C’est merveilleux de suivre Pascal Lardellier dans son Éloge de ce qui nous lie, titre qu’il souligne d’un judicieux sous-titre : L’étonnante modernité des rites. Pourtant, quel genre redoutable que l’éloge !
Qui plus est, sous la plume d’un professeur d’université… On craint spontanément d’entendre sonner le clairon du discours académique or il n’en est rien. Décernant, certes, des louanges méritées à son sujet, l’auteur n’en témoigne pas moins d’un regard vif et critique sur toutes ses facettes : des cimes les plus élevées aux ornières les plus profondes, sans jamais s’arrêter aux contextes ni aux dénominations, en sociologue parcourant tous les usages, quels qu’ils soient, et ce, dans un style sobre et saisissant.
C’est, d’ailleurs, un signe que le nom de l’auteur se prononce exactement comme l’expression : l’art de lier. Je ne doute pas que le signataire y ait songé en choisissant, pour le premier mot du titre de son essai, le complément de détermination suivant : “de ce qui nous lie”, sans compter que ce premier mot, justement, en y adjoignant un simple « L » suivi d’une apostrophe : « L’éloge » s’entend immédiatement comme un pluriel qui nous est familier : Les Loges ! Autre prémonition : édité par les éditions de l’Aube, l’ouvrage se place aussi bien au crépuscule du matin qu’à celui du soir, comme si l’on annonçait qu’il décrit les phénomènes qui le préoccupent, en cercles successifs de plus en plus larges. Laissons ainsi cet innocent badinage et venons-en au fait.
On part de soi, tout d’abord. De sa relation aux rites, aux rites de toutes sortes : des rites sociaux aux rites religieux ou sacrés, de la quête des repères symboliques à l’adolescence comme du désir juvénile de casser tous les codes, jusqu’aux célébrations devenues païennes de la fin d’année.
Fêtes païennes ? Que l’on poursuit de la Saint-Valentin aux fêtes du printemps, de la glorification des mères aux festivals musicaux, des solennités bachiques aux cérémonies domestiques et que sais-je encore. Bref, tout y passe, non pas en de fastidieuses descriptions, mais, l’esprit toujours en alerte, en pointant, à chaque fois, ce qui est vraiment en jeu. Donc en dehors de toute onction… ou de toute componction.
Vient enfin la grande scène sociale, politique et économique, où le marketing et le management le disputent à la mystique républicaine comme au désir d’Europe. Le Professeur Lardellier, détaché du moindre ton professoral, fait le job jusqu’à Steve Jobs… To put it in a nutshell, comme on eût dit en anglais pour continuer le clin d’œil.
Ne croyez cependant pas que l’auteur qui avance à grandes guides devienne superficiel. Il n’en oublie pas pour autant les réprouvés et les laissés-pour-compte. Chemin faisant, il rend aussi hommage à quelques grands penseurs, l’expression comprenant bien entendu mainte érudite (je vous ai dit qu’il n’oubliait personne). Et il le fait par des formules apéritives, des résumés coruscants, pour chanter à la fin une « re-civilisation » par le rite, un rite qui suscite et ressuscite, loin des resucées d’antan qui stérilisaient leur monde, dans des traditions farouchement closes.
Le rite est un crible révélateur à travers lequel se lisent les rayons et les ombres de nos sociétés. Et c’est en dansant sur ce pavé mosaïque que Pascal Lardellier secoue nos consciences et nous redonne espoir.
Notons qu’en fin d’ouvrage, il nous offre, pour notre commodité, un glossaire d’une dizaine de pages et une bibliographie comportant une soixantaine de références, dont il s’adjuge à lui seul un sixième, ce qui me dispense de citer le reste de son œuvre…
Pascal Lardellier, Éloge de ce qui nous lie : L’étonnante modernité des rites, La Tour-d’Aigues : éditions de l’Aube (coll. : Monde en cours), nov. 2023, 224 p., 18,50 €.