharge pulsionnelle presque aussi satisfaisante qu’un objet, où il y aurait une vraie correspondance entre désir et objet. La psychanalyse pense que la sublimation est l’antidote à la frustration du désir qui est toujours un manque. La sublimation peut se traduire par de nombreux débouchés : l’art, la religion, la politique, le sport, le travail, etc…

Il semble que Sigmund Freud, lui-même, avait investi beaucoup plus dans la « libido sciendi » que dans la « libido sexualis ». Il écrit :

« Je ne peux pas me représenter une vie sans travail comme agréable, pour moi vivre par le phantasme et travailler ne font qu’un, rien d’autre ne m’amuse ».

Qu’elles trouvent l’objet souhaité ou non, les pulsions ont deux finalités : le plaisir d’organe (la fin d’une tension nerveuse) et la fonction de reproduction qu’elle soit physiologique ou intellectuelle. Il convient aussi 

d’observer qu’une pulsion peut se transformer en son contraire : la transposition de l’amour en haine, par exemple. Amour et haine se dirigeant souvent vers le même objet, cette coexistence fournit l’exemple d’une ambivalence permanente des sentiments par une opposition moi et non-moi (l’extérieur), et amour de soi auto-érotique (narcissisme) à haine de soi-même « Selbst Hasse ». D’où la difficulté de la reconnaissance de l’altérité, car nous définirions l’amour, essentiellement, comme relation du moi et ses sources de plaisir, et le sujet ne s’aime souvent que lui-même et est indifférent au monde. Aimer n’étant alors que la reconnaissance à la gratification de la fin des tensions pulsionnelles. Le monde extérieur se décompose ainsi pour le moi en une partie « plaisir » qu’il s’est incorporée, et un reste qui lui est étranger et qu’il hait car source de tensions pulsionnelles insatisfaites.

Quelques années plus tard, Freud va approfondir le destin des pulsions en entrant dans une phase d’un au-delà du principe de plaisir. Il prend conscience que l’homme, prisonnier totalement de ses pulsions et ne pouvant les vivre que partiellement dans un moment bref et insatisfaisant de plaisir, n’aspire qu’à une fin de ses tensions par une homéostasie qui ressemble à la mort, un lieu qui ne serait pas décomposition, mais absence de tensions. Freud va mettre ainsi en place le concept de la pulsion de mort, la lutte interne entre Éros et Thanatos qui prend le relais entre la confrontation entre Ataraxia et Praxis.

Mais, la psychanalyste britannique Barbara Low, à la suite de Schopenhauer et d’une expérience de vie aux Indes introduira le concept de « Principe de Nirvana » qu’elle définit comme « tendance à la réduction, à la constance, à la suppression de la tension d’excitation interne ». Une sorte de « Principe de constance », Freud acceptera cette idée de principe de Nirvana, en précisant cependant que ce principe est une tendance radicale à ramener l’excitation au niveau zéro, telle qu’il l’avait énoncé auparavant sous le terme de « Principe d’inertie ». La psychanalyse constatera d’ailleurs que ce processus dans les religions se retrouve : les paradis sont des lieux où le désir est absent et les enfers des lieux où les désirs sont intenses et jamais satisfaits !…

La Franc-Maçonnerie : jardin d’Épicure ou Agora dans la citée ?

Quitte à commettre un crime de lèse-majesté, nous pouvons dire que Socrate s’est trompé : présentant la remise en cause comme un acte volontaire relevant d’un choix, il ne perçoit pas que rien ne relève d’un choix mais d’une nécessité à laquelle l’homme obéit avec réticence, préférant la quiétude à l’action, mais étant obligé, souvent contre son gré, de se mettre en mouvement dans la nécessité de trouver un objet humain ou symbolique pour projeter des tensions internes vers l’extérieur, sous peine que ces tensions ne se retournent vers le sujet en amenant troubles mentaux ou maladies psychosomatiques.

Le résultat de la philosophie antique conjuguée à la psychanalyse ne nous laisse que peu de place à notre libre-arbitre, sauf peut-être pour trouver un discours camouflant des mécanismes qui nous dépassent et qui mettent en péril les visions simplistes ou trop romantiques de la vie.

À l’instar des institutions qui traitent de l’humain, la Franc-Maçonnerie s’est trouvée confrontée à la gestion de l’Ataraxia et de la Praxis (en fait, d’Éros et Thanatos). Comment a-t-elle, adaptée sa pratique et sa spiritualité dans ce sens ?

Comme le sont les spiritualités diverses, la Franc-Maçonnerie prend peu à peu conscience qu’elle n’est, mais c’est beaucoup déjà, qu’une sublimation, c’est-à-dire un lieu nécessaire offert aux hommes comme expression à ce qu’ils ne peuvent traduire autre part.

Et, à travers le langage, exprimer ce qui leur était interdit ou ce qu’il leur semblait interdit pour des raisons personnelles ou collectives. La Maçonnerie, avec ses mythes et ses rites, est un lieu de passage, un pont entre le sujet et la cité, de l’Ataraxia à la Praxis.

Et ce, en privilégiant au maximum les démarches de sublimation qui remplacent les décharges instinctuelles impossibles à réaliser par le sujet. Le travail par exemple, qui tient une place considérable dans les rites. Le deuxième degré de la Maçonnerie, d’ailleurs, voue un véritable culte au travail, héritage du Compagnonnage et de la mentalité protestante où Luther et Calvin y voyaient, dans la réussite du croyant un signe de prédestination divine.

Certains philosophes et Francs-Maçons, au contraire, y voient le retour à une forme d’esclavage au lieu d’une action émancipatrice. Tel est le cas, par exemple de notre Frère Paul Lafargue (1842- 1911) qui écrit :

« Christ dans son discours sur la montagne, prêcha la paresse : « Contemplez la croissance des lys des champs, ils ne travaillent ni ne filent, et cependant, je vous le dis, Salomon, dans toute sa gloire, n’a pas été plus brillamment vêtu » (Évangile selon St. Matthieu, chap. VI). Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs, le suprême exemple de la paresse idéale ; après six jours de travail, il se reposa pour l’éternité ».

Paul Lafargue, ainsi, s’amusait à comparer le dieu du judéo-christianisme aux dieux de l’Antiquité : « O Melibe, Deus nobis haec otia fecit ! » (« Ô Melibe, un Dieu nous a donné cette oisiveté ! »). Chez notre Frère Lafargue aucune intention de « mouiller sa chemise » ou d’ « aller au charbon » n’est clairement affichée !

La Franc-Maçonnerie à travers ses rituels utilise, sans être une psychothérapie, une vision très éclairante du fonctionnement humain. Elle montre par exemple que le sujet est divisé et que seul le symbolique peut rassembler momentanément ce qui est épars, et que la reconnaissance de l’altérité commence par soi-même avant d’envisager l’autre comme étranger irréductible.

La belle formule d’Emmanuel Levinas « On peut dévisager l’autre ou l’envisager », n’est concevable que si nous acceptons déjà en nous, l’inquiétante étrangeté de notre contradiction. Cette insupportable gémellité, nous amenait à utiliser le processus de projection de nos « mauvaises tendances » sur l’autre afin de penser que nous avons une « bonne » unité en nous. La Franc-Maçonnerie nous apprend que nous ne pouvons pas accepter la politique du bouc émissaire : mon adversaire est intérieur, en miroir.

Mais existe aussi dans les résistances au mouvement et au changement une haine insondable, comme nous le montre les mécanismes psychiques. Nos rituels en portent traces. Par exemple, le mythe d’Hiram-Abif en est une illustration.

Les trois mauvais compagnons tuent le maître non seulement par dépit ou jalousie, ils le tuent aussi car il leur demande de bouger, de travailler encore, de sortir de leurs limites. En Maçonnerie même, la tentation de l’Ataraxia est grande. La constitution de la loge comme une sorte de jardin d’Épicure, refermée sur le plaisir d’être ensemble et où le mouvement des idées ou d’une organisation nouvelle (ne serait-ce que le changement de collège !) deviennent un danger pour la « Stimmung », l’ambiance, et génèrent une forte agressivité. Ce renfermement allant jusqu’à la méfiance d’introduire de nouveaux membres. Comme si, pensée épicurienne par excellence, il convenait de mourir de plaisir entre soi !

La Maçonnerie nous apprend à demeurer à côté des morceaux de nos idoles primitives, devant les ruines de nos idéaux de perfection, sans amertume, dans la sérénité et dans l’abandon confiant à un Principe qui nous dépasse. Ce qui ne peut que nous conduire à l’ « Aidos » qui est, chez les Grecs, la réserve, la pudeur et la modestie qui naissent en nous de l’intériorisation du regard des autres et qui nous permet d’accéder au Logos…

Par Michel Baron

Par-dessus le Maillet – Une belle leçon de vie

« La terre comme unique raison, comme unique passion » : tout est dans le titre de cette magnifique saga prise entre drames, peurs, amour, travail, respect, humilité, rigueur… ça sent bon les œillets, le vin et le muguet… ça sent bon la terre. Notre Sœur Martine, qui habite Nice, a rédigé ce livre et a bien voulu répondre à nos questions.

 
Elle est belle l’histoire de cette famille dont tu traces l’arbre généalogique depuis le 19ème siècle. Qu’as-tu voulu évoquer ? 

On a oublié le dur labeur des paysans, le travail harassant par n’importe quel temps. Pas un jour de repos, pas un jour de vacances. Comment ces émigrés ont dû suer eau et sang pour être respectés à l’heure où il n’y avait rien pour les protéger, ni les aider. Ils n’ont rien connu d’autre que le travail et j’ai voulu à travers cette famille, comme toutes ces familles italiennes venus à Nice, leur rendre hommage. Émigrer pour tenter de trouver du travail et de pouvoir nourrir leur famille. Cette époque n’est pas si lointaine et pourtant ….

Quel est l’objectif de ce livre et aura-t-il une suite ?

L’objectif, je l’espère, serait que rien ne tombe dans l’oubli, que les générations qui vont suivre, à l’heure où tout va très vite, trop vite, que chacun garde le souvenir de ces ancêtres italiens, qui ne savaient ni lire, ni écrire et par la force et la volonté ont su semer pour que nous puissions récolter.

Savoir qui on est, comprendre pourquoi on a reçu cette éducation et pas une autre, pourquoi parfois il est difficile de dire « je t’aime » car le travail ne laissait pas de place aux sentiments. Oui, mon espoir serait que dans quelques décennies, il y aura un petit enfant, un neveu qui aura envie de prendre la plume et de continuer la rédaction de cette histoire, qui sera leur histoire, notre histoire.

Ton chemin maçonnique t’a-t-il aidé dans la rédaction de ce travail et qu’as-tu ressenti au fil de ces pages ?

Oui, bien sûr le plaisir d’écrire, la compréhension de l’autre, l’envie de savoir pourquoi, m’ont permis de me pencher, avant tout, sur le « connais-toi toi-même », qui je suis et pourquoi je suis comme je suis et pour cela, il fallait bien que j’aille rechercher la pierre cachée pour me trouver.

Ce fut un travail long, qui a fait remonter en moi des moments douloureux, mais cet accouchement le moment venu, m’a rendu fière et j’ai pu enfin honorer, à ma façon, cette famille d’émigrés dont aujourd’hui je suis fière. Fière de ce parcours qui, enfant, m’a fait souvent souffrir, car être fille de paysans n’était pas vraiment valorisant. Mais le but final était pour moi de transmettre.

Propos recueillis par Nicole Guignard

Femmes iraniennes : le combat pour l’émancipation

La culture

Dans le numéro 142 de l’émission radio Pierres de touches qui parle des femmes iraniennes et de leur combat pour l’émancipation, dans un échange qui se déroule autour de questions philosophiques, sociétales, des valeurs de La Franc-Maçonnerie.

3 invités d’honneur s’y donnent rendez-vous :

  • Frédéric ENCEL, docteur en géopolitique, professeur de relations internationales à Sciences Po, auteur des Voies de la puissance (Odile Jacob, Prix Histoire-Géo de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023),
  • Delphine MINOUI, journaliste et auteure de Badjens (Editions du Seuil),
  • Félix NATALI, Sérénissime Grand Maître (SGM) de la Grande Loge Mixte de France (GLMF).

+ d’infos : http://pierresdetouche.fr

Sisyphe n°7 vient de sortir !

Pour information, le n°7 de la Revue Sisyphe vient de paraître. Le dossier de ce semestre a pour thème « la Violence ».
Comme tu pourras le lire sur la 1ère de couverture, accessible en cliquant sur ce lien, différentes réflexions sont proposées :

• Du rituel comme barrage à la violence en Franc-Maçonnerie
• Violences et guerres. Comment penser l’impensable ?
• La menace de guerre
• Économie : sous les masques, la violence radicale
• Les personnalités toxiques en loge
• Sortie de la barbarie par la non-violence.

 
Sisyphe, la revue de la GLMF

Sisyphe est la revue semestrielle de la Grande Loge Mixte de France (GLMF). Écrite par des passionnés, elle se compose d’articles de fonds en lien avec la Franc-Maçonnerie (histoire, philosophie, symboles…).

L’abonnement annuel couvre 2 numéros pour seulement 19 euros.

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Pierres de touche, l’émission radio à ne pas rater !

Pierres de touche c’est un thème, un débat, des invités (francs-maçons ou non), des chroniques, de la musique et tout ça en 1h d’émission. En direct un dimanche sur deux ou en podcast quand vous le voulez, sur Radio Delta !

https://deltaradio.fr/2024/09/pierres-de-touche-142-debat-metoo-29-septembre-2024/embed/#?secret=Jdm16l4EU2#?secret=iZK7jIKI19

https://deltaradio.fr/2024/09/pierres-de-touche-142-debat-femmes-iraniennes-15-septembre-2024/embed/#?secret=aEbcYUxRN8#?secret=QwsRnpVIes

https://deltaradio.fr/2024/09/pierres-de-touche-141-difficile-quete-de-lemancipation-1er-septembre-2024/embed/#?secret=SlBJsU4ItZ#?secret=2jXd3FQhal

https://deltaradio.fr/2024/06/pierres-de-touche-140-debat-les-femmes-et-la-seconde-guerre-mondiale-23-juin-2024/embed/#?secret=uGnort35Zc#?secret=H4OuEyDABU

https://deltaradio.fr/2024/06/pierres-de-touche-139-etranges-etrangers-9-juin-2024/embed/#?secret=hNxi9uqkBq#?secret=v5ugSaosFb

https://deltaradio.fr/2024/05/pierres-de-touche-138-debat-choisir-sa-fin-de-vie-26-mai-2024/embed/#?secret=gEhrFL2FKk#?secret=Br7DdCD3BJ

Retrouvez les anciennes émissions

Pierres de touche #137 – Le Cœur du monde – 12 mai 2024

Pierres de touche #136 – Débat – Nature et société, quels enjeux? – 28 avril 2024

Pierres de touche #135 – Variations printanières – 14 avril 2024

Pierres de touche #134 – Débat – Droits des femmes, des principes et des réalités – 31 mars 2024

Pierres de touche #133 – Quelles libertés ? – 10 mars 2024

L’émission de la Grande Loge Mixte de France
L’émission hebdomadaire de la Grande Loge Mixte de France

À vos agendas !

Consulter également la rubrique Événements.

Samedi 12 octobre 2024
Tenue Blanche Ouverte (TBO) à Valence
Thème : « Les Valeurs de la GLMF »
Conférencier : Félix Natali Sérénissime Grand Maître
Organisée par les Respectables Loges Union et Persévérance – Souffle de Khepri – Liberté+

Jeudi 17 octobre 2024
Conférence publique à Cherbourg
Thème : « La mixité en Franc-Maçonnerie »
Intervenante : Christiane Vienne
Organisée par la Respectable Loge Les Enfants du Paradis à l’Orient de Cherbourg

Les 19 et 20 octobre 2024 
20e Anniversaire des Orients Viticoles en région Provence à Hyères
Organisée par la Respectable Loge Aurora à l’Orient de Hyères

Les 16 et 17 novembre 2024
Rencontres Culturelles Maçonniques
15e Salon Lyonnais du livre maçonnique
Au CCVA de Villeurbanne
https://rencontres-culturelles-maconniques-lyonnaises.net/

Rencontres Culturelles Maçonniques Lyonnaises

Du site officiel du GODF

Les samedi 16 et dimanche 17 novembre 2024 auront lieu, au CCVA – Villeurbanne, les Rencontres Culturelles Maçonniques Lyonnaises, ouvertes à tous les publics. Cette manifestation rassemblera des libraires et éditeurs d’ouvrages maçonniques, 30 auteurs qui dédicaceront leurs ouvrages et une exposition « le Petit Léonard décodé » du dessinateur de bandes dessinées François Boucq.

Durant ces 2 jours, 8 conférences et tables rondes sur des thématiques diverses. Le samedi soir, un concert de jazz.

Le dimanche à 13h aura lieu une rencontre libre entre visiteurs et Francs-Maçons afin d’échanger sur toutes les questions que chacun se pose, relatives à la Franc-Maçonnerie.

Retrouvez tous les renseignements sur les conférences, tables rondes et les intervenants, les auteurs et leurs ouvrages, l’exposition et le spectacle, ainsi que toutes les informations pratiques sur le site :

www.rencontres-culturelles-maconniques-lyonnaises.net

29/10/29 à Livourne (Italie) GOI : « Franc-maçonnerie et société civile – Intelligence artificielle et valeurs traditionnelles »

Du site officiel du Grand Orient d’Italie

« Franc-maçonnerie et société civile – Intelligence artificielle et valeurs traditionnelles » est le titre de la conférence qui aura lieu le 29 octobre à 17h00 à Livourne au Musée d’Histoire Naturelle de via Roma, organisée à l’initiative de la loge Adriano Lemmi dans le cadre du le cycle de réunions a commencé l’année dernière au même endroit.

La conférence vise à explorer l’intersection entre les principes de la franc-maçonnerie, la société moderne et l’impact de l’intelligence artificielle, en accordant une attention particulière à la manière dont les valeurs traditionnelles peuvent dialoguer avec les innovations technologiques. Ce sera l’occasion de discuter des défis et des opportunités qu’apporte la transformation numérique, dans le contexte d’une société de plus en plus interconnectée.

Au centre de la rencontre, bien entendu, sera l’histoire de la franc-maçonnerie dans notre pays et dans la région de Livourne. Les relations entre la franc-maçonnerie et les associations seront explorées en profondeur, avec une analyse du rôle que le Grand Orient d’Italie, la plus grande obédience maçonnique italienne, a joué et continue de jouer.

En outre, le lien entre la franc-maçonnerie et la ville de Livourne sera examiné, une relation historiquement significative qui mérite d’être comprise et valorisée. La rencontre, qui sera conclue par le Grand Maître Adjoint Sandro Cosmai, verra la participation du Grand Honoraire. Maître Massimo Bianchi et d’éminents experts et conférenciers qui aborderont ces questions, offriront des pistes de réflexion sur la manière de préserver les valeurs fondatrices de la communauté et, en même temps, d’embrasser consciemment le progrès technologique.

Devises maçonniques : Deus Meumque Jus

De notre confrère universalfreemasonry.org – Par le Frère Jonathan Dinsmore 

L’expression Deus Meumque Jus a une énorme signification symbolique. Quelle est la signification de cette devise maçonnique ?


La franc-maçonnerie a diverses devises, qui représentent les principes de notre grande tradition. Parmi ceux-ci se trouve Deus Meumque Jus, qui apparaît souvent en bonne place sur les insignes maçonniques, notamment ceux des 32e et 33e degrés. Une phrase figurant si en bonne place sur Regalia pour les plus hauts grades implique une signification énorme, mais qu’est-ce que cela signifie ?

Explorons les significations possibles de cette devise et le rôle qu’elle joue dans la vie maçonnique.

L’expression latine Deus Meumque Jus se traduit approximativement par « Dieu et mon droit », ou comme certains l’ont avancé, une traduction plus précise pourrait être « Dieu et ma droiture morale ». Deus est assez simple à traduire, un mot latin familier pour Dieu, comme nous l’entendons souvent dans les récitations catholiques des traductions latines de la Bible. Jus a la même racine latine que Justice et se rapporte au droit, et Memque est une forme de Meus, qui est l’adjectif « mon ».

L’histoire réelle de l’expression est plutôt longue et complexe, et ne sera pas le sujet de cet article. Qu’il suffise de dire, selon les mots d’un écrivain maçonnique :

… la devise est la version latine d’une phrase française originaire d’Angleterre et utilisée dans un système de degrés maçonniques nommé d’après l’Écosse qui descend de sources françaises par le biais d’Haïti avec l’aide d’un commerçant néerlandais à travers la Jamaïque et finalement presque entièrement redéfinie aux États-Unis.

Il est également associé au nombre 33, car il figure généralement sur les insignes du 33e degré et à l’intérieur de l’anneau porté par les maçons du 33e degré. La signification est attribuée au nombre 33 de diverses manières, il est sacré dans des religions allant du christianisme à l’hindouisme, et il y a 33 vertèbres dans la colonne vertébrale, pour n’en nommer que quelques-uns. Cependant, aujourd’hui, nous nous concentrons sur l’expression elle-même.

Tout dans la franc-maçonnerie, en particulier dans la co-maçonnerie universelle plus mystique, a une signification au-delà de ses définitions littérales ou historiques, ou traductions. Il existe de nombreuses interprétations possibles de la signification de Deus Meumque Jus ; historiquement, il a un certain lien avec le concept du droit divin des rois, auquel cas cela signifierait « mon droit de gouverner est dérivé de Dieu ». Cependant, étant donné le rôle des francs-maçons dans l’institution de la démocratie dans le monde occidental, il semble difficile de croire que sa signification dans la fraternité ait beaucoup de lien avec la justification de la monarchie.

L’interprétation « Dieu et ma droiture morale » est plus en accord avec l’origine de la traduction latine, et signifierait que l’interprétation serait plus dans le sens de relier sa relation avec le Créateur à la droiture morale. Cependant, ce concept seul n’est pas satisfaisant ; Après tout, toutes les personnes qui croient en une puissance supérieure ne relient-elles pas leur moralité à ce concept, d’une manière ou d’une autre ? Pourquoi alors serait-ce une phrase spéciale réservée aux plus hauts degrés de la franc-maçonnerie ?

Peut-être qu’une interprétation plus profonde de cette phrase pourrait être qu’elle représente un règne intérieur du divin, à l’intérieur de chaque maçon individuel. Certains aspects de la structure du rituel maçonnique indiquent un miroir extérieur des éléments intérieurs de son être, et une hiérarchie et un ordre très clairs pour eux. Sans trop spoiler pour les non-initiés, l’essentiel de ce concept est que le fonctionnement de la loge et le rituel maçonnique établissent un plan par lequel les différents aspects du soi peuvent être « mis en ordre » afin que les aspects inférieurs du soi soient faits pour être les serviteurs du divin à l’intérieur.

Vu sous cet angle, Deus Meumque Jus serait la loi et l’ordre intérieurs (Jus) établis à l’intérieur du soi (Meumque), par le moi divin (Deus) en tant que Souverain.

Une autre interprétation serait quelque chose de plus dans le sens de la gnostique, et étant donné le rôle du gnosticisme dans les traditions ésotériques informant la franc-maçonnerie, il n’est pas si exagéré d’appliquer également cette lentille. D’un point de vue gnostique, Deus pourrait se rapporter non seulement à l’étincelle divine intérieure, mais aussi au démiurge que la pensée gnostique croit généralement être le créateur du monde matériel dans lequel nous nous trouvons. Dans cette interprétation, peut-être que le droit auquel il est fait référence concerne moins l’autorité divine à l’intérieur du soi, et plus le droit de chacun à transcender les pièges de cette création matérielle imparfaite de la demi-pulsion, à réaliser le potentiel contenu dans son étincelle divine, via la gnose.

En fait, ces deux interprétations plus mystiques ne sont pas entièrement incompatibles. On pourrait dire que la souveraineté intérieure sur sa propre nature inférieure et le droit de transcender une réalité conçue par le démiurge sont une seule et même chose. Après tout, la principale façon dont nous sommes pris au piège dans le monde physique, selon le gnosticisme, est par le biais de ces corps et de leurs natures inférieures. Être souverain sur eux signifierait les transcender.

Bien que l’expression Deus Meumque Jus ait une histoire complexe et soit ancrée dans une longue tradition relative à la monarchie et à diverses sociétés ésotériques, elle a également une énorme signification symbolique. Nous pourrions même le relier au concept yogique d’obtenir le contrôle total de tous les aspects inférieurs du soi, même les centres nerveux qui contrôlent la respiration et le rythme cardiaque, dans le cadre du processus de progression vers la Libération. Peut-être y a-t-il des corrélations entre le concept gnostique occidental de souveraineté intérieure, et ce corrélat oriental.

Quelle est la véritable signification de cette devise maçonnique ? La seule façon de le savoir est de devenir franc-maçon et de progresser à travers les degrés, car ce n’est que dans le rituel maçonnique que le vrai sens est révélé.

La Plume et la Pensée : « à propos des Rites Égyptiens »

Sommaire

A propos des Rites Égyptiens
Editorial par Christian Eyschen……………………………………………….p 3
Actes du colloque national
Bicentenaire de l’exécution des 4 Sergents de la Rochelle……p 5
Memphis-Misraîm, un Rite maçonnique méconnu
par François Bourcier………………………………………………………………..p 6
Un autre regard sur les Rites égyptiens
de Memphis-Misraïm par Christian Eyschen………………………….p 32
Une lettre de François Bourcier
de l’Ordre des Rites Unis de Memphis-Misraïm……………………..p 48
Les 11 Neters d’une Loge égyptienne par GADLU-INFO………..p 52
Il y a deux cent ans : 4 Républicains Francs-Maçons
étaient exécutés par la Monarchie,
la Libre Pensée rend hommage
aux 4 Sergents de la Rochelle !…………………………………………………p 56
Histoire de la Loge des 4 Sergents de la Rochelle
par Philippe Taurisson………………………………………………………………p 60
Soutien à la Libre Pensée par François Bourcier…………………..p 68

Rites Égyptiens de Memphis, de Misraïm & de Memphis-Misraïm :Vivat ! Vivat ! Semper Vivat !

Ce Supplément à La Plume et la Pensée est consacré à l’étude et à la présentation des Rites Égyptiens de Memphis, de Misraïm, de Memphis-Misraïm. Je remercie très fraternellement notre Très Illustre Frère François Bourcier de nous avoir permis de publier son Histoire de ces Rites. Elle est un guide essentiel pour en comprendre la problématique. Nos prochains Suppléments seront consacrés à l’étude et la présentation des Rites Anglo-saxons et ensuite du Rite Écossais Rectifié et de son environnement.

Dans mon travail, j’ai voulu jeter un autre regard qui m’a beaucoup éclairé sur la forme et sur le fond des choses. Il y a toujours un débat sous-jacent, surtout pour les Francs-Maçons Libres Penseurs sur l’acception de ce que veut dire « Religare » ou « Religere ». Selon les cas, on peut comprendre « relier » ou « recueillir ». Mais dans tous les cas, l’obligation de croyance dans une entité suprahumaine est loin d’être obligatoire.

On sait comment les Constitutions d’Anderson, texte fondateur de la Franc-Maçonnerie spéculative ont contourné la difficulté : « Un MAÇON est obligé par sa Tenure d’obéir à la Loi morale et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais un Athée stupide, ni un Libertin irréligieux. Mais, quoique dans les Temps anciens, les Maçons fussent astreints dans chaque pays d’appartenir à la Religion de ce Pays ou de cette Nation, quelle qu’elle fût, il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à cette Religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, et qui consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Hommes d’Honneur et de Probité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances qui puissent les distinguer ; ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d’Union et le Moyen de nouer une véritable Amitié parmi des Personnes qui eussent dû demeurer perpétuellement Éloignées. »

Débattre sur « être des Hommes bons et loyaux ou Hommes d’Honneur et de Probité » est mille fois plus intéressant et enrichissant à analyser en profondeur que les sempiternelles controverses sur l’Athée stupide et le Libertin irréligieux. Des centaines de livres, qui ont rempli des centaines de bibliothèques, ont été écrits là-dessus, sans que cela fasse réellement avancer les choses et mette tout le monde d’accord.

La formule andersonienne était la Sagesse même et le Bon sens érigé en vertu. Si toutes les Obédiences qui ont traversé les trois siècles écoulés en étaient restées là, nous n’aurions pas connu toutes les divisions, heurts et malheurs que nous avons dû subir. C’est véritablement et seulement à cette aune-là que l’on peut déterminer qui est « Régulier » et qui ne l’est pas. Je suis de ceux qui pensent fortement que le GADLU ne me dérange pas du tout, si on ne le rend pas obligatoire. Que chacun soit libre et les « croyances » seront bien gardées.

Dans Le Régulateur du Rite de Memphis-Misraïm il est dit : « L’Ordre des Rites Unis de Memphis & Misraïm est spiritualiste, ce qui implique la croyance au Grand Architecte de l’Univers, Il n’est lié et ne dépend d’aucune religion particulière, et laisse depuis toujours ses membres dans une pleine et totale liberté de conscience. ». Constatons que la moitié du chemin avait été fait, il faudra sans doute le poursuivre pour affirmer une totale liberté de conscience dans les faits.

Les Rites Égyptiens ont une puissance libératrice dont j’ai essayé de dégager la gangue qui les a parfois englués pour tenter de faire disparaître la volonté initiale d’Émancipation humaine contre tout cléricalisme et dogmatisme.

Beaucoup de choses tournent autour (Égypte oblige) de la question de « l’Être unique » et de ce qu’il faut en comprendre. Ma Loge Bleue L’Homme libre du Grand Orient De France est jumelée avec la Loge Les Amis Philanthropes Henri-Saint Jean N°4 du Grand Orient de Belgique et nous élevons nos Apprentis en commun au Grade de Compagnon, c’est toujours profondément émouvant et puissant. Nous tenons notre Chantier de Compagnons dans le magnifique Grand Temple Égyptien de la rue du Persil à Bruxelles.

Dans ce Temple, il y a un cartouche sur lequel est inscrit la formule : « L’Être Unique a plus d‘un nom ». Ce qui est la reprise d’une citation d’Aristote : « L’Être unique est polyonyme, les Sages donnent à l’Être Unique des noms divers ». On voit bien que souvent sous un même nom se cachent bien des choses différentes et il est bien qu’il en soit ainsi. On sait qu’un symbole, à la différence d’un signe, a plusieurs acceptions selon celui ou celle qui le regarde et l’analyse.

En lisant les ouvrages nécessaires à mon travail pour Un autre regard sur les Rites Égyptiens, et notamment sur les Rituels égyptiens, on voit que cette conception de la diversité d’appréhensions n’est nullement une litote. J’y ai appris beaucoup de choses. Je vais vous en livrer deux comme une mise en bouche pour vous donner l’envie d’en savoir plus en les lisant.

@Au moment de la cérémonie d’exaltation qui fait revivre la mort brutale d’Hiram, lors d’un voyage, le prétendant au Grade fait trois pas, comme au Grade d’Apprenti pour lui rappeler son Initiation. L’explication égyptienne est que ces trois pas sont le rappel du Très-Pas d’Hiram, il faut faire mourir le « vieil homme » en nous pour que naisse l’Initié.

@Une autre explication est donnée sur le Mot sacré de Maître : « Les significations qui lui sont attribuées habituellement sont diverses. Si on l’interprète d’après l’Hébreu, tout comme les autres mots de nos Rituels, M.·.B.·. a le sens de «Poseur de Pierres polies» et, par extension, de « Constructeur, ou Ordonnateur ». Le mot B.·. signifie : « Chef des Constructeurs, ou Architecte ». On peut en déduire que les deux versions tendent à la même signification. D’après la légende du Grade, il avait été convenu que le premier mot qui aurait échappé en découvrant le cadavre d’Hiram : « C’EST L’ARCHITECTE ! », serait adopté comme Mot Sacré, substitué au Mot véritable, connu d’Hiram et perdu avec lui. »

On le voit, il n’y a pas que la chair qui quitte les os, le sens des mots quitte aussi parfois le son des mots. Je trouve que ces deux exemples prêtent à la réflexion pour celles et ceux que cela intéresse.

Nous espérons que ce Supplément vous intéressera et qu’il ouvrira d’autres portes pour vous.

Si vous voulez le recevoir directement par internet sans passer par une diffusion dans votre Atelier…

…il vous suffit de le demander en écrivant à : c.eyschen-VP@fnlp.fr

Pour conclure et pour souhaiter le meilleur pour les Rites Égyptiens, je citerai l’Acclamation Ecossaise : Vivat ! Vivat ! Semper Vivat ! (Qu’il vive… Qu’il vive toujours !).

Christian Eyschen

Memphis-Misraïm

Avant-propos

Avant d’aborder notre sujet de plein pied et afin d’en saisir pleinement sa quintessence, il nous faut passer tout d’abord par ce que la Franc-Maçonnerie nomme le dépouillement des métaux. Pour cela, posons un instant aux portes de ce livre nos croyances, nos certitudes, nos préjugés et pour un bref instant, imaginons-nous remonter le cours du temps, à l’origine de l’humanité, sur le continent africain à l’époque où nous n’étions encore que des primates à peine séparés de la lignée des chimpanzés en donnant naissance à celle des hominidés. Nous sommes, allez, à environ deux millions d’années nous sommes des Australopithèques (de Malapa) au milieu de la brousse sous le soleil d’Afrique. Regardons cette boule qui chauffe, qui brûle parfois ou qui assèche les cours d’eau.

Au loin des drôles de formes noires (pourquoi tout ce sombre au milieu de cette masse bizarre qui grossit et qui semble mettre le ciel en colère) Et puis, tout se met à bouger et, une force invisible semble se déchaîner : le vent, l’AIR Et puis, un trait brillant violent suivi d’un bruit assourdissant qui fait peur : La foudre. Puis un autre éclair jaillit et encore un autre et un plus grand qui tombe du ciel et brise en deux un arbre d’où jaillit un étrange ballet de volutes jaunes et rouges chaudes et …qui brûle : Le FEU. Et puis, le ciel semble fondre en milliers de gouttes : la pluie. Qui fait tout cela ? Le tableau est impressionnant merveilleux et effrayant à la fois. Et si nous pouvions le reproduire nous-mêmes ce phénomène, cela pourrait peut-être nous servir. Mais comment ? Comment élucider ce mystère du feu, cela fait trop peur. Alors Comment prolonger la main ? Plus tard, Australopithèques et devenus homo habilis, nous avons trouvé une solution, du moins pour la main : de simples cailloux fracassés les uns contre les autres. La taille est simple et quasiment sans retouche. Mais cela aide.

Puis encore plus tard nous sommes devenus Homo erectus qui comme son nom l’indique, se tient debout. Nous avons une capacité crânienne plus développée qui nous permet de fabriquer les premiers vrais outils. Nous nous sommes affranchis de notre peur naturelle du feu et nous avons pu le domestiquer. Puis encore plus tard, devenus Homo sapiens, nous inventons l’art, la gravure, la sculpture. Nous inventons l’aiguille qui permet la couture. Parois, outils, armes, tous les supports sont bons pour représenter graphiquement notre environnement. Nous enterrons nos morts avec soin et selon un certain cérémonial (colliers, objets divers). Nous commençons à vouloir comprendre tout ce qui nous entoure. Nos sens se développent de plus en plus et quand nous levons la tête, un monde inconnu nous apparaît et il émerveille… Pourquoi, tous ces points lumineux dans le ciel ? Sont-ce d’autres feux allumés par d’autres êtres comme nous ? Et cette boule de feu qui semble tout puissant le jour et qui disparaît la nuit ? Commence alors la quête du savoir et au-delà …celle de la connaissance.

PRÉFACE

Dans le Théétète de Platon (155d) souvent cité, il est dit que l’émerveillement est le commencement de la philosophie. On pourrait dire que l’émerveillement est le commencement de l’initiation maçonnique. Et c’est dans le livre de la Métaphysique1 qu’on trouve exprimée la célèbre idée selon laquelle à l’origine comme aujourd’hui, c’est l’étonnement et l’admiration qui conduisirent les hommes à la quête de la connaissance.

L’initié est donc celui qui, comme l’enfant aux premiers jours, (ou comme l’humanité à ses premiers jours) s’étonne et s’émerveille des phénomènes qui l’entourent ; et que ce qui est soit, et qu’il soit tel.

« La vie est la chute d’un corps », disait Paul Valéry. Et à mesure que nous tombons, nous cessons de susciter l’émerveillement. On s’émerveille d’autant moins que pour être capable d’un tel sentiment, il faut soi-même échapper à la pesanteur. L’émerveillement est un sourire de l’esprit qui s’élève dans un être fait à l’esprit qui règne dans un autre être. Pour paraphraser Marcel Maus, c’est un don pour le don.

Et parmi les sciences, sont particulièrement philosophiques celles que l’on recherche pour elles-mêmes et non pour un quelconque avantage matériel. Tel est la quête de l’initié. Telle devrait être la quête de tous maçons de tous le rites.

Surgit alors en contre point, le verso de cette belle approche, son contraire qui peut s’amplifier à l’excès avec les degrés et les grades, et plus ceux-ci sont nombreux, plus le risque est grand et plus la hiérarchie est verticale et plus la tentation est forte : Une notion permet de l’appréhender au plus juste, celle que l’on retrouve en psychanalyse chez Freud : L’Idéal du Moi.

L’Idéal du Moi (allemand : Ichideal). Cette notion désigne les valeurs positives auxquelles aspire le sujet, il est lié au narcissisme (Freud 1914) et à la seconde topique freudienne. Le Moi idéal (allemand : Idealich) désigne une instance reposant sur un idéal de toute-puissance infantile fondée sur le narcissisme infantile. L’Idéal du Moi est une instance du discours. L’Idéal du Moi est lié au stade du miroir (le cabinet de réflexion). Le moi idéal se rapporte au sujet se percevant comme idéalisé. N’est-ce pas aussi ce qui se produit en loge et qui vient parasiter parfois la démarche de l’initié ? N’est-ce pas également la raison des egos de certains hauts dignitaires qui finissent par prendre les sautoirs et les charges et les confondre avec la réalisation de soi et l’illusion d’un MOI idéalisé ? Au vu de l’histoire de ce Rite (qui ne compte pas moins de 95 degrés), la question reste entière.

Gageons cependant que l’émerveillement reste l’un des principaux ressort qui sous-tend la quête de l’initié comme l’exprimait l’architecte André Bruyère attaché à l’expression de la sensualité et à la quête d’un certain merveilleux dans son œuvre. Voilà ce qu’il écrivait dans son livre, le voyage en Egypte : « J’ai le vertige à bien regarder la pyramide. Au fur et à mesure de la progression, vers le sommet, les assises diminuent de hauteur et, par définition, de largeur. L’accélération évidente de la perspective fait basculer le cerveau, qui regarde plus vite qu’il ne comprend. L’émerveillement, c’est peut-être ça : avoir devant soi plus à aimer qu’à comprendre… »

INTRODUCTION

Le rite de MM fait l’objet de beaucoup de mystère. Mal connu par ceux qui le pratiquent, décrié par ceux qui le regardent comme un « ovni », pourchassé dans son histoire la plus ancienne, infiltré pour celle plus récente.

Ce qui est sûr c’est qu’au cours des siècles et encore aujourd’hui, ce rite maçonnique fait l’objet de toutes les controverses mais aussi de tous les fantasmes et de toutes les convoitises. Alors qu’en est-il réellement ?

La littérature sur ce rite est peu prolixe et malheureusement leurs auteurs sont loin d’être objectifs et, pour certains pas toujours recommandables. Engagés dans des courants de pensées ou politiques parfois plus que douteux (intégristes religieux, extrémistes plutôt versés à l’extrême-droite, voir au-delà). Quoiqu’il en soit, presque tous s’inscrivent cependant, dans une volonté d’idéaliser (au sens premier du terme) le Rite. Ce sont bien souvent des penseurs « réalistes » qui à l’inverse de ce que l’on pourrait entendre sous ce terme, pensent que seules les idées sont réelles et qui attribuent aux idées-formes une réalité indépendante de la réalité elle-même. Platon en est l’un des pères fondateurs, et tous les courants chrétiens vont s’y engouffrer allègrement et pour cause, il est plus facile de courir après une idée que de regarder le monde tel qu’il est2. Ce détail peut paraître anodin, mais nous verrons plus tard qu’il a son importance dans la compréhension de l’histoire du rite comme il l’est également dans celle de l’Occident.

Pour l’appréhender dans toutes ses ramifications et ses composantes, il faut d’abord, en préambule, que je me présente et dire ce qui m’autorise à parler du Rite dans les termes qui vont suivre3. Je me permets donc, d’indiquer ici mon parcours maçonnique, non pas par orgueil déplacé (mon métier m’offrant suffisamment d’espace pour assouvir mon ego) mais bien plutôt persuadé que notre histoire de vie, à l’instar des « réalistes » construit ce que nous sommes et produit ce que nous pensons.

Voilà pourquoi, me rappelant toujours la porte basse par laquelle j’ai pénétré dans le temple pour la première fois, je propose que nous pensions ensemble l’histoire de Memphis Misraïm à hauteur d’homme, bien loin des brumes souvent fumeuses du mysticisme et de l’occultisme fascisant (qui n’a rien à voir avec l’ésotérisme et encore moins avec l’hermétisme), mais également bien loin des thèses universitaires et froides qui ont transformé nos Rites en pensée vulgaire, grossière, réservée uniquement au monde profane friand de fantastique au rabais.

Je fus initié au Rite Écossais Ancien et Accepté en 1985 au Droit Humain à Paris. J’y fus Vénérable Maître de la loge « Art et Pensée » et plus jeune vénérable de France du Droit Humain.

J’ai découvert Memphis Misraïm en 1988 pour la célébration de son bicentenaire en présence de Robert Ambelain, pour lequel j’ai créé, à la demande de l’Ordre, un spectacle sur Cagliostro, personnage multi-facettes dont nous serons amenés à reparler plus tard.

La même année, je me suis affilié à la Loge N°1 Hermes (loge mère de l’Ordre à l’époque et atelier en autre de Robert Ambelain, Gérard Kloppel et de nombreux dignitaires de l’Ordre). J’y occupe par la suite de nombreux postes d’Officiers, puis, plus tard, je suis élu à plusieurs reprises à la charge de Vénérable Maître de nombreux ateliers.

Je rentre au Conseil de l’Ordre où j’y occupe de nombreuses charges de Grands Officiers jusqu’à celle de Grand Maître Adjoint. Je suis élu Grand Maître de l’Ordre en 1999. Je crée également au sein de l’Ordre la première Commission historique du Rite que je préside durant plus de trois ans.

A l’origine, avec un certain nombre de mes FF et SS et suite aux bouleversements que va rencontrer le Rite dans les années 2000, je travaille en tant que Grand Maître de la Grande Loge Mixte de Memphis Misraïm avec le Grand Orient De France pour que le Rite puisse retrouver un peu de son axe historique et un peu de sérénité.

Je suis entré en 2002 au Grand Orient de France un 1er mai, un bien joli symbole, avec la loge « les 4 sergents de la Rochelle » travaillant au rite de Memphis Misraïm. Je maçonne également dans les hauts grades ayant reçu jusqu’au 12° du REAA au Droit Humain et ayant reçu tous les degrés de Memphis Misraïm jusqu’au 95° et 96° et 97° (Grand Maître Général de France et de ses dépendances) et 98° Substitut Grand Maître Général.

Je fus initié également au degré de Royal Arch par le 20° de MM, à tous les degrés du Rite Ecossais Rectifié (jusqu’aux classes secrètes), initié également au sein de l’Ordre des Elus Cohen de l’Univers de Martinez de Pasqually. Je rentre au Suprême Conseil de l’Ordre Martiniste lié au Rite de MM : l’Ordre Martiniste Initiatique Réformé (l’OMIR), puis à l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix (OKRC) puis au R+C d’Orient (Ordre Hermétique de la Rose-Croix). Et pour « la petite histoire », je suis ordonné prêtre au sein de l’Église Gnostique4. Puis fait évêque Templier au sein de l’ORUMM.

Je travaille La Pierre sur les voies de l’Oeuvre alchimique opérative, aussi bien sur la Pierre végétale de Paracelse que sur la voie sèche par le 28e degré de MM qui est une passerelle directe avec les FARC (Frères Ainés de la Rose Croix).

Ce sont toutes ces expériences, diverses et parfois antagonistes, mais toujours vécues pleinement, qui me portent à croire que le rite de Memphis Misraïm est avant tout une voie initiatique empirique, c’est à dire qui place au cœur même de son système, l’accès à la connaissance de toutes choses par l’expérience. Véritable expérience existentielle.

Cette voie est également poétique, dans son sens étymologique5 et qui peut se lire également comme la possibilité offerte de pouvoir créer le monde à partir du réel. Elle est également spiritualiste dans le sens premier du terme, d’une spiritualité qui s’inscrit dans la quête d’un retour au cosmos, étymologiquement : Ordre du monde. Spiritualité transcendantale et non transcendante, de celle que prône les religions.

Nominaliste (seul le réel peut donner un sens au réel) parfois teinté de chamanisme, nomade, le Rite de Memphis Misraïm s’oppose par-là, à la sédentarisation qu’elle soit réelle ou d’esprit, et donc se place dans le courant des traditions orales, à l’opposé de celle du Livre, c’est à dire donnant priorité à la vie plutôt qu’au « savoir par procuration » et de ce fait résolument païen de par son origine et par son attachement au cosmos.

Constitution du rite de Memphis Misraïm.

Origine et Histoire des rites dits égyptiens.

Si l’on fait abstraction du mythe maçonnique qui fait remonter l’origine de cette dernière à Adam et Eve et de ceux du Rite de Memphis Misraïm à de mystérieux mages en lien avec l’Agartha6, l’origine plus sérieuse des rites maçonniques dits « égyptiens » remonte, toutefois à une période bien lointaine. Ces rites ont revendiqué une première filiation, venant d’un Rite Primitif qui aurait été pratiqué à Paris en 1721. D’autres supposent qu’il s’agirait des Frères de la Rose Croix d’Or ou Frères Initiés d’Asie où ces mêmes études étaient à l’honneur et qui fusionnèrent avec quelques loges allemandes pour devenir les Vrais et Anciens Maçons Rectifiés ; c’est sur ces derniers que le baron d’Eckhoffen se serait appuyé pour constituer son Ordre des Architectes Africains (le mot africain étant pris dans le sens d’Égyptien)7.

Toutefois aucun document n’atteste l’hypothèse de l’origine et de cette fusion car il paraît peu probable que des courants dits « chrétiens » fusionnent alors avec des courants considérés comme « néopaïens », mais l’a encore, rien n’a été historiquement démontré car les frontières demeurent bien floues. Et là encore, nous verrons plus tard que des alliances que l’on ne pouvait deviner se sont nouées au cours des siècles.

Ce qui est plus sûr c’est que ces rites s’inspiraient de ce que l’on appelait la « tradition égyptienne », et consistaient en une association de traditions et de textes, tels qu’ils étaient compris à cette époque. C’est le cas par exemple du « Séthos » de l’Abbé Jean Terrasson (1731), l’ « Oedipus aegyptiacus » d’Athanasius Kircher (1652) et du «Monde primitif » d’Antoine Court de Gébelin (1773). La Kabbale judéo-chrétienne, l’hermétisme néo-platonicien, l’ésotérisme, les traditions chevaleresques et autres trouvaient également là une source naturelle d’expression. C’est ainsi que Joseph Balsamo dit le comte de Cagliostro, qualifia le rite qu’il constitua dans les années 1780 de « Rite de la Haute Maçonnerie Egyptienne ». Arrêtons-nous un instant sur cette figure emblématique de la naissance des rites égyptiens, et qui fut en son temps, lui aussi, très controversé.

Cagliostro

Il y aurait à dire sur ce personnage qui fonda à Lyon en 1785 la loge égyptienne, « la parfaite harmonie ». Retenons de lui, que, loin d’être le charlatan qu’on imagine, Cagliostro participa activement à la chute de Marie Antoinette qui précipita l’avènement de la Révolution Française8. Il fut enfin le dernier prisonnier de l’Inquisition et disparut dans les geôles de la Prison San Léo à Rome en 1795. Dans sa « Lettre aux Français » écrite en exil à Londres en 1786, il écrit :

« Quelqu’un me demandait si je retournerai en France, dans le cas où les défenses qui m’en écartent seraient levées. Assurément, ai-je répondu, pourvu que la Bastille soit devenue une promenade publique. ».

Une belle réflexion prémonitoire. Et plus loin, il ajoute :

« Français, changez d’opinion enfin et méritez la liberté par la raison. Il est digne de vos parlements de travailler à cette heureuse révolution… ».

Nous sommes loin de l’image sulfureuse fabriquée autour ce personnage qui fut membre également des « Illuminés de Bavière »9 du Fameux Baron de Hund (l’équivalent aujourd’hui d’une Bande à Baader, version maçonnique). Le Cardinal de Rohan lui-même et qui fut impliqué au premier chef dans l’affaire du collier de la Reine, appartenait, lui, aux Philadelphes (nous en parlerons plus loin). Étranges coïncidences qui pourraient faire de cette affaire, si l’on y regarde de plus près, un véritable complot ourdi en grande partie par des maçons et digne de l’application pratique du rituel du 30° du rite de Memphis Misraïm et du REAA. Mais attention à ne pas glisser dans la théorie du même nom. Opportunité, coïncidence, occurrence, autant de possible dont l’Histoire est friande et qui discréditent ces théories du complot si simplistes qui ne servent qu’à trouver un bouc émissaire à nos propres malheurs. Lorsqu’après la pluie on constate un nombre important de grenouilles, cela ne veut pas dire qu’il pleut des grenouilles !

Naissance d’un Rite

Le Rite de Memphis-Misraïm, comme on peut déjà le constater hérite, au cours des siècles, de traditions bien curieuses, antérieures à la maçonnerie du XVIIIe siècle, dont il va, petit à petit, « syncrétiser » les principes, la force morale, la discipline et les enseignements.

Par ailleurs, il s‘inspirera dans ses formes et son organisation, en grande partie, de la Maçonnerie des Philalètes de Paris, fondé en I772 par Savalette de LANGES, des Frères Architectes Africains de Bordeaux, de l’Académie des Vrais Maçons de Montpellier, du Rite de Pernety des Illuminés d’Avignon (branche française des fameux Illuminés de Bavière), des courants Rose-Croix (R+C) d’Orient, et, en premier lieu du Rite Primitif des Philadelphes de Narbonne (1779) que nous avons évoqué plus haut et dont le Cardinal de Rohan était membre. Arrêtons-nous un instant plus particulièrement sur la fondation de ce rite.

Le Rite des Philadelphes de Narbonne

« Je suis Homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger »

*(Préambule des principes du Rite de Narbonne).

Ce rite des Philadelphes est d’abord une affaire de famille10. A l’origine, un père, ses six fils, cinq officiers et un prêtre. Ils en seront les premiers membres fondateurs. Les tenues se déroulent tout simplement à la maison (Le martinisme11 conservera encore de nos jours, cette pratique). Les Frères contractent le devoir de « sauver leurs fils, leurs neveux, leurs parents ».12

Le fondateur reconnu du Rite de Narbonne, le marquis François-Marie de Chefdebien, est né à Narbonne le 15 avril 1753, sous le règne de Louis XV. Sa famille était installée dans le Midi depuis le treizième siècle. Son père, officier du régiment de Piémont-Infanterie fut fait prisonnier au cours de la guerre de Sept Ans et devint franc-maçon au cours de sa captivité en Allemagne, dans un pays en pleine effervescence rosicrucienne13.

Nous connaissons peu la jeunesse du marquis. Au hasard d’une lettre de son père nous apprenons « qu’il n’était que lieutenant en 1776 ». Deux ans plus tard son père sollicite pour lui une bourse pour l’École Militaire. Mais cette même année, surprise, le jeune marquis prend la parole au Convent des Gaules qui s’est tenu à Lyon du 25 au 28 décembre 1778, à l’initiative des maçons français affiliés à la Stricte Observance, mais désireux d’acquérir leur autonomie par rapport à cet Ordre. Cette prise de parole montre que François-Marie était alors un maçon d’une certaine envergure. Avait-il été initié dans son régiment qui servait en Corse ?

On peut le supposer. Le 29 février de l’année 1778, il fait état de lettres patentes accordées à trois de ses amis pour l’ouverture d’une loge des Hauts Grades, qui devint bientôt le « Chapitre de l’Amitié à l’Épreuve ». Dans ces lettres, il se désigne comme « Grand Inspecteur, Inquisiteur Général des Travaux du Premier, Second et Troisième Temple de Jérusalem ». Mais de quel rite ? Mystère. Il est fort probable qu’il faut y voir là, la présence des Chevaliers de Palestine et l’influence des degrés des R+C d’Orient.

En 1778, le Convent des Gaules parvint à rompre avec la tradition templière dont se prévalait la Stricte Observance ; Chefdebien, cependant, resta fidèle à l’Ordre du Temple, qui lui, se démarque curieusement d’un christianisme à outrance (d’où sa chute). Toute sa vie, il chérira le titre de « Chevalier à la Tête Casquée » conféré au 6ème grade de la Stricte Observance, selon le rituel d’adoubement des chevaliers du Moyen Age. Faut-il y voir l’attachement à la chevalerie de mérite qui fut remplacé à partir de 1552 par une chevalerie de quartier (donc réservée à la caste aristocratique et fermée à tout jamais, au plus valeureux, quelles que soient leurs conditions sociales) ? Cet épisode de notre histoire reste très important pour comprendre pourquoi un certain nombre de valeurs chevaleresques furent transmises à la maçonnerie par ces chevaliers de mérites, gentiment « licenciés » car par trop roturiers. Ceux-ci furent nombreux à transmettre cette chevalerie de mérite dans les divers courants des sociétés secrètes de l’époque.

Nature du Rite des Philadelphes

Le rite a pour adage : « je suis Homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger », ce qui, et cela est à souligner, dans un siècle ou la religion est liée au pouvoir monarchique et prône la transcendance absolue, tend déjà à reconnaître que l’homme s’inscrit dans un tout cosmique et qu’aucune chose ne doit rester dans l’ignorance ou plus symboliquement dans l’ombre. En effet connaître au regard de sa propre expérience existentielle, c’est construire un savoir populaire qui passe par le vivant et non par le « livresque ». Le livre, par divers aspects peut devenir religion. C’est d’ailleurs ce que prôneront les trois grandes religions monothéistes qui se décrivent elles-mêmes comme la « religion du Livre ». Leurs prêtres s’érigeant comme intermédiaires incontournables entre les hommes et Dieu, ou le divin. En maçonnerie, c’est tout l’inverse. Il est même fort intéressant de retrouver dans certaines loges, la pratique du livre blanc. Pages vierges. Seul son rapport au monde va remplir les pages de notre livre. Ce qui rend la maçonnerie de Memphis Misraïm profondément non-cléricale (et non pas forcément anticléricale) de nature.

Poursuivons : En dehors de l’humain14, rien n’est étranger, ce qui signifie qu’il n’y a pas de rapport de transcendance mais d’immanence, nous sommes là en présence d’une affirmation qui démontre bien l’aspect moniste du rite : un seul monde, celui du vivant, une seule âme matérielle et commune aux trois règnes. En cela le rite se révèle presque animiste et détache discrètement mais sûrement avec le christianisme imposé par l’Église romaine qui affirme le contraire. Cette déclaration d’intention tend à faire de tous les Hommes un peuple de Frères intimement lié au vivant, constituant précisément une prétention à l’internationalisme et à l’universalisme, l’invitant à retrouver sa place au sein du cosmos, place perdue depuis la mainmise des Églises sur l’État et de la civilisation du profit.

En 1790 la Loge des Philadelphes fit imprimer une brochure intitulée « Notion générale sur le caractère et l’objet du Rite primitif », et l’on y trouve de précieux renseignements. Le Rite (ou Rit) est un syncrétisme des cinq sciences mères15 empruntées à Martinès de Pasqually, en particulier à la Réintégration de l’Homme spirituel dans son essence originelle, (théorie qui sera déformée par la suite par certains ésotéristes à tendances chrétiennes pour la faire coïncider avec leur doxa alors que Martinez de Pasqually est juif et s’inscrit beaucoup plus dans les mouvances kabbalistes et théurgiques juives qui restent parfaitement vitalistes à la source et monistes16).

Le Rite Primitif fut pratiqué jusqu’en 1790-91. Dans la nuit du 5 au 6 août 1792, des effractions causèrent la perte des titres, registres et cartons. Les Frères décidèrent alors de supprimer les Tenues, de suspendre les admissions, de ne se réunir que par petits groupes et surtout de ne plus tenir de registres. En avril 1805, ils sollicitent du Grand Orient de France des lettres d’agrégation. Des difficultés surgissent alors quand il leur faut produire les actes constitutifs du Rite. Comme par miracle, ces documents sont « miraculeusement retrouvés par un profane » et l’affiliation est accordée le 27 septembre 1806.

Quoiqu’il en soit, le Rite ne tarda pas à s’éteindre… Mais, en avril 1815, à Montauban, une sorte de renaissance a lieu qui donnera bientôt naissance au Rite de Memphis. Le phénix renaissait de ses cendres.

Les origines de Memphis

Son origine, la plus ancienne est probablement, (au-delà du mythe fondateur crée par Marconis de Negre et qui fait remonter son origine aux Templiers qui auraient eux-mêmes reçu une filiation remontant jusqu’à un sage d’Egypte converti par Saint Marc), son origine historique passe, elle, par la fondation, au Caire, de la Loge Isis, en 1798, qui comptait parmi ses membres des savants et des officiers français ainsi que des notables égyptiens initiés aux mystères des Pyramides. Plusieurs auteurs pensent que Napoléon Bonaparte s’y est fait initier par Kléber, d’autres affirment qu’il fut l’un des membres fondateurs. Une autre thèse veut qu’il fût initié à Valette à Malte, ce qui paraît improbable quand on connaît la dérive que représente l’Ordre de Malte17. Quoiqu’il en soit, rien jusqu’à présent, ne vient étayer toutes ces hypothèses.

Ce qui est plus sûr, c’est que Le Rite primitif de Narbonne avait, en 1798, été importé en Égypte par ces officiers de l’armée de Bonaparte, qui avaient installé cette Loge Isis au Caire. Ces FF, appartenaient aux divers courants initiatiques dont le Rite des Philadelphes. Ils sont entrés en contact avec les FF de la Grande Loge d’Égypte, descendants des R+C de la période constantinienne18. Ils furent également en contact avec des initiés du Soufisme et des Collèges initiatiques Druzes du Liban. Ils décidèrent de renoncer à la filiation de la Grande Loge d’Angleterre et de créer un nouveau Rite. Ainsi naquit plus tard, la Loge « Les Disciples de Memphis », suivant la tradition du Rite de Narbonne.

Les FF, de retour en France, rapportèrent dans leur bagage cette loge et, avec elle, les sciences et sagesses qu’ils avaient acquises. C’est dans cette Loge que fut initié Samuel Honis, lequel, venu en France en 1814, établit à Montauban, en 1815, une Grande Loge19 sous le nom Les Disciples de Memphis, avec l’assistance de Gabriel Marconis de Nègre, du baron Dumas, du marquis de la Roque, de J. Petit et Hippolyte Labrunie, anciens frères du Rite. Le Grand Maître était Marconis de Nègre lui-même. À la suite d’intrigues, cette Grande Loge fut mise en sommeil le 7 mars 1816. Les travaux furent repris en 1826 par une partie de ses membres, mais sous l’autorité du Grand Orient de France.

Mais tel le phénix, le rite de Memphis va renaître plusieurs fois de ses cendres.

Toutefois le 15 Juin 184I fut une date néfaste pour l’Ordre. En effet, à la suite de diverses intrigues fomentées par des adversaires du Rite, une interdiction est promulguée par le Préfet de Police de Paris sans aucun motif valable.

Au début de l’année 1842, sept frères constituèrent un Temple Mystique pour la garde des Archives et la propagation du Rite à l’étranger. Le gouvernement de l’Ordre se met toutefois en sommeil. Ce sommeil va durer encore sept ans.

Le 5 Mars 1848, le Rite de Memphis reçut une autorisation de réouverture et le 25 Mars, les loges furent réveillées par Marconis de Nègre. Trois Loges, un Chapitre et un Conseil reprennent force et vigueur. En 1849, le Rite est introduit dans divers pays. A la suite des accusations dirigées, au cours de l’année 1850, contre la Maçonnerie en général, l’autorisation de se réunir est retirée aux Loges de Memphis le 23 Décembre de la même année.

En 1851, le Rite de Memphis sur l’initiative de Marconis de Nègre, ouvre plusieurs Ateliers à l’étranger ; il établit à Londres la Grande Loge. C’est dans une des trois loges « Les Philadelphes » que vont se retrouver de nombreux proscrits du coup d’Etat du Prince-Président Louis-Napoléon Bonaparte. Parmi les membres de cet Atelier, on trouve les noms de Garibaldi, Auguste Blanqui, Alfred Talandier, Louis Blanc …

En 1856, Marconis de Nègre se rend aux Etats-Unis où il établit le 9 Novembre, à New-York, un souverain Grand Conseil avec David Mac Lellan. En 18861 c’est Harry Seymour qui lui succédera comme Grand Maître du Souverain Conseil Général des Etats-Unis. Durant cette période, de nombreux Souverains Sanctuaire verront le jour : Égypte, Australie…

En 1862, le Maréchal MAGNAN, Grand Maître du Grand Orient de France, d’accord avec le Conseil de l’Ordre, adresse à toutes les autres Obédiences une circulaire en vue de l’unité maçonnique en France et à se ranger sous la bannière de Napoléon III. Le Rite de Memphis s’unit au Grand Orient de France qui l’admet dans son Grand Collège des Rites et des loges de Memphis sont constituées sous le contrôle du Grand Orient. Seul Misraïm refusera cette allégeance.

La même année, le Souverain Sanctuaire du Rite de Memphis consacre comme Grand Hiérophante Harry Seymour.

En Juin 1863, le Grand Hiérophante Seymour établit définitivement son Souverain Sanctuaire des États-Unis.

En 1869, après la Mort de Marconis de Nègre, le Gouvernement Suprême du Rite se déplace en Egypte avec le Marquis de Beauregard comme Chef du Rite. La même année, Gustave Naquet, rédacteur en chef du Journal « Le Peuple » est initié à Londres au Rite de Memphis dans la Loge « Proscrits », nom de loge qui en dit long sur les orientations du Rite.

En 1876, le Grand Orient National d’Egypte (Rite de Memphis) confère le 25 Octobre à l’Illustre Frère Garibaldi, les grades de 95ème et 96ème avec le titre de Grand Maître ad Vitam.

Garibaldi qui, nous le verrons plus tard, va jouer un rôle important dans l’histoire des deux rites.

En attendant tel est, très brièvement survolé, l’origine et la constitution du Rite ancien et primitif de Memphis, auquel est venue s’adjoindre, par la suite, le Rite de Misraïm 20.

Les origines de Misraïm

La première loge française de Misraïm21 qui apparaît historiquement dans l’histoire, fut fondée en 1814-1815 à Paris par les trois frères Marc, Michel et Joseph Bédarride. Cadres moyens de l’armée impériale en Italie, ils ramenèrent ce rite de Naples. Dans l’état actuel des recherches historiques, il semble que ce rite ait puisé ses premières racines en Italie, peut-être à partir d’une patente délivrée par Cagliostro lui-même, avant de commencer son développement dans les loges franco-italiennes du Royaume de Naples. Il est plus probable que le rite ait puisé ses sources dans les milieux maçonniques du Comtat Venaissin, milieux férus de « sciences spirituelles »22 et dans lequel le père des frères Bédarride aurait été initié vers 1771-1773.

Ce qui semble certain c’est que le système et les chartes des frères Bédarride ont convaincu divers maçons, dont Thory et le Comte Muraire, qui les mirent alors en relation avec d’autres maçons des rites écossais (RER et REAA).

Plusieurs autres loges furent créées, mais les frères Bédarride, réduits au chômage avec la fin de l’Empire et n’ayant pu réussir à se reconvertir dans la parfumerie, commencèrent à vivre exclusivement de la diffusion de leur rite, ce qui poussa quelques frères à s’en retirer et à demander en 1816, sans succès, leur admission au sein du « Grand Consistoire » du Grand Orient de France.

Le rite de Misraïm poursuivra son destin avec des hauts et des bas jusqu’en 1822, date à laquelle, ayant abrité de très nombreux réseaux politiques, bonapartistes, révolutionnaires et républicains23, il fut interdit par la police de la Restauration. Celle-ci ferma la dizaine de loges qui le composaient et confisqua une grande partie de ses archives. En 1831, le rite obtint toutefois, à la suite de la Révolution de 1830, le droit de se reconstituer, mais seules quatre loges parisiennes y parvinrent à cette époque ; elles restaient toutefois, un terreau privilégié pour tous les révolutionnaires.

Le Frère Morrison (1780-1849) jouera un rôle important dans l’histoire de ce rite. Originaire d’Écosse, ancien médecin militaire des armées britanniques pendant les guerres napoléoniennes, passionné par les hauts grades maçonniques, Morrison fut dignitaire de tous les systèmes de hauts grades existant à l’époque à Paris et contribua à la reconstitution du rite. Il n’y a pas de hasard, il s’était établit à Paris en 1822 ; la même année où les sergents de la Rochelle (tous misraïmites et carbonaristes) furent guillotinés. Toutefois, arrêtons-nous un instant sur l’histoire des sergents de la Rochelle.

Les quatre sergents de la Rochelle.

Dès 1821, sous la Restauration, le 45e régiment d’infanterie, en garnison à Paris inquiète les autorités militaires et civiles à cause de son mauvais esprit. En particulier, les soldats refusent de crier « Vive le Roi ». Aussi, afin de couper le régiment « des mauvaises influences politiques » (leur caserne se situant en plein quartier latin à Paris, là où les étudiants entretiennent déjà, à cette époque, la contestation), il est transféré à la Rochelle en janvier 1822.

Comme nombre de militaires hostiles à la Restauration monarchique imposée par l’ennemi vainqueur, quatre jeunes sergents nommés Jean François Bories, Jean-Joseph Pommier, Marius-Claude Raoulx et Charles Goubin, âgés respectivement de 26, 25, 24 et 20 ans, ont fondé dans leur unité une Vente (l’équivalent d’une loge) de Carbonari24, en lien avec une loge de Misraïm.

À La Rochelle comme dans la capitale, les conspirateurs entendent bien poursuivre leur action clandestine. Mais quelque peu imprudents par leurs propos, les quatre compagnons sont dénoncés. Ils sont traduits en justice avec une vingtaine de complices, mais comme ils ont fait solennellement serment de silence, lors de leur adhésion, les principaux accusés refusent de dénoncer leurs chefs, malgré les pressions et les promesses de grâce. Ils paient donc pour ces derniers, au premier rang desquels figure un F de renom : le marquis de La Fayette.

Accusés de complot, ils sont traduits devant la cour d’assises de la Seine, condamnés à mort et guillotinés le 21 septembre 1822 en place de Grève à Paris.

Revenons à Misraïm.

C’est le 18 Janvier 1823, que sur la référence à des documents violemment anticléricaux de sa Loge de Montpellier découverts au cours d’une perquisition chez le F Vernhes, que le tribunal de police correctionnelle ordonne la dissolution en France de l’Ordre de Misraïm. Certes, ses membres vont continuer à travailler clandestinement, mais cette mesure en leur interdisant toute activité légale, va paralyser pendant une longue période, le développement du Rite.

Entre les années 1848 et 1862, le rite traversa une crise importante. Ses positions et le profil de ses membres (pour beaucoup républicains convaincus) déplaisent au pouvoir en place. En 1858, le Grand maître du Grand Orient de France (alors aux ordres du pouvoir impérial) fit savoir que les frères de Misraïm ne pouvaient être reçus en visite dans les loges du Grand Orient de France. En 1862, comme nous l’avons décrit plus haut, Le Maréchal Magnan, alors Grand Maître du Grand Orient de France appelait tous les Maçons à se rassembler sous la bannière impériale de Napoléon III. Misraïm décline de manière nette, l’invitation. En effet, le GODF obtiendra pour toute réponse : « Le Rite de Misraïm tient trop à son indépendance pour reconnaître vos pouvoirs et subir votre domination ; si l’Empereur croit devoir nous supprimer, qu’il le fasse ; mais nous ne nous soumettrons jamais », ce qui valut à Misraïm, à nouveau, les foudres du pouvoir impérial et déboucha sur de nouvelles interdictions.

Michel Bédaride avait transmis avant sa mort, en 1856, la charge de diriger l’ordre à Hayère auquel avait succédé Girault en 1876, Osselin père vers 1884, puis Jules Osselin en 1887. Ce dernier fermera la Grande loge Misraïmite en 1899.

La Fusion de Memphis et Misraïm

Plusieurs frères, parmi lesquels Étienne Marconis de Nègre, fils du Grand Maître des Disciples de Memphis et haut gradé du Rite de Misraïm, eurent l’idée, bien avant la fusion, de réunir les degrés des divers Rites pratiqués jusqu’alors et de les consolider sur les principes adoptés à Montauban.

Ils examinèrent les degrés des divers Rites, les révisèrent et les encadrèrent d’un certain nombre de degrés rassemblant et expliquant la doxa des initiations anciennes, puis ils donnèrent à cette organisation le titre de Rite ancien et primitif de Memphis. Il faudra attendre 1881 et la grande Maîtrise de Joseph Garibaldi pour concrétiser officiellement la réunion des deux rites (Memphis et Misraïm) et non pas sa fusion.Joseph Garibaldi

Garibaldi est la pierre angulaire de l’unification italienne, pour avoir personnellement conduit et combattu dans un grand nombre de campagnes militaires qui ont permis la constitution de l’unité de l’Italie et réduit les Etats pontificaux aux limites du Vatican.

Il est surnommé le « Héros des Deux Mondes » en raison des entreprises militaires qu’il a réalisées aussi bien en Amérique du Sud qu’en Europe, ce qui lui a valu une notoriété considérable tant en Italie qu’à l’étranger. Celle-ci est due à la couverture médiatique internationale exceptionnelle dont il a bénéficié pour l’époque, et qui a relaté, parfois avec romantisme, son épopée. Parmi les plus grands écrivains, beaucoup, notamment français, Victor Hugo, Alexandre Dumas, George Sand lui ont montré leur admiration. Le Royaume-Uni et les États-Unis lui ont été d’une grande aide, lui proposant, dans les circonstances difficiles, leur soutien financier et militaire.

Garibaldi fut Grand Maître de presque toutes les obédiences italiennes. Il fut initié en 1844 dans la loge irrégulière Asilo de la Virtud, de Montevideo, Uruguay, puis le 15 juillet de la même année dans la loge régulière Les Amis de la Patrie du Grand Orient de France. En 1861, après l’élection à l’Assemblée constituante du Grand Orient d’Italie de Turin, le Grand Orient d’Italie lui décerne le titre honorifique de « Premier franc-maçon d’Italie ».

Pour Alessandro Mola professeur d’histoire contemporaine à l’université de Milan et historien de la franc-maçonnerie et du Risorgimento, l’Expédition des Mille menée par Garibaldi aurait bénéficié d’un financement de trois millions de francs et d’une assistance permanente. Ce serait la franc-maçonnerie du Rite écossais qui aurait financé l’opération avec le soutien des États-Unis, alors sans représentation diplomatique, afin d’éliminer le pouvoir temporel du pape. Là encore cela reste des hypothèses qui demandent à être sérieusement étayées.

En 1862, il sera élu Grand maître du suprême conseil écossais de Palerme, le principal concurrent du Grand Orient d’Italie, titulaire en une journée de tous les degrés jusqu’au 33e du rite écossais ancien et accepté, ce qui lui apporte la reconnaissance officielle et le soutien de la maçonnerie américaine. En 1864, il occupera la plus haute charge de l’ordre, celle de Grand Maître du Grand Orient d’Italie.

C’est en 1872, que John Yarker nomme Garibaldi membre honoraire du « Souverain sanctuaire du rite ancien et primitif » pour la Grande-Bretagne et l’Irlande. Un véritable camouflet pour la Grande Loge Unie d’Angleterre.

En 1876, le Grand Orient national d’Égypte, de langue italienne, le fait Grand Maître honoraire.

Et enfin, en 1881, (un an avant sa mort) les rites de Memphis et Misraïm s’unissent et se placent alors sous son égide en lui attribuant le titre de Grand Hiérophante.

Dans son testament symbolique, Garibaldi écrivit : « Je lègue : mon amour pour la Liberté et la Vérité ; ma haine du mensonge et de la tyrannie ».

Fin de Misraïm, naissance de Memphis-Misraïm

En 1889, le Rite de Misraïm placé sous la juridiction française ne comptait plus que trois loges à Paris, huit en province, deux à New-York, une à Buenos-Aires et une à Alexandrie. À celles-ci, il convenait d’ajouter les loges de la juridiction italienne qui était alors indépendante.

Toutefois, la montée en puissance de Memphis et les interdictions répétées que subit le Rite de Misraïm et le rapprochement des deux rites opéré en 1881 et placés dorénavant sur la seule Grande Maîtrise de Garibaldi finit par affaiblir le Rite de Misraïm. Des fusions s’opèrent alors entre le deux rites et c‘est en 1899 que l’on voit apparaitre sur les tableaux de loges des ateliers placés sous l’égide du Rite de Memphis-Misraim. En 1900, les Loges indépendantes du Rite de Misraïm disparaissent les unes après les autres. En 1902, le Rite de Misraïm indépendant disparaît. Les grades s’enchevêtrent désormais les uns avec les autres. La même année le Souverain Sanctuaire d’Angleterre constitue le Souverain Sanctuaire d’Allemagne avec comme Grand Maître : Théodore Reuss.

En Juin 1908, à la suite du Congrès Maçonnique Spiritualiste à Paris, dans le Temple du Droit Humain à Paris, est constitué un Souverain Grand Conseil Général du Rite de Memphis-Misraim pour la France et ses dépendances.

La patente constitutive est délivrée par le Souverain Sanctuaire d’Allemagne, signée et scellée le 24 Juin à Berlin par Théodore Reuss qui assistait au Congrès de Paris. Le Docteur Gérard Encausse (Papus) est nommé Grand Maître et le Docteur Charles Detre (Teder) Grand Maître adjoint. S’ouvre alors une nouvelle histoire : celle de Memphis-Misraïm.

L’Histoire contemporaine de Memphis-Misraïm

L’histoire contemporaine du Rite est encore plus complexe. Cette complexité est due principalement à plusieurs particularités :

– la légitimité maçonnique y est réputée provenir principalement de la transmission de pouvoirs de dirigeant à dirigeant, via des « chartes ».

– les dirigeants étaient, jusqu’à la scission de 1925, tous nommés à vie.

– La pratique du rite ayant toujours été minoritaire dans le paysage de la maçonnerie mondiale. Et pour cause puisque ce/ces Rite(s) fut(rent) de tous temps, pourchassé(s) par les polices monarchistes et impériales et dissous en permanence. En rupture de ban avec la maçonnerie régulière et en particulier avec celle du Grand Orient de France (qui, rappelons-le portait jusqu’en 1822, trois fleurs de lys dans sa bannière).

– Le fait que ces rites furent l’abri privilégié de tous les révolutionnaires, bonapartistes et carbonaristes pourchassés par la police de la Restauration26.

Puis à la fin du XIXème siècle, quand les pouvoirs politiques changeaient de mains, que les Républiques s’instauraient plus ou moins définitivement et que le marxisme balayait violemment tous les courants libertaires et ceux du socialisme utopique27. Il ne resta alors, majoritairement, en apparence, au sein de l’Ordre, que les férus « d’occultismes ». Nous retrouvons entre autres : Stanislas de Guaita, Pelladan, Rudoph Steiner, Aleister Crowley, Marc Haven, Paul Sédir, René Guénon et Papus… C’est dans cette fin de XIXe siècle et dans l’avènement du suivant que l’histoire du rite se double d’une histoire complexe mêlant de nombreux courants occultistes plus ou moins authentiques. Ce sont eux qui vont teinter le Rite, d’une couleur « sulfureuse » qui continue encore aujourd’hui à lui coller à la peau. D’où cette mise au point nécessaire afin de restituer ses vraies dimensions à cette maçonnerie égyptienne protéiforme.

Le Rite de Memphis-Misraïm au début du XXème siècle.

Papus ou Le Balzac de l’occultisme

Comme nous l’avons signalé précédement, Théodore Reuss fit nommer à la tête de l’Ordre en France Gérard Encaussse dit Papus.

Encausse était un médecin doublé d’un occultiste. Surnommé « Le Balzac de l’occultisme », il écrit plusieurs dizaines d’ouvrages sur l’occultisme et la magie. Il est l’un des plus proches disciples de Maître Philippe de Lyon. Il fonde avec Augustin Chaboseau l’Ordre Martiniste Traditionnel. Après avoir sans succès demandé son admission à la Grande Loge Misraïmite et à la Grande Loge de France, Papus obtint de JohnYarker une patente lui permettant d’ouvrir une loge au rite de Swedenborg. En 1906, il obtint également de Yarker l’autorisation de constituer la Loge « Humanidad » en compagnie d’Henri Charles Détré dit « Teder » qui deviendra bientôt la loge-mère du Rite. Le 24 juin 1908, Papus organise le IIe Congrès internationale Maçonnique et Spiritualiste à Paris dans le Temple du Droit Humain rue Jules Breton. René Guénon était présent comme secrétaire de bureau sur l’estrade, revêtu de son cordon de Chevalier Kadosh du chapitre INRI. Et c’est donc également à cette occasion, que Théodore Reuss, Grand Maître du Souverain Sanctuaire d’Allemagne délivre à Papus, une charte pour fonder un Suprême Grand Conseil Général des Rites Unis de la Maçonnerie Ancienne et Primitive de Memphis-Misraïm qui le propulse alors en France à la tête de l’Ordre.

Théodore Reuss Grand Maître du Souverain Sanctuaire allemand, l’autorisa à transformer en compagnie de Teder la loge Humanidad précédemment rattachée au Rite National Espagnol en Loge Mère pour « l’Antique et Primitif Rite Oriental de Memphis-Misraïm » en France.

C’est par l’intermédiaire de cette Loge Mère Humanidad, pour les trois premiers degrés et de son Chapitre INRI converti au Rite Ancien et Primitif des Hauts Degrés, que le Rite de Memphis Misraïm va pouvoir bientôt sortir de l’ombre. Du moins, en France.

C’est donc en 1908, que Papus devient Grand Maître pour la France. Il décèdera le 25 octobre 1916, laissant à son adjoint le docteur Henri Charles Détré, alias Téder, la charge de lui succéder à la tête de l’Ordre jusqu’au décès de ce dernier le 26 septembre 1918. Nous sommes encore alors en plein conflit mondial, la Grande Guerre ne s’achevant que quarante-six jours plus tard, le 11 novembre 1918. Pendant ce premier grand conflit qui marque un tournant décisif dans l’histoire du monde et le bascule brutalement dans le modernisme, le rite fut mis en sommeil en Angleterre, en France, en Allemagne, mais également en Roumanie et en Égypte. Alors que dirige le nouveau Grand Maître Detre (Teder) depuis la mort de Papus ?

Et c’est là que nous devons faire une petite pause dans cette histoire. Car peu de biographes ou d’historiens s’y retrouvent dans toutes ses successions.

Memphis Misraïm, toile d’araignée de l’occultisme ou occupation de tous les courants maçonniques ?

En effet il faut savoir que tous ces frères ne faisaient pas qu’appartenir à la maçonnerie du rite de Memphis Misraïm, loin s’en faut. Ils faisaient tous partis de différents Ordres et courants dont beaucoup en avaient été les fondateurs. Cela allait de l’Ordre martiniste, de l’Eglise catholique gnostique, de l’Ordre du Temple Oriental, de la Société Théosophique, l’Ordre kabbalistique de la Rose Croix, en passant par l’Hermetic Order of the Golden Down et bien d’autres groupes moins connus et dont les objectifs et les outils se trouvent parfois en totales contradictions voir opposés …

Et pourtant, les équivalences de grades, c’est à dire des passerelles ou raccourcis entre les degrés des différents ordres jouaient alors à plein. Cet aiguillage qui ressemble plus à la complexité d’une toile d’araignée n’est compréhensible que de l’intérieur.

Des Ordres, et des points bien particuliers qui peuvent les relier voir parfois les opposer par des divergences trop grandes et créer de véritables étincelles. On ne mélange pas impunément des courants de 110, 220 ou 380 volts. Tel fut le cas parfois pour l’histoire de Memphis Misraïm dans ce début du XXème siècle. Mais cela ne cacherait il pas autre chose ? Une nouvelle hypothèse qu’aucun historien du rite n’a encore osé avancer.

Reprenons, cependant – avant d’en venir à cette hypothèse – le cours de notre histoire. Donc Memphis Misraïm ressemble plus alors à un des plus grands carrefours de traditions et courants initiatiques occidentales et même, orientales encore beaucoup plus important que celui des origines. C’est dans ce contexte bien particulier qu’à la mort de HenriCharles Détré, on lit partout que son ami Jean Bricaud prend la succession de l’Ordre de Memphis Misraïm. Mais comment ? Qui lui confère le titre ? Détré lui-même ?

Henri-Charles Détré (Teder)

On a pu lire partout que Henri-Charles Détré, dit Teder, fut tout d’abord un martiniste, un occultiste avant d’être un franc-maçon. Il débute paradoxalement dans l’anti­maçon­nisme avec un livre intitulé Les apologistes du crime, dirigé contre la Maçonnerie écossaise, les Jésuites et les Catholiques. Arrivé en Belgique, il se fait expulser pour une affaire de chantage, et se réfugie en Angleterre où il rencontre John Yarker qui lui transmet ses titres de maçonnerie dite irrégulière, c’est à dire non reconnu par la Grand Loge Unie d’Angleterre c’est à dire à peu de chose près tous les courants maçonniques restants. Mais toutefois quelques passerelles très discrètes existent tout de même avec cette maçonnerie qui se dit régulière. Une passerelle existe en effet par la Societas Rosicruciana in Anglia et sur le continent par la Rose croix d’Or qui fut fondée (ou plutôt réveillée par Joseph Pelladan).  Est-ce par-là que ces Frères étaient toutefois en contact avec les membres de la Grande Loge Unie d’Angleterre ?

Quoiqu’il en soit, à la mort de Papus, Henri-Charles Détré dirigea l’Ordre martiniste, la section française du Rite de Memphis-Misraïm et de l’Ordo Templi Orientis ; et de 1916 à 1918 il sera le Grand Maître de la Grande Loge swdenborgienne de France. Il composa le Rituel de l’Ordre Martiniste, initialement établi uniquement pour les dignitaires de l’ordre. C’est son ami Jean Bricaud qui lui succédera à la tête de l’Ordre Martiniste. Un ami, de près de trente ans son cadet. Un Frère en martinisme avant tout. Et c’est encore là que l’histoire a le hoquet.

La Grande maîtrise de Memphis Misraïm ne lui pas été transmise directement. En effet, à la mort de Teder, le Rite semble s’être mis en sommeil du fait de la guerre mais dans les autres Ordres les FF continuaient d’œuvrer. La succession officielle c’est donc faite par une reconnaissance tacite des équivalences de grades à travers les autres ordres. Cette hypothèse semble se préciser quand on sait que le 25 Septembre I919, des Frères travaillant au Rite Français et appartenant au Grand Collège des Rites du Grand Orient de France et des Frères travaillant au Rite Écossais et membres du Suprême Conseil de la Grande Loge de France, tous possédant les Hauts-Grades du Rite de Memphis-Misraim, et désireux tout en restant fidèles à leurs Obédiences respectives de travailler au rite de Memphis-Misraïm adoptent la résolution de rétablir le Rite de Memphis-Misraim en France.

« Pour cela, ils réveillent, à l’Orient de Lyon la Mère-Loge Humanidad, d’accord avec la puissance maçonnique qui délivra la Charte de Constitution en 1908 du Rite de Memphis-Misraim pour la France. » dixit Bricaud. Quelle est cette puissance maçonnique si ce n’est Théodore Reuss dont la nationalité allemande devient gênante à la sortie de la guerre. Même si la fraternité doit régner parmi tous les frères, le conflit mondial avec l’Allemagne fut trop violent et est allé trop loin pour ne pas laisser des traces profondes dans le corps et la psyché des Frères qui en sont revenus marqués à vie. Bricaud prend soin de pas le nommer par gêne ou par respect pour les victimes de ce conflit dont on tient alors l’Allemagne (et tous les Allemands avec) responsable. Mais par cette phrase il reconnaît valide celui que John Yarker lui-même avait pris soin de désigner comme son successeur et qui ne fut pas respecté par certains membres du Souverain Conseil Universel qui ne voyait plus en Théodore Reuss que le « boche » et non un Frère. Les métaux sont bien durs à déposer dans certains cas.

On trahit donc les volontés de Yarker et les membres donnèrent le titre de Grand Hiérophante Général du Rite à Edouardo Frosini (membre du Souverain Sanctuaire de Venise). Pour comprendre la suite qui est un imboglio encore plus complexe, je renvoie le lecteur au livre Jaune n°1 de Joseph Castelli qui reprend en détail et en parallèle mieux que je ne saurais le faire, toute cette période.

Mais revenons à notre histoire.

Cette « puissance » délivre donc à Jean Bricaud, le 10 Septembre 1919, une Charte pour la Constitution en France d’un Souverain Sanctuaire de Memphis-Misraim. Parallèlement, le 30 Septembre de la même année, le Suprême Conseil des Rites Confédérés des Etats-Unis, lui délivre également une Charte pour l’établissement en France d’un Suprême Grand Conseil des Rites Confédérés (Early Grand Scottish Rite, Memphis-Misraim, Royal Order of Scotland, rite de Cerneau …) ce qui aurait dû clore l’affaire car il n’y a rien à dire de la régularité des transmissions faite par le Suprême Conseil des Rites Confédérés de États-Unis.

Dès ces années 20, Théodore Reuss va s’appuyer sur le Souverain sanctuaire de France. Il aurait fait Jean Bricaud alors déjà Grand Maître, vice Grand Hiérophante. Mais aucun document atteste de ce fait. Une autre version nous dit que la succession du Grand Hiérophante Théodore Reuss n’ayant pas été assurée avant sa mort le 28 octobre 1923, (pour des raisons qui sont liées en grande partie au conflit mondial qui opposa alors son pays au reste du monde) le Souverain Sanctuaire de France réunit à Lyon se considère, en vertu des Chartes de 1919 données par le même Théodore Reuss28) comme parfaitement légitime et pouvant reprendre à son compte les prérogatives légitimes accordées en 1919. Très logiquement et pour être conforme à la situation et en l’absence de succession officielle, ou du fait de la branche italienne qui revendiquait alors cette Grande Hiérophanie, le Souverain Sanctuaire de France transforme à ce moment, le titre de Grand Hiérophante en Grand Maître Général.

Arrêtons-nous encore une fois sur cet épisode fort instructif car cela signifie que nul ne pouvait plus se prévaloir de ce titre. D’ailleurs Bricaud et ses successeurs (Constant Chevillon, Dupont…) vont toujours signer Grand Maître Général. Et pourtant, l’histoire du Rite se complique encore un peu plus car en septembre 1933 est constitué un Suprême Conseil International du rite Ancien et primitif de Memphis Misraïm par les Frères belges dissidents. En 1934 Georges Bogé de Lagreze, Jean-Henri Prost-Biraben et Victor Blanchard fondent en 1934 la FUDOSI (Fédération universelle des Ordres et Socitétés Initiatiques) avec à sa tête Spencer Lewis (Impérator de l’AMORC) et Emile Dantine (Sâr Hyeronimus, R+C universelle continuatrice de la R+C Catholique de Péladan).

Mais revenons en 1934, le 21 Février plus exactement, le Grand Maître Général Jean Bricaud décède à Lyon. Constant Chevillon, député Grand Maître et membre du Comité permanent, est reconnu, en Mars, comme nouveau Grand Maître Général. La proclamation consécutive à son élection est publiée dans le Bulletin Officiel de la Saint Jean d’Été de la même année. Le nouveau Grand Maître Général constitue deux nouvelles provinces administratives et nomme deux Grands Maîtres Adjoints pour les diriger.

En 1937, le convent annuel du Souverain Sanctuaire de France se tient à Lyon, dans le Temple de la Loge-Mère Humanidad, avec entre autres une importante délégation du Souverain Sanctuaire de Suisse.

Cette date marque une période florissante pour l’Ordre qui ne cessera qu’à la guerre. A la déclaration de guerre et sous l’occupation, Constant Chevillon décide alors de mettre en sommeil le rite de Memphis-Misraïm au moins en apparence car celui-ci va toutefois perdurer dans la clandestinité.

1933-1944 -Les années sombres. *Gémissons*Gémissons*Gémissons*mais espérons.

Zentralbild 153-40 II. Weltkrieg 1939-45 24.10.1940 Adolf Hitler begrüßt den französischen Staatschef Marschall Henry Philippe Petain in Montoire-sur-le-Loir. In der Mitte Chefdolmetscher Gesandter Dr. Paul Schmidt. Rechts Reichsaußenminister Joachim von Ribbentrop.

Quand la seconde guerre mondiale éclate et que la France se voit occupée par les nazis et dirigée par un gouvernement de collaboration, toute la Franc-maçonnerie subit de plein fouet la violence de la barbarie nazie et des milices collaborationnistes. Les locaux et les temples sont détruits et/ou pillés. L’hôtel du Grand Orient de France est saccagé et transformé en une vitrine antimaçonnique mise au service du régime de Vichy. Le Rite de Memphis-Misraïm, en pleine expansion avant guerre paye lui aussi un lourd tribut à son attachement à la liberté et à sa lutte contre le fléau nazi. Constant Chevillon, alors Grand Maître National du Rite sera abattu à quelques kilomètres de Lyon au printemps 1944 par la milice de Vichy. Mais la répression contre les FF et SS ne s’arrête pas aux frontières de la France et le Rite de Memphis-Misraïm se voit particulièrement pourchassé par les régimes nazis et fascistes.

George Delaive, Grand Maître du Rite en Belgique, après avoir rejoint la Résistance en France est emprisonné et décapité à la hache par les nazis à la prison de Brandebourg. Raoul Fructus, qui avait de hautes responsabilités dans le Rite avant la guerre, meurt en déportation en février 1945. Otto Westphal, responsable du Rite en Allemagne, est interné en camp de concentration puis torturé et assassiné.

Un jeune maçon toutefois, va braver les interdits, et au risque de mettre sa vie en danger, il va maintenir allumé dans la clandestinité, le flambeau de la Franc maçonnerie au cœur de cette nuit noire pavoisée au couleur de la svastika. Ce jeune maçon c’est Robert Ambelain qui durant toute l’occupation tiendra des réunions de Loge clandestine dans son salon à Paris, dissimulant les décors maçonniques dans le pied de table de sa salle à manger. Aidé en cela de quelques frères courageux comme le TPSGC du REAA de la GLDF. C’est en souvenir de cette triste période que Robert Ambelain fera rajouter à la batterie maçonnique de Memphis-Misraïm : Liberté-égalité-Fraternité, le triptyque adopté durant l’occupation : Unité-Stabilité-Continuité.

Pendant et à la sortie de la guerre d’autres FF illustres viendront enrichir les colonnes du Rite : Robert Amadou, Jules Boucher …

Plus tard, Robert Ambelain fonde la loge Hermes qui deviendra après la seconde guerre Mondiale la loge mère du rite depuis la mise en sommeil d’Humanidad. Le « hasard » veut que je fus affilié en 1989 à la loge Hermes à Paris et que je fus l’un des membres (avec Gérard Kloppel, Grand maître Mondial du rite, Richard Gaillard Grand Maître de France pour le Rite) à avoir réveillé à Lyon dans les années 90 la Loge Humanidad. Le hasard toujours, veut également que la maison familiale que j’habite se situe à quatre kilomètres de l’Arbresle, là-même où se trouve la maison de Maître Philippe de Lyon, là où Papus, Teder, Sédir et Marc Haven en autres, se sont maintes fois retrouvés autour de Monsieur Philippe. Toutefois, il n’y a pas de fumée sans feu. Voilà pourquoi afin de comprendre les enjeux et les bouleversements que va subir, de nouveau, le Rite à la fin du XXème siècle, (je renvoie le lecteur au paragraphe Alkaest). Il est bon de revenir sur la vraie personnalité de celui qui fut à l’origine de la construction contemporaine du Rite : Robert Ambelain.

ROBERT AMBELAIN

Qui est donc Robert Ambelain ?

Robert Ambelain est né à Paris le 2 septembre 1907. Il passe à l’Orient Éternel le 27 mai 1997. Il est l’un des grands auteurs français, spécialisé dans l’ésotérisme, l’occultisme, l’astrologie… Homme de lettres, historien et membre sociétaire des Gens de Lettres et de l’Association des écrivains de langue française « mer, outre-mer », il est l’auteur de quarante-deux ouvrages (dont certains sous le pseudonyme d’Aurifer, son nom en tant que Supérieur inconnu initiateur dans l’Ordre Martiniste).Son intérêt pour l’ésotérisme commence par l’astrologie, vers 1921. Entre 1937 et 1942 il publie un Traité d’astrologie ésotérique en trois volumes.

Il est initié en Franc-Maçonnerie, le 24 mars 1939 dans le temple de la porte d’Orléans à Paris, parrainé par le grand maître de la maçonnerie égyptienne : Constant Chevillon, dans la loge « La Jérusalem des vallées égyptiennes ».

Il est ensuite reçu compagnon et maître au cours d’une tenue clandestine au camp d’Epinal. Pendant l’occupation alors que toute la maçonnerie a été mise en sommeil ; il dirige à son domicile les tenues de la loge « Alexandrie d’Égypte », au Rite de Memphis-Misraïm. Il reçoit de Georges Bogé de Lagrèze les hauts grades de ce rite, du 4e au 33e et les 55e, 66e, 90e et 95e.

En 1942 toujours, il réveille l’Ordre des Élus Coëns, dont il est le Souverain Grand Commandeur. L’Ordre Martiniste des Élus-Cohens, lié pendant un temps à l’Ordre de Papus dirigé par Philippe Encausse au sein de l’Union des Ordres Martinistes, va poursuivre son activité jusqu’en 1967. Robert Ambelain fondera alors l’OMI durant la réforme de l’Ordre en 1968

C’est en 1942 que Georges Bogé de Lagrèze et Camille Savoire, tous deux membres du Grand Prieuré des Gaules du Rite Ecossais Rectifié auraient donné patente à Robert Ambelain, afin de créer l’Ordre Martiniste des Élus-Cohens et d’y intégrer les classes secrètes de Profès et Grand Profès.

Robert Ambelain, une fois devenu Grand Maître de la « Grande Loge Française du Rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm » en 1960, va tenter de rassembler, dans une même Obédience mondiale, les Ordres se réclamant du Rite de Memphis-Misraïm. Il parvient à établir des relations fraternelles avec la plupart des Grandes Obédiences Françaises. Il ne réussit pas néanmoins à unifier certains groupuscules de Memphis séparés, ni les Rites de Memphis-Misraïm d’Italie issus d’une filiation différente. Sous sa Grande Maîtrise, il est décidé que le siège de la Grande Maîtrise générale sera obligatoirement Paris et que le Grand Maître devra autant que possible être francophone. En outre, en 1963, les 33 premiers degrés de Memphis-Misraïm sont revus pour les conformer au « Rite Écossais Ancien Accepté » et faciliter ainsi les contacts avec les autres Obédiences.

Voilà pour la bibliographie que l’on peut trouver un peu partout. Mais son rôle ne s’arrête pas là. En effet, après avoir reçu toutes les initiations à tous les degrés, Robert Ambelain va en 1968 rectifier le Martinisme29 et s’éloigner radicalement des courants papusiens trop « christiques» à son goût et terriblement éloignés de leur origine plus alchimique et kabbalistique. Il va pour cela fonder l’OMI (Ordre Martiniste initiatique), se rapprochant en cela par la branche russe et ukrainienne de Louis Claude de Saint Martin et non de Jean Baptiste Willermoz où Joseph de Maistre restés beaucoup trop fidèles aux idées monarchiques et contre-révolutionnaires.

Dans la nuit du 31 décembre 1984 au 1er janvier 1985, Robert Ambelain transmet sa charge de Grand Maître Mondial ad-vitam du Rite à Gérard Kloppel, alors Grand Maître Général adjoint depuis deux ans. Quelques mois plus tard, en juillet, il lui transmettra également les degrés du Rite Écossais Primitif. Parallèlement en 1985 il réveille le Rite écossais primitif. Il est aussi Chevalier bienfaisant de la Cité sainte dans le Rite écossais rectifié, avec le nom d’ordre d’Eques a reconciliatione

Gérard Kloppel

Né le 5 mars 1940, Gérard Kloppel est initié en 1963 dans la loge « Papus » de la Grande Loge de France, puis deux ans plus tard il rejoint le Rite de Memphis-Misraïm de Robert Ambelain au sein de la Loge « Hermès » qui l’élève aux degrés de Compagnon et de Maître.

Le 3 avril 1976, les 66, 90 et 95e Degrés du Rite de Memphis Misraïm lui sont conférés par Ambelain. Les 26 et 27 novembre 1983, un Convent du même Rite le nomme Grand Maître Mondial Substitut, selon le vœu de Robert Ambelain.

Le 30 juin 1984, il sera désigné comme Grand Maître pour la France et Grand Maître mondial du même Rite le 1er janvier 1985. De même, Gérard Kloppel sera nommé par Robert Ambelain comme son successeur à la Présidence du Suprême Conseil des Rites Confédérés pour la France et ses dépendances, le 4 juillet 1985.

En 1987, Gérard Kloppel fonde le premier Souverain Sanctuaire féminin, mais ce Souverain Sanctuaire prend son indépendance en 1990 et une nouvelle fédération féminine, devenue par la suite Grande Loge sera recréée en 1993. En 1997 une structure mixte est instaurée.

En 1998, un vrai cataclysme atteint le Rite qui explose, Gérard Kloppel démissionne et cède la grande Maîtrise Mondiale à Cheikna Sylla. Mais en réalité il la transmet à Joseph Castelli qui en reçoit tous les arcanes. Nous analyserons ces faits dans un autre chapitre. Le 6 octobre 2008, Gérard Kloppel décède à l’âge de 68 ans.

L’Echelle des degrés à Memphis Misraïm29

La pyramide de Giza et son Sphinx
La pyramide de Giza et son Sphinx

Les degrés d’initiations une fois fusionnés furent divisés en trois séries et sept classes, qui sont bien moins des rangées de degrés que des Écoles, où, comme dans le Rite primitif de Narbonne, sont enseignées les sciences maçonniques les plus poussées.

@La première série enseigne la partie morale, reposant sur la connaissance de soi-même. Elle offre l’explication des symboles, des emblèmes et des allégories. Elle dispose les initiés à l’étude de la philosophie maçonnique.

@La deuxième série comprend l’étude de l’histoire et des Rites maçonniques les plus universellement répandus, ainsi que des mythes poétiques de l’Antiquité et des initiations anciennes.

@La troisième série renferme le complément de la partie historique de la philosophie, elle étudie le mythe religieux dans les différents âges, de même que toutes les branches de la science appelée secrète (synthèse des 5 sciences mères ; cf notes 14) ou Arcana Arcanorum.

Enfin, relativement à la Maçonnerie, elle en fait connaître la plus intérieure, composée d’enseignements antérieurs au christianisme, voir pré-socratique, et admet les études pratiques les plus avancées sur ces cinq sciences mères. Non seulement chacune de ces trois séries est formée de plusieurs divisions dans lesquelles sont conférés tous les degrés maçonniques modernes, mais encore, tout en conduisant progressivement à travers les anciens mystères des différentes traditions où se révèle la raison d’existence de ces degrés, la dernière série permet d’accéder à une lecture cosmogonique de la Maçonnerie, à sa gnose qui repose avant tout sur la synthèse des différents courants composant l’Histoire de l’humanité et de ses arcanes les plus mystérieuses. In fine : les intégrer tous pour mieux les transcender. C’est l’hypoténuse du triangle pythagoricien qui lie la verticalité et l’horizontalité, la Croyance et le Savoir (représentés par l’équerre du Vénérable Maître aux trois premiers degrés et permet d’atteindre à la Connaissance. Une connaissance qui permet de lire le monde à 360°. L’aigle à deux têtes sur le sautoir du 95° du rite de Memphis Misraïm en est le symbole car l’aigle est censé voir à 180°, les deux têtes regardent dans les deux directions opposées couvrant ainsi les 360°. C’est à dire une possible lecture du monde dans toute son amplitude, mais aussi, une lecture poétique du monde dans son sens étymologique : créer. C’est à dire créer le monde ici et maintenant et non dans un ailleurs et un futur hypothétique fait d’arrière monde, de paradis perdus et d’idéologies plus ou moins fumeuses. Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi le rite attira également tous les courants libertaires (Bakounine fut initié à Florence dans les années 1864/65)

Memphis-Misraïm se détache, par-là, des maçonneries plus platoniciennes, et inscrit ses recherches non pas dans la conceptualisation du monde mais bien dans sa perception, dans ce que le réel nous offre pour créer un monde ici et maintenant, plus fraternel et plus humain, en harmonie avec le cosmos. Le parcours de l’initié à travers cette forêt de symbole et à travers les âges n’est-ce pas la quête d’un supplément d’Âme ? Ou sommes-nous tout simplement les héritiers d’une très ancienne tradition qui permit de voir éclore l’agriculture mais aussi et malheureusement la guerre. Cette tradition, celle des forgerons et des métallurgistes. Mais cela est une autre histoire… Quoique ?

François Bourcier

Notes :

1 La Métaphysique est une des œuvres principales d’Aristote. Il s’agit d’un ensemble de quatorze livres, réunis de manière posthume. Le titre de Métaphysique lui est donné par le bibliothécaire Andronicos deRhodes, qui a rassemblé et organisé les livres. En effet, Les ouvrages regroupés sous le titre de Métaphysique par Andronikos de Rhodes (le premier éditeur des œuvres d’Aristote, qui a choisi ce nom parce qu’il avait placé ces livres aprèsl a Physique) sont au nombre de quatorze. Les quatorze livres de la Métaphysique sont désignés par une lettre grecque, à laquelle on fait correspondre traditionnellement un numéro d’ordre.

2 Il faut prendre en ligne de compte qu’une religion comme le précise Guy Debord est généralement accolé à un système politique (capitalisme, libéralisme) qui permet au pouvoir de maintenir la masse dans l’idée d’un monde meilleur, d’un arrière monde comme le définit Nietzsche, arrière monde qui se situe toujours « ailleurs ». Les souffrances vécues dans celui-ci ne seraient rien moins qu’une épreuve permettant d’accéder à un Paradis.

3 En effet, souvent en FM, les FF et SS opposent au discours, un « il verra plus tard quand il aura franchi les degrés » ou « il ne possède pas assez de degrés et d’initiations pour en parler ». Dans mon cas, j’ai reçu de ce rite tous les degrés, ce qui me permet d’en parler en connaissance de cause, ayant ouvert le compas au maximum.

4 Cette voie s’est substituée au cours du siècle dernier à une autre beaucoup plus secrète et fermée à laquelle je serai toutefois initié : les Compagnons d’Adonhiram. Voie de maçonnerie dite « noire », très proche de certains rites bouddhistes mais dont le cœur rejoint ceux très fermés également des anathèmes (rites d’excommunication) des églises chrétiennes et celui plus encore hermétique du Herem juif.

5 L’étymologie du mot « poésie » est déjà une interprétation du fait poétique : poiêsis pour les grecs signifie « création », du verbe poiein (« faire », « créer »). Le poète, qui s’est appelé d’abord l’« aède », le chanteur, est considéré comme le créateur, l’artiste par excellence, car il invente en même temps le langage, avec ses figures et son rythme, et l’objet du langage, que doit conserver l’architecture du poème. Voilà une piste intéressante sur la quête de la Parole perdue.

6 L’Agartha, Agarthi, Agardhi ou Asgharta est une cité, un royaume, ou un monde souterrain mythique. Sa description est apparue dans la littérature française au XIXe siècle au sein d’ouvrages romancés témoignant de légendes et de mythes hindouistes et bouddhistes. Le thème réapparaît au début du XXe siècle avec le témoignage, contesté, d’un universitaire aventurier ayant parcouru la Mongolie. Cette légende se lie ensuite aux mythes des mondes disparus (Hyperborée, Thulé, Atlantide, Lémurie), et à partir des années 1950 aux théories de la Terre creuse. Il a été adopté par des mouvements New Age. L’Agartha est en général présentée comme un monde idéal dépositaire de connaissances ou de pouvoirs surnaturels.

7 On trouve traces d’un chapitre provincial d’un Ordre des Architectes Africains créé à Paris dès 1777.

8 L’affaire du collier reste, pour l’histoire, une des plus grande escroquerie qui, en 1785, eut pour soi-disante victime, le Cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg. Affaire qui éclaboussa définitivement la réputation de la reine Marie Antoinette, discrédita l’autorité du Roi et renforça le pouvoir du Parlement. Premier « coup de canon » de la Révolution française.

9 Dom Pernety fonde le Rite des Illuminés d’Avignon en 1766 qui donnera plus tard l’Académie des Vrais et Anciens Maçons de Montpellier (qui était l’appellation même du rite originel allemand).

10 Le Rite Primitif de Narbonne (1759). Le Rite est ramené de Prague par le Vicomte de Chefdebien d’ Aigrefeuille. C’est son fils, membre de l’Ordre des Frères Africains, le Marquis François Chefdebien d’Armissan, Chevalier de Malte, qui se fit propagandiste actif du Rite Primitif de Narbonne, avec la Loge Mère les Philadelphes de Narbonne en 1779. C’est de cette Loge Mère que vient l’appellation de  » Rite Primitif des Philadelphes ». Il comporte trois classes de 10 degrés d’instruction, en réalité plusieurs de ces degrés ne sont qu’une collection de grades :

– 1ère classe : les trois grades bleus, à savoir apprenti, compagnon et compagnon fini (qui deviendra plus tard celui de Maître)

– 2° classe : (Subdivisée en 3) Maître Parfait, Élu et Architecte. Sublime Écossais. Chevalier de l’épée, Chevalier de l’Orient et Prince de Jérusalem. *En fait ces 2 classes ne sont qu’une introduction à la troisième qui contient la véritable essence du Rite. Cette dernière classe comprend 4 chapitres de Rose+Croix :

                – 1er Chapitre symbolique : étude poussée sur le symbolisme de la fraternité secrète.

                – 2° Chapitre historique : étude de l’histoire de la Tradition et sa transmission d’école en école.

                – 3° Chapitre philosophique : étude de la science maçonnique.

                – 4° Chapitre dit de Fraternité Rose + Croix de Grand Rosaire : exclusivement dédié aux sciences spirituelles perdues, (et non à l’occultisme comme certains le prétendent) avec pour but la réintégration (ou construction) spirituelle de l’homme.

11 Louis Claude de Saint martin et le martinisme issue du martinésisme de Martinez de Pasqually. Louis Claude de Saint Martin comme Chefdebien va rompre avec la Stricte Observance, mais également avec le Rite Ecossais Rectifié, issue de cette rupture et qui vit le jour avec le Convent des Gaules et celui de Wilhelmsbad ; Rite à tendance chrétienne fondé avec Joseph de Maîstre et Jean Baptiste Willermoz. Louis Claude de Saint Martin va quitter ce Rite et prendre une autre direction. *Il faut savoir que Louis Claude de Saint Martin fit partie de la première Constituante révolutionnaire et fut chargé de garder Marie Antoinette au Temple (section des piques), lors de sa captivité. Nous sommes loin encore une fois des doux rêveurs qu’on nous présente bien souvent.

12 Mais de quoi ? A cette réponse, personne, à ce jour, ne s’y est penché sérieusement pour y apporter une réponse. Il serait bon d’y voir une volonté beaucoup plus consciente et raisonnable de fonder un mouvement qui permet de « préserver les dépôts initiatiques » des bouleversements qui ne vont pas tarder à marquer la fin du 18ème siècle. Dans les rituels martinistes, certaines invocations se rapprochent de cette « mission ». Mais nous pouvons y lire également l’attachement plus symbolique à la valeur de la cellule familiale vu comme symbole de la cellule cosmique primordiale, de la tribu primitive comme dirait Freud.

13 Un mot sur les mouvements Rose Croix. Ce mouvement n’est pas celui qu’on imagine aujourd’hui. Il possède deux courants distincts. L’un d’inspiration chrétienne, issue des Rose Croix d’Or et qui donnera les mouvements rosicruciens d’aujourd’hui et l’autre en lien avec l’Orient (dont ils prendront le nom) et pré « révolutionnaire » pour l’époque puisque son mot d’ordre était et demeure encore : une République universelle, une Religion universelle, une Médecine universelle. La Rose Croix d’Orient se donne alors pour but d’en finir avec la Monarchie et l’Eglise romaine (toute puissante et accolée au pouvoir politique) et les divers charlatans qui s’érigent en médecin afin d’instaurer une médecine pour tous, particulièrement pour les plus défavorisés. En quelques sorte et si l’on se réfère à la symbolique alchimique : l’un sur la voie humide et l’autre sur la voie sèche.

14 Humain dans le sens humaniste, il faut donc entendre par là les trois règnes : car l’homme possède en lui le minéral, le végétal et l’animal (il fait donc partie intégrante d’un grand tout, le cosmos, traversé par une force vitale qui interpénètre l’ensemble du vivant, mais dans des degrés différents et non dans une nature différente, ce que prône les 3 religions du Livre).

15 Les Cinq sciences mères sont : La Symbolique et la Mythologie, l’Astrologie, (plus proche de l’astronomie que de la divination par les astres) la Kabbale, la Théurgie et, enfin, la science qui se place à la pointe sommitale de l’étoile à 5 branches : l’Alchimie.

16 Il sera le fondateur des Élus Cohen de l’univers ; rite profondément opératif qui replace l’homme au centre de lui-même afin de le détacher de l’idée chrétienne d’une nature séparée et d’un Dieu omniprésent pour qu’il puisse retrouver sa place perdue dans le cosmos depuis l’apparition du platonisme et surtout d’un christianisme récupéré par les divers Eglises.

17 Il faudrait reprendre ici, toute l’histoire de la chute de l’Ordre du Temple et de la récupération par divers Ordres de son héritage. Retenons seulement que les derniers chevaliers du Temple vouaient une antipathie profonde envers l’Ordre des hospitaliers qui deviendra plus tard l’Ordre de Malte. Par ailleurs, il est bon de rappeler que de nos jours, en dehors de son aspect humanitaire très louable au demeurant, l’Ordre de Malte est la seule structure au monde exclusivement réservée à une classe aristocratique, très lié aux mouvances d’extrêmes droites.

18 Il est à noter que le symbole des R+C pour la branche orientale ne fait pas allusion à la croix du Christ sur lequel fleurit la rose comme beaucoup se l‘imagine. La croix est plus proche de celle de Saint André (+) et illustre plutôt l’équilibre des mondes du Chevalier Prince R+C. Le titre de prince signifie ici « la maîtrise des principes ». Le chevalier Prince R+C est donc maître du principe. Il équilibre par-là, et les principes de chevalerie qu’il maîtrise, et l’aristocratie intérieure qu’il a acquise et qui le fait souverain de lui-même, couronnant par là sa propre matière (d’où toutes ces couronnes que l’on retrouvent dans les symboles maçonniques). A noter que le grade de Maître de Saint André au RER (Rite Ecossais Rectifié) se rapproche de cette symbolique. Rappelons qu’André : andros signifie l’Homme dans sa signification d’être englobant les deux sexes bien sûr.

19 Une Grande Loge est constituée d’au moins trois loges bleues.

20 Dont on prétend que le Rite fut fondé en 1788 à Venise, par un groupe d’une cinquantaine de Sociniens, survivants de la secte du 17ème siècle, secte protestante antitrinitaire, fondée par Lélio Socini, né à Sienne en 1525, décédé en 1562. Mais là encore ce ne sont que des hypothèses. Il est dit aussi que le Rite de Misraïm aurait été fondé par LECHANGEUR, un maçon initié au plus haut grade du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Le successeur de LECHANGEUR, Théodore GÉRBER, donna à Milan, pouvoir à Michel BEDARRIDE pour implanter le nouveau rite en France en 1810. Mais là encore rien n’est avéré.

21 Misraïm signifiant Égypte ou égyptiens en hébreu.

22 A noter que ces sciences étaient à cette époque, tout à la fois exotériques et/ou ésotériques, c’est à dire révélées et cachées… à la fois ! A cette époque la science recouvrait également l’alchimie et même la magie.

23 On sait que des FF.°. comme Briot proche de Buonarotti (l’auteur du manifeste des égaux) et Bunarotti lui-même furent membres de Misraïm. John Yarker à Londres fut grand Maître pour L’Angleterre et participa à la 1ère Internationale ouvrière. Charles Longuet gendre de Karl Marx était également misraïmite. Enfin, Joseph Garibaldi qui devint le Grand Maître des deux rites réunis et tous ses compagnons carbonaristes donnèrent à Misraïm cette couleur Noire et rouge qui marqua profondément celui-ci.

24 La Charbonnerie, société secrète au même titre que la Franc-Maçonnerie, tire son nom des rites d’initiation des forestiers (rituels forestiers) fabriquant le charbon de bois à l’origine dans le Jura et en Franche-Comté. C’est en quelque sorte la maçonnerie du bois. Bois qui permet de forger les outils mais aussi les armes. La Franc-Maçonnerie entretient un rapport étroit à l’art de la forge et du travail des métaux qui remontent à l’âge du cuivre et principalement dans le Levant dont certaines tribus furent à l’origine de la fondation d’Israël. Le lien rituélique à Caïn et à Tubalcaïn en est une trace notoire. *C’est tout le mythe énochien qu’il faudrait développer ici. Retenir qu’il s’agit ici d’un mythe attaché à la terre et plus particulièrement au monde souterrain et au seul métal qui peut citer dans le temple. Rappelons que Caïn est le père fondateur de ce mythe. Il est le révolté mais également le nomade par excellence et finira par se cacher de la colère de Dieu sous la terre. A ce titre, le Rite de Memphis Misraïm peut se revendiquer comme étant les héritiers de la lignée des enfants de Caïn, de celle des quénites, tout comme le sont les carbonaristes. Ces sociétés de « bons cousins charbonniers » sont très antérieures au phénomène politique du carbonarisme italien et de la charbonnerie française. Issues de l’ancienne corporation du métier de charbonnier, ces associations usaient de signes secrets de reconnaissance et favorisaient l’hospitalité et l’entraide. Chaque section locale d’une société des « bons cousins » s’appelle une « vente » (vendita en italien).

La tradition du Compagnonnage charbonnier est particulière. A la différence des compagnonnages de maître Jacques, de Salomon et du père Soubise (le plus proche car regroupant les métiers du bois et les premiers compagnonnages de couverture), la Charbonnerie refusera par essence de « s’embourgeoiser », respectant en cela son attachement aux valeurs populaires. D’où la réalité et les légendes de leurs forêts abritant proscrits et rejetés de la société du monde, le long des siècles, et cela depuis Jeanne d’Arc ou les guerres de religions, jusqu’aux rencontres « fortuites » de nobles « se perdant dans la forêt » et se faisant initier aux rites des plus humbles de leurs sujets : on parle par exemple de François Ier, Henri IV…La littérature en retiendra la figure mythique et l’immortalisera à tout jamais sous les traits de Robin des bois.*Comme pour Misraïm, La Charbonnerie fut à l’origine de la première grande vague d’agitation contre le Congrès de Vienne en Europe au début des années 1820. En raison de la répression, Misraïm, comme les Carbonari ou la Charbonnerie, constituaient alors l’un des seuls moyens d’expression politique libre. *Le phénomène politique et insurrectionnel de la Charbonnerie fut d’abord italien, avant de connaître par la suite des ramifications en France. C’est le révolutionnaire français Pierre-Joseph Briot, lui-même franc-maçon du rite de Misraïm et « Bon cousin charbonnier » du rite du Grand Alexandre de la confiance, qui importa ce rite à Naples, fin 1809. Il participa sans doute à l’unification secrète des divers groupes italiens sous l’égide de la Carbonaria. La figure de l’Italien Buonarotti, ami de Robespierre, issu lui aussi de l’illuminisme, membre également de Misraïm, et R+C, y jouera un rôle essentiel : Avec Briot, ils furent l’âme des insurrections en France, en Italie, en Belgique et jusqu’en Pologne. Etant de plus, à la tête de la Haute Vente. Cette Haute-Vente (équivalant à un Suprême Conseil d’un Ordre maçonnique) dirigeait les Ventes particulières composées de vingt membres. Ce mouvement était cloisonné, ceux des ventes inférieures ne connaissaient pas ceux des ventes supérieures et les ventes étaient inconnues les unes aux autres. (Organisation issue du Martinisme, et qui inspirera les Francs-Tireurs Partisans sous l’occupation) Chaque membre versait une cotisation mensuelle d’un franc germinal et devait se pourvoir d’un fusil et de cinquante cartouches. Chaque vente devait se tenir prête à obéir sans discussions aux ordres de la vente supérieure. Nous sommes loin encore une fois des doux rêveurs que l’histoire retiendra. Très active de 1820 à 1823, la Charbonnerie conduisit à des coups de mains que le pouvoir en place déjouea. En décembre 1821, un premier complot est découvert au sein de l’école de cavalerie de Saumur. Début 1822, des complots similaires sont déjoués à Belfort, Toulon et Nantes. Le 25 février 1822, des éléments de la garde nationale sous les ordres du général Berton s’emparent de la ville de Thouars et marchent vers Saumur le lendemain, mais échouent à mobiliser la population. C’est à cette période qu’éclate l’affaire des sergents de La Rochelle qui aura le plus fort impact sur l’opinion.

25 à laquelle j’ai participé activement étant l’un des membres déclencheurs de la crise, (cf le doc Alkaest).

26 « La violette de Parme » fut le signe de ralliement des bonapartistes durant les Cent-Jours. Couleur que l’on retrouve sur les tabliers, les sautoirs et les cordons du rite.

27 Pierre Leroux fut l’un de ces premiers grands théoriciens du socialisme. Il fréquenta en exil après le coup d’état de Napoléon III la loge des philadelphes à Londres du Rite de Memphis. Sa philosophie s’appuie sur une vison idéale d’une société « qui ne sacrifiera aucun des termes de la devise : liberté, égalité, fraternité ». Il critique symétriquement l’individualisme absolu et le socialisme absolu (1834, Anthologie, p. 44). Cet équilibre est au fondement de sa pensée. Il souhaite un socialisme républicain, c’est-à-dire qui fasse toute sa place à la liberté tout en pronant l’idéal d’égalité dans son sens le plus exigeant, le sens social. Comparant l’humanité à un homme qui marche, il disqualifie tout plan social arrangé d’avance comme le saint-simonisme en a donné la première image. C’est à Pierre Leroux que nous devons le sauvetage de la devise utilisée en 1794 par Robespierre et son adoption par la République en 1848, mais sa proposition de mettre « la fraternité au centre », pour signifier la tension irréductible entre les deux valeurs incontournables que sont la liberté et l’égalité (Anthologie, p. 265), n’a pas été retenue. L’enjeu est de taille : fonder un socialisme républicain, ou une république sociale. De telles idées ont inspiré les mesures initiées en autre par Louis Blanc en 1848. Cette vision d’un socialisme utopique avant l’heure s’appuie sur une anthropologie qui comme en franc maçonnerie, repousse le dualisme, qu’il soit spiritualiste ou matérialiste, au profit d’une ontologie triadique : l’homme est triple, sensation, sentiment, connaissance. Dieu, qu’il appelle aussi Vie universelle, n’est donc pas à concevoir comme un être transcendant. Leroux critique sévèrement l’Église catholique pour son dualisme métaphysique autant que pour ses péchés historiques, son alliance avec les privilégiés que ce soit l’aristocratie de jadis ou la bourgeoisie actuelle. Cela ne l’empêche pas d’admirer l’Évangile. Le spectacle de la lutte de tous contre tous qui prévaut sous l’orléanisme, le conduit à affirmer qu’aucune société ne peut vivre sans religion, et à prôner une religion républicaine ouverte à la morale de l’Évangile. Il réclame l’ouverture des cultures judéo-chrétienne et gréco-romaine aux ressources de l’Orient, Inde et Chine en particulier. Ce syncrétisme est à retenir pour mieux comprendre ce qui va se jouer dans les périodes qui vont suivre dans l’histoire du rite de Memphis Misraïm.

28 Avec la permission à l’époque du Grand Hiérophante Grand Maître Général du rite John Yarker de donner l’initiation et la patente à Papus 95° nommé Grand Hiérophante pour la France. Ce qui contrairement à certaines affirmations est tout fait régulier puisque c’est par délégation et sous l’autorité du Grand Hiérophante Général que cela fut fait. Quoiqu’il en soit, nous verrons dans un prochain chapitre le problème qu’engendra ce/ces titre(s) de Grand(s) Hiérophante(s) car de nombreuses confusions furent involontairement ou non entretenues. Mais c’est par là que le rite subira la pire crise de son histoire dans les années 2000 et dans laquelle je me suis retrouvé alors à en être l’un des principaux acteurs.

29 La spécificité du Rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm réside principalement dans ses grades maçonniques spécifiques, bien qu’elle s’affirme également, dans une moindre mesure, dès son premier degré. Ses degrés d’instruction et d’enseignement se situent sur une échelle de 95 grades divisés en plusieurs séries distinctes

Si vous recherchez une Pierre à tailler, celle-ci fait 10 tonnes… et elle vous attend !!!

C’est dans les cimes blanches, à 1800 mètres d’altitude dans la vallée d’Aoste – (Italie), que Bernard Bezzina s’est offert il y a une dizaine d’années, un bloc de Jadéite de 10 tonnes, un minéral qui prospérait là depuis plusieurs millions d’années. Comme nous avons coutume de le dire « Il faut tailler sa Pierre », mais celle-ci est presque de la taille d’une carrière.

Arraché à la montagne, ce bloc atterrit dans l’atelier de l’artiste Bernard Bezzina à Pietrasanta ( Italie). Quelques mois plus tard, après un travail de titan, jaillit de ses mains, cette pierre brute unique au monde de 10 tonnes qui devient une œuvre d’art symbolique exceptionnelle.

L’humanité était là…

Ce marbre vert d’Italie de la vallée d’Aoste ou vert antique (pour l’histoire) est identique au socle du tombeau de Napoléon aux Invalides et de La Tribune de l’assemblée générale des nations Unis à New York.

Le prince Albert De Monaco se rendit dans l’atelier de Bernard Bezzina en Toscane en 2017 et inaugura le 3 juin 2023 à Monaco la sculpture Ludus (main division 3 iii) œuvre offerte par Bernard Bezzina à la fondation Prince Albert 2.

(Note : L’actuel propriétaire cède actuellement cette oeuvre à un futur acheteur. Cette oeuvre se trouve exposée en banlieue parisienne. Contactez la rédaction pour plus d’informations).

Présentation de l’artiste : Bernard Bezzina

Expositions


Porsche Taycan éléctrique peinte par Bernard Bezzina
  • 2021: Chevalier de l’ordre du mérite culturel monégasque
  • 2018 : Podgorny Robinson Gallery, Saint-Paul-de-Vence, France
  • 2015 – 2017 : Plage « Méridien Beach Plaza », Monaco
  • 2016 : BRAFA, Bruxelles, Belgium
  • Sculptures Monumentales, Saint-Tropez, France
  • Monochromaniac, Opera Gallery, New York, USA
  • 2015 : BRAFA, Bruxelles, Belgium
  • PAD, Paris, France
  • Art Fair, Antibes, France
  • Masterpiece, London, France
  • Jardin des Arts, Roquebrune-Cap-Martin, France
  • 2014 : 30 Anni/Museo dei Bozzetti, Palazzo Panichi, Pietrasanta, Italy
  • Galerie Hurtebize, Paris, France
  • Pont Alexandre III, Paris, France
  • Art Elysées, Paris, France
  • 2013 : Biennale Borgo di Montone, Italy
  • Homo Faber. Il pensiero e la Mano, Piazza del Duomo, Pietrasanta, Italy
  • 2012 : Château Sainte Roseline, Les Arcs, France
  • 2011 : Citadelle de Villefranche-sur-Mer, France
  • 2009 : Printemps des Arts, Palais Abdellia, Tunis, Tunisie
  • 2008 : Galerie Olga Lamdon, Bruxelles, Belgium
  • 2007 : Domaine de Trians, Néoules, France
  • Gorges de Pennafort, Callas, France
  • Galerie Anne Lettré, Paris, France
  • Contemporary Fine Art, Saint-Tropez, France
  • 2006 : Domaine de Trians, Néoules, France
  • 2004 : Maison du Cygne, Six-Fours-les-Plages, France
  • Banque de Gothard, Monaco
  • 2002 : Création / Exposition de l’affiche « Jazz à Toulon », France
  • 2001 : Banque du Gothard, Monaco
  • VIP Saint-Tropez, France

AWARDS

2020 : Chevalier des Arts et des Lettres
2021 : Chevalier de l’Ordre du Mérite Culturel Monégasque

Le mythe d’Hercule, comment donner du sens à son travail

Jean-Louis Cianni
Philosopher pour mieux vivre

Quel sens donner à son travail aujourd’hui ? Poser cette question est devenu indispensable, à titre individuel, certes, mais aussi ensemble. Car le travail est à la fois toujours mon travail, c’est-à-dire, une expérience intime, personnelle, vécue au quotidien et aussi notre travail, le champ, non seulement où l’on retrouve les autres, pour le meilleur et pour le pire, mais aussi où on construit quelque chose avec eux.

Cette interrogation sur une activité qui occupe une grosse partie de notre vie quotidienne, est nécessaire :

-D’abord parce que de plus en plus dans notre société de liberté, de facilité, et d’affirmation de soi, travailler peut faire souffrir, surtout quand les conditions de travail changent.

  • Ensuite parce que, avec les procédures, la dématérialisation informatique, l’urgence, la complexité abstraites de nos tâches les plus ordinaires, nous perdons la signification de notre travail.
  • Enfin parce que, dans une société vouée au culte du profit, le travail n’est plus le meilleur moyen de gagner de l’argent, nous ne voyons plus la finalité économique et sociale du travail.

Arrêtons-nous sur le mot sens. C’est un mot qui renvoie à trois réalités :

Le sens, c’est la vue, l’ouïe, c’est le corps, la sensibilité. C’est la relation au monde. Le sentiment aussi, le ressenti. Ce que nous éprouvons d’agréable ou de désagréable.

Mais le sens c’est aussi la signification. La représentation d’une situation, sa compréhension, la valeur que nous lui accordons.

Troisième définition : l’orientation, la direction, le but.

Sensibilité, signification, but : Quand nous voulons donner du sens à notre travail nous nous questionnons sur ces trois registres. Et si nous nous questionnons c’est que nous avons peut-être perdu notre plaisir, nos certitudes, notre motivation. Comment les retrouver?

Plutôt que de vous accabler d’une longue et lourde réflexion, surtout après une journée de… travail intense, je vous propose de revisiter le mythe d’Hercule, le demi-dieu de l’antiquité, célèbre pour ses 12 travaux. Ce mythe va nous permettre d’ouvrir des pistes que chacun pourra ensuite parcourir à sa guise. Car la philosophie n’a d’intérêt et d’utilité que si elle reste une activité libre, une activité de libération. Elle invite chacun à penser sa vie et à la vivre ensuite selon ses propres termes.

Tout le monde connaît Hercule, je suppose. Le cinéma a popularisé le mythe d’Hercule : le péplum italien dans les années 50, les studios Disney, cette année encore la légende d’Hercule.

Hercule est pour nous le symbole de la force, de la vaillance. Nous voyons en lui une sorte de Monsieur Univers de l’antiquité, dégoulinant de muscles, un baraquais mais droit et noble. C’est là une image un peu déformée. C’est notre façon de le voir. Hercule a beaucoup intéressé les philosophes de l’antiquité qui ont vu en lui, non pas un symbole de force physique surhumaine, mais un modèle de résistance et d’engagement moral.

Une séquence de sa légende, raconte ainsi qu’Hercule, adolescent, a décidé de faire une retraite pour choisir le sens qu’il voulait donner à sa vie. A la croisée de deux chemins, il rencontre deux femmes qui représentent la Vertu et le Vice. Chacune tente de le séduire. La première lui propose la voie du travail, l’autre celle du plaisir et de la facilité. Hercule choisit la voie d’en haut, la voie difficile.

Ce que lui dit la vertu est intéressant «  Les dieux n’accordent rien aux hommes sans peine ni soin. » C’est l’idée grecque selon laquelle notre vie réclame un effort, certes, mais aussi et surtout de l’attention, du soin. Qu’il faut s’occuper de ses affaires, bien faire son travail mais aussi s’appliquer à son être désirant et pensant. Ce souci de soi reste en continuité et en harmonie avec l’implication dans les affaires de la cité. C’était l’idéal des Grecs. La vie humaine était quelque chose de précieux.

Aujourd’hui, nous revenons nous aussi finalement à ce souci de soi. Notre individu nous est aussi important que les affaires du monde. Nous cherchons à vivre la vie la meilleure possible. Comme Hercule, nous faisons des choix. Nous prenons du recul. Nous réfléchissons à notre vie, à celle de nos proches, à l’évolution du monde.

C’est pour cette raison que j’ai choisi de vous parler d’Hercule. Je vais d’abord vous résumer non pas toute ses histoires, car au-delà des Douze Travaux, elles sont très nombreuses, Hercule était l’objet d’un véritable culte dans l’antiquité. Mais je vous donne rapidement le contexte du mythe des Douze Travaux, pour me concentrer ensuite sur le premier qui me paraît le plus important pour nous.

Hercule –Héraclès en grec- est le fruit des amours de Zeus, le roi des dieux de l’Olympe et d’une princesse que Zeus a abusé en prenant l’apparence de son mari. Zeus est un coureur de tunique invétéré. Il a une épouse Héra, qui est d’une jalousie maladive. Bien entendu, elle n’accepte pas la situation et va poursuivre Hercule de sa vengeance.

Vous connaissez l’épisode des serpents qu’elle lui glisse dans son berceau. Hercule est ce que nous appelons un enfant exposé. Comme d’ailleurs beaucoup de personnages de la mythologie : Oedipe est jeté dès sa naissance, Ulysse est blessé par un sanglier, Jason est caché après la destitution de son père. Zeus lui-même, le roi des dieux échappe à la voracité de son père, Cronos, le maître du temps qui dévore ses enfants.

Quand Hercule parvient à l’âge adulte, Héra le frappe de folie et notre héros va massacrer son épouse et ses enfants. Pour se laver de son crime, il est condamné à effectuer Douze Travaux.

Ces travaux sont d’abord des exploits physiques. Ils sont appelés athloi en grec, mot qui a donné notre athlétisme. Il s’agit de combattre des animaux extraordinaires, un lion, un taureau, un dragon, des juments cannibales. Certains sont des voyages aux limites du monde connu, l’un conduit même aux enfers. D’autres sont moins glorieux pour le fils d’un dieu : nettoyer des écuries ou ramener du sud de l’Espagne un troupeau de bœufs. Vous le voyez, Hercule est un héros humain, d’ailleurs dans ses innombrables aventures, il expérimente les misères humaines le plus extrêmes : la folie, l’esclavage, l’humiliation.

Les travaux d’Hercule sont différents des nôtres mais 2 traits sont comparables :

  • Ils sont le prétexte à des œuvres civilisatrices. Hercule dompte des forces sauvages, protège les hommes, fonde des villes et des cultes. Au-delà de l’exploit, Il fait œuvre utile pour l’humanité.
  • A travers eux, Hercule accomplit un fabuleux destin qui va lui permettre de gagner l’immortalité et de devenir un dieu de l’Olympe. Hercule se réalise.

Ainsi, le mythe nous donne à comprendre le travail, non pas comme un châtiment, non pas comme un exploit sportif, non pas comme une souffrance, mais comme une épreuve. Epreuve est de la même famille qu’éprouver, ressentir, faire l’expérience sensible et affective d’une situation. Eprouver est de la même famille aussi que tester, expérimenter, faire l’essai. On éprouve la résistance d’un métal.

Mais l’épreuve a une autre vertu : elle nous révèle à nous-mêmes, elle nous prouve notre potentiel, notre talent, notre connaissance. L’épreuve du permis de conduire, un examen, par exemple, nous permettent de vivre une situation de ce genre.

Quand nous travaillons, quel que soit notre poste, notre tâche, nous affrontons une épreuve qui va nous révéler à nous-mêmes. Pas simplement parce qu’elle va nous rendre plus résistants, plus durs au mal, plus aguerris. Le but n’est pas trouver du plaisir dans ce qui nous fait souffrir. Il y a des épreuves qui ne nous apportent rien. Notre but à tous est de rechercher le bien, le mieux-être, le plaisir sous toutes ses formes. Notre but n’est pas de fermer notre cœur. De devenir insensibles. Nous ne sommes pas masochistes et si nous le sommes c’est toujours de façon consentante. Parce que, plus ou moins consciemment, nous trouvons un bénéfice à notre souffrance.

Le philosophe stoïcien Sénèque a donné un sens original à la souffrance, bien différent de celui d’une punition (Christianisme) ou d’un état premier (bouddhisme). Pour lui, le malheur est une épreuve qui possède des vertus positives, non pas en elle-même, non pas parce qu’elle apprend quelque chose sur la vie, mais essentiellement parce qu’elle révèle l’individu à lui-même : «  ce n’est en effet qu’à l’épreuve qu’on se connaît soi-même. » L’épreuve endurcit l’homme, elle renforce son courage, son habitude à affronter les souffrances. Sous cet angle, elle est comparable à un entraînement comme celui, physique et technique, auquel se livrent les gladiateurs de l’époque de Sénèque. Mais son apport décisif se trouve ailleurs.

Dans la souffrance l’homme fait l’expérience de lui-même. Il se découvre et se révèle à lui-même. Il expérimente sa capacité de résistance à l’adversité ou aux frustrations, mais surtout il se risque à lui-même, il vérifie son potentiel, il se prouve à lui-même sa capacité de se poser dans les événements et face à eux. Non sans une forme d’orgueil, Sénèque considère même qu’il se trouve distingué, élu par la souffrance. Et l’âme, la partie de l’âme douée de raison, « arrive à mépriser les maux dont elle souffre. »

Dans un flux d’événements qui l’emportent et le ballottent en tous sens, l’homme ne dispose que d’un fragile esquif de liberté et de maîtrise, certes, mais il lui suffit pour ne pas couler. Dans l’épreuve de la vie, l’homme fait l’expérience de soi. Il retrouve une position de sujet pensant, désirant et agissant. C’est une épreuve de vérité. Dans une situation de souffrance, on demande à savoir. L’épreuve est toujours un questionnement : pourquoi mon enfant est-il malade ? Pourquoi suis-je licencié ? Pourquoi me quitte-t-elle ?

L’épreuve pose la question du sens des choses, des situations, des événements. Elle attend non pas une réponse mais ma réponse. Elle attend que je me relie à moi-même, par le fil ténu du questionnement. Que j’adopte ensuite une position. Et que, dans un dernier temps, j’adapte ma conduite à l’idée que je me fais de la situation, que je m’engage sur ce qui est le meilleur pour moi. Dans ce sens, l’épreuve nous révèle notre pouvoir, notre liberté, notre humanité.

Arrêtons-nous maintenant sur le premier des Travaux d’Hercule, le combat contre le lion de Némée. Hercule doit venir à bout d’un lion de la taille d’un dinosaure qui terrorise la région de Némée. La bête est dotée d’une peau increvable qu’aucune lame ne peut percer. Les flèches et la massue d’Hercule lui seront vite inutiles. Il devra affronter la bête à mains nues. Cette bête de Némée, cela me paraît évident, c’est la réalité que nous devons affronter tous les jours. La réalité qui nous résiste, qui nous provoque, qui nous limite, nous entrave, nous contraint, nous décourage.

Mais, de surcroît, le fauve habite une grotte à deux entrées ou à deux sorties. Ce qui lui permet, dans le cas où elle rencontrerait des adversaires plus forts, de s’évader. Je crois que l’épreuve à laquelle nous sommes confrontés dans le travail est elle-même une scène à double entrée. Quand nous travaillons, nous faisons l’expérience de la réalité, l’expérience des autres aussi, porteuse d’amitié et de tensions, de franchise et de mensonges, etc. Mais nous faisons aussi une expérience plus intérieure, plus intime, l’expérience de nous-mêmes.

Nous faisons notre travail et il nous fait. Mon activité n’est pas devant moi comme une chose séparée, je lui appartiens autant qu’elle est mienne et nous nous fondons tous deux dans l’expérience humaine, liant envers et endroit dans une seule et même forme. Deux entrées, deux sorties : tel est bien l’espace de notre épreuve, comme la caverne du fauve. Travailler, c’est toujours faire l’épreuve de soi-même. Non plus dans le sens d’une adaptation à un monde extérieur, d’une simple réponse par un comportement adéquat, mais dans le sens d’une expérience, d’une connaissance et d’une gouvernance de son propre désir.

Que fait Hercule une fois qu’il a vidé son carquois en vain sur l’énorme fauve ? Il place un rocher devant l’une des entrées. Il laisse sa massue et affronte le monstre à mains nues pour l’étouffer. Je risque ici une interprétation mais, c’est l’intérêt du mythe, chacun pourra donner la sienne. Le travail est finalement une scène à double entrée : on y trouve à la fois les difficultés du réel et celles de notre désir, qui lui aussi, se retournant parfois contre nous-mêmes, nous fait souffrir.

Au travail nous nous engageons, nous faisons l’épreuve de notre désir, de notre ambition, de notre jalousie, surtout quand nous sommes placés dans des situations d’hyperconcurrence comme aujourd’hui. L’expérience de notre désir, on le sait, est parfois malheureuse. Notre désir à deux visages, l’un positif de force motrice, l’autre négatif de frustration et de manque. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, elle n’est pas non plus une mer d’inquiétude et de malheurs. Nous avons moins à accepter tout ce qui vient, comme il vient, qu’à nous mettre en harmonie avec nous-mêmes. Et cette harmonie ne passe pas forcément par l’acceptation et la résignation. Elle les dépasse, au contraire.

Un dernier mot sur Hercule. La véritable instigatrice de ses épreuves, c’est en définitive Héra, l’épouse jalouse et vengeresse. C’est elle qui glisse des serpents dans le berceau d’Hercule. Elle qui multiplie les ruses, les pièges, les obstacles, tout au long des Douze Travaux. Si on regarde chaque séquence elle-même, c’est une terrible force contraire. Mais si l’on regarde l’ensemble du mythe et surtout son aboutissement – Hercule devient un dieu- on peut dire que Héra est une force de stimulation et de dépassement. C’est finalement une mère, un parent, qui pose des obstacles, des limites pour élever son enfant dans l’humanité et ici dans la divinité.

En tant qu’homme, Hercule était un enfant exposé au risque du monde, des autres, de son destin. Il ressemble à ces enfants dont vous prenez soin. Il nous ressemble à nous tous qui avons été exposés ou avons eu peur de l’être. Hercule avait des atouts en naissant, il était le fils d’un dieu. Mais nous-mêmes nous avons un héritage. Il n’est ni financier, ni biologique, il se trouve dans les valeurs auxquelles nous croyons et que nous partageons. Vous les avez revisitées au cours de cette journée. Vous trouverez en elles, dans leur principe, leur histoire et leur actualisation, les ressources individuelles et collectives nécessaires. Ces valeurs semblent désuètes, un monde voué au profit et à la déshumanisation s’en accommode mal. Le souci de l’enfant, le respect des droits, la laïcité, la solidarité, le désintéressement, sont des valeurs qui vont au contraire du monde. Il faut les adapter sans doute, mais jamais y renoncer. Leur adaptation au monde contemporain ne va pas sans risque. C’est votre travail d’Hercule. Vous le réussirez d’autant mieux si vous vous référerez à ces valeurs fondatrices. Elles peuvent éclairer vos épreuves, leur donner la signification et la finalité que la tâche quotidienne nous empêchent de voir. C’est toute la peine que je vous souhaite.

12/10/24 : GODF à Toulon « Vivre et se sentir Européen. Appartenance et Citoyenneté européenne »

Du site officiel du GODF

Colloque organisé par l’association « Le Cercle de l’Étoile » dans le cadre des « Fraternités Européennes », sous l’égide du Grand Orient de France.

Un verre de l’amitié sera proposé après la séquence d’échanges avec le public.

Invités et intervenants :

Boris CYRULNIK : Psychiatre, psychanalyste, écrivain, conférencier

Dorian BENARD : Responsable du Centre EUROPE DIRECT Nice Côte d’Azur

Hervé MORITZ : Président du Mouvement Européen France

Guillaume TRICHARD : Passé Grand Maître du Grand Orient de France

Gérard SABATER : Modérateur

Le secret maçonnique caché dans les nouveaux billets de 20 000 $ argentin

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Du site cronista.com

Le site d’information argentin sous titrait : « Le protagoniste du nouveau projet de loi cache des symboles maçonniques et une histoire pleine de mystères. »

NDLR : Une fois de plus, la Franc-maçonnerie fait l’objet de spéculations antimaçonniques et complotistes. Nous vous livrons ci-dessous l’intégralité de l’article du 4 ocrobre dernier.

La Banque centrale de la République argentine (BCRA) a annoncé que les nouveaux billets de 20 000 dollars entreraient en circulation à la fin du mois. Il s’agira du papier-monnaie de la plus haute valeur nominale du pays et sa conception intègre des éléments de sécurité de pointe pour empêcher la contrefaçon.

Cependant, un autre élément de son modèle cache un symbole de la 
loge maçonnique argentine qui remonte à la première moitié du XIXe siècle et relie les opérations à Buenos Aires, Montevideo et en France. 

Le billet de 20 000 $ : quel est son secret maçonnique ?

C’est la figure de Juan Bautista Alberdi qui figure au recto de l’affiche. Ce héros argentin était membre honoraire de la Loge maçonnique numéro 20 de San Juan de la Fe et a travaillé pour l’organisation jusqu’à sa mort en France en 1884.

Selon le site officiel de la franc-maçonnerie argentine , Alberdi s’est vu confier la tâche d’apporter à Montevideo un ensemble d’idées et de valeurs fondamentales qui guidaient les intellectuels argentins de la société secrète.

Lui et d’autres dirigeants politiques argentins faisaient partie de l’organisation. Il a joué un rôle important dans la recherche d’un consensus et dans la résolution des conflits politiques, facilitant ainsi la sanction de la Constitution argentine de 1853.

Juan Bautista Alberdi était un franc-maçon argentin important.

Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ?

La Grande Loge d’Argentine  la définit comme « une institution essentiellement philosophique, philanthropique et progressiste ». Contrairement à certaines croyances populaires, il ne s’agit pas d’une religion mais plutôt d’une société discrète dont les valeurs sont centrées sur l’altruisme et la rationalité.

Ils affirment que leurs principes sont la liberté, l’égalité et la fraternité et que leur devise est « Science, Justice et Travail ». Il soutient que ses objectifs sont la recherche de la vérité, la perfection de l’individu et le progrès de l’humanité.

Bien qu’à ses origines la franc-maçonnerie ait pu avoir un caractère plus réservé, elle est depuis 1879 une organisation transparente dotée d’un statut juridique accordé par l’État argentin. Ses objectifs sont clairement définis et sont accessibles au public.

Quels autres héros argentins étaient des francs-maçons ?

Outre Alberdi, un grand nombre de personnalités publiques et de membres historiques de la politique argentine ont fait partie de cette organisation. Certains des plus connus sont :  

  • Juan Manuel de Rosas
  • Joseph de Saint-Martin
  • Manuel Belgrano
  • Domingue Faustino Sarmiento
  • Hipólito Yrigoyen
  • Roque Sáenz Pena
  • Carlos Pellegrini
  • Bernardino Rivadavia

La légende d’Arthur du Mythe à la Réalité – Accademia

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De notre confrère arcanatv.fr

La légende d’Arthur se classe parmi les mythes les plus emblématiques de l’histoire occidentale, symbolisant des idéaux tels que le courage, la justice et la quête de sens. Cette épopée, qui a perduré à travers les âges, puise ses origines dans les récits médiévaux, tout en évoluant au fil des ans. Dans ce qui suit, nous proposons une analyse approfondie des racines de cette légende captivante, en explorant le contexte historique et la naissance du roi Arthur légendaire.

La légende arthurienne est principalement connue grâce aux œuvres de plusieurs auteurs médiévaux tels que Chrétien de Troyes, Robert de Boron et Wolfram von Eschenbach. Toutefois, ces écrits ne sont pas les plus anciens à mentionner le roi Arthur. Avant d’examiner son règne, il est essentiel de revenir sur les événements légendaires qui précèdent, notamment l’histoire de l’île de Bretagne lors de la fin de l’Empire romain et au début du Haut Moyen Âge.

L’histoire débute avec le roi Constantin II, surnommé le Béni, qui règne sur l’île de Bretagne au moment où les Romains abandonnent le territoire. Face aux invasions barbares des peuples germaniques et aux attaques des Pictes venant du nord, Rome n’a plus les moyens de défendre la province. Constantin parvient pendant un temps à préserver le royaume, mais il est finalement assassiné par ses ennemis, plongeant le royaume dans une crise de succession.

Le roi Constantin laisse derrière lui trois fils : Constant, l’aîné, suivi d’Ambrosius, et enfin Uther. La succession s’avère difficile, car les nobles bretons sont divisés, chacun soutenant un prétendant différent. C’est finalement Vortigern, un puissant seigneur et ambitieux politicien, qui impose Constant, le fils aîné, sur le trône. Cette manœuvre permet à Vortigern de contrôler indirectement le royaume. Pendant ce temps, Ambrosius et Uther, les deux autres fils de Constantin, s’exilent sur le continent, fuyant les troubles en Bretagne.

C’est dans ce contexte de trahison, de guerre civile, et d’invasions barbares que l’histoire d’Arthur prendra racine, et qu’il sera appelé à restaurer l’ordre et la paix sur l’île de Bretagne.

Le roi Constant n’était pas destiné à régner, son père l’ayant envoyé au monastère pour devenir ecclésiastique. Mais Vortigern, cherchant à asseoir son pouvoir, voit en Constant un roi faible qu’il peut manipuler. Une fois Constant sur le trône, Vortigern consolide son influence avant de faire exécuter le roi, s’autoproclamant ensuite roi de Bretagne. Il envisage une alliance avec les Saxons pour se défendre contre les autres fils de Constantin. Cependant, Ambrosius et Uther, déterminés à venger leur père, mettent leurs différends de côté pour renverser Vortigern et protéger l’île de Bretagne. Avec une armée formée aux tactiques romaines, ils repoussent les envahisseurs saxons. Vortigern est tué par Ambrosius, qui devient alors roi de Bretagne, tandis qu’Uther prend le commandement des armées, chargé d’éliminer toute autre menace.

Uther, accompagné du sage Merlin, se rend en Irlande pour ramener les mégalithes de Stonehenge en Angleterre. À son retour, il trouve le roi Ambrosius Aurelianus mourant, empoisonné par un assassin saxon. Ainsi, Uther devient roi de l’île de Bretagne, prenant pour emblème un dragon, d’où son surnom « Pendragon » (Tête de Dragon). La guerre contre les Saxons se poursuit sous son règne, et Uther doit livrer plusieurs batailles pour protéger son territoire. L’un de ses vassaux les plus importants est Gorlois, duc de Cornouailles, marié à Ygerne. Uther tombe profondément amoureux d’Ygerne, ce qui crée des tensions entre les seigneurs bretons. Merlin, voyant la situation se détériorer, propose à Uther une solution : il lui permettra de passer une nuit avec Ygerne, à condition que cela mette fin au conflit.

Uther accepte l’offre de Merlin, qui utilise sa magie pour donner à Uther l’apparence de Gorlois, permettant ainsi au roi d’entrer dans le château de Tintagel. Merlin avertit Uther de ne pas faire de mal à Gorlois et prédit qu’un fils, destiné à un grand avenir, naîtra de cette union. Uther accepte les conditions de Merlin à contrecœur. Déguisé en Gorlois, Uther entre dans le château et passe la nuit avec Ygerne, tandis que Gorlois se trouve sur le champ de bataille, combattant les armées d’Uther. Cependant, Uther trahit Merlin en ordonnant l’assassinat de Gorlois. Alors qu’Uther quitte Tintagel le lendemain matin, la dépouille de Gorlois est ramenée au château, révélant à Ygerne qu’elle n’a pas partagé sa couche avec son mari la nuit précédente.

Neuf mois plus tard, Arthur naît et Merlin vient le chercher pour l’emmener. Ygerne, désormais mariée à Uther, accepte à contrecœur que son fils soit confié à Merlin. Le jeune Arthur est placé sous la garde du chevalier Anthor, qui lui assure une éducation militaire et morale exemplaire. Pendant ce temps, Uther continue à combattre les envahisseurs saxons. Sa dernière campagne le conduit à affronter Octa, fils de Heingist, à St Alban, où il trouve la mort en buvant de l’eau empoisonnée par ses ennemis. La mort d’Uther plonge l’île de Bretagne dans le chaos, la laissant à la merci des hordes saxonnes.

La chute de Rome et les invasions saxonnes : le Haut Moyen Âge (Partie 1)

Au début du 5ème siècle, l’Empire romain est en déclin et subit de plus en plus d’invasions barbares le long de ses frontières. En 407, les légions romaines stationnées en Bretagne s’émancipent de l’autorité impériale et proclament Constantin III empereur de Bretagne et des Gaules. Constantin III, qui peut être assimilé à Constantin le Béni dans la légende arthurienne rapportée par Geoffrey de Monmouth, était un seigneur breton ayant reçu une formation militaire romaine. Il parvient à repousser les Saxons et les Pictes, tout en stabilisant la Gaule avec l’aide des Francs, un peuple fédéré chargé de protéger la frontière du Rhin. Constantin étend son influence jusqu’en Espagne, rappelant l’idée du royaume de Logre dans la légende, qui ne se limite pas à l’île de Bretagne mais englobe également une large part du continent.

En 408, Constantin III nomme son fils Constant césar de l’Empire et le désigne comme son héritier, un autre lien avec la légende arthurienne.

L’empereur Flavius Honorius règne sur Rome, mais il reconnaît Constantin III comme co-empereur, acceptant son autorité. En 410, Constantin III se rend à Rome pour protéger la ville des barbares, mais l’Espagne se révolte contre lui, et il est finalement vaincu en 411, ainsi que son fils. Pendant ce temps, la Bretagne se retrouve sans armée pour se défendre et subit de nouvelles incursions des barbares saxons. L’Empire romain, affaibli, n’a plus les moyens de protéger ce territoire éloigné. Entre 425 et 450, les chroniques de Nennius et de Gildas le Saint font apparaître la figure de Vortigern, un seigneur breton qui fonde un royaume indépendant pour résister aux invasions germaniques.

L’histoire de la province romaine de Bretagne a clairement inspiré la légende arthurienne. Un autre personnage historique, Ambrosius Aurelianus, fait son apparition peu après. Il semble être un chef de guerre breton romanisé, bien qu’il ne soit pas forcément un roi. Ambrosius combat les Saxons entre 460 et 480, tout comme dans les récits légendaires d’Arthur. Face à la progression des envahisseurs qui contrôlent désormais toute la côte est de l’Angleterre, Ambrosius fuit en Armorique (la Bretagne continentale). Ce général romain, d’origine bretonne, est parfois décrit comme un consul. Sa retraite en Armorique semble correspondre à celle d’Ambrosius dans la légende, où il s’enfuit pour échapper à Vortigern, qui s’est allié aux Saxons.

Il est possible qu’il y ait eu deux personnages portant le nom d’Ambrosius, un père et un fils, ce qui expliquerait certaines incohérences chronologiques dans les récits. Après sa retraite stratégique, le général romain tente de reconquérir la Bretagne, conduisant à la bataille du Mont Badon, souvent attribuée à Arthur dans la légende. Cependant, les chroniques les plus anciennes ne mentionnent pas Arthur lors de cette bataille. Il est probable que cette victoire soit le résultat d’une alliance bretonne menée par un général romain comme Ambrosius entre 480 et 500. Uther Pendragon, le père légendaire d’Arthur, n’a pas de sources historiques confirmant son existence, et son rôle reste donc purement mythologique.

Pour situer ces événements dans leur contexte historique, il est important de rappeler que :

  • En 407, Constantin III, connu sous le nom de Constantin le Béni dans la légende, est proclamé empereur.
  • Les invasions saxonnes commencent vers 410, coïncidant avec le retrait des troupes romaines de Bretagne.
  • En 410, l’empereur Flavius Honorius appelle les Bretons à assurer seuls leur défense, même si le territoire reste symboliquement rattaché à l’Empire.

Le 5ème siècle marque donc une période de guerre et de violence pour la Bretagne. Le territoire, déjà christianisé et romanisé, est défendu par des chefs de guerre bretons issus de l’aristocratie militaire, formée par les Romains. Ce système de défense persiste jusqu’à la fin du 5ème siècle. Pendant que l’Empire romain s’effondre, les peuples fédérés tels que les Francs, les Wisigoths, les Ostrogoths et les Bretons fondent des royaumes sur les ruines de l’Empire. C’est dans ce contexte que la bataille du Mont Badon se déroule, avec les Bretons repoussant les Saxons vers 495 selon les sources. Les chroniques de Gildas au 6ème siècle et de Bède au 8ème siècle attribuent cette victoire à Ambrosius Aurelianus. Ce n’est qu’au 9ème siècle que les « Annales Cambriae » et l’ »Historia Brittonum » de Nennius mentionneront Arthur comme héros de la bataille, qu’ils datent de 516.

La légende du Roi Arthur

Arthur, désormais un jeune homme, découvre un royaume plongé dans l’anarchie après la mort de son père Uther plusieurs années auparavant. Merlin, le sage conseiller, décide qu’il est temps de révéler le destin d’Arthur. Le jeune homme apprend alors la vérité sur ses origines et son rôle à venir. Cependant, pour devenir roi, il doit d’abord être reconnu par les grands seigneurs de Bretagne, qui sont divisés et en guerre entre eux. Ces seigneurs, habitués à leur indépendance, doivent être unis sous un roi pour que l’île retrouve sa cohésion, une cohésion perdue quand Uther a semé la discorde en convoitant la femme de Gorlois, duc de Cornouailles.

Guidé par Merlin, Arthur est conduit vers un rocher sacré où une relique ancienne, l’épée des Rois, est figée. Selon la légende, celui qui parviendra à la retirer deviendra le roi de Logre, un vaste royaume comprenant la Bretagne, l’Armorique, l’Aquitaine, l’Écosse, le pays de Galles, l’Irlande et l’Angleterre. Contrairement à une idée répandue, l’épée des Rois n’est pas Excalibur, mais une autre épée, distincte de celle que la Dame du Lac offrira plus tard à Arthur.

Arthur parvient à s’emparer de l’épée des Rois et est reconnu comme le souverain légitime du royaume de Logre, affirmant également sa filiation en tant que fils du roi Uther Pendragon. Cependant, sa demi-sœur, la fée Morgane, fille de Gorlois et d’Ygerne, refuse d’accepter cette ascension et complote contre lui avec l’aide de certains seigneurs mécontents. Arthur reçoit un autre présent magique, l’épée Excalibur, offerte par la Dame du Lac, une magicienne bienveillante. Ce puissant artefact l’aidera à lutter contre ses ennemis. Arthur épouse Guenièvre, une princesse chrétienne, incarnant ainsi l’union entre le paganisme ancien de l’île de Bretagne et la nouvelle foi chrétienne.

Arthur est décrit non pas comme un roi avide ou cruel, mais comme un souverain juste et noble, animé par des idéaux chevaleresques. Il décide de créer un ordre de chevalerie, où tous les membres, quel que soit leur statut social, seraient égaux. Seuls les plus courageux et honorables sont admis dans cet ordre : les chevaliers de la Table Ronde. Ces derniers doivent avoir accompli des exploits militaires et partager les valeurs de justice, d’honneur et de courage.

Rapidement, Arthur doit faire face à une menace grandissante : une armée saxonne puissante menace de ravager le royaume. Le roi et ses chevaliers engagent la bataille au Mont Badon, remportant une victoire décisive qui renforce l’unité et la gloire du royaume. Le règne d’Arthur débute sous de bons auspices avec cette victoire militaire éclatante et la création de l’ordre de la Table Ronde, marquant une période de prospérité et de félicité pour Logre.

Cependant, des prophéties sombres annoncent l’arrivée de temps troublés, et le royaume semble touché par une étrange malédiction. Le salut du pays résiderait dans la découverte d’une relique sacrée : le Graal, qui pourrait apporter la félicité éternelle au royaume de Logre. Les chevaliers de la Table Ronde partent en quête de cette relique divine, mais la tâche est ardue. Seul un chevalier pur de cœur peut espérer trouver cet artefact. Nombreux sont ceux qui échouent, périssent, ou sombrent dans la folie durant cette quête, tandis que la menace saxonne demeure, tapie dans l’ombre.

Le temps passant, Arthur n’a pas d’héritier de son mariage avec Guenièvre. Cette dernière tombe amoureuse du chevalier Lancelot, l’un des plus vaillants et proches conseillers du roi. Leur relation secrète fragilise le pouvoir d’Arthur et provoque l’exil de Lancelot. Par ailleurs, Arthur a un fils bâtard, Mordred, né de sa relation avec sa sœur Morgane, qui avait usé de la magie pour séduire son frère, en quête de vengeance. Mordred, bien que brillant chevalier de la Table Ronde dans un premier temps, finit par trahir son père.

Lorsque Arthur part en campagne militaire en Armorique, Mordred saisit l’occasion pour usurper le pouvoir et s’emparer de Guenièvre. Pour rétablir l’ordre, Arthur doit prendre les armes contre son propre fils. Mordred, dans sa quête de pouvoir, s’allie aux Saxons, à l’image de Vortigern avant lui. Les deux armées s’affrontent lors de la bataille de Camlann, où père et fils s’entretuent dans un combat fratricide. Arthur meurt, mais les chevaliers de la Table Ronde réussissent tout de même à repousser les envahisseurs saxons.

La mort d’Arthur marque la fin de l’âge d’or du royaume de Logre. Sa dépouille est emmenée sur l’île d’Avalon par Morgane, où la légende dit qu’il repose en attendant de revenir pour protéger son peuple en cas de nouveau danger. Après lui, Constantin III, fils de Cador, duc de Cornouaille, monte sur le trône et continue la lutte contre les fils de Mordred et les Saxons. Cependant, malgré quelques rois légendaires qui lui succèdent, le royaume finit par succomber aux envahisseurs saxons. Selon la légende, le roi Arthur reviendra de l’île d’Avalon lorsque le royaume sera de nouveau menacé, prêt à protéger à nouveau la terre de Logre.

L’installation des Saxons et la résistance bretonne : le Haut Moyen Âge (Partie 2)

Historiquement, l’existence réelle d’Arthur ne peut pas être prouvée. Les plus anciens textes historiques de Bretagne, comme ceux de Gildas le Sage et de Bède le Vénérable, ne le mentionnent pas, ni son père Uther Pendragon. L’Arthur littéraire n’apparaît qu’à partir du 9ème siècle avec les Annales Cambriae et l’Historia Brittonum de Nennius. À cette époque, Arthur n’était pas encore associé à la légende du Saint Graal et aux chevaliers de la Table Ronde, ce qui ne viendra qu’avec les romans du 12ème siècle.

La victoire des Bretons sous la conduite d’Ambrosius Aurelianus n’a pas mis un terme aux incursions saxonnes, et celles-ci reprennent avec encore plus de force, permettant aux Saxons d’imposer leur domination sur l’île de Bretagne. Cela conduit à la fondation de nouveaux royaumes par les envahisseurs Angles et Saxons. Le Wessex est le premier à émerger vers la fin du Vᵉ siècle, avec le roi Cynric, qui aurait affronté Ambrosius lors de la célèbre bataille du Mont Badon. Le Wessex étend progressivement son influence sur le sud de l’Angleterre. Ensuite, au VIᵉ siècle, le royaume de Mercie devient la puissance dominante sur la majeure partie de l’Angleterre. D’autres royaumes se forment également : le Kent, l’Est-Anglie, le Sussex, l’Essex et la Northumbrie, achevant ainsi la conquête de l’île. Seuls le pays de Galles, la Cornouaille et les peuples d’Écosse parviennent à résister aux envahisseurs. Le VIᵉ siècle marque donc la fin de l’hégémonie bretonne sur l’île de Bretagne au profit des Anglo-Saxons.

C’est dans cette période troublée des Vᵉ et VIᵉ siècles que l’on doit chercher les personnages historiques susceptibles d’avoir inspiré la figure légendaire d’Arthur et la fameuse bataille de Camlann. Il ne s’agit pas ici de rechercher l’Arthur créateur de la Table Ronde, mais plutôt le Dux Bellorum (chef de guerre) décrit dans les premiers récits du IXᵉ siècle. Plusieurs théories existent, bien qu’aucune ne fasse l’unanimité :

La plus simple suggère qu’Arthur serait en réalité Ambrosius Aurelianus, jeune leader breton qui aurait participé à la bataille de 495. Arthur, selon cette hypothèse, serait donc un chef de guerre breton, issu de l’armée romaine. Dans la chronique de Nennius, Arthur n’est pas mentionné comme roi, mais comme Dux Bellorum, un chef militaire britto-romain combattant les Saxons. Il est donc plausible qu’Arthur soit inspiré par un général breton, romanisé et chrétien, luttant contre les envahisseurs païens. D’autres théories romaines tentent de lier Arthur à d’autres figures militaires, mais elles ne s’accordent pas avec les dates chronologiques qui situent la légende entre 450 et 550.

Une autre hypothèse fait d’Arthur une figure de la résistance galloise face aux Saxons, distincte d’Ambrosius. Le pays de Galles ayant réussi à repousser les Saxons, il est tout à fait envisageable qu’un chef de guerre local se soit illustré au point de donner naissance à la légende. Une théorie supplémentaire associe Arthur au chef de guerre Riothamus, souvent surnommé « roi des Bretons » (probablement ceux d’Armorique). Riothamus aurait combattu les Wisigoths au nom de l’empereur Anthémius entre 468 et 469. Cependant, les sources historiques à son sujet sont rares, et certains historiens pensent qu’il pourrait s’agir d’Ambrosius Aurelianus sous un autre nom. Cette hypothèse rejoint donc la première. Enfin, une dernière théorie, allégorique, suggère qu’Arthur est davantage un symbole collectif de la résistance bretonne, plutôt qu’une figure historique réelle, son nom ayant été commun à l’époque britto-romaine. Cela n’exclut pas que plusieurs personnages historiques aient contribué à façonner certains aspects du mythe.

En guise de conclusion personnelle, il me semble que la figure d’Arthur résulte d’un syncrétisme astucieux de trois éléments principaux :

  1. Arthur comme symbole de la résistance galloise : Les premiers textes mentionnant Arthur proviennent du pays de Galles. Le personnage n’aurait pas d’existence historique propre, mais incarnerait les luttes d’un peuple contre un autre.
  2. Arthur et Ambrosius Aurelianus : Arthur prend la forme d’Ambrosius, le défenseur historique de l’île de Bretagne. Tous les chefs de guerre gallois ultérieurs deviennent symboliquement de nouveaux Ambrosius, se cristallisant sous le nom d’Arthur.
  3. L’aspiration messianique : Arthur est celui qui a défendu l’île et qui, un jour, reviendra pour la sauver. Il devient donc un symbole d’identité et d’indépendance pour les Bretons sous occupation anglo-saxonne.

Quant à l’Arthur mystique, il ne prend forme qu’au XIIᵉ siècle, se fondant sur une figure mythologique galloise qui incarne à la fois la résistance bretonne et l’héritage de l’Empire romain disparu lors des âges sombres des Vᵉ et VIᵉ siècles.

La création du mythe d’Arthur

La légende arthurienne prend véritablement son essor sous la plume de Geoffrey de Monmouth au XIIᵉ siècle, et dans un premier temps, elle constitue avant tout une subtile manœuvre politique. Pour mieux comprendre cette intrigue, revenons brièvement sur le fil de l’histoire.

Au VIᵉ siècle, les Anglo-Saxons établissent plusieurs royaumes sur l’île de Bretagne. Toutefois, le peuple breton ne disparaît pas pour autant, et des régions comme le pays de Galles et la Cornouaille demeurent libres. Progressivement, vers la fin du IXᵉ siècle, période à laquelle Arthur commence à apparaître dans les textes, les différents royaumes anglo-saxons se rassemblent pour former un seul royaume : l’Angleterre. La population de ce royaume est alors composée de Bretons, d’Anglo-Saxons, et de Danois. Ces derniers, après avoir mené plusieurs vagues d’invasions sur les côtes bretonnes, finissent par s’implanter progressivement dans certaines régions, bien que le pouvoir central reste sous le contrôle des Anglo-Saxons.

C’est dans ce contexte d’unification et d’invasions que le mythe d’Arthur émerge, façonné pour répondre aux enjeux politiques de l’époque et pour rallier les différents peuples sous une même bannière.

En 1066, à la mort du roi Édouard le Confesseur, dernier monarque saxon de la maison du Wessex, une crise de succession éclate. Plusieurs prétendants s’affrontent pour le trône d’Angleterre. Les nobles saxons élisent Harold Godwinson, un membre de la maison du Wessex, mais Guillaume, duc de Normandie, revendique également la couronne. Cette même année, Guillaume envahit l’île de Bretagne, la conquiert, et instaure une nouvelle dynastie. C’est ainsi que débute la domination normande en Angleterre. Si les Bretons s’allient d’abord aux Normands, une fois le pays pacifié, ils commencent à les percevoir comme de nouveaux envahisseurs.

Sous le règne d’Étienne, petit-fils de Guillaume le Conquérant, Geoffrey de Monmouth écrit entre 1135 et 1138 l’Historia Regum Britanniae. Ce texte reprend les récits légendaires de Nennius au IXᵉ siècle, en relatant le passé mythique de la Bretagne, notamment les règnes d’Uther Pendragon et surtout celui d’Arthur. Dans la tradition bretonne, Arthur est un roi qui devait un jour revenir pour chasser les Saxons de l’île. Or, ce sont les Normands, sous Guillaume, qui ont vaincu les Saxons. Geoffrey de Monmouth tisse une filiation légendaire entre Guillaume le Conquérant et Arthur, dans le but de légitimer la domination normande sur le trône d’Angleterre et de rallier les Bretons à leur cause.

La manipulation légendaire ne s’arrête pas là. L’Angleterre plonge dans une guerre civile opposant le roi Étienne à l’impératrice Mathilde, fille du précédent roi. Finalement, c’est Henri II Plantagenêt, fils de Mathilde, qui accède au trône en 1154. Mais dans l’esprit des Bretons, le retour d’Arthur aurait été bien préférable à l’arrivée d’un roi issu de la noblesse angevine. C’est dans ce contexte que, presque miraculeusement, des moines de l’abbaye de Glastonbury découvrent en 1191 les tombes du roi Arthur et de la reine Guenièvre. Cela met un terme à l’espoir d’un retour d’Arthur et oblige les Bretons à accepter Henri II Plantagenêt et ses descendants comme leurs souverains légitimes. Afin de renforcer cette légitimité, Wace rédige le Roman de Brut, un texte diffusé à la fois en Angleterre et dans les territoires français contrôlés par les Plantagenêts.

La légende arthurienne, d’abord utilisée pour légitimer les ambitions des Normands puis celles des Plantagenêts, n’aurait peut-être pas survécu jusqu’à nos jours si elle s’était arrêtée là. L’essentiel est de comprendre comment cette figure héroïque, issue de la résistance bretonne face aux Saxons et inspirée par Ambrosius Aurelianus, s’est transformée en un conte initiatique. Au fil des siècles, le récit d’Arthur s’est progressivement imprégné de la tradition mythologique celtique, formant ainsi ce que l’on appelle la matière de Bretagne.

Les récits arthurien se sont rapidement enrichis et complexifiés, au gré des auteurs. C’est finalement Chrétien de Troyes qui a donné à cette légende une nouvelle dimension à travers des œuvres comme Lancelot ou le Chevalier à la Charrette, Yvain ou le Chevalier au Lion, et surtout Perceval ou le Conte du Graal. Il y dépeint la célèbre cour du roi Arthur et ses chevaliers de la Table Ronde. Toutefois, notre intérêt ici réside dans la construction de la légende elle-même. Depuis le IXᵉ siècle, le personnage arthurien, nourri d’inspirations historiques diverses, prend forme, avec en toile de fond des événements marquants comme la conquête saxonne de la Bretagne et la résistance bretonne. Les œuvres de Geoffrey de Monmouth et de Wace ont contribué à complexifier ce personnage, mais c’est Chrétien de Troyes qui introduit le code moral de la chevalerie. Ses textes, rédigés à la fin du XIIᵉ siècle, coïncident avec l’époque des croisades et l’émergence de la chevalerie, une période durant laquelle ses mécènes, Henri de Champagne et Philippe de Flandre, participent activement aux croisades.

Chrétien de Troyes décrit des batailles et des tournois de chevalerie en phase avec son temps, bien que la chevalerie n’ait pas existé au Vᵉ siècle, époque supposée de la légende d’Arthur, pas plus que l’amour courtois, qui naît en Occitanie et se diffuse au XIIᵉ siècle. Il se sert de la figure d’Arthur pour illustrer un roi juste et honorable, entouré de chevaliers dont les idéaux sont inébranlables, prêts à risquer leur vie pour défendre la veuve et l’orphelin. Les romans arthurien, tant ceux de Chrétien de Troyes que ceux de ses successeurs, exaltent la chevalerie chrétienne du Moyen Âge tout en puisant dans les traditions païennes des légendes bretonnes du Vᵉ siècle. Arthur devient alors le symbole du roi idéal, représentant une société utopique fondée sur une vision idéalisée de l’Empire romain disparu, un monde ancien et parfait.

Ainsi, Chrétien de Troyes et les nombreux auteurs qui lui ont succédé ont non seulement retranscrit les aspirations de leur époque à travers un prisme littéraire nourri d’un passé mythique, mais ils ont également créé une nouvelle ère : celle des légendaires chevaliers de la Table Ronde.

Conclusion

La légende arthurienne est une fusion fascinante de réalité historique et de mythologie, enrichie au fil des siècles par des auteurs médiévaux. Ce mythe, qui trouve ses racines dans les troubles de la fin de l’Empire romain et les invasions saxonnes, a évolué pour devenir un symbole de bravoure, de justice et de quête spirituelle. À travers les récits de Geoffrey de Monmouth, Chrétien de Troyes et bien d’autres, Arthur est passé d’un chef de guerre breton à un roi légendaire entouré de chevaliers héroïques. Aujourd’hui, cette légende continue de captiver l’imagination, représentant l’idéal d’un passé héroïque et utopique.

Bibliographie :

  • Les textes de Chrétiens de Troyes 12ème siècle
  • La Légende Arthurienne, Robert laffont
  • La morte d’Arthur, Thomas malory 15ème siècle
  • Jean Markale, le cycle du Graal
  • Roman de Brut, Wace 12ème siècle
  • Annales Cambriae, Historia Brittonum 9ème siècle
  • Marguerite-Marie Dubois, Le roman d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde
  • Anne Berthelot, Arthur et la Table ronde : La force d’une légende

Élisée Reclus, premier Franc-maçon penseur de l’écologie, qu’en avons-nous fait ?

Comment se fait-il que les Francs maçons ne le revendiquent pas comme le père de leur pensée sur l’écologie ? Peut-être parce qu’il est trop inclassable. Peut-être parce qu’ils ont encore du mal à la développer cette pensée maçonnique sur l’écologie.

Nouvelle Géographie Universelle, Elisée Reclus

Formidable géographe de la fin du XIXème siècle, auteur notamment d’une Nouvelle Géographie Universelle (en 19 volumes), de l’étonnant L’homme et la Terre, (en six volumes) Elisée Reclus a également écrit L’Anarchie ou  Evolution et Révolution. Il était anarchiste, communard et franc maçon. Il n’a pas la place qu’il mériterait, ni dans l’histoire des sciences, ni dans celle de l’écologie, ni dans celle de la franc-maçonnerie. Il a passé son temps à penser contre son époque, contre la révolution industrielle embarquée toutes sirènes hurlantes dans la poursuite aveugle du dieu “Progrès”. Mais penser contre son époque, contre les évidences de son époque, et même penser contre soi-même, n’est-ce pas justement une attitude  maçonnique ? 

Elisée Reclus à 19 ans

Il est né en 1830 à Saint Foy la Grande en Gironde, quatrième enfant d’une famille de quatorze. Son père était pasteur calviniste et prévoyait que son fils lui succèdât. Mais Elisée ne succédera à personne. Il abandonne les études de théologie, puis le calvinisme et puis la religion. Il s’intéresse à la géographie. Mais pas de manière purement descriptive et statique avec une approche vivante et dynamique. Alexander Von Humboldt (1769-1859) l’a précédé de quelques décennies. C’est lui qui a défini le principe de causalité selon lequel les phénomènes humains agissent sur les phénomènes géologiques. Le premier à parler de modifications climatiques dues à l’activité humaine. Le premier à tenter de comprendre le monde en partant du local pour aller au global.  Son ouvrage le plus connu est Cosmos. 

A sa suite, Elisée Reclus va décrire la Terre comme un organisme vivant. Un de ceux qui sont convaincus qu’on connaît la terre avec ses pieds, par le voyage, par l’observation. Selon la naturaliste Valérie Chansigaud, il est « l’un des premiers à étudier la place de l’espèce humaine dans la nature après les révolutions industrielles, (il) pose les bases de ce qui s’appellera plus tard l’écologie. ». Elisée Reclus va voyager. Il faut dire qu’il y est un peu poussé car on le pourchasse d’un peu partout à cause de ses prises de positions politiques.  En Europe : Allemagne, Italie, Suisse, France, Belgique, Angleterre, Sicile, Pyrénées espagnoles, mais aussi Amérique (Nouvelle Orléans). Un de ses premiers jobs est d’écrire pour un guide touristique Hachette. Mais très vite, ses travaux se font strictement scientifiques. Avec une approche qui lie l’histoire et la géographie.

Faut-il l’appeler géo-histoire, philosophie historique,  anthropologie historique ? Évidemment très inspiré de Darwin (1809-1882) il cherche à comprendre la dynamique évolutive de la géographie. Il s’oppose en cela à l’idéologie saint-simonienne qui voudrait ne voir les phénomènes que sous un angle mécaniste et positiviste. Dans “Histoire d’un ruisseau”, il décrit le cycle de l’eau depuis l’infiniment petit (la goutte) jusqu’à l’infiniment grand (l’océan). Le cycle de l’eau est un mouvement perpétuel : “travaillant sans cesse à l’œuvre, le fleuve détruit constamment ses rivages, ses îles, ses bancs de sable” (p.329). Le ruisseau détruit autant qu’il construit :  “d’un côté il démolit en emportant grains de sable, molécules d’argile, débris menuisés de rochers, fragments de racines usés par les flots ; de l’autre côté il édifie en déposant tous ces restes en une couche qui s’élève peu à peu du fond de l’eau” (p.331). 

Et l’homme dans tout ça ? Elisée Reclus ne le décrit pas comme extérieur à la nature, d’une “nature” différente, mais comme en étant partie prenante au même titre que le reste du vivant : “Les hommes croient le ruisseau leur appartient, mais tout autant à tous les êtres qui peuplent et qui en tirent leur subsistance” (p.349) Il est sur la trace, sans le savoir, des écosystèmes et de leurs interactions multiples. Et du plus grand des écosystèmes : la Terre elle-même. 

Couverture de l’Homme et la Terre (colorisée)

Ce n’est pas seulement le géographe qui parle, c’est déjà l’écologue qui ne connaît pas son nom. Car cette observation le conduit vers un changement de regard,  l’homme ne peut pas regarder la nature de l’extérieur. Il voit déjà, dans cette deuxième moitié du XIXè siècle, alors que tout le monde est fasciné par la révolution industrielle, il voit déjà les dégâts qu’elle cause sur les cycles naturels, et qu’elle va causer : “l’humanité, trop impatiente de jouir, trop indifférente au sort des générations futures, n’a pas encore assez le sentiment de sa durée pour qu’elle songe à conserver précieusement la beauté de la terre”. Dans L’Homme et la Terre il revient à de nombreuses reprises sur cette idée : « Le fait général est que toute modification, si importante qu’elle soit, s’accomplit par adjonction au progrès de régrès correspondants »

Pourtant, il se refuse absolument à considérer que l’humanité serait uniquement nuisible à la nature. En cela, il est en avance sur bien des “écologistes” d’aujourd’hui. Pour lui, il faut considérer les deux aspects des choses : d’un côté l’action de l’homme détruit, mais de l’autre, elle améliore. L’humanité a un rôle à jouer dans l’entretien et la préservation de cette nature, un rôle de réparation, de protection et même d’embellissement 

Dans l’Homme et la Nature il écrit : “Quelle que soit la liberté relative conquise par notre intelligence et notre volonté propres, nous n’en restons pas moins les produits de la planète”. Il va plus loin,  et là on aborde déjà ce qui sera bien plus tard la deep ecology :  “La terre est le corps de l’humanité et (…) l ’homme (…) est l’âme de la terre”. Il va même jusqu’à affirmer que l’homme est “la conscience de la terre”. Même pas rapport à beaucoup d’écologistes d’aujourd’hui, on pourrait dire qu’il a de l’avance. 

Couverture de l’Homme et la Terre (colorisée)

Elisée Reclus ne se contente pas de préconiser une nouvelle attitude de l’homme vis à vis de ce qu’on appelle la nature, il a la mauvaise habitude de mettre en pratique sur lui-même ses propres idées. Il est pour la liberté, il n’accepte pas l’autorité. Il s’insurge contre le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, il participe au mouvement des Communards en 1871 ce qui lui vaudra d’être condamné à l’exil en Calédonie, de passer de prison en prison, de connaître dix ans d’exil, des persécutions incessantes, on lui refuse la chaire de géographie de l’Université “Libre” de Bruxelles qu’on lui avait pourtant promis, il doit s’exiler à travers l’Europe… Il est pour l’union libre y compris pour les femmes. Ses 4 “mariages” seront contractés librement,  sous seing privé, sans passer devant le maire ni le curé. Il est végétarien et naturiste. Il pense que l’homme a besoin du contact direct avec la nature pour mieux la comprendre. Il se reconnaît dans la mouvance anarchiste. Il  fréquente assidûment Pierre-Joseph Proudhon, Auguste Blanqui ou Bakounine. Un anarchisme tenté de communisme, celui d’avant le stalinisme, quand on pouvait encore croire à l’utopie d’une fraternité universelle. 

Et franc-maçon.  Son goût pour la liberté plus qu’absolue de conscience ne lui rendra pas son parcours facile. Mais il est initié le 11 mars 1858 dans la loge “Les Emules d’Hiram“ au Grand Orient de France, à Paris. Il ne la fréquentait pas beaucoup. Le peu de hiérarchie qui existe là est encore trop pour lui. Mais il visitera souvent des loges en Belgique ou en France pour y donner des conférences notamment sur l’anarchisme. Sa conférence intitulée l’Anarchie est une véritable planche de réflexion sur la liberté. 

Elisée Reclus en Suisse

Son œuvre de géographe est considérable, mais son  profil n’était pas compatible avec les honneurs ni avec la reconnaissance sociale. Sa pensée écologique était avant-gardiste, elle date d’avant que le mot-même ne soit inventé. Elle pose d’emblée les enjeux sur le fond, sur ce qui sera les objets du débat au cours du XXème siècle et encore bien plus au cours du XXIème siècle, en plein milieu de la crise climatique et face à l’effondrement du vivant. Son principal tort aura été de n’avoir jamais su traverser dans les clous. 

Pourtant, rien n’empêche les francs-maçons d’aujourd’hui de se le réapproprier et d’en faire un auteur majeur pour inspirer nos travaux d’aujourd’hui, à travers : L’Homme et la Nature, Histoire d’une Montagne-Histoire D’un Ruisseau et même à travers, pourquoi pas, sa planche sur l’anarchie. Nos FF et SS belges, français, luxembourgeois ne s’y sont pas trompés en fondant le Triangle Elisée Reclus qui se définit ainsi : 

Le Triangle Élisée Reclus (T.E.R.) est constitué de SS∴ et de FF∴ issus d’Obéd∴ belges, françaises et luxembourgeoises qui se sont donné pour mission de tenter d’apporter une réponse maçonn∴ à la crise civilisationnelle issue de la débâcle écologique à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée, par la recherche d’un cheminement intellectuel nouveau débarrassé des scories perverses de l’anthropocène vers un humanisme en harmonie avec la nature.

Avec cette devise « l’Homme est la nature prenant conscience d’elle-même »