mar 18 mars 2025 - 21:03

Le Myosotis : de la résistance Maçonnique à l’hommage militaire italien

De notre confrère nuovogiornalenazionale.com

Le 16 mars 2025, une décision historique a été prise par l’état-major de la Défense italienne : les soldats des forces armées pourront désormais porter un pin’s représentant une fleur de myosotis sur leur uniforme, en mémoire des morts de toutes les guerres et des missions de paix. Cette annonce, relayée par le Nuovo Giornale Nazionale, marque une étape significative dans l’évolution des symboles militaires italiens. Mais derrière cette petite fleur bleue, connue sous le nom de « ne m’oublie pas » (forget-me-not en anglais), se cache une histoire riche et dramatique, profondément enracinée dans l’univers de la franc-maçonnerie et dans les heures sombres du XXe siècle.

Une décision officielle aux accents symboliques

Dans une note officielle datée de mars 2025, l’état-major italien a décrété que « le myosotis est adopté comme symbole floral permanent, comme élément figuratif tangible se référant aux morts de toutes les guerres et missions de maintien de la paix, à porter lors des journées déjà établies en mémoire des défunts ». Les militaires sont ainsi autorisés à arborer un pin’s métallique, d’un diamètre maximal de 2,4 centimètres, sur le revers gauche de leur veste ou gilet, lors de dates précises : le 2 novembre (Commémoration des morts), le 4 novembre (Journée de l’unité nationale et des forces armées), le 11 novembre (Journée des anciens combattants) et le 12 novembre (Journée en mémoire des militaires et civils tombés lors des missions internationales de paix). Cette adoption n’est pas une obligation, mais un choix laissé à la discrétion de chaque soldat, qui devra toutefois se procurer lui-même cet insigne.

Grand Canal – Venise (Italie)

Cette initiative n’est pas sans précédent. Le 4 novembre 2024, lors de la Journée de l’unité nationale célébrée sur la place Saint-Marc à Venise, le président de la République italienne, Sergio Mattarella, et le ministre de la Défense, Guido Crosetto, ont été vus portant une broche en tissu représentant un myosotis. Cet événement semble avoir pavé la voie à la décision officielle de 2025, conférant à cette fleur une résonance institutionnelle et nationale.

Mais pourquoi le myosotis ? Si cette fleur évoque aujourd’hui un hommage universel aux disparus, son adoption par les forces armées italiennes résonne avec une histoire bien plus ancienne, née dans le creuset de la persécution et de la résistance maçonnique sous le régime nazi.

Le myosotis : un symbole maçonnique né dans l’ombre

Hitler et Musolini

L’histoire du myosotis dans la franc-maçonnerie remonte à une période tragique : les années 1930 en Allemagne. Lorsque Adolf Hitler accède au pouvoir en 1933, il ordonne la dissolution des loges maçonniques, considérées comme une menace pour l’idéologie nazie. À cette époque, environ 85 000 francs-maçons sont actifs en Allemagne. Sous la répression brutale du régime, près de 80 000 d’entre eux périssent, victimes des persécutions, des camps de concentration ou des exécutions sommaires. Seuls 5 000 frères, dont les noms n’étaient pas enregistrés dans les archives officielles des Grandes Loges, échappent à la traque.

Dans cet univers de clandestinité, ces survivants cherchent un moyen discret de se reconnaître entre eux, un signe qui témoigne de leur appartenance à l’ordre maçonnique sans attirer l’attention des autorités nazies. C’est ainsi que le myosotis, cette petite fleur bleue au cœur jaune, devient leur emblème secret. Facilement accessible dans la nature et d’apparence anodine, elle est portée à la boutonnière ou échangée comme un symbole de résistance et de fidélité à leurs idéaux. Le message implicite du « ne m’oublie pas » prend alors une double signification :

« ne pas oublier les frères tombés sous la répression, et ne pas renier les valeurs humanistes de la franc-maçonnerie face à l’oppression. »

De la clandestinité à la reconnaissance officielle

Myosotis

Après la chute du régime nazi et la fin de la Seconde Guerre mondiale, le myosotis conserve sa puissance symbolique au sein de la franc-maçonnerie allemande. En 1947, lors de la réouverture de la Grande Loge du Soleil à Bayreuth sous la direction du Passé Grand Maître Beyer, un insigne en forme de myosotis est officiellement adopté comme emblème de la première réunion annuelle des survivants. Cet acte marque la renaissance de l’ordre après des années de silence forcé. L’année suivante, en 1948, la Grande Loge Unie d’Allemagne, nouvellement constituée, fait du myosotis son emblème officiel lors de sa première réunion annuelle, en hommage aux milliers de frères qui ont poursuivi leur engagement dans l’ombre sous le nazisme.

En 1949, ce symbole dépasse les frontières allemandes. Lors de la Conférence des Grands Maîtres à Washington, D.C., chaque délégué reçoit une épingle de myosotis des mains de Theodor Vogel, Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Allemagne. Ce geste consacre le myosotis comme un emblème universel de la franc-maçonnerie, un rappel de la résilience face à l’adversité et de la mémoire des persécutés.

Une convergence symbolique entre franc-maçonnerie et forces armées

« Pseudoscience in Naziland », essai de Willy Ley, paru dans le magazine de science-fiction Astounding, mai 1947. Illustration de B. Tiedeman.

L’adoption du myosotis par les forces armées italiennes en 2025 peut sembler surprenante à première vue, tant ce symbole est ancré dans l’histoire maçonnique. Pourtant, cette décision s’inscrit dans une logique de convergence symbolique. Comme les francs-maçons sous le nazisme, les soldats tombés au combat incarnent un sacrifice pour des idéaux plus grands qu’eux-mêmes : la liberté, la paix, la justice. Le « ne m’oublie pas » devient alors un pont entre ces deux univers, unissant la mémoire des résistants maçonniques à celle des militaires morts pour leur pays ou pour des missions internationales.

Cette réappropriation n’est pas dénuée de sens historique. L’Italie, bien que partenaire de l’Allemagne nazie pendant une partie de la Seconde Guerre mondiale, a elle-même connu des mouvements de résistance face au fascisme. En adoptant le myosotis, les forces armées italiennes pourraient ainsi rendre un hommage implicite à toutes les formes de courage face à l’oppression, qu’elles soient civiles ou militaires.

Le myosotis dans la culture et la symbolique universelle

Au-delà de son histoire maçonnique et militaire, le myosotis porte une signification universelle qui transcende les contextes. Dans le langage des fleurs, il est associé à la mémoire, à l’amour fidèle et au souvenir des absents. Cette symbolique en fait un choix naturel pour honorer les défunts, qu’il s’agisse de soldats ou de civils. Sa simplicité et sa discrétion contrastent avec sa profondeur émotionnelle, une qualité qui sied autant à la solennité militaire qu’à la spiritualité maçonnique.

Une adoption qui interroge et célèbre

L’intégration du myosotis dans l’uniforme des forces armées italiennes est à la fois un acte de mémoire et une célébration de la résilience humaine. Elle rappelle que les symboles, loin d’être figés, évoluent avec le temps et les circonstances, portant en eux les échos des luttes passées et les espoirs du présent.

Que ce soit dans les loges clandestines des années 1930 ou sur les revers des vestes militaires en 2025, le myosotis continue de murmurer son message éternel : « Ne m’oublie pas. »

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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