Après la quête du Soi, essence immuable et profonde, vient celle du Moi, ce territoire mouvant et souvent insaisissable où se joue notre identité au quotidien. Plus proche de nous dans notre expérience immédiate, le Moi n’en est pas moins complexe. Il constitue ce par quoi nous nous définissons socialement et psychologiquement : une interface entre le monde intérieur et extérieur, un carrefour où se croisent émotions, désirs, croyances et blessures. Découvrir le Moi, c’est oser scruter ce miroir aux multiples reflets, parfois flatteurs, parfois dérangeants, pour mieux comprendre ce qui nous anime… et ce qui nous freine.
Mais le paradoxe du Moi est qu’il nous semble intime et familier, alors qu’il nous échappe dès que nous tentons de le saisir pleinement. Le travail sur le Moi dévoile ainsi des oppositions internes, des masques inconscients et des constructions héritées, qu’il nous appartient de reconnaître et de traverser. En ce sens, la découverte du Moi constitue une véritable psychologie vivante, un art d’observation et de discernement, premier pas vers une liberté intérieure plus authentique.
I. Qu’est-ce que le Moi ? Entre apparence et réalité
Le Moi est souvent ce que nous croyons être. Il se construit dès l’enfance, façonné par l’éducation, la culture, les expériences, et s’affirme comme le centre apparent de notre conscience. En psychologie analytique, Jung le définit comme :
« Le Moi est ce complexe de représentations par lequel nous nous vivons comme étant nous-mêmes. »
C’est donc le Moi qui dit « je », qui assume nos choix, nos préférences, nos engagements, mais aussi nos peurs et nos défenses. Il est le pivot de notre personnalité, celui qui veille à notre équilibre dans le monde et garantit notre stabilité sociale et psychologique.
Dans les traditions spirituelles, le Moi est souvent vu comme la personnalité provisoire, la façade mouvante derrière laquelle se cache l’Être véritable. Il est comparé à un masque (persona en latin) que nous portons pour jouer notre rôle dans la grande pièce du monde.
Mais il serait injuste de réduire le Moi à un simple obstacle : il est aussi notre instrument d’évolution. Bien compris et bien orienté, le Moi devient le serviteur du Soi, le sculpteur humble et appliqué de notre édifice intérieur.
II. Les obstacles à la connaissance du Moi : un labyrinthe intérieur
Pourquoi est-il si difficile de connaître réellement son Moi ? Tout simplement parce qu’il change sans cesse, qu’il se cache derrière des masques et qu’il résiste souvent à l’introspection.
L’identification excessive
Nous nous identifions sans discernement à nos émotions, nos succès, nos échecs, nos rôles sociaux. « Je suis ce que je fais », « je suis ce que je ressens ». Pourtant, ces identités sont fragiles et fluctuantes.
La peur du vide
Derrière le Moi, il y a ce vertige : et s’il n’y avait personne ? Cette peur nous pousse à multiplier les identités, les activités, les appartenances pour ne jamais affronter ce silence intérieur.
Les projections
Nous projetons souvent sur les autres ce que nous refusons de voir en nous-mêmes. Ainsi, ce Moi partiel que nous connaissons s’accompagne d’une ombre faite de tout ce que nous avons rejeté.
Les schémas hérités
Une grande partie du Moi est façonnée par des héritages inconscients : familiaux, culturels, générationnels. Ils agissent à notre insu et colorent notre perception du monde.
« Tant que vous n’aurez pas rendu conscient l’inconscient, il dirigera votre vie et vous l’appellerez destin. »
(C.G. Jung)
III. La nature des oppositions : un théâtre intérieur à pacifier
Découvrir le Moi, c’est pénétrer dans un véritable théâtre intérieur, où des figures opposées s’affrontent : le courage et la peur, le désir et la retenue, l’ambition et l’humilité. Ces tensions sont normales. Le danger n’est pas leur existence, mais de s’y perdre ou de s’y identifier.
Le travail consiste donc à :
• Observer ces oppositions avec lucidité. • Accueillir les contradictions sans jugement. • Comprendre que chaque polarité contient sa complémentarité.
L’alchimie appliquée au Moi consisterait ici à accorder ces voix discordantes pour qu’elles contribuent à un accord plus vaste, une personnalité harmonieuse, souple et consciente d’elle-même.
IV. Outils pratiques pour clarifier et apaiser le Moi
Approcher le Moi demande des exercices concrets, non pour le combattre ou l’effacer, mais pour l’éclairer et le réconcilier avec notre être profond.
Le journal intérieur
Écrire chaque jour ce qui traverse le Moi : pensées, émotions, peurs, colères. Cela permet d’objectiver ce qui semblait nous posséder.
Le travail sur l’Ombre
Identifier nos projections sur les autres : que reprochons-nous fréquemment ? Quelle part de cela nous appartient ?
La respiration consciente
Ramener le Moi à l’instant présent, là où il cesse d’être une accumulation de souvenirs et d’anticipations. Dans le souffle, il retrouve sa simplicité.
Les rituels symboliques
Dans les rites initiatiques ou spirituels (comme en franc-maçonnerie), les gestes symboliques permettent de mettre en scène les métamorphoses du Moi, de ses morts successives à ses renaissances successives.
La gratitude
Remercier les aspects du Moi qui ont servi, même lorsqu’ils sont devenus obsolètes. Cela facilite le lâcher-prise et l’évolution.
Conclusion
Découvrir le Moi, c’est accepter d’explorer sans fin un paysage changeant, fait de reflets et de masques. Mais derrière ce jeu des apparences se dessine une opportunité : celle d’unir ce Moi fragmenté pour qu’il devienne un véhicule cohérent et paisible, au service de l’être profond.
Le Moi bien connu, pacifié et éclairé, devient alors l’allié du Soi. Il cesse d’être un roi capricieux pour devenir un serviteur fidèle de la Lumière intérieure.
« Deviens ce que tu es. Fais ce que toi seul peux faire. »
(Friedrich Nietzsche)
Découvrir le Moi, c’est donc, en dernier ressort, apprendre à s’aimer tel que l’on est, pour permettre à ce que nous sommes vraiment de rayonner à travers nous.
Olivier de LESPINATS Extrait du futur ouvrage « Chemin du Soi au Moi »
Marie-Dominique Terrot VM Rite Opératif de Salomon
1-Introduction 2-Relier dire et faire 3-L’instant de grâce 4-comment faire cette Alliance ? 5-Trouver la Présence par la simplicité 6-Conclusion : Transmettre pour faire vivre la Connaissance
1-INTRODUCTION
Le quatorzième degré du REAA marque la fin du cycle salomonien qui voit l’aboutissement de la construction du Temple au 13ème degré mais son anéantissement au 14e degré par l’oubli de l’Alliance faite avec le Principe et les conséquences que cela entraine.
J’écrivais dans ma planche précédente que je voyais dans ce récit l’expression métaphorique de la quête mystérieuse, du chemin inconnu que nous entreprenons en entrant en maçonnerie, cherchant ainsi à s’élever sur le chemin de la Vraie Lumière.
Il y a eu erreurs, écueils, trébuchements, aveuglements, pertes de repère… que sais-je encore ? Et cela continuera sûrement encore, tant que la Concorde Universelle ne sera pas faite. Mais rien ne me découragera car je fais confiance.
La destruction du Temple est la conséquence de l’oubli par Salomon de son serment ; il est devenu sourd à la voix de l’Éternel et se livre à l’idolâtrie. L’épisode de sa jalousie affichée envers Hiram lors de la réalisation de la Mer d’Airain en est un exemple. Il a oublié que la quête de la Vérité ne s’arrête jamais, que cela implique une vigilance de chaque instant, qu’être vertueux ne se montre pas dans nos discours mais se montre par nos actions et s’incarne dans notre façon d’être.
Je repense à ce qu’écrivait Blaise Pascal disant de l’être humain qu’il n’est ni ange ni bête, mais devient une bête quand il veut faire l’ange.
C’est la victoire des trois mauvais Compagnons qui soumettent le maçon, tout au long de son chemin, à l’épreuve de succomber aux trois pires vices ; à savoir : à l’ignorance, en oubliant l’existence de Dieu, au fanatisme qui fabrique des idoles et fait se dissoudre le discernement et à l’ambition qui prône le pouvoir sans limite, oubliant le sens moral qui seul met nos actes dans la bonne mesure.
Le « Grand Élu, Parfait et Sublime Maçon » du 14ème D est l’exemple donné à suivre et enseigné à travers l’histoire de Galaad ; celui-ci va porter l’accomplissement de son Devoir jusqu’au sacrifice de sa vie afin que le Nom ineffable de Dieu ne soit pas profané par les envahisseurs. Ce que vont découvrir les Grands Élus quand ils trouvent son corps dans les décombres du Temple. Ils martèlent alors la plaque d’or pour rendre illisible la trace du nom inscrit, puis creusent un puits de 27 pieds de profondeur pour l’enfouir avec l’Arche d’Alliance et ce qu’elle contient. Rendre « Illisible » ne signifie pas rendre « invisible » mais juste impossible à lire, dans le sens d’impossible à prononcer et à interpréter. D’ailleurs, le rituel précise : « De cette époque, date l’usage d’épeler lettre par lettre le plus saint Nom des Noms, sans jamais former une syllabe ». Ce nom est redevenu mystérieux et ainsi est préservé.
2- RELIER DIRE ET FAIRE
Les Grands Élus obéissent à l’Alliance qu’ils ont contractée avec la Vertu et les Hommes Vertueux. Cette Alliance est symbolisée par l’anneau d’or qu’ils portent à un doigt et qui les relie à Dieu. C’est le signe de reconnaissance qui les fait membres du même « cercle ». Il est la représentation de ce qui est sans fin, éternel, du contrat passé avec Dieu que rien ne pourra corrompre ou rompre. Il est aussi le symbole du lien entre le Grand Élu et ses pairs et avec tous les Hommes de bonne volonté.
Cette double Alliance le met à sa juste place, entre l’Équerre et le Compas, au Point de Centre.
Tableau de Bernard Bonnave
D’où l’inscription sur l’anneau affirmant que « la Vertu unit ce que la Mort ne pourra séparer » qui confirme la nature éternelle et immanente du Divin, ciment d’une union indestructible qui échappe à la finitude humaine.
On peut, à cet instant, faire un parallèle entre ce qui est demandé au Maître Secret concernant son Devoir, en le prévenant qu’il est plus facile de le faire que de le comprendre. L’idolâtrie de Salomon nous renvoie en effet au 4ème degré où il nous est recommandé d’être prudent devant le risque de céder aux impulsions des passions non maîtrisées et aux idées pernicieuses nichées sous des paroles séduisantes.
Il en est de même pour la Vertu. Celle-ci est plus facile à dire qu’à faire exister, car elle n’existe que quand « on est parfaitement soi-même », c’est à dire quand nous laissons en nous s’exprimer la présence de l’Être divin qui nous a créé dans son Ordre et par son Harmonie.
Je vais devoir faire l’alliance en moi entre dire et faire et le matérialiser dans mes actions.
3-L’INSTANT DE GRÂCE
En effet, le véritable Franc-maçon ne vénère aucun dieu ni même le GADLU qui n’est qu’un symbole derrière lequel il faut chercher l’idée.
Pour cela, il s’agit d’accepter de sentir qu’à un certain stade de conscience prenant forme en moi, je vais me sentir en présence de quelque chose d’inexprimable en mots, car plus grand que moi, quelque chose qui va s’incarner et pouvoir me donner à vivre une connexion intuitive avec ce que je pourrais nommer « un vécu expérientiel en totale présence de moi-même ».
Je nomme cela « mes instants de grâce » car je me sens étendue entre ciel et terre et totalement comblée, car réunie immatériellement à tous les Humains comme dans la chaîne d’union de nos Tenues.
Je suis seule avec moi-même dans cet état, mais en même temps en tellement bonne compagnie de tous ceux que j’aime ou ai aimé.
C’est pourquoi je crois en « la bonne volonté » des Hommes vertueux, même s’il est difficile de l’être tout le temps et à chaque fois que nécessaire. Je suis sûre que chaque FM s’applique à l’être du mieux qu’il peut, en remettant chaque jour au travail sa force et son énergie morales.
Me revient cette phrase du rituel « il n’est nul besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Ou encore cette autre « Que le subtil se sépare de l’épais et, par l’œuvre au noir, que le rubis solaire lève le germe blanc ». Elles parlent du travail à réaliser.
J’aime nos rituels qui sont la source féconde qui enrichit peu à peu ma compréhension de ce qui y est caché, voilé, prêt à être « saisi » quand mon esprit se laisse aller à cet instant de grâce dont je fais état devant vous. C’est un dévoilement qui m’est apparu opportun de faire, afin de partager avec vous cette façon mystérieuse que quelque chose entre en contact avec moi. Je nomme cela « la Présence » et je me sens meilleure dans ce moment-là.
4-COMMENT FAIRE CETTE ALLIANCE ?
C’est donc en pratiquant les Vertus, autant théologales que cardinales que je vais pouvoir prétendre être digne de l’espoir et la confiance que mes SS et FF ont mis en moi quand ils m’ont reçu Apprenti FM. Je n’oublie pas que le chemin maçonnique est aussi appelé « sentier de la Vertu » ; or un sentier est étroit et souvent plein d’embûches. Ma vigilance doit donc être constante en m’obligeant à pratiquer une discipline qui ne saurait se contenter de seuls vœux, seraient-ils pieux.
L’exercice de la Vertu se doit d’être guidé par l’humilité en gardant le souvenir de l’aveuglement de Salomon comme mise en garde constante.
La Vertu est la source de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour que je cherche à développer et renforcer en moi ; elle prend corps face aux épreuves qui se présentent afin que la Lumière se rayonne en moi.
Tout au long du cycle salomonien, on assiste à un récit en spirale, qui passe et repasse par différentes façons de présenter toujours la même chose, en la regardant sous différents angles, afin d’apprendre à voir combien il est vain de chercher à comprendre totalement pourquoi « les civilisations s’écroulent, les sociétés humaines passent, les hommes disparaissent…mais l’Ordre Éternel demeure », juste l’accepter en nous rappelant « la grandeur des devoirs que nous nous sommes librement imposés et d’être à toute heure prêts à les remplir ».
Hiram sortant du cercueil
Là encore, on peut voir le parallèle entre la Parole Perdue au 3èmeD à la mort d’Hiram et l’impossibilité de prononcer le Nom de Dieu après le martèlement de la plaque d’or au 14èD.
A chaque degré, des épreuves se dévoilent au Maître, avec des obstacles à vaincre, des embûches à dépasser pour apprendre à faire les bons choix.
Or il me semble qu’il n’est question toujours que de la même chose : comment incarner ce que nous nommons les Vertus, comment s’appuyer sur elles pour avancer, comment rendre notre chemin plus simple à parcourir ? pas plus facile, non, mais plus simple.
5-TROUVER LA PRÉSENCE PAR LA SIMPLICITÉ
La simplicité dissout la confusion, éclaircit l’esprit et fait apparaître le discernement.
Il s’agit de tirer le fil pour dé-compléxifier ce qui paraît hors de portée de ma compréhension.
Il s’agit de ne pas perdre de vue mon Nord… c-a-d mon Étoile Flamboyante pour choisir le sentier le plus sûr ; pas le plus gratifiant mais celui sur lequel je suis sûre de me rencontrer, me retrouver, me réunifier car en présence de La Présence.
Je pense à l’Expert qui, à la fermeture de la Loge (au ROS), éteint à plat de son épée les trois étoiles sur les piliers en disant : « je reçois, je garde, je cache ».
Il y a là quelque chose à entendre qui parle de cette recherche de réunification, de rassemblement, de ré-adoption des parts de soi qu’on a pu vouloir jeter, oublier, reléguer le plus loin possible, croyant ainsi s’améliorer. Alors que c’est le contraire qui nous est enseigné tout le long de cette épopée salomonienne. On ne jette rien, on garde tout et on le remet dans le bon ordre, à la bonne place pour se rééquilibrer de plus en plus harmonieusement… tout simplement.
Tout au long de sa vie, l’Homme cherche à s’édifier et sa construction est souvent mise en péril car il est faillible, imparfait mais perfectible, ce qui rend fragile et destructible ce qu’il fait, en particulier dès qu’il oublie de faire confiance et de prendre appui sur l’Esprit qui préside à la préservation matérielle de ses espoirs et projets. Le compas veille et sécurise l’Équerre.
Cette prise en compte de la nature du Compas fait accepte la solitude qui pose les limites de soi-même comme étant l’endroit où va se passer ce qui doit se faire.
Depuis que j’ai commencé à apprendre à réfléchir et pas seulement à penser, j’apprends à dégager l’essentiel en revenant au Centre, pour faire émerger ce qui me semble être de l’ordre de l’UNITÉ DE L’UN DANS LE TOUT.
C’est à dire trouver l’idée derrière le symbole. Pas une idée mais l’Idée, c-a-d l’Intention qui habite ce qui advient et se montre partiellement, de telle ou telle façon.
Apprendre à écouter ce qui me parle au plus profond de moi, sans en avoir le vocabulaire, me ramène à la question suivante : pourrais-je jamais comprendre ce qu’est LE PRINCIPE ?
Comprendre c’est prendre avec soi et en avoir la conscience, pour bien garder intact ce contact en soi… C’est comme cela que la Connaissance s’installe. C’est l’intégration qui permet de compléter « l’entièreté du soi ». Elle passe d’abord par une phase de transformation nommée aussi alchimie. On installe à l‘intérieur de soi quelque chose qui était à l’extérieur et attendait de prendre place, qui me transforme pour me faire devenir de plus en plus ce que je suis. Ne m’a-t-on pas dit « Deviens qui tu es. »
J’accepte l’idée que je ne comprendrai jamais ce qu’est le PRINCIPE mais que j’en aurai une certaine connaissance qui me guidera, me gardera et me protégera si j’apprends à bien l’écouter et à le laisser me guider en toute humilité.
J’en comprends que quelque chose prend fin pour laisser la place à quelque chose de nouveau, qui va changer mon regard, ma conscience et la connaissance du monde que j’avais jusqu’ici.
6 – CONCLUSION : FAIRE VIVRE LA CONNAISSANCE POUR CONTINUER À PROGRESSER
La fin du cycle salomonien est la porte d’entrée vers autre chose qui met au défi de prendre profondément source en soi pour découvrir cet inattendu que la Vie propose, comme un « trou noir » à franchir et, en sortant par le haut, me mettra en osmose avec une nouvelle façon d’être au monde.
La perte d’un guide, la disparition du Maître à suivre, marquent la fin du cycle au 14èD qui va obliger à inventer d’autres façons d’être et de faire, regarder autrement les évènements qui vont se dérouler afin de ne pas perpétuer l’erreur de vouloir recommencer comme avant. On retrouve ainsi une liberté pour donner un autre sens à ce qu’on construit et une chance à la Vie de se renouveler.
C’est pour cela que j’ai nommé mon travail : L’ancienne Loi, grâce à la Connaissance qui en advient, conduit à la nouvelle Loi.
Nabuchodonosor fait tuer les enfants de Sédécias sous ses yeux. Tableau de François-Xavier Fabre, 1787.
A la fin du 14e degré, Dieu se retire et envoie Nabuchodonosor détruire Jérusalem et le Temple. Les Grands Élus sont dispersés sur toute la surface de la Terre et doivent voyager pour transmettre leur Foi, leur Espérance et leur Amour, en privilégiant de renforcer leur Temple intérieur puisque le Temple matériel est détruit et générer ainsi des vocations par leur exemple.
Ils vont devoir faire montre de courage, d’opiniâtreté et d’humilité. Il va leur être demandé de faire ce que dit Rudyard Kipling dans son poème « si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie et sans dire un seul mot, te mettre à rebâtir… ».
Ce Chemin de soi vers soi puis vers les autres a commencé dès l’initiation ; le cabinet de réflexion est l’endroit de repli, de ressourcement, de retrouvailles et de recentrage, pour mieux en ressortir plus haut, plus large. C’est un va et vient « trampolinesque » en quelque sorte, qui permet d’aller toujours plus haut, à condition de ne pas s’illusionner pour choir et se perdre comme l’a fait Salomon.
A chaque passage vers le grade supérieur, le Maçon a découvert que les 3 mauvais Compagnons sont à chaque instant à l’affut et prêts à faire échouer sa quête.
C’est donc le vaste Monde qui est maintenant le terrain de mission des Grands Élus où rien ne devra les décourager face à l’adversité.
En tant que tel, je me sens confiante et prête à continuer de transmettre les Vertus autour de moi et, au-delà et sans trêve, à faire vivre la grande chaîne d’union fraternelle entre les Initiés et surtout, à découvrir et apprendre à appliquer cette nouvelle Loi tout en parcourant le chemin qui s’ouvrira devant moi.
« Avant [l’aven • t] » est une intuition. Et si l’intuition peut être perçue comme le bruit d’un songe dans les feuilles de l’Arbre de la Vie, pour qu’elle féconde notre matérialité révélée il conviendrait peut-être, de lui appliquer une géométrie, même poétique, normée afin de ne pas emmêler [l’indivis • duel] fil d’Ariane qu’elle nous propose.
L’imaginaire symbolique proposé par la Roue du Tarot pourrait-il nous guider dans notre labyrinthe initiatique en nous permettant d’échapper au Minotaure? Et si nous devions malgré Tout l’affronter, ce planisphère peut-il nous tracer un Chemin à l’arcanne1 nous permettant de nous relever aussi radieux que jamais de ce combat transmutant nos regards de cyclopes ? En désignant les arcanes comme autant de portes, ou points de fuites, le Cercle du Tarot ne donne t-il pas [ vit ] à la perspective en [deux • venant] sphère ?
C’est en expérimentant la « Voie Γ » (gamma), Equerre, Compas et Cordeau en main que s’ouvre le Chemin menant de nos yeux à notre regard tridimensionnel. Les yeux du cyclope se découvrent ainsi en trois regards qui ne font qu’un : un regard pour le Corps, un regard pour l’Esprit, un regard pour l’Âme. Par l’arcanne traçons les Chemins qui nous mènent au cœur du labyrinthe par les portails des arcanes, au cœur de la Voie Royale.
C’est parce que l’intuition est surhumaine qu’il faut la croire, c’est parce qu’elle est mystérieuse qu’il faut l’écouter, c’est parce qu’elle semble obscure qu’elle est lumineuse.
Victor Hugo
Lorsque l’intuition murmure la Structure
Sortons donc des [Voix • es] qui nous sont tracées en empruntant les Chemins qui nous mènent au cœur du labyrinthe de la Voie Royale par les « portails-arcanes » de la Roue du Tarot. Au cœur de l’ambition du Chemin Initiatique, emprunté ici en homme ou femme d’abord puis en Franc-maçon ensuite, l’espoir naît à chaque instant de se découvrir un peu plus humain. Ce Chemin ordonne une trajectoire qui transmute la verticalité sublimée du Chaos de la Chute en Beauté de [l’En • vol] dans la Quintessence de [l’Être • en • G] circumambulant vers son Centre et son Ωdyssée en Ter [Un • connu].
Une des vertus du Chemin Initiatique est de se donner les outils et instruments d’architecture nous permettant de repenser et reconstruire notre relation au Monde, puis de renaître en humain affranchi au fur et à mesure des rencontres avec les étapes de l’Œuvre ; c’est redevenir acteur et auteur de sa propre vie en chevauchant la Salamandre au cœur de l’athanor.
L’Étoile Flamboyante n’est qu’une étape vers notre Centre rayonnant et nous ne percevons qu’une infime partie de sa Lumière. Cette Étoile nous nous devons de l’incorporer en la traversant. Cette intuition est une vision du vertige de l’espoir d’être au monde. Ainsi se dévoile ce que nous nommons pudiquement en société « une intuition » et que j’appelle « les [Voix • es] silencieuses » ou bien encore « les murmures d’Aur des [six • lances] ». Elles sont à la croisée des Chemins du Savoir, de l’Expérience, de la Connaissance, de l’intelligence de la naïveté enfantine, de la foi du mystique, de l’Amour avec un A majuscule. Ce sont les seuls remparts numineux contre l’ombre de [l’âme • hors]… irrationnelles nous dit-on… et pourtant…
A chacun sa chute : élever des Temples à la vertu est un Chemin adogmatique
Il faut rendre grâce à ce Chemin Initiatique. Celui qui révèle l’Être en le transmutant. Celui qui, arpenté avec régularité, sincérité, engagement et Amour pénètre l’âme et ravive la Salamandre et son feu secret et sacré… ce feu qui libère la Licorne et fait pleurer les Lions.
Il faut rendre Lumière à notre intuition qui ne nous quitte jamais même si nous lui tournons parfois le dos par excès de doute, de rationalité, de résistance au lâcher-prise. Certains pratiquent la voie « soufreuse » et sèche de l’intellect, mais certaines intelligences revêtent d’autres tessitures, plus humides, plus « mercuriennes ». Entre l’expire de la chute et l’inspire de l’envol il y a le « sel » alchimique du kaïros exquis. « L’Instant décisif »2 du souffle court de l’apnée, à l’hypogée et l’apogée de la sinusoïde, aux deux extrêmes asiles du Mystère, dans ce temple élevés à [l’Un • fini] sur l’Infini. Si au cœur de la Voie Initiatique tout n’a pas à être systématiquement montré, démontré, disséqué ou démonté, tous les Chemins méritent d’être explorés et doivent être vécus. La Voie Initiatique ignitiée est une voie d’ascèse, d’expérimentations, d’ensemencements, de récoltes, d’associations d’éléments et d’épreuves. Ainsi l’Initié Ignitié brûle en Artiste de sa Voie Royale. Il ne se consume pas en simple horloger ou en médecin légiste. Par la Transmission il sème les graines de la Connaissance qu’il a récolté même si il sait qu’il n’en Connaîtra peut-être jamais les fruits.
L’Initié sait qu’il est en ignition lorsqu’il reconnait la Voie Royale comme unique à chacun mais commune à tous et toutes, lorsqu’il laisse à l’autre la liberté suprême du choix de son Chemin. Peut-être est-ce là un de ses secrets : ne pas s’encombrer de savoirs inutiles mais plutôt embrasser sans étreindre pour Connaître en s’embrasant. En cet Asile où le [myste • erre] il en est de même qu’en photographie : trop de lumières nuit à La Lumière, l’aspiration à l’Humilité doit toujours être la Règle.
Le sage se réfugie dans les livres des Anciens et n’y apprend que de froides abstractions ; le fou, en abordant les réalités et les périls, acquiert, à mon avis, le vrai bon sens.
Erasme – Eloge de la folie
Le Tarot : un roman graphique initiatique
Si la Franc-maçonnerie apprend a bâtir des Temples dans lesquels ont fini bien par entrer sans pouvoir revenir sur ses pas, c’est qu’elle apprend forcément à construire des portes pour en sortir n’est-ce pas ? Par l’exploration des impasses du labyrinthe se réveillent des portails de transmutation endormis. Mon intuition les nomme arcanes. Elle en dénombre 21 majeures. Elles sont des passages situés au bout de ces impasses du labyrinthe et si [les uns • passent] les autres restent.
On peut percevoir le versant symbolique du Tarot comme un roman graphique, une chanson de geste de l’initié, gravée pour le guider et enluminer son Chemin. Mais cette perception se vérifie t’elle ou bien est-ce une énième élucubration d’un imaginaire foisonnant ?
On part toujours de quelque part, et malgré nos écrans de fumée on raconte toujours d’où l’on vient à qui sait écouter le bruissement des feuilles. Aussi… quoi de mieux pour cet hommage au « tricycle bleu » paré de noir, de blanc et de rouge de notre Voie Initiatique que d’explorer la roue du Tarot en suivant le fil d’Ariane du labyrinthe ?
La difficulté avec l’intuition c’est qu’il faut la discriminer de l’instinct du corps, des biais cognitifs de l’esprit et des grandes marées de l’âme. L’intuition c’est la rosée du [mat • teint d’i • ode] remontant le long du fil à plomb, distillé par [l’hume • us] lorsque le Nadir flamboie son désir d’Étoile.
L’intuition est une révélation silencieuse du réel avant son avènement, une abstraction qui s’incorpore, une [fulgur • anse] venue d’un autre espaces-temps. Une intuition c’est l’incursion brève d’une onde quantique dans la réalité physique. C’est ainsi que nos atomes entrent en résonance et modifient « le [cha • nt • mp] du réel des labours de la matière noire». Une intuition, c’est une brève ouverture du rideau nous séparant du Débir en nous laissant un bref instant entr’apercevoir l’éclat de l’ombre numineuse de la Lumière sacrée. Une intuition, c’est la perception fragile d’un rayon de matière noire reçu directement du [soufre-soleil] sans passer par le reflet de la [mercure-lune]. Une intuition, c’est [l’𝛼 de l’Ωau de l’Un], une eau pure d’une réalité encore inaccomplie. Une intuition, c’est une énigme, un [met • sage] venu de [l’Eau • de • Là], transmit par un [porte • heure], un messager.
Et aujourd’hui, le héraut et héros de cette quête initiatique est [perd • su] comme un fou cherchant à retrouver la majuscule accrochée à son mat. Depuis la nuit du temps il est le nautonier des Sages.
L’initié en quête d’ignition: un fou pas comme les autres
Le Fou est le médium de cette histoire. Si il n’a pas de nombre et qu’il porte deux noms, le Fou et le Mat, c’est qu’il est double, volatile, infixable, oscillant entre Centre et Circonférence du Cercle, le dedans et le dehors, messager comme Hermès, autrement nommé Thot dieu à tête d’Ibis, ou en Franc-maçonnerie le Maître des Cérémonies 3. Par [méta • fore] le Mat serait la manifestation du gnomon au centre du [quadrant sol • air] 4. En passeur il forme l’équerre avec la nef sur laquelle il voyage au gré des vents porteurs de sa manifestation. Le fou, le Fou et le Mat sont donc indissociables et en ternaire ils voyagent dans leurs propres réalités que nous qualifierions aujourd’hui de quantique. Ils sont Un et Tout. Ils sont le nautonier, le voyageur et la nef de cette aventure. Ils sont une tension, une dynamique, une direction et une origine. Leur Chemin de transmutation pourrait être « ordo ab chao ».
L’insensé voyage toute sa vie sans savoir ni où il va, ni d’où il vient, ni ce qu’il doit faire. Mais le Sage se rend compte de tous ses pas parce qu’il en connaît l’importance et le but
selon le Régime Ecossais Rectifié
Si le Sage initiatique se distingue du sage [prête • en • cieux], le Fou initiatique se distingue du fou inconscient de lui-même en ceci : ce sont ses actes qui lui apprennent ce qu’il cherche, ce sont ses pas qui le transmutent en Mat et le ramènent au centre de sa nef à l’abris du chant des sirènes en faisant le choix de l’Instant Présent, délaissant le Chronos pour s’épanouir dans le Kaïros au cœur de cet Aiôn dont il n’a ni la mesure ni la maîtrise. Le gnomon ne décide pas de la hauteur du soleil. Si le fou reste enfermé dans sa [transe • en • danse] envoûté par le chant des sirènes, le Fou par son attachement au Mat choisit la Transcendance.
Le fou est celui qui perd son chemin sans pouvoir le retrouver
G.K Chesterton
Ainsi le fou reste soumis à son intuition, à son imaginaire, quand le Fou les transcende. L’intuition c’est un peu comme le reflet du soleil sur les poissons vus de la berge ou de la barque : de simples reflets lumineux, parfois trompeurs. Les poissons sont très difficiles à attraper tant ils sont glissants et leurs reflets éphémères. Peut-être qu’en les suivant au cœur du miroir, au fond des abysses, ils montreraient au fou les racines d’un Narcisse victorieux, ce Fou en [mat • gesté] en majuscule . Ces poissons, on peut toujours les pêcher avec un filet, avec une ligne lestée de plomb ou bien encore à la grenade juchés sur nos colonnes… Mais… au final… l’aventure, est-elle de se trouver ou de se retrouver ? Et qui du pêcheur ou du poisson tient l’autre ?
Parfois, assis au bord du fleuve, par grand vent, on peut observer l’écume de la surface des vagues remonter vers la source du fleuve. En observant plus attentivement, dans les profondeurs et au delà des apparences, peu importe la force du vent semblant repousser la surface de l’eau du fleuve vers sa source, son cours le dirigera toujours vers [l’âme • erre] dans le creux d’un lit toujours unique. C’est toujours pendant un changement d’état que la goutte d’eau reprend sa Source.
Ainsi, il se pourrait que savoir d’où l’on vient ou vers où nous allons ne soit peut-être pas si capital que cela. L’immanence de l’instant présent seule compte. A nous de rendre chaque instant décisif en nous transcendant pour [perce • voir] d’autres tessitures.
Arcanne : l’arcanne est le nom désignant la craie rouge du charpentier ↩︎
Instant décisif : Le photographe français Henri Cartier-Bresson (1908-2004) est l’un des grands artistes du XXe siècle. Il est l’inventeur d’un style -« l’instant décisif » -, mélange de vie débordante et de géométrie maîtrisée. Pour en savoir plus, rendez-vous directement sur le site de la fondation Henri Cartier Bressonou en écoutant l’émission « Henri Cartier Bresson et la révolution de l’instant décisif » diffusée sur France Culture, le 26 juillet 2021 – Durée : 59 minutes↩︎
Ne pouvant faire de généralité tant nos Rites et Rituels sont foisonnants, je me base ici sur mon expérience du Rite Ecossais Ancien et Accepté, du Rite Opératif de Salomon, du Rite ancien et Primitif de Memphis Misraïm, du Rite Ecossais Rectifié et du Rite Ecossais Primitif ↩︎
Quadrant : en mathématique et géométrie, un quadrant est un quart de cercle, de plan, limité par deux demi-droites perpendiculaires ; dans la Bible c’est un quart de sou romain (Matthieu 5-26) ↩︎
Dans le paysage maçonnique français, derrière les colonnes des temples et les discours empreints de sagesse, se dissimule une réalité bien moins édifiante. Le principe de reconnaissance entre obédiences, présenté comme un garde-fou institutionnel garantissant l’authenticité des pratiques, s’avère souvent n’être qu’un instrument au service de luttes d’influence et de querelles intestines qui trahissent l’essence même de l’Art Royal.
La Franc-maçonnerie française contemporaine offre un spectacle paradoxal : tandis que ses représentants évoquent avec éloquence les idéaux d’universalité, de fraternité et d’ouverture d’esprit, les structures obédientielles perpétuent un système de reconnaissance mutuelle qui relève davantage de la diplomatie politique que de la quête spirituelle. Ce n’est pas tant la qualité des travaux ou la fidélité aux traditions qui déterminent la légitimité d’une obédience aux yeux de ses pairs, mais bien sa capacité à s’imposer dans un jeu d’alliances stratégiques.
Au-delà des apparences, un jeu de pouvoir déguisé
Observons avec lucidité ce phénomène : lorsque certaines obédiences (GO, GLMF, DH, et bien d’autres…) refusent de reconnaître le statut même de frère car la lumière reçue ne l’a pas été dans des obédiences où les documents administratifs – à savoir les accords de reconnaissances – n’ont pas été signé, au point même que nous constatons parfois, sur le parvis de certains temples, des frères et des sœurs qui ne se saluent même pas, peut-on véritablement invoquer des divergences philosophiques insurmontables ?
N’est-ce pas plutôt l’expression d’une concurrence malsaine, de luttes d’orgueil ou d’une course aux effectifs qui transforme insidieusement le temple en marché ?
Les obédiences maçonniques françaises se livrent ainsi à une surenchère, numérique, moraliste ou légitimiste, qui dénature leur vocation première. Chaque année, les rapports moraux des Grands Maîtres et Grandes Maîtresses s’enorgueillissent de l’augmentation du nombre de leurs affiliés, comme si la valeur d’une institution initiatique se mesurait à l’aune de sa taille. Cette quête effrénée de croissance quantitative alimente les rivalités inter-obédientielles et justifie le maintien de barrières artificielles entre frères et sœurs qui, en d’autres circonstances, pourraient travailler ensemble à l’édification du temple symbolique. Plus troublant encore est le spectacle des luttes égotiques qui sous-tendent ces mécanismes de reconnaissance. Les instances dirigeantes des grandes obédiences françaises se transforment parfois en arènes où s’affrontent des ambitions personnelles démesurées. Les refus de reconnaissance deviennent alors des instruments de prestige pour ceux qui occupent les hautes fonctions obédientielles, leur permettant d’asseoir leur autorité sur leur propre juridiction en désignant un « autre » illégitime.
Cette balkanisation du paysage maçonnique français génère des situations d’une absurdité confondante. Comment justifier qu’un initié ayant reçu la lumière selon les rites les plus anciens puisse être considéré comme « irrégulier » par une obédience voisine, non en raison de la qualité de son parcours initiatique, mais simplement parce que les instances dirigeantes de son obédience ont refusé de se plier à tel ou tel diktat administratif ?
Peut-on encore parler de fraternité lorsque des frères ou des sœurs ne s’acceptent pas de fait ? Lorsque les visites sont ponctuées par un émargement tronqué, par des salutations non autorisées ou par l’absence de participation aux agapes, par crainte d’être réprimandé par les instances dirigeantes ? Y aurait-il donc une hiérarchie obédiencielle, attribuant des droits différents en fonction de notre obédience ? Dans le profane, cela porte un nom, et je n’ose croire que l’on puisse être Franc-maçon et tolérer cela.
Le comble de l’ironie réside dans la coexistence de ces pratiques exclusives avec des discours officiels exaltant l’universalité. Les mêmes dignitaires qui proclament l’ouverture de la Franc-maçonnerie à toutes les formes de pensée s’empressent d’ériger des barrières entre leurs membres et ceux des obédiences « concurrentes« . Cette dichotomie entre le discours et la pratique érode progressivement la crédibilité de l’institution maçonnique tout entière.
Le sérieux du travail ne réside pas dans des traités, mais à travers le travail des frères et des sœurs en loge. Fermerions-nous la porte à un profane méritant sous prétexte que son père ne l’est potentiellement pas ? Un frère est un frère, une sœur est une sœur, et si la Lumière a été reçue, les portes doivent lui être ouvertes en toute fraternité. Il ne s’agit pas ici d’aborder le sujet de la mixité, qui est quant à lui un tout autre débat propre à chaque Franc-maçon, et qui s’explique bien souvent par des ressentiments individuels, mais bien de reconnaissance et de fraternité.
Il est temps que les francs-maçons français s’interrogent sur la pertinence de ces mécanismes de reconnaissance qui, loin de préserver l’authenticité de la démarche initiatique, la dénaturent en l’instrumentalisant au profit de querelles territoriales et d’ambitions personnelles. La véritable reconnaissance ne devrait-elle pas s’établir sur le terrain des affinités spirituelles plutôt que sur celui des alliances stratégiques ?
L’avenir de la Franc-maçonnerie française dépendra de sa capacité à transcender ces divisions artificielles pour renouer avec sa vocation essentielle : offrir un espace de réflexion et d’élévation spirituelle affranchi des contingences profanes. Cela implique nécessairement une refonte des mécanismes de reconnaissance inter-obédientielle, non plus fondés sur des considérations politiques ou numériques, mais sur un authentique respect de la diversité des approches initiatiques.
À défaut d’une telle évolution, la Franc-maçonnerie française risque de se réduire à une constellation de chapelles rivales, trahissant ainsi l’idéal universaliste qui constitue pourtant sa raison d’être.
La Franc-maçonnerie se drape volontiers dans un manteau de liberté. Chaque Franc-maçon ou Franc-maçonne, lors de son initiation, prête serment d’être « libre et de bonnes mœurs », une formule rituelle qui résonne comme une promesse d’émancipation spirituelle et intellectuelle. Pourtant, sous cette façade éclatante, un paradoxe tenace se dessine : la liberté tant vantée semble souvent illusoire, prisonnière des dynamiques de groupe, des diktats obédientiels et des vestiges d’un passé primal.
Pourquoi un Franc-maçon, fier de son indépendance, refuse-t-il de rejoindre une loge dite « sauvage » ? Comment des obédiences, en 2025, osent-elles infantiliser leurs membres ou censurer leurs lectures ? Plongeons dans cette tension entre désir d’appartenance et quête de rupture, pour révéler une pseudo-liberté qui interroge l’essence même de la Franc-maçonnerie.
Le besoin d’appartenance : un héritage primal
Tribu préhistorique dans une grotte
Entrer en Franc-maçonnerie, c’est rejoindre une fraternité, une chaîne d’union qui transcende les siècles. Mais ce désir d’appartenance, si naturel soit-il, enferme parfois le Franc-maçon dans une contradiction. Combien clament haut et fort leur liberté, tout en s’accrochant à leur obédience comme à un totem ? « Ils sont libres et de bonnes mœurs », disent-ils, mais pour rien au monde ils ne franchiraient le seuil d’une loge « sauvage » – ces ateliers indépendants, hors des grandes structures. Pourquoi ce rejet visceral ?
La réponse pourrait remonter à nos origines. L’anthropologue Robin Dunbar, dans Human Evolution (2014), suggère que l’appartenance au groupe était jadis une question de survie : un australopithèque isolé était une proie facile, tandis que le clan offrait protection et ressources. Chez le Franc-maçon moderne, cet « archéocortex », ce cerveau primitif, semble encore à l’œuvre. L’obédience devient une tribu, un refuge où l’identité se forge dans l’appartenance plutôt que dans l’autonomie. Comme le note l’auteur Roger Dachez dans Histoire de la franc-maçonnerie française (2003), « la Franc-maçonnerie a hérité des guildes médiévales un sens communautaire qui peut étouffer l’individualité ». Ainsi, la liberté proclamée bute sur une peur atavique : être exclu, être seul.
Les incohérences de l’appartenance
Cette dépendance au groupe engendre des incohérences flagrantes. Un Franc-maçon peut passer des années à « polir sa pierre brute » – métaphore de l’ego à dompter – tout en refusant de s’affranchir des structures qui le définissent. Les loges sauvages, souvent perçues comme des espaces d’expérimentation libre, sont dénigrées comme illégitimes ou désordonnées. Pourtant, ne sont-elles pas l’incarnation même de cette liberté que la Franc-maçonnerie célèbre ? « Pour beaucoup, quitter une obédience, c’est perdre une part de soi », observe Pierre Mollier, conservateur du musée de la Franc-maçonnerie à Paris, dans La Franc-maçonnerie (2016). Cette fidélité, louable en surface, trahit une peur de l’inconnu, un attachement qui bride plus qu’il ne libère.
Et que dire des Francs-maçons qui, après des décennies de pratique, développent un orgueil lié à leurs grades ou à leur ancienneté ? Le 33e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté devient un insigne de supériorité, non une étape initiatique. Cette hypertrophie de l’ego, déjà explorée dans d’autres contextes, montre que l’appartenance peut se muer en vanité, éloignant l’initié de l’humilité originelle.
L’infantilisation par les obédiences
Assemblée nationale en France
Passons maintenant aux structures obédientielles, où la pseudo-liberté atteint son paroxysme. Imaginez un PDG de Toyota convoquant ses employés pour leur dicter leur vote aux élections nationales : le tollé serait mondial, les journaux s’enflammeraient. Pourtant, en France, cette pratique est courante dans certaines obédiences maçonniques. À chaque scrutin présidentiel ou législatif, des communiqués officiels – parfois subtils, parfois directs – orientent les consciences des membres. En 2022, par exemple, le GODF a publié des positions claires sur des candidats, sous couvert de défendre les valeurs républicaines. « C’est une infantilisation indigne d’un ordre qui prône la liberté de pensée », dénonçait un ancien vénérable dans une tribune anonyme sur un blog maçonnique.
Cette tutelle n’est pas nouvelle. Dès le XVIIIe siècle, les Grandes Loges anglaises imposaient des lignes idéologiques pour asseoir leur autorité. Aujourd’hui, elle persiste sous une forme modernisée : des obédiences françaises bien connues, bien que distinctes dans leurs approches (spirituelle pour les unes, laïques pour les autres), n’hésitent pas à rappeler à leurs membres leurs « devoirs citoyens » – une expression qui sonne comme un ordre déguisé. Pourquoi un Franc-maçon, censé cultiver son libre arbitre, tolère-t-il cela ? La réponse réside peut-être dans le confort de l’appartenance : obéir, c’est rester dans le giron protecteur. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de réhabiliter le vote des extrêmes, mais au nom de quel droit, une Oébdience peut-elle emettre une idée sur ce point aussi intime que celui du vote ?
La censure : un paradoxe en 2025
Brassard de presse
Plus troublant encore, une nouvelle tendance émerge : la censure des lectures. En 2025, alors que la liberté de la presse est un pilier en France, certaines obédiences – que leurs membres reconnaîtront sans peine – interdisent la lecture ou la collaboration avec des organes de presse maçonniques jugés trop critiques ou indépendants. Des revues comme L’Initiation ou des blogs dissidents sont bannis, sous prétexte de préserver l’unité ou d’éviter les « déviances ». Oui, vous avez bien lu : en 2025, un Franc-maçon peut se voir dicter ce qu’il a le droit de lire.
Cette pratique évoque les heures sombres de l’histoire. En 1933, les nazis brûlaient les livres maçonniques ; aujourd’hui, certaines obédiences jouent les censeurs en douceur. « C’est une atteinte à l’esprit même de la Franc-maçonnerie, qui naît des Lumières et de la libre pensée », s’indignait une Franc-maçonne anonyme dans un témoignage recueilli en 2024. Les victimes de ces interdits – exclues ou marginalisées – abondent, et leurs récits circulent dans les cercles initiatiques.
Comment un ordre qui célèbre la lumière peut-il ainsi obscurcir les esprits ?
Pourquoi cette acceptation ?
La question brûle les lèvres : « Mais comment un Franc-maçon peut-il accepter cela ? » Plusieurs hypothèses émergent. D’abord, le poids de la tradition : des siècles de hiérarchie ont ancré une culture de soumission implicite. Ensuite, la peur de l’exclusion : quitter une obédience ou défier ses règles, c’est risquer l’isolement, un prix trop lourd pour beaucoup. Enfin, un manque de recul : certains, bercés par les rituels et l’appartenance, ne perçoivent plus ces entraves comme des chaînes, mais comme des marques d’appartenance.
Daniel Béresniak
L’anthropologue Daniel Béresniak, dans Les Symboles de la franc-maçonnerie (1997), offre une piste : « Le Franc-maçon est un paradoxe vivant : il cherche la liberté dans un cadre qui la limite. » Cette tension entre l’idéal et la réalité est au cœur de la pseudo-liberté maçonnique. Les obédiences, avec leurs structures pyramidales et leurs injonctions, reproduisent parfois les systèmes qu’elles prétendent transcender.
Vers une vraie liberté ?
Alors, la liberté du Franc-maçon est-elle un mythe ? Pas entièrement. Des loges sauvages existent, des voix dissidentes s’élèvent, et certains initiés, hommes comme femmes, choisissent l’autonomie au prix de l’exclusion. Mais pour la majorité, la pseudo-liberté persiste, nourrie par un besoin primal d’appartenance et des obédiences qui oscillent entre guidance et contrôle.
En 2025, la Franc-maçonnerie pourrait se réinventer. Elle pourrait encourager l’indépendance réelle, abolir les censures et laisser chaque Franc-maçon ou Franc-maçonne voler de ses propres ailes.
Comme le disait Albert Pike dans Morals and Dogma (1871) :
« La vraie liberté est celle qu’on conquiert, pas celle qu’on reçoit.
Avec inspiration de notre confrère elnacional.com – Par Mario Múnera Muñoz
Et si Dieu n’était ni un roi céleste ni un esprit capricieux, mais une équation parfaite, un ordre géométrique qui sous-tend chaque mouvement de l’univers ? Baruch Spinoza (1632-1677), dans son chef-d’œuvre L’Éthique, démontrée selon l’ordre géométrique (1677), nous offre cette vision audacieuse : un Dieu qui n’est pas au-dessus de la Nature, mais qui est la Nature – une substance unique, infinie, nécessaire, dévoilée par la rigueur d’une démonstration mathématique.
Dans ce troisième et dernier volet de notre série, explorons ce « Dieu géométrique » qui défie les passions humaines et les dogmes pour révéler une réalité unifiée. Pourquoi Spinoza a-t-il choisi la géométrie pour parler du divin ? Et en quoi cette pensée peut-elle éclairer notre quête de liberté et de paix ?
Une révolution sous forme d’équations
Galileo Galilée
Au XVIIe siècle, alors que Galilée affirme que « le livre de la nature est écrit en langage mathématique », Spinoza pousse cette idée à son paroxysme. Né à Amsterdam dans une famille juive séfarade exilée, il grandit dans une Europe où la science et la religion s’affrontent violemment. À 23 ans, son rejet des dogmes – notamment d’un Dieu anthropomorphe – lui vaut une excommunication brutale en 1656. Mais loin de se taire, il forge une philosophie qui marie intuition et logique, exposée dans L’Éthique avec la précision d’un traité d’Euclide. Comme le note Rómulo Ramírez Daza y García dans son essai Le Dieu géométrique de Baruch Spinoza (Universidad Panamericana), Spinoza sépare le divin des « Livres de la Loi » pour le contempler avec « l’œil de la Sagesse ». Ce n’est pas un acte de foi aveugle, mais une démonstration rigoureuse qui révèle un Dieu immanent.
Pourquoi la géométrie ? Pour Spinoza, elle est le « modèle idéal » pour exposer la réalité divine. Les axiomes, définitions et propositions s’enchaînent comme les théorèmes d’un cercle ou d’un triangle, offrant une clarté implacable. « Tout suit une série d’étapes pour sa démonstration », écrit Muñoz, capturant cette méthode qui transforme la métaphysique en science.
Dieu : la substance infinie
Au cœur de cette géométrie se trouve une idée radicale : Dieu est une substance unique, causa sui (cause de soi), dont l’essence implique l’existence. « Dieu est la totalité de l’Être », explique Ramírez, une réalité infinie qui contient tout – vous, moi, les montagnes, les étoiles – dans une unité absolue. Dans L’Éthique (Partie I, Proposition 14), Spinoza affirme : « Hors de Dieu, aucune substance ne peut être ni être conçue. » S’il existait autre chose, ce serait une autre substance, ce qui est impossible : Dieu est l’Unique.
Cette substance se manifeste par une infinité d’attributs, mais l’homme n’en perçoit que deux : la pensée (l’esprit) et l’étendue (le corps). « La pensée est un attribut de Dieu », écrit Spinoza (Partie II, Proposition 1) ; il est un être pensant, infini. L’étendue, quant à elle, est la cause immanente de tout ce qui existe physiquement – non une limitation, mais une expression de l’imagination divine. Comme le souligne Gilles Deleuze dans Spinoza : Philosophie pratique (1981), « ces attributs ne divisent pas Dieu ; ils sont des perspectives sur une même réalité ».
Rien n’échappe à cette substance. « Tout ce qui est est en Dieu », proclame Spinoza (Partie I, Proposition 15). Les choses ne pourraient être autrement : leur perfection découle de la nécessité divine, pas d’un caprice. Un flocon de neige, une tempête, une idée – tout suit un ordre géométrique, une logique aussi précise que la somme des angles d’un triangle (180°).
L’âme : un reflet de l’infini
Baruch Spinoza
Et l’homme dans tout cela ? L’âme humaine, pour Spinoza, n’est pas une entité séparée, mais une modification de la substance divine. « L’âme fait partie de la compréhension infinie de Dieu », dit-il (Partie II, Proposition 11, Corollaire). Elle est un mode, une expression particulière des attributs de pensée et d’étendue. Contrairement à Dieu, nécessaire et éternel, l’homme est contingent – un fragment dans l’immense tapisserie de la Nature.
Pourtant, quelque chose d’immortel subsiste en nous. Dans L’Éthique (Partie V, Proposition 23), Spinoza suggère que l’idée de notre âme, en tant que chose pensante, perdure dans la substance. Cette immortalité n’est pas un paradis personnel, mais une connexion intemporelle à l’infini. Comme l’écrit Ramírez, « l’âme est rapportée à l’infini impérissable, qui est Dieu ». Il n’y a aucun moyen d’échapper à cette réalité : tout implique Dieu.
La connaissance : un chemin vers la liberté
Spinoza distingue trois niveaux de connaissance, chacun révélant un aspect du Dieu géométrique :
Expérience vague : Une perception confuse, désordonnée – voir une fleur sans en saisir l’essence.
Signes et mémoire : Se souvenir d’une chose par des mots ou des images, une connaissance encore imparfaite.
Intuition rationnelle : Comprendre les notions communes et les idées adéquates, comme les lois universelles. C’est la « conscience intuitive », la plus haute forme de savoir.
« Le bien suprême de l’âme est la connaissance de Dieu », affirme Spinoza (Partie IV, Proposition 28). Cette connaissance libère l’homme des passions – peur, colère, désir aveugle – qui l’enchaînent aux lois du monde. Dieu, lui, est libre car exempt de passions ; l’homme, en le comprenant, s’approche de cette liberté. Comme le note Stuart Hampshire dans Spinoza (1951), « la liberté spinoziste n’est pas un caprice, mais une harmonie avec la nécessité ».
Le physique : un parallélisme parfait
Dans le domaine physique, tout suit cet ordre géométrique. « Un corps en mouvement ou au repos est déterminé par un autre corps, et ainsi de suite à l’infini », écrit Spinoza (Partie II, Proposition 13, Lemme 3). Les corps se distinguent par le mouvement et le repos, mais leur cause ultime est la substance divine. Ce parallélisme – entre pensée et étendue – est absolu : l’esprit et le corps ne s’opposent pas, ils reflètent la même réalité sous deux attributs.
L’infinité de Dieu, explique Ramírez, est une « intemporalité qui se manifeste dans le temps sempiternel ». Le flux du devenir – une rivière qui coule, une étoile qui s’éteint – est l’expression éternelle de cette substance unique. Il n’y a pas deux univers, pas deux substances : tout est un.
Une paix par la compréhension
Spinoza rêve d’un jour où l’humanité comprendra ce Créateur géométrique. « Ce jour-là, il y aura la paix dans le monde », écrit Muñoz. Mais tant que le cerveau cherche la vérité à l’extérieur et que le cœur suit ses passions, cette paix reste hors de portée. La liberté, pour Spinoza, ne vient pas de la révolte ou de la raison seule ; elle naît d’un chemin spirituel, d’une intuition qui transcende les limites humaines pour saisir l’ordre divin.
Un legs éternel
Tombe de Spinoza
Mort à 44 ans, usé par la tuberculose et son métier de polisseur de lentilles, Spinoza laissa une œuvre interdite mais indestructible. Albert Einstein, en 1929, confessait : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’harmonie des lois de l’univers. » Aujourd’hui, ce Dieu géométrique nous défie encore : il nous invite à voir l’infini dans le fini, à trouver le sacré dans l’ordre, et à nous libérer par la connaissance.
Ainsi s’achève notre voyage dans la pensée de Spinoza. De l’immanence à la liberté, son Dieu-Nature reste une boussole pour naviguer dans un monde chaotique – une géométrie de l’âme qui, une fois comprise, illumine tout.
Originaire de Mendoza et ancienne conseillère de Paco Pérez : « Il y a beaucoup de femmes francs-maçonnes en politique et dans le système judiciaire. »
« Bien qu’elles ne soient pas aussi visibles, il y a beaucoup de femmes francs-maçonnes dans le journalisme argentin, dans le système judiciaire – que ce soit comme procureures, avocates de la défense ou juges – dans le pouvoir législatif et, bien sûr, aussi dans le pouvoir exécutif. » C’est avec ces mots que María Elena Castillo, originaire de Mendoza, a admis cette « suspicion collective », en accordant une interview au journal La Nación, en sa qualité de « Sérénissime Grand Maître de la Grande Loge Féminine de la République Argentine », dont le siège se trouve à quelques pas de l’Obélisque de Buenos Aires.
Castillo a travaillé comme avocate toute sa vie, même si elle est maintenant à la retraite. Elle-même a travaillé en politique à Mendoza, pendant l’administration de Francisco Pérez, jusqu’à ce qu’Alfredo Cornejo assume son premier poste de gouverneur (fin 2015 – début 2016).
Elle a travaillé dans des entreprises privées et dans divers services publics et était jusqu’alors conseillère au Secrétariat juridique et technique de l’État provincial. Elle dit également avoir travaillé bénévolement au ministère de la Défense publique, « un secteur dirigé par des femmes à sa création, mais sans structure légale ».
La « leader » des francs-maçons argentins n’ose pas nommer ses « sœurs ». D’abord parce que la discrétion est l’un des principes traditionnels de cette organisation. Et deuxièmement, parce qu’elles craignent la discrimination dont elles sont victimes, assurent-elles à La Nación, depuis la création de cette « branche féminine », puisque les loges ont toujours été considérées comme réservées aux hommes. Mais il précise aussitôt : « La franc-maçonnerie est une philosophie de vie, qui vise la charité, la tolérance, le respect… En fin de compte, notre défi est d’être des sujets vertueux… »
L’icône universelle de la franc-maçonnerie.
Selon la note, il y a environ 4 000 francs-maçons en Argentine. « Parmi elles, il y a des femmes maçonnes, des femmes titulaires de deux ou trois doctorats, et d’autres qui n’ont terminé que le lycée ou, dans certains endroits, l’école primaire. Pourtant, elles transmettent la sagesse, car la sagesse ne se limite pas à l’illumination », explique-t-elle.
Grâce à l’impulsion décisive des « sœurs du Chili », où elles ont plus de 40 ans d’expérience, l’institution en Argentine a été fondée il y a plus de 20 ans (le 6 juillet 2002, pour être exact) et, plus précisément, à Mendoza, elle fonctionne depuis 2009.
Au niveau local, elle serait moins encline à nommer d’autres femmes de Mendoza (et encore moins par le biais d’un média national), car « la persécution est encore forte. De nombreuses femmes instruites dans leur domaine ne peuvent se faire connaître, car si leur appartenance à la franc-maçonnerie était connue, elles risqueraient d’être expulsées. »
Libre et autonome
Très bien, mais alors pourquoi la franc-maçonnerie a-t-elle été historiquement conçue comme une « affaire d’hommes » ? Et Castillo de répondre au journaliste : « Pour comprendre cela, il faut remonter à 1717, lorsque la Grande Loge d’Angleterre fut fondée et que les conditions d’admission furent établies. Les femmes en furent exclues. Cela était sans doute lié à l’époque : l’accès à l’espace public leur était interdit. »
Pour éviter tout doute, il prévient que pour être un « sujet initiable », il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme universitaire spécifique ou une position sociale élevée. Je n’ai pas de capacités paranormales, mais plutôt je suis une personne prête à tout remettre en question en toute liberté.
Général San Martin, fondateur de la Loge Lautaro.
En revenant aux hommes de l’école primaire, nous savons que San Martín était un maçon qui a fondé la Loge Lautaro. Mais les archives indiquent que Manuel Belgrano était également l’un d’entre eux. Domingo Faustino Sarmiento, Bernardo Rivadavia, Hipólito Yrigoyen, entre autres leaders historiques et actuels qui ont atteint de grands sommets. Également Manuel García Ferré, le créateur de Hijitus, Anteojito et Larguirucho, entre autres personnages.
Pour clarifier les questions sur l’orientation politique requise pour appartenir à cette organisation, les francs-maçons affirment que même l’ancien président chilien Salvador Allende en était un. Et Castillo affirme qu’Alicia Moreu de Justo — l’éminente médecin, féministe et dirigeante socialiste argentine — était, à sa manière, une « franc-maçonne sans tablier (un tablier rouge de préférence souvent porté lors des cérémonies) ». Et ce n’était pas seulement parce qu’il n’y avait pas ce genre d’espaces pour les femmes à l’époque.
Et, en conclusion, il précise : « La Franc-maçonnerie en général défend les principes républicains et la démocratie comme la meilleure méthode de gouvernement que nous connaissions. Peut-être en trouverons-nous une meilleure demain, mais c’est aujourd’hui la situation. »
Au-delà du siège maçonnique et des temples établis dans la Cinquième Section et à Godoy Cruz (le quartier dit de Bombal Sur), et en accord avec l’époque, il existe également un site Web et des réseaux sociaux, où des contacts peuvent être établis.
Un manuscrit ancien aux pages jaunies, des gravures énigmatiques, des textes alchimiques murmurant des secrets d’un autre temps : voilà ce que nous révèle une conférence captivante intitulée « Les Rose-Croix : Une société secrète ? », cette vidéo de 16 minutes, animée par Jean-Guy Riant, spécialiste des traditions ésotériques, nous invite à explorer les archives de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (AMORC). Au centre de cette plongée : un manuscrit du XVIIIe siècle, Theosophia Fratrum Rosae Crucis, présenté pour la première fois dans son intégralité.
Que révèle ce document ? Qui sont vraiment les Rose-Croix ? Entre légendes et réalités, décryptons ensemble cet ordre mystérieux qui, depuis des siècles, oscille entre ombre et lumière.
Une fenêtre sur le XVIIIe siècle
La conférence débute par une promesse intrigante : révéler un trésor des archives rosicruciennes. Le manuscrit Theosophia Fratrum Rosae Crucis, datant du XVIIIe siècle, est un joyau rare, mêlant gravures symboliques et textes alchimiques. Jean-Guy Riant explique : « Ce document était un outil pour les Rose-Croix de l’époque, un moyen d’étudier et de transmettre une sagesse ésotérique visant l’éveil spirituel. » Plus qu’un simple recueil, il s’agit d’un guide initiatique, destiné à ceux qui cherchaient à transcender le monde matériel pour atteindre une harmonie intérieure.
Les Rose-Croix émergent dans l’imaginaire collectif au début du XVIIe siècle avec trois manifestes fondateurs : la Fama Fraternitatis (1614), la Confessio Fraternitatis (1615) et les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz (1616). Publiés en Allemagne, ces textes annoncent un ordre secret dédié à la réforme spirituelle et scientifique de l’humanité. Riant note : « Leur auteur présumé, Johann Valentin Andreae, reste un mystère – œuvre réelle ou fiction savante ? » Quoi qu’il en soit, ces écrits enflamment l’Europe, attirant alchimistes, philosophes et rêveurs.
Société secrète ou discrétion assumée ?
Harvey Spencer Lewis
Le titre interroge : les Rose-Croix sont-ils une société secrète ? Riant répond avec clarté : « Ils ne sont pas secrets au sens classique, mais discrets par tradition et par prudence. » L’AMORC, refondé en 1915 par Harvey Spencer Lewis, est une organisation publique, avec des centres accessibles. « Leur discrétion est un héritage des époques troublées », précise-t-il, évoquant les persécutions sous l’Inquisition ou les régimes autoritaires.
Au XVIIe siècle, dans une Europe déchirée par les guerres religieuses, les Rose-Croix devaient se protéger. « Proclamer des idées novatrices était dangereux », ajoute Riant. Aujourd’hui, cette discrétion est devenue symbolique : les rituels et les enseignements restent réservés aux membres, mais l’ordre ne cache pas son existence.
Une quête mystique et humaniste
Entrée du musée Égyptien de l’AMORC à San Jose, en Californie.
Quel est le cœur de la pensée rosicrucienne ? Riant le résume : « C’est une voie d’éveil spirituel à travers la connaissance. » Le manuscrit Theosophia en est la preuve : ses gravures – roses, croix, cercles – et ses textes codés explorent l’alchimie intérieure. « Transformer l’âme, pas seulement le plomb en or, voilà leur ambition », dit-il.
Les Rose-Croix puisent dans un syncrétisme riche : hermétisme, gnosticisme, kabbale, et philosophie antique, cherchant à unir science et spiritualité.
Leur devise implicite ? « Guérir l’homme et régénérer le monde. » Ils privilégient l’intuition et l’expérience personnelle, loin des dogmes imposés. Riant insiste : « Ils n’imposent pas une foi, ils proposent une méthode. » Cette approche séduit ceux qui refusent les vérités toutes faites.
Décryptage du Theosophia
Statue du pharaon Thoutmôsis III, fondateur originel de l’AMORC d’après Harvey Spencer Lewis.
Le clou de la conférence est l’analyse du manuscrit. Riant décrit ses pages : diagrammes alchimiques, symboles (soleil, lune, serpent qui se mord la queue), et textes en latin ou en allemand. « Chaque image est une méditation, un reflet du cosmos et de l’âme », explique-t-il. Une rose croisée symbolise l’union du spirituel et du matériel ; un cercle avec un point central évoque l’unité divine.
Ces symboles codent une sagesse pratique. « Les initiés les utilisaient pour progresser dans leurs cercles d’étude », dit Riant. Les neuf grades de l’AMORC moderne perpétuent cette tradition, chaque étape dévoilant une nouvelle facette des lois universelles – vibration, polarité, cycles.
Les fantasmes dissipés
Les Rose-Croix traînent des mythes tenaces : une cabale secrète ? Riant sourit : « Pure fiction, née de leur aura mystérieuse. » Les manifestes du XVIIe siècle, avec leurs promesses ambitieuses, ont alimenté ces spéculations, mais leur influence était intellectuelle, pas politique. Quant à la richesse supposée, il clarifie : « Les cotisations servent aux temples et aux publications, rien de plus. » L’AMORC est transparent sur ses activités.
Une tradition d’aujourd’hui
L’intérieur du temple de la loge de Paris.
Riant conclut sur la vitalité des Rose-Croix : « Ils répondent à une soif de sens dans un monde matérialiste. » En 2025, l’AMORC compte des milliers de membres mondiaux, attirés par une spiritualité libre. « Leur secret n’est pas dans l’ombre, mais dans ce qu’on découvre en soi », dit-il. Le Theosophia est un pont entre passé et présent, une invitation à l’introspection.
Une lumière intemporelle
Cette conférence démystifie avec élégance : les Rose-Croix ne sont ni secte ni conspiration, mais une fraternité discrète, porteuse d’une sagesse ancienne. Theosophia Fratrum Rosae Crucis n’est pas un grimoire interdit : c’est un miroir pour l’âme.
Comme le dit Riant : « Le mystère, c’est nous-mêmes. » Société secrète ? Non. Voie d’éveil ? Sans aucun doute.
La Collapsologie est une branche de l’écologie souvent caricaturée, comme tenant un discours apocalyptique, avec des prophéties de fin du monde. Mais ça n’est pas ça, c’est une approche qui tente de comprendre comment les systèmes se détruisent. Elle entre en résonance avec un problème typiquement maçonnique, celui de la destruction du temple et de sa reconstruction. Les francs-maçons ont-ils quelque chose à faire avec la collapsologie ?
La Collapsologie en France est représentée par Pablo Servigne et Raphaël Stevens. En 2015, ils publient un livre : « Comment tout peut s’effondrer ». La collapsologie, c’est l’étude des systèmes qui s’effondrent. Les auteurs ont passé en revue plusieurs centaines d’études scientifiques pour essayer d’éclaircir ce phénomène. Pourquoi et comment un système s’effondre, à partir de quel moment commence-t-il à s’autodétruire, dans des domaines aussi différents que le climat, l’économie, la politique, le vivant ? Il y a un moment où il dépasse les limites de ce qui est supportable pour lui, alors, il bascule, il ne peut plus revenir en arrière, il ne peut plus rétablir l’équilibre. Par exemple, pour ce qui concerne la Terre, les scientifiques ont déterminé neuf limites planétaires qui, si elles étaient dépassées, entraîneraient un collapsus. Sur les neuf, six sont déjà franchies en 2024 :
le changement climatique ;
l’érosion de la biodiversité ;
la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore ;
le changement d’usage des sols ;
le cycle de l’eau douce (eau bleue et eau verte) ;
l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère.
La Collapsologie cherche à repérer les signaux faibles qui montrent qu’un système est en danger et surtout à comprendre à partir de quel moment se fait le point de bascule qui empêche tout retour en arrière.
Un effondrement, ça n’est pas une crise. Dans le cas d’une crise on met en œuvre une stratégie de gestion de crise, on sait faire ça. On sait : prévenir, anticiper, tenter de l’enrayer, la contenir, la limiter, puis réparer les dégâts. Dans le cas d’un effondrement, on ne peut pas apporter de solution, on ne peut pas l’empêcher non plus, est-ce que cela veut dire qu’on ne peut rien faire ? Pas du tout, disent les collapsologues. Quand on a pris conscience qu’on est en train de vivre un effondrement, les premières réactions sont en général assez violentes : d’abord l’ignorance : je ne savais pas ; puis le déni : ce n’est pas vrai, ce n’est pas sûr. On se raconte des histoires, on essaie de s’accrocher aux mythes : le progrès, la croissance infinie ; à des croyances rassurantes : la technoscience va bien nous tirer de là, ou Dieu, ou n’importe qui d’autre. On essaie de se réfugier dans le passé quand ces problèmes n’existaient pas. Mais ça ne sert à rien, bien sûr. Quand on se réveille, les problèmes sont toujours là. Et ensuite, une fois qu’on a dépassé ce stade ? Et bien on est enfin disponible pour essayer d’imaginer autre chose, pour dépasser l’éco-anxiété et se lancer dans l’action constructive.
En fait, les effondrements ne sont pas si nouveaux que ça. Paul Valéry écrivait en 1919, au sortir de la Grande Guerre : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». L’empire maya a disparu vers l’an 800, la chute de l’empire romain est datée de 476 avant notre ère, et plus près de nous, l’empire soviétique s’est effondré en 1991. Le premier qui ait théorisé là dessus est un Russe devenu américain : Dmitry Orlov. Dans un ouvrage paru aux USA en 2013 puis en France sous le titre : « Les 5 stades de l’effondrement. Manuel du survivant », il énumère :
1er stade : financier
2è : économique
3è : politique
4è : social
5è : culturel
C’est ce qui est arrivé à l’Union Soviétique. Pratiquement tous ces items sont actuellement en crise dans nos sociétés. Sont-elles prêtes à l’effondrer ? On ne le sait pas et quand on le saura, il sera trop tard.
Mais Pablo Servigne ne développe pas du tout une pensée de résignation. En 2015 il fait paraître un ouvrage collectif intitulé : “ Petit traité de résilience locale”. C’est un inventaire de toutes les solutions bricolées partout avec un maître mot : la résilience. La résilience pour un système c’est sa capacité de s’adapter et de se réinventer en trouvant des solutions nouvelles. Parmi celles répertoriées par l’ouvrage : la relocalisation des activités, le développement de communautés de type “village”, plus solidaires. Des communautés qui fonctionnent sur un mode plus coopératif que compétitif. C’est une des leçons qu’on tire de l’écologie. Aucun écosystème ne peut survivre en se basant uniquement sur le principe de compétition, il court à sa perte. Il faut qu’il s’équilibre par des relations de coopération. Les nouvelles communautés permettent de reconstruire du collectif pour sortir de l’individualisme qui finit par mettre en compétition chacun contre tous.
Le dernier ouvrage rédigé par l’équipe de Pablo Servigne en 2024 s’appelle « Le pouvoir du suricate, apprivoiser nos peurs pour traverser ce siècle ». Le suricate est un petit animal d’Afrique, de la famille des mangoustes. Il joue le rôle de sentinelle pour prévenir les autres des catastrophes, mais surtout il est le champion de la résilience, il sait organiser des collectifs pour faire face à n’importe quelle situation. Pour Pablo Servigne, c’est que devraient faire les communautés humaines : retisser de la solidarité, adopter des modes d’organisation et de décision moins hiérarchisés, plus décentralisés, plus horizontaux, recherchant l’équité, et respectant les équilibres au sein du vivant pour ne pas lui imposer plus qu’il ne peut supporter. L’économie de la résilience ne peut être que différente de l’économie de la compétition qu’on connaît aujourd’hui. Mais elle suppose de repenser les valeurs qui fondent nos sociétés.
En quoi cette réflexion autour de la collapsologie concerne-t-elle la franc-maçonnerie ? En fait, sans en avoir l’air, on parle de franc-maçonnerie depuis le début. D’ailleurs tout commence par une catastrophe lorsque, réfugié dans le cabinet de réflexion pour échapper au tumulte du monde, le vieil homme est appelé à mourir pour que puisse naître l’homme nouveau. On le décape au vitriol, il faut qu’il se remette en cause dans les profondeurs de lui-même. Et c’est sous sa propre poussière qu’il va trouver la pierre qui servira à construire un nouvel édifice. Et puis l’histoire continue. Quelqu’un meurt et, pas de chance, c’était le patron, celui qui commandait le travail, le seul qui avait tout le plan dans sa tête. Comment continuer sans lui ? En Espagne à la mort d’Antoni Gaudi en 1926 il a fallu reprendre la construction de la Sagrada Familia. On avait retrouvé une partie des croquis de l’architecte, on a dû les interpréter. Tant de choses étaient perdues à jamais. Le travail de ses successeurs a-t-il été fidèle au projet initial ? Le tracé, fidèle à l’esquisse? On ne le saura jamais et peut être que ça n’a pas d’importance
Pour ce qui est des Francs maçons ce n’est pas spolier grand chose que de dire que le temple a été plusieurs fois détruit et reconstruit, puis pas reconstruit du tout. Il n’existe plus dans sa version matérielle, il continue d’exister dans son for intérieur puisqu’il est l’objet du travail de chacun. Avec cette problématique de destruction-reconstruction, les francs maçons sont bien placés pour comprendre les enjeux de la collapsologie. Ils savent qu’il faut accepter de perdre et démolir pour que quelque chose de nouveau puisse être bâti sur des bases nouvelles. Les francs maçons savent se remettre en cause, ou devraient le savoir, puisque c’est la base même de leur démarche. Ils savent aussi fabriquer de l’intelligence collective, ils y passent l’essentiel de leur temps. Ils savent tisser des liens autour de la chaîne d’union avec des gens qui, sans eux, ne se seraient jamais rencontrés. Ils savent, et c’est le principe même de la franc -maçonnerie, articuler la dimension individuelle du parcours initiatique avec l’indispensable dimension collective qui fait qu’on travaille ensemble. Ils savent laisser les métaux à la porte du temple et donc oublier l’esprit de compétition qui règne au dehors. Il savent, ou du moins, ils devraient savoir, comment lutter contre tout ce qui nous empêche d’affronter les enjeux de l’écologie, et qui sont ni plus ni moins que des trois aveuglements des mauvais compagnons : l’ignorance, le fanatisme (croire qu’on a absolument raison), et l’ambition de vouloir toujours plus pour soi-même au détriment des autres. Et puis ils savent, ou ils devraient savoir, conserver les valeurs anciennes tout en forgeant des valeurs nouvelles, n’ont-ils pas pour projet d’améliorer l’homme et la société pour aujourd’hui et pour demain ?
Ne pas avoir peur de regarder en face les temps qui viennent, en s’appuyant sur la raison et sur la science, imaginer des solutions nouvelles, tisser des liens de solidarité, reconstruire du collectif et de l’universalisme, c’est bien du travail de franc-maçon. La résilience, c’est bien une qualité de franc-maçon. Alors oui, la collapsologie devrait être un sujet d’étude.
La Franc-maçonnerie se présente comme une voie d’humilité, une quête intérieure où l’initié, frère ou sœur, est invité à « polir sa pierre brute » – cette métaphore de l’ego imparfait qu’il faut tailler pour atteindre une harmonie spirituelle et fraternelle. Pourtant, paradoxalement, certains maçons, hommes comme femmes, développent avec les années une hypertrophie de l’ego, un orgueil qui semble contredire les idéaux mêmes de l’ordre.
Que ce soit à travers les degrés et grades obtenus, les fonctions électives exercées, ou simplement l’appartenance à cette institution millénaire, ce phénomène touche une minorité mais soulève des questions essentielles :
pourquoi cette dérive ? Quels mécanismes internes ou externes favorisent cet enflure de l’ego ?
Explorons ce paradoxe avec une curiosité bienveillante.
La Franc-maçonnerie : un idéal d’humilité
Dès l’initiation, le profane entre en loge les yeux bandés, symbolisant son aveuglement face à la lumière de la connaissance. Ce rituel, commun à la plupart des obédiences – Grande Loge de France (GLDF), Grand Orient de France (GODF), Droit Humain, ou Grande Loge Féminine de France (GLFF)… – pose un principe fondamental : l’ego ne doit jamais devenir le conducteur, il doit laisser la place à la quête collective et personnelle de vérité. Les outils maçonniques – l’équerre pour la droiture, le compas pour l’équilibre, le maillet pour briser les aspérités – sont des rappels constants de cette humilité. Contrairement à ce qu’écrit l’historien maçonnique Roger Dachez dans Histoire de la Franc-maçonnerie française (2003), « la maçonnerie est un chemin de déconstruction de l’ego au profit de l’édifice commun », il semblerait plutôt que le chemin ne consiste pas à déconstruire l’égo, mais à nourrir l’humilité par le remplissage d’amour sincère et profond de soi-même. Car l’égo n’est pas un organe, mais une conséquence.
Ce chemin, aussi noble soit-il, n’est pas exempt de pièges. Avec les années, certains maçons s’éloignent de cet idéal, laissant l’orgueil prendre le dessus.
Trois facteurs principaux semblent alimenter cette hypertrophie : les grades et degrés, les fonctions électives, et l’appartenance elle-même.
Examinons-les un par un.
Les grades et degrés : une échelle de prestige ?
La Franc-maçonnerie est structurée en degrés, souvent organisés en rites – le Rite Écossais Ancien et Accepté (33 degrés) ou le Rite Français (3 degrés principaux, parfois suivis de grades complémentaires) par exemple. Chaque degré représente une étape initiatique, un dévoilement progressif des symboles et des mystères. Pour beaucoup, atteindre les hauts grades – comme le 33e degré du REAA, celui de « Souverain Grand Inspecteur Général » – est une récompense spirituelle, un signe de persévérance et de compréhension.
Pourtant, chez certains, ces grades deviennent une source d’orgueil. Le maçon ou la maçonne qui gravit les échelons peut se voir comme « supérieur » aux apprenants des degrés inférieurs, oubliant que chaque grade est une leçon, non un trophée. Cette dérive est parfois renforcée par la reconnaissance extérieure : un frère ou une sœur arborant les insignes d’un haut grade (tablier orné, cordon distinctif) peut attirer l’admiration en loge ou dans les cercles maçonniques, nourrissant une satisfaction personnelle qui glisse vers la vanité. Comme le note Pierre Mollier, conservateur du musée de la Franc-maçonnerie à Paris, dans La Franc-Maçonnerie (2016), « les grades, conçus comme des outils d’éveil, deviennent parfois des médailles d’honneur dans l’esprit de ceux qui les portent ».
Psychologiquement, ce phénomène s’explique par un biais bien connu : le besoin de statut. Selon la théorie de la hiérarchie des besoins de Maslow, l’estime de soi et la reconnaissance sociale sont des moteurs puissants.
En maçonnerie, où l’égalité est prônée en théorie, les grades créent une hiérarchie implicite qui peut flatter l’ego, surtout si l’initié confond progression spirituelle et supériorité personnelle.
Les fonctions électives : le pouvoir en Loge
Un autre vecteur d’orgueil réside dans les fonctions électives – vénérable maître, surveillant, orateur, secrétaire –, qui confèrent une autorité temporaire au sein de la loge. Être élu à ces postes est un honneur, une marque de confiance des frères et sœurs. Le vénérable maître, par exemple, préside les tenues, anime les travaux et incarne l’unité de la loge. Pour beaucoup, c’est une responsabilité exercée avec humilité et dévouement.
Mais pour certains, ces rôles deviennent une tribune. Diriger une loge peut exalter un sentiment de pouvoir, surtout dans des obédiences où les vénérables jouissent d’un prestige marqué. L’organisation de rituels, la prise de parole devant une assemblée, ou la gestion des affaires internes flattent l’ego de ceux qui y voient une validation de leur valeur. Une sœur ou un frère qui enchaîne les mandats peut se percevoir comme indispensable, oubliant que ces fonctions sont tournantes et au service du collectif.
Ce phénomène est amplifié par la dynamique de groupe :
l’admiration des pairs ou les flatteries subtiles peuvent conforter un ego déjà fragile. Les fonctions électives, censées être des devoirs, se transforment alors en privilèges dans l’esprit de certains.
L’appartenance maçonnique : une fierté mal placée
Enfin, pour d’autres, l’orgueil naît simplement de l’appartenance à la Franc-maçonnerie. Être maçon ou maçonne, c’est intégrer une tradition vieille de trois siècles, marquée par des figures illustres – Voltaire, Mozart, Louise Michel – et auréolée de mystère. Cette appartenance confère un sentiment d’élitisme, d’être « choisi » ou « éveillé » là où le profane reste dans l’ombre. Pour certains, porter cet héritage devient une source de vanité, un badge d’honneur exhibé dans les cercles initiés ou même en société.
Cet orgueil peut être accentué par le secret maçonnique : ne pas tout dire, savoir ce que d’autres ignorent, crée une distinction qui flatte l’ego. Une sœur ou un frère peut se vanter – discrètement ou non – d’appartenir à cet « ordre des sages« , oubliant que l’initiation n’est pas une fin, mais un commencement. Comme le souligne le philosophe de la Franc-maçonnerie Daniel Béresniak dans Les Symboles de la franc-maçonnerie (1997),
« l’appartenance, mal comprise, transforme un chemin d’humilité en un piédestal imaginaire ».
Une dérive humaine, pas maçonnique
Pourquoi cette hypertrophie touche-t-elle autant les frères que les sœurs ? Parce qu’elle n’est pas liée au genre, mais à la nature humaine. La Franc-maçonnerie, avec ses grades, ses titres et son aura, offre un terrain fertile aux faiblesses universelles : le besoin de reconnaissance, la peur de l’insignifiance, ou la quête de pouvoir. Les femmes, intégrées plus tardivement (XIXe siècle avec Maria Deraismes), ne sont pas immunisées :
elles peuvent, elles aussi, succomber à l’orgueil des hauts grades ou des fonctions dans les obédiences mixtes ou féminines.
Cette dérive n’est pas systématique – elle concerne une minorité –, mais elle est amplifiée par le temps. Avec les années, un maçon peut perdre de vue l’humilité initiale, surtout s’il s’entoure d’une « cour » flatteuse ou s’il privilégie les honneurs sur la quête intérieure. Le paradoxe est cruel : une institution qui prône l’égalité et la fraternité devient, pour certains, un miroir déformant de leur ego.
Retrouver la Pierre Brute
Povlja sur l’île de Brač – Carrière de pierre
Comment contrer cette hypertrophie ? La réponse réside dans les fondements mêmes de la maçonnerie : le retour constant à la simplicité de l’apprenti. Les rituels rappellent que nul n’est au-dessus des autres – le 33e degré ne vaut pas plus que le 1e face à l’idéal commun. Les loges, par leur fonctionnement collégial, peuvent aussi tempérer les egos en valorisant l’écoute et le service. Comme le disait Albert Pike dans Morals and Dogma (1871) :
« le vrai maçon est celui qui se souvient qu’il n’est qu’une pierre parmi d’autres dans l’édifice ».
En somme, l’hypertrophie de l’ego en Franc-maçonnerie n’est pas une fatalité, mais un défi humain. Grades, fonctions, appartenance : ces marqueurs, s’ils sont mal compris, détournent du chemin initiatique.
Frères et sœurs, le miroir est là – à chacun de choisir s’il reflète la lumière ou l’orgueil.