mer 12 mars 2025 - 12:03

Nous sommes tous des imposteurs

(par Henry Arnaudy)

Plus ou moins, certes, mais de façon générale nous montrons au public un personnage, une personnalité fabriquée et construite qui n’est pas ce que nous sommes véritablement.

Être soi : une quête simple, une aventure infinie.

Qui oserait répondre « oui » sans hésiter à la question de savoir qui il est vraiment ? Un esprit audacieux, peut-être, ou plus probablement un ignorant – car ce sont souvent ceux-là qui débordent d’assurance, et c’est d’ailleurs à cela qu’on les repère. Moi, je préfère rester prudent. Après une vie déjà bien remplie, j’ai certes avancé, mais beaucoup demeure au stade des idées. Avoir des théories, c’est un trésor ; comprendre qu’elles ne sont qu’un seuil à franchir, et non une arrivée, c’est encore plus précieux. C’est pourquoi j’écris, pour partager ce que j’ai reçu, sans prétendre avoir atteint les sommets que je décris comme des rêves éveillés.

Oscar Wilde

Oscar Wilde a dit : « Quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières. » J’aime cette phrase, mais je remplacerais « punir » par « mettre à l’épreuve ». Je ne crois pas – à tort ou à raison – à un divin comptable de récompenses et de châtiments. Si nos prières traduisent nos désirs, et que ces désirs nous enchaînent à des états étroits, leur réalisation devient un miroir, une chance de voir ce qu’ils ont voilé. En Orient, le Bouddha, l’« Éveillé », est celui qui s’est libéré des désirs. La sérénité naît de leur absence – et avec elle, celle des prières qui les portent.

Vouloir être ou sembler ceci ou cela ? Voilà une faute lourde. On pourrait se sentir comblé – le mot est maladroit – quand plus rien ne manque : ni vide, ni creux, ni désir. C’est une façon pudique de nommer un bien-être simple, une paix qui se suffit à elle-même, sans rien réclamer de plus ou de moins. Imaginez une insouciance douce, une béatitude qui ne calcule rien, ne compare rien, ne projette rien. Un état qui accueille le monde tel qu’il est, sans l’éplucher ni chercher à le redessiner. Rare, certes, cet état nous est familier : il flotte dans les souvenirs flous de notre petite enfance, là où repose notre vrai visage, unique et originel.

Chacun de nous porte des singularités, des élans personnels qui ne demandent qu’à s’épanouir, à danser avec les hasards de la vie, à leur manière. Mais si nous imitons autrui, si nous empruntons un costume qui n’est pas taillé pour nous, nous devenons des acteurs, des voleurs d’identité. Et quand ce rôle s’étale en parade sociale, avec ses artifices flatteurs, il trahit la misère d’une imposture banale.

Imposteurs ? Nous le sommes tous, à des degrés divers. Pourtant, une vérité éclate : « Je suis qui je suis, point final. » Si je m’arrête là, mon unicité, aussi modeste soit-elle, vaut celle des plus grands esprits ou des plus humbles cœurs. En laissant jaillir ce que je suis, sans fard, je pourrais effleurer la sérénité, l’amour sincère, la beauté pure, le bonheur vrai – car le vrai appelle le vrai. Mais si je me cache sous un masque de clown, tant pis pour moi : le faux engendre le faux. Je me perds alors dans un théâtre grotesque, peuplé de mirages et de grimaces, confondant ce décor pour la seule réalité. Prisonnier de ses règles, je cours après un statut, une façade brillante qui protège une intimité fragile en tenant les autres à distance.

Prenez cette ouvrière modèle, irréprochable et serviable, que tous trouvent adorable. Et si ce n’était qu’une armure ? Sa nature profonde pourrait être tout autre : une âme vive, curieuse, avide d’explorer l’invisible. En étouffant cela, elle s’enferme dans une routine résignée. Ou cet homme en vue, élégant et titré, drapé de distinctions ronflantes. Derrière ce vernis, un enfant timide se terre, jouant les durs pour fuir les orages. J’en ai croisé tant, comme ce client qui, entre un « bonjour » et un « asseyez-vous », glissait qu’il fut major de Polytechnique il y a quarante ans – que craignait-il, ce petit, avec son diplôme brandi comme un bouclier ? Ou cet autre, clamant à tout vent qu’il vivait dans un château, photos à l’appui, comme si des pierres pouvaient le grandir. Quelle tristesse !

Masque Blanc genre carnaval de Venise
Masque Blanc genre carnaval de Venise

Mais plutôt que de multiplier les portraits, mieux vaut regarder en soi. Qui vit librement, sans effort pour paraître, avec humilité et bienveillance, sans juger ni calculer ? Qui ose être, tout simplement, avec ses couleurs uniques, celles qu’il porte depuis toujours, peut-être même avant ? Cet abandon naturel, on le trouve souvent chez ceux qu’on dit « simples d’esprit » – non des idiots, mais des âmes limpides, libérées par leur candeur. « Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient », disait Jésus. Ils touchent la vérité, un écho d’un Éden perdu, un état originel. Bien sûr, c’est une proximité, pas une perfection, mais en spiritualité, le naturel l’emporte sur l’artifice. Brutal parfois, il échappe à l’hypocrisie. Car seul le naturel vit ; un rôle fabriqué enterre – provisoirement, espérons-le – ce qui est vrai. Le bien ne naît jamais du faux.

Avis à ceux qui raillent les « simples » : l’arroseur pourrait bien être arrosé. Comme le disait Courteline : « Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet. »

Comment s’en sortir ? Deux remèdes s’offrent à nous.

  1. Connais-toi toi-même !
    Pour ne plus jouer la comédie, il faut rencontrer cette part précieuse et inimitable que nous sommes. Ce « Moi » vivant est une toile où notre personnalité peut s’épanouir, libre, au fil de ses élans naturels. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Socrate, héritier d’une sagesse antique, parlait d’une voix intérieure qui sait tout – un réveil, comme chez les bouddhistes, ou une mémoire enfouie, comme chez Platon.
  2. Quel enjeu ?
    Comment avancer sans deviner ce que la vie attend de nous ? L’enjeu reste flou, mais supposer qu’il dépasse les apparences écarte déjà bien des illusions sur la « réussite ». Et si elle n’était que le bonheur ? Peut-être ma raison d’être vient-elle d’un Bien absolu, m’orientant vers la lumière, même à travers les épreuves. C’est dur à avaler parfois, mais cette idée s’affine avec le temps.

La vie oscille entre unité et diversité, comme des facettes d’un même éclat, séparées pour un dessein mystérieux. La raison excelle dans le concret, mais l’intuition, ce compas secret, voit plus loin. Attention, elle peut tromper : soulager une vengeance ou un élan altruiste n’est pas la même chose. L’intelligence discerne le bien du mal ; la bêtise les ignore. Retrouver notre essence ne se force pas : cela se révèle dans une confiance totale. La peur, surtout celle de la mort, obscurcit tout. La connaissance peut nous en libérer.

Il y a ceux qui croient, ceux qui savent, ceux qui connaissent. Les croyances, fragiles repères, guident nos débuts. Le savoir, nourri d’expérience, éclaire plus loin. Mais la Connaissance – du latin cum nascere, « naître avec » – est vivante. C’est un jaillissement, une foi douce qui s’impose comme une évidence.

Et maintenant ? Ces lueurs esquissent un chemin vers le « qui suis-je », un reflet de notre vérité. Rien n’est figé ; c’est un lent rapprochement vers l’unité. « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux », promet l’adage. L’imposture est inévitable avant l’éveil, mais à tâtons, on peut tendre vers notre nature. Là se niche une Présence – sérénité, Paix du Seigneur, Shékhina, Al-Sakina –, un souffle divin qui s’exprime à travers nous.

La Fontaine, avec sa grenouille gonflée d’orgueil, raillait l’imposture. Souvenons-nous-en, et osons être.

À bientôt…

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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