lun 13 janvier 2025 - 21:01

Lettre d’information de la GLMF n°45 – Octobre 2024

Du site officiel de la Grande Loge Mixte de France

Éditorial du Grand Maître
Octobre 2024

Le quatrième mur

« J’avais très envie, aussi, de casser la rampe, ce quatrième mur invisible qui, au théâtre, coupe la scène et la salle. »  Peter Brook – Le Monde – Novembre 2010.

Dans une recherche aboutie en 1968 par la sortie de son livre « L’Espace vide », le metteur en scène Peter Brook explique : « Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé. »

Britannique francophile et parlant un Français remarquable, il ajoutait que parmi les mots polysémiques de la langue française se glisse le mot « assistance ». L’assistance peut être la réunion d’une assemblée spectatrice d’un évènement (assister signifiant voir) ; elle peut être également l’élan d’un entourage pour porter secours, soutien ou protection (assister signifiant aider).

Alors que le 17 juin 1789 les députés du Tiers Etat se forment en Assemblée Nationale, le 20 juin le Roi en récuse l’autorité et fait fermer la salle des séances (l’hémicycle). Sans plus de lieu pour tenir leur séance, les députés se réunissent alors dans la Salle du Jeu de Paume et affirment dans le serment éponyme leur volonté d’établir la Constitution du pays.
Dans son « Arrêté contre toute suspension ou interruption de l’Assemblée », les députés déclarent que « partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée Nationale ».

La Loge est entre les quatre murs du Temple. C’est ce que l’on pourrait penser. Pourtant à l’image de l’Assemblée Nationale, la Loge est en réalité partout où les Francs-Maçons veulent se réunir. Mais ce n’est pas tout.
Car le Franc-Maçon n’est pas une île, il rencontre le monde et partout où est le Franc-Maçon, ce qu’il a appris dans le Temple est avec lui.

En voulant « casser le quatrième mur », Peter Brook nous invite à réfléchir à cette ambivalence : le public participe-t-il ou non à la représentation ?
« Casser le quatrième mur », c’est ouvrir la salle. Ainsi la pièce n’est plus donnée en un lieu clos et celui qui y assiste est davantage qu’un simple spectateur, il s’empare en pleine conscience du message de l’œuvre, le comprend à la lumière de ce qu’il est. Et l’art de l’auteur est véhiculé au monde.

Et nous Francs-Maçons, que voulons-nous être dans la Société ? Réécoutons Peter Brook, soyons cette assistance qui écoute et entend, qui entoure et soutient. L’assistance du Franc-Maçon qui perçoit et véhicule ses valeurs sur la place de son village, le Franc-Maçon qui participe à la vie de la Cité.

Les Francs-Maçons ne cherchent pas l’uniformisation, ils ne désirent pas que nous soyons tous les mêmes. Ce que cherchent les Francs-Maçons, c’est l’unité entre des personnes différentes, l’harmonie. Et l’harmonie ne peut être atteinte en restant indifférent à ce qu’il se passe à côté de nous.

Si rien n’est plus triste qu’un théâtre sans public, si rien n’est plus morne qu’une Société sans art, alors rien n’est plus inutile qu’un Franc-Maçon qui conserve pour lui toutes les richesses qu’il a acquises.

« Les mauvais coups, les lâchetés
Quelle importance
Laisse-moi te dire, laisse-moi te dire
Et te redire ce que tu sais
Ce qui détruit le monde c’est
L’indifférence (l’indifférence) »

L’indifférence – Gilbert Bécaud et Maurice Vidalin – 1977

Félix Natali
Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France.
28 septembre 2024

La Franc-Maçonnerie est-elle un compromis entre Ataraxia et Praxis

« Une vie qui ne se met pas elle-même à l’épreuve ne mérite pas d’être vécue », Socrate.
Nous prenons le risque, en glissant dans notre titre deux mots grecs, d’apparaître comme faisant preuve de prétention et de jouer à Monsieur Jourdain ! Nulle n’est notre intention : nous voulons seulement souligner que la phrase de Socrate s’inscrit essentiellement dans l’affrontement entre deux philosophies. L’une, considérant que le retrait sur soi, loin du monde, est le but de toute sagesse philosophique (l’épicurisme et le stoïcisme) et l’autre que le sujet est avant tout un homme membre d’une cité dans laquelle il doit s’engager. Bien entendu, Socrate, Platon et Aristote feront partie de cette deuxième version, où philosophie et politique se confondent.

Des courants philosophiques

Ces courants philosophiques étaient renforcés par l’extension du commerce grec et de la colonisation de la Méditerranée. Ce qui demandait à la Grèce une mise à l’épreuve de ses capacités entrepreneuriales, de sortir vers l’extérieur de la mère-patrie au lieu de retourner dans le ventre maternel et le liquide amniotique de l’origine du monde des idées.

En fait, cette phrase reflète le conflit entre le jardin d’Épicure et l’Agora, la place publique des socratiques. Il est intéressant de constater que l’Asie sera au cœur du même débat philosophique : par exemple en Chine où le Taoïsme et le Confucianisme sont l’exemple de la même confrontation. Pour Lao-Tseu, le taoïsme, vision mystique et totalisante donne « la royauté au sujet » :

« Atteins à l’apogée du vide
Et garde avec zèle ta sérénité
Devant l’agitation simultanée de tous les êtres
Ne contemple que leur retour.

Les êtres multiples du monde
Feront chacun retour à leur racine
Faire retour à la racine, c’est être serein ;
Être serein, c’est retrouver le destin ;
Retrouver le destin, c’est le constant ;
Connaître le constant, c’est l’illumination.

Qui ne connaît le constant
Crée aveuglément son malheur
Qui connaît le constant embrasse
Qui embrasse peut-être universel
Qui est universel peut être royal
Qui est royal peut être céleste
Qui est céleste peut faire un avec le Tao
Qui fait un avec le Tao peut vivre longtemps
Celui-là demeure inépuisé jusqu’à la fin de ses jours »

Sans trop pousser les parallélismes ou les influences interculturelles, nous avons, dans le taoïsme, un étonnant rapprochement avec le courant épicurien ! Ce qui n’est pas le cas de Confucius, chez qui l’implication dans la cité devient une forme de sagesse incontournable, à partir des obligations morales (Jen, humanité parfaite ; Yi, équité ; Li, étiquette, rite ; Tche, perspicacité, intelligence ; Sin, loyauté, fidélité à la parole donnée) qui sont des actions orientées vers la cité :

« Répandre ses bienfaits à tout le peuple, aider tout le monde sans exception, est-ce le Jen ?
Est-ce encore le Jen ? Répartit Confucius. N’est-ce pas plutôt la sainteté ? Les rois Yao et Chouen eux-mêmes avaient la douleur de ne pas y parvenir. L’homme du Jen se tient ferme et affermit les autres, il réussit et fait réussir les autres. Il juge par ce qu’il peut de près de ce qui convient au loin »

Nous voyons ainsi, qu’à l’inverse du Taoïsme, le Confucianisme est une incitation au renouvellement et à la mise à l’épreuve permanente quotidienne. Mais, le philosophe Arthur Schopenhauer (1788-1860), attiré par le bouddhisme et sa philosophie, lui, préconisera l’ataraxie comme sortie de crise aux conflits intérieurs, dans son célèbre ouvrage « Le monde comme volonté et représentation » (1818) rejoignant une pensée asiatique classique, de type zen :

« Avant tout, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la forme propre de la manifestation du vouloir, la forme par conséquent de la vie et de la réalité, c’est le présent, le présent seul, non l’avenir, ni le passé, ceux-ci n’ont d’existence que comme notions, relativement à la connaissance et parce qu’elle obéit au principe de raison suffisante. Jamais homme n’a vécu dans son passé, ni ne vivra dans son avenir, c’est le présent seul qui est forme de toute vie mais elle a là un domaine assuré, que rien ne saurait lui ravir. Le présent existe toujours, lui et ce qu’il contient tous deux se tiennent là, solides en place, inébranlables ».

La mise à l’épreuve socratique de la destinée est battue en brèche par la pensée de Schopenhauer : pour lui, nous n’habitons que le présent et toute remise en cause de son destin suppose la prise de conscience d’un passé et celle d’un avenir ! Ne reste plus que le retrait dans la distance, ce que Maître Eckhart appelait la « Gelassenheit », le « Laisser tomber », première démarche vers la théologie apophatique, mais aussi billet d’entrée dans l’ataraxia.

Pour Schopenhauer existe une subordination des fonctions intellectuelles aux fonctions affectives qui, par la recherche de motivations inconscientes à l’origine des pensées conscientes préfigure Nietzsche et surtout Freud qui l’attestera à plusieurs reprises dans son œuvre, notamment dans : « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique » où il dit que les travaux de Schopenhauer sont « rigoureusement superposables à la doctrine du refoulement », car le philosophe joue là un rôle opposé à celui de l’illusionniste : d’être décrits comme de vains tourments, les avatars de l’expérience humaine sont fictifs, c’est-à-dire irréels, à l’image du décor de théâtre, mais la différence entre le théâtre et le réel c’est que le théâtre prend appui sur le réel, mais le réel ne prend appui sur rien. La vie humaine est donc une dramaturgie à vide. Il y aurait donc une illusion à vouloir changer les choses, à les remettre en cause : le devenir est une illusion. Si la mort n’interrompt pas la vie, c’est que toute vie est morte !

I – Mais revenons à nos Grecs !

Socrate attaque la philosophie de l’ataraxie, comme une réaction contre la bonne conscience, cette espèce de volonté de n’en rien savoir du monde qui nous entoure et de constituer un monde factice en recherchant « l’Aponie », qui est absence de troubles corporels et mentaux.

Épicure (-341 à -270) va s’efforcer de bâtir par le rejet du moindre souci et l’intérêt pour le plaisir, une morale traditionnelle. Ici, la vertu s’explique par la nature de ce qui est moralement désirable. Elle se fonde, en fait, sur ce qui est désiré : le philosophe épicurien ne cultive que les plaisirs à la fois strictement nécessaires et matériels. C’est en fait une morale austère et ascétique fondée sur un culte du plaisir, surtout intellectuel, qui amène à la fuite du mouvement du monde, sur lequel nous n’avons ni prise ni goût, la fuite des passions au profit du culte de l’amitié, sentiment calme qui se refuse à la remise en question de l’autre, à un conflit quelconque dans la relation, afin de vivre une perfection où tout s’arrête. C’est l’idéal du retour à la mère où tout n’est que « luxe, calme et volupté » : le monde baudelairien étant, sous bien des aspects, un monde de l’ataraxie. Épicure, dans sa lettre à Ménécée, écrit :

« Quand nous disons que le plaisir est la fin, nous ne parlons pas des gens dissolus et de ceux qui résident dans la jouissance, comme le croient certains qui ignorent la doctrine, ou ne lui donnent pas leur accord ou l’interprètent mal, mais du fait, pour le corps de ne pas souffrir, pour l’âme, de n’être pas troublée. Car ni les beuveries et les festins continuels, ni la jouissance des garçons et des femmes, ni celle des poissons et de tous les autres mets que porte une table somptueuse, n’engendrent la vie heureuse, mais le raisonnement sobre cherchant les causes de tout choix et de tout refus, et chassant les opinions par lesquelles le trouble le plus grand s’empare des âmes ».

Épicure introduit la pratique du discernement qui fait devenir le sujet comme une déité :

« Ces choses-là, donc, et celles qui leur sont apparentées, médite-les jour et nuit en toi-même et avec qui est semblable à toi, et jamais, ni en état de veille ni en songe, tu ne seras sérieusement troublé, mais tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car il ne ressemble en rien à un vivant mortel, l’homme vivant dans des biens immortels ».

Étrangement, au-delà d’une philosophie qui les opposerait en apparence, entre devoir et plaisir, les stoïciens de Zénon d’Élée (-495 à -425) à Marc-Aurèle (121-180), en passant par Sénèque ou Épictète, vont rejoindre Épicure vers la sagesse du désengagement ataraxique. Nous ne citerons que deux exemples : Sénèque (-4 avant J-C à 65 après J-C) prône l’isolement aristocratique du philosophe comme « sortie de crise » aux fureurs du monde :

« Ainsi donc, la vie du sage s’étend très loin, car il n’est pas enfermé dans les mêmes limites que les autres. Lui seul est délivré des lois du genre humain, et tous les siècles lui sont soumis comme à un dieu. Le temps est-il passé qu’il le retient par son souvenir, présent il l’utilise, futur il s’en réjouit par avance. Ce qui fait la longueur de sa vie, c’est la réunion de tous ces moments en un seul ».

Pour Épictète (50-135), ancien esclave, la liberté individuelle, inattaquable, supérieure, se met en place par la distance avec le monde environnant :

« Supprime donc en toi toute aversion pour ce qui ne dépend pas de nous et, cette aversion, reporte-là sur ce qui dépend de nous et n’est pas en accord avec la nature. Quant au désir, pour le moment, supprime-le complètement. Car si tu désires une chose qui ne dépend pas de nous, tu ne pourras qu’échouer, sans compter que tu te mettras dans l’impossibilité d’atteindre ce qui est à notre portée et qu’il est plus sage de désirer. Borne-toi à suivre tes impulsions, tes répulsions, mais fais-le avec légèreté, de façon non-systématique et sans effort excessif ».

Naturellement, l’idéal socratique et platonicien est celui d’une action sur la cité, une dynamique de l’action et de l’ « Autoritas », concept ne signifiant pas le pouvoir sur autrui, mais s’accroître, se grandir « Domine non sum dignus ! ».

Alors qu’il n’y a aucun intérêt pour les affaires de la cité, ou même le prochain, chez les tenants de l’Ataraxia. La praxis, elle, est avant tout, l’agir qui vient du grec « agein », mener, diriger, conduire les bêtes de somme en les poussant en avant ! Elle puise sa force dans l’ « energia » qui est le service actif pour ce qui est relatif aux bateaux.

Être dans la praxis est, pour les Grecs, savoir mener sa barque ! Dans l’Antiquité, la liberté, qui est un signe de noblesse, est un attribut du faire et de l’agir, associé au commencement (« En Arkhein », au commencement était… ) plutôt qu’à un processus.

À partir d’Aristote, nous allons surtout entendre parler de « dunamis » qui va résumer ce qui bouge, ce qui passe à l’acte. Il est intéressant de noter que pour le lexicographe Hésychios d’Alexandrie, le « Akté Trophé », vient du sanskrit « Açnati » signifiant manger et qui donnera le mot grec « esthio », la nourriture. Passer à l’acte, en fait, c’est dévorer ce qu’il en est de l’environnement, « bouffer l’autre ». Nous sommes loin du plaisir d’Épicure devant son ascétique pot de yaourt !…

II – « Être ou ne pas Être » du côté du divan »

Il n’apparaît pas artificiel d’associer notre réflexion à la psychanalyse, car cette dernière prend naissance dans les mythes, la philosophie de la Grèce et des philosophes qui s’en inspirèrent plus tard, notamment Nietzsche et Schopenhauer.

Freud, à de nombreuses reprises, exprimera combien il doit à l’Antiquité dans l’avènement de la naissance de la psychanalyse et de la connaissance de l’inconscient. Ce qui sera notamment le cas dans l’opposition entre Ataraxia et Praxis. À cet égard deux textes sont fondamentaux pour saisir la pensée psychanalytique de Freud sur le sujet : « Pulsions et destin des pulsions » (1915) et « Au-delà du principe de plaisir » (1920).

Freud va examiner, en premier lieu, ce qu’il en est des pulsions « Triebe » et de leur action sur notre psychologie. La pulsion est une excitation apportée de l’extérieur au tissu vivant, la substance nerveuse, et déchargée vers l’extérieur sous forme d’action. Mais elle est aussi une excitation pour le psychique car elle ne provient pas du monde extérieur mais de l’intérieur de l’organisme lui-même. Elle n’agit jamais comme une force d’impact momentanée, mais toujours comme une forme constante. Elle est un besoin qui demande une satisfaction qui n’est obtenue que par une modification conforme au but visé de la source interne d’excitation. Origine dans des sources d’excitation à l’intérieur de l’organisme et manifestation comme force constante, nous amènent à l’impossibilité d’en venir à bout par des actions de fuite. Dès lors, le système nerveux est un appareil auquel est impartie la fonction d’écarter les excitations à chaque fois qu’elles l’atteignent, de les ramener à un niveau aussi bas que possible et, dans le meilleur des cas, de parvenir au maintien rigoureux de non-excitation. En fait, un état d’homéostasie, car la sensation de déplaisir est en rapport avec un accroissement de l’excitation et la sensation de plaisir avec une diminution de celle-ci.

Nous pouvons donc conclure que ce sont les pulsions et non les excitations externes qui sont les véritables moteurs des progrès qui ont porté le système nerveux au degré actuel de son développement. Le concept de pulsion apparaît comme un concept limite entre le psychique et le somatique dont le but est sa satisfaction, donc sa décharge sur un objet plus ou moins adapté ou parcellaire : le Banquet de Platon en est l’exemple classique dont se servira beaucoup Jacques Lacan, dans l’un de ses séminaires et qui lui fera dire :

« Donner de l’amour, c’est vouloir donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » !

La pulsion a donc un aspect « poussant » demandant, pour le sujet un effort constant de « choix d’objet » pour opérer une décharge qui permette une satisfaction provisoire. Le résultat, rare, peut-être une satisfaction, mais souvent on assiste à des pulsions « inhibées quant au but », refoulées, ou à une dérivation que l’on qualifie de sublimation, objet imaginaire qui permet une décharge pulsionnelle presque aussi satisfaisante qu’un objet, où il y aurait une vraie correspondance entre désir et objet. La psychanalyse pense que la sublimation est l’antidote à la frustration du désir qui est toujours un manque. La sublimation peut se traduire par de nombreux débouchés : l’art, la religion, la politique, le sport, le travail, etc…

Il semble que Sigmund Freud, lui-même, avait investi beaucoup plus dans la « libido sciendi » que dans la « libido sexualis ». Il écrit :

« Je ne peux pas me représenter une vie sans travail comme agréable, pour moi vivre par le phantasme et travailler ne font qu’un, rien d’autre ne m’amuse ».

Qu’elles trouvent l’objet souhaité ou non, les pulsions ont deux finalités : le plaisir d’organe (la fin d’une tension nerveuse) et la fonction de reproduction qu’elle soit physiologique ou intellectuelle. Il convient aussi 

d’observer qu’une pulsion peut se transformer en son contraire : la transposition de l’amour en haine, par exemple. Amour et haine se dirigeant souvent vers le même objet, cette coexistence fournit l’exemple d’une ambivalence permanente des sentiments par une opposition moi et non-moi (l’extérieur), et amour de soi auto-érotique (narcissisme) à haine de soi-même « Selbst Hasse ». D’où la difficulté de la reconnaissance de l’altérité, car nous définirions l’amour, essentiellement, comme relation du moi et ses sources de plaisir, et le sujet ne s’aime souvent que lui-même et est indifférent au monde. Aimer n’étant alors que la reconnaissance à la gratification de la fin des tensions pulsionnelles. Le monde extérieur se décompose ainsi pour le moi en une partie « plaisir » qu’il s’est incorporée, et un reste qui lui est étranger et qu’il hait car source de tensions pulsionnelles insatisfaites.

Quelques années plus tard, Freud va approfondir le destin des pulsions en entrant dans une phase d’un au-delà du principe de plaisir. Il prend conscience que l’homme, prisonnier totalement de ses pulsions et ne pouvant les vivre que partiellement dans un moment bref et insatisfaisant de plaisir, n’aspire qu’à une fin de ses tensions par une homéostasie qui ressemble à la mort, un lieu qui ne serait pas décomposition, mais absence de tensions. Freud va mettre ainsi en place le concept de la pulsion de mort, la lutte interne entre Éros et Thanatos qui prend le relais entre la confrontation entre Ataraxia et Praxis.

Mais, la psychanalyste britannique Barbara Low, à la suite de Schopenhauer et d’une expérience de vie aux Indes introduira le concept de « Principe de Nirvana » qu’elle définit comme « tendance à la réduction, à la constance, à la suppression de la tension d’excitation interne ». Une sorte de « Principe de constance », Freud acceptera cette idée de principe de Nirvana, en précisant cependant que ce principe est une tendance radicale à ramener l’excitation au niveau zéro, telle qu’il l’avait énoncé auparavant sous le terme de « Principe d’inertie ». La psychanalyse constatera d’ailleurs que ce processus dans les religions se retrouve : les paradis sont des lieux où le désir est absent et les enfers des lieux où les désirs sont intenses et jamais satisfaits !…

La Franc-Maçonnerie : jardin d’Épicure ou Agora dans la citée ?

Quitte à commettre un crime de lèse-majesté, nous pouvons dire que Socrate s’est trompé : présentant la remise en cause comme un acte volontaire relevant d’un choix, il ne perçoit pas que rien ne relève d’un choix mais d’une nécessité à laquelle l’homme obéit avec réticence, préférant la quiétude à l’action, mais étant obligé, souvent contre son gré, de se mettre en mouvement dans la nécessité de trouver un objet humain ou symbolique pour projeter des tensions internes vers l’extérieur, sous peine que ces tensions ne se retournent vers le sujet en amenant troubles mentaux ou maladies psychosomatiques.

Le résultat de la philosophie antique conjuguée à la psychanalyse ne nous laisse que peu de place à notre libre-arbitre, sauf peut-être pour trouver un discours camouflant des mécanismes qui nous dépassent et qui mettent en péril les visions simplistes ou trop romantiques de la vie.

À l’instar des institutions qui traitent de l’humain, la Franc-Maçonnerie s’est trouvée confrontée à la gestion de l’Ataraxia et de la Praxis (en fait, d’Éros et Thanatos). Comment a-t-elle, adaptée sa pratique et sa spiritualité dans ce sens ?

Comme le sont les spiritualités diverses, la Franc-Maçonnerie prend peu à peu conscience qu’elle n’est, mais c’est beaucoup déjà, qu’une sublimation, c’est-à-dire un lieu nécessaire offert aux hommes comme expression à ce qu’ils ne peuvent traduire autre part.

Et, à travers le langage, exprimer ce qui leur était interdit ou ce qu’il leur semblait interdit pour des raisons personnelles ou collectives. La Maçonnerie, avec ses mythes et ses rites, est un lieu de passage, un pont entre le sujet et la cité, de l’Ataraxia à la Praxis.

Et ce, en privilégiant au maximum les démarches de sublimation qui remplacent les décharges instinctuelles impossibles à réaliser par le sujet. Le travail par exemple, qui tient une place considérable dans les rites. Le deuxième degré de la Maçonnerie, d’ailleurs, voue un véritable culte au travail, héritage du Compagnonnage et de la mentalité protestante où Luther et Calvin y voyaient, dans la réussite du croyant un signe de prédestination divine.

Certains philosophes et Francs-Maçons, au contraire, y voient le retour à une forme d’esclavage au lieu d’une action émancipatrice. Tel est le cas, par exemple de notre Frère Paul Lafargue (1842- 1911) qui écrit :

« Christ dans son discours sur la montagne, prêcha la paresse : « Contemplez la croissance des lys des champs, ils ne travaillent ni ne filent, et cependant, je vous le dis, Salomon, dans toute sa gloire, n’a pas été plus brillamment vêtu » (Évangile selon St. Matthieu, chap. VI). Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs, le suprême exemple de la paresse idéale ; après six jours de travail, il se reposa pour l’éternité ».

Paul Lafargue, ainsi, s’amusait à comparer le dieu du judéo-christianisme aux dieux de l’Antiquité : « O Melibe, Deus nobis haec otia fecit ! » (« Ô Melibe, un Dieu nous a donné cette oisiveté ! »). Chez notre Frère Lafargue aucune intention de « mouiller sa chemise » ou d’ « aller au charbon » n’est clairement affichée !

La Franc-Maçonnerie à travers ses rituels utilise, sans être une psychothérapie, une vision très éclairante du fonctionnement humain. Elle montre par exemple que le sujet est divisé et que seul le symbolique peut rassembler momentanément ce qui est épars, et que la reconnaissance de l’altérité commence par soi-même avant d’envisager l’autre comme étranger irréductible.

La belle formule d’Emmanuel Levinas « On peut dévisager l’autre ou l’envisager », n’est concevable que si nous acceptons déjà en nous, l’inquiétante étrangeté de notre contradiction. Cette insupportable gémellité, nous amenait à utiliser le processus de projection de nos « mauvaises tendances » sur l’autre afin de penser que nous avons une « bonne » unité en nous. La Franc-Maçonnerie nous apprend que nous ne pouvons pas accepter la politique du bouc émissaire : mon adversaire est intérieur, en miroir.

Mais existe aussi dans les résistances au mouvement et au changement une haine insondable, comme nous le montre les mécanismes psychiques. Nos rituels en portent traces. Par exemple, le mythe d’Hiram-Abif en est une illustration.

Les trois mauvais compagnons tuent le maître non seulement par dépit ou jalousie, ils le tuent aussi car il leur demande de bouger, de travailler encore, de sortir de leurs limites. En Maçonnerie même, la tentation de l’Ataraxia est grande. La constitution de la loge comme une sorte de jardin d’Épicure, refermée sur le plaisir d’être ensemble et où le mouvement des idées ou d’une organisation nouvelle (ne serait-ce que le changement de collège !) deviennent un danger pour la « Stimmung », l’ambiance, et génèrent une forte agressivité. Ce renfermement allant jusqu’à la méfiance d’introduire de nouveaux membres. Comme si, pensée épicurienne par excellence, il convenait de mourir de plaisir entre soi !

La Maçonnerie nous apprend à demeurer à côté des morceaux de nos idoles primitives, devant les ruines de nos idéaux de perfection, sans amertume, dans la sérénité et dans l’abandon confiant à un Principe qui nous dépasse. Ce qui ne peut que nous conduire à l’ « Aidos » qui est, chez les Grecs, la réserve, la pudeur et la modestie qui naissent en nous de l’intériorisation du regard des autres et qui nous permet d’accéder au Logos…

Par Michel Baron

Par-dessus le Maillet – Une belle leçon de vie

« La terre comme unique raison, comme unique passion » : tout est dans le titre de cette magnifique saga prise entre drames, peurs, amour, travail, respect, humilité, rigueur… ça sent bon les œillets, le vin et le muguet… ça sent bon la terre. Notre Sœur Martine, qui habite Nice, a rédigé ce livre et a bien voulu répondre à nos questions.

 
Elle est belle l’histoire de cette famille dont tu traces l’arbre généalogique depuis le 19ème siècle. Qu’as-tu voulu évoquer ? 

On a oublié le dur labeur des paysans, le travail harassant par n’importe quel temps. Pas un jour de repos, pas un jour de vacances. Comment ces émigrés ont dû suer eau et sang pour être respectés à l’heure où il n’y avait rien pour les protéger, ni les aider. Ils n’ont rien connu d’autre que le travail et j’ai voulu à travers cette famille, comme toutes ces familles italiennes venus à Nice, leur rendre hommage. Émigrer pour tenter de trouver du travail et de pouvoir nourrir leur famille. Cette époque n’est pas si lointaine et pourtant ….

Quel est l’objectif de ce livre et aura-t-il une suite ?

L’objectif, je l’espère, serait que rien ne tombe dans l’oubli, que les générations qui vont suivre, à l’heure où tout va très vite, trop vite, que chacun garde le souvenir de ces ancêtres italiens, qui ne savaient ni lire, ni écrire et par la force et la volonté ont su semer pour que nous puissions récolter.

Savoir qui on est, comprendre pourquoi on a reçu cette éducation et pas une autre, pourquoi parfois il est difficile de dire « je t’aime » car le travail ne laissait pas de place aux sentiments. Oui, mon espoir serait que dans quelques décennies, il y aura un petit enfant, un neveu qui aura envie de prendre la plume et de continuer la rédaction de cette histoire, qui sera leur histoire, notre histoire.

Ton chemin maçonnique t’a-t-il aidé dans la rédaction de ce travail et qu’as-tu ressenti au fil de ces pages ?

Oui, bien sûr le plaisir d’écrire, la compréhension de l’autre, l’envie de savoir pourquoi, m’ont permis de me pencher, avant tout, sur le « connais-toi toi-même », qui je suis et pourquoi je suis comme je suis et pour cela, il fallait bien que j’aille rechercher la pierre cachée pour me trouver.

Ce fut un travail long, qui a fait remonter en moi des moments douloureux, mais cet accouchement le moment venu, m’a rendu fière et j’ai pu enfin honorer, à ma façon, cette famille d’émigrés dont aujourd’hui je suis fière. Fière de ce parcours qui, enfant, m’a fait souvent souffrir, car être fille de paysans n’était pas vraiment valorisant. Mais le but final était pour moi de transmettre.

Propos recueillis par Nicole Guignard

Femmes iraniennes : le combat pour l’émancipation

La culture

Dans le numéro 142 de l’émission radio Pierres de touches qui parle des femmes iraniennes et de leur combat pour l’émancipation, dans un échange qui se déroule autour de questions philosophiques, sociétales, des valeurs de La Franc-Maçonnerie.

3 invités d’honneur s’y donnent rendez-vous :

  • Frédéric ENCEL, docteur en géopolitique, professeur de relations internationales à Sciences Po, auteur des Voies de la puissance (Odile Jacob, Prix Histoire-Géo de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023),
  • Delphine MINOUI, journaliste et auteure de Badjens (Editions du Seuil),
  • Félix NATALI, Sérénissime Grand Maître (SGM) de la Grande Loge Mixte de France (GLMF).

+ d’infos : http://pierresdetouche.fr

Sisyphe n°7 vient de sortir !

Pour information, le n°7 de la Revue Sisyphe vient de paraître. Le dossier de ce semestre a pour thème « la Violence ».
Comme tu pourras le lire sur la 1ère de couverture, accessible en cliquant sur ce lien, différentes réflexions sont proposées :

• Du rituel comme barrage à la violence en Franc-Maçonnerie
• Violences et guerres. Comment penser l’impensable ?
• La menace de guerre
• Économie : sous les masques, la violence radicale
• Les personnalités toxiques en loge
• Sortie de la barbarie par la non-violence.

 
Sisyphe, la revue de la GLMF

Sisyphe est la revue semestrielle de la Grande Loge Mixte de France (GLMF). Écrite par des passionnés, elle se compose d’articles de fonds en lien avec la Franc-Maçonnerie (histoire, philosophie, symboles…).

L’abonnement annuel couvre 2 numéros pour seulement 19 euros.

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Pierres de touche, l’émission radio à ne pas rater !

Pierres de touche c’est un thème, un débat, des invités (francs-maçons ou non), des chroniques, de la musique et tout ça en 1h d’émission. En direct un dimanche sur deux ou en podcast quand vous le voulez, sur Radio Delta !

https://deltaradio.fr/2024/09/pierres-de-touche-142-debat-metoo-29-septembre-2024/embed/#?secret=Jdm16l4EU2#?secret=iZK7jIKI19

https://deltaradio.fr/2024/09/pierres-de-touche-142-debat-femmes-iraniennes-15-septembre-2024/embed/#?secret=aEbcYUxRN8#?secret=QwsRnpVIes

https://deltaradio.fr/2024/09/pierres-de-touche-141-difficile-quete-de-lemancipation-1er-septembre-2024/embed/#?secret=SlBJsU4ItZ#?secret=2jXd3FQhal

https://deltaradio.fr/2024/06/pierres-de-touche-140-debat-les-femmes-et-la-seconde-guerre-mondiale-23-juin-2024/embed/#?secret=uGnort35Zc#?secret=H4OuEyDABU

https://deltaradio.fr/2024/06/pierres-de-touche-139-etranges-etrangers-9-juin-2024/embed/#?secret=hNxi9uqkBq#?secret=v5ugSaosFb

https://deltaradio.fr/2024/05/pierres-de-touche-138-debat-choisir-sa-fin-de-vie-26-mai-2024/embed/#?secret=gEhrFL2FKk#?secret=Br7DdCD3BJ

Retrouvez les anciennes émissions

Pierres de touche #137 – Le Cœur du monde – 12 mai 2024

Pierres de touche #136 – Débat – Nature et société, quels enjeux? – 28 avril 2024

Pierres de touche #135 – Variations printanières – 14 avril 2024

Pierres de touche #134 – Débat – Droits des femmes, des principes et des réalités – 31 mars 2024

Pierres de touche #133 – Quelles libertés ? – 10 mars 2024

L’émission de la Grande Loge Mixte de France
L’émission hebdomadaire de la Grande Loge Mixte de France

À vos agendas !

Consulter également la rubrique Événements.

Samedi 12 octobre 2024
Tenue Blanche Ouverte (TBO) à Valence
Thème : « Les Valeurs de la GLMF »
Conférencier : Félix Natali Sérénissime Grand Maître
Organisée par les Respectables Loges Union et Persévérance – Souffle de Khepri – Liberté+

Jeudi 17 octobre 2024
Conférence publique à Cherbourg
Thème : « La mixité en Franc-Maçonnerie »
Intervenante : Christiane Vienne
Organisée par la Respectable Loge Les Enfants du Paradis à l’Orient de Cherbourg

Les 19 et 20 octobre 2024 
20e Anniversaire des Orients Viticoles en région Provence à Hyères
Organisée par la Respectable Loge Aurora à l’Orient de Hyères

Les 16 et 17 novembre 2024
Rencontres Culturelles Maçonniques
15e Salon Lyonnais du livre maçonnique
Au CCVA de Villeurbanne
https://rencontres-culturelles-maconniques-lyonnaises.net/

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