jeu 21 novembre 2024 - 18:11

Le suicide : la « solution » de l’initié ?

La réalité du suicide aujourd’hui

Selon l’observatoire national (français) du suicide, il y eut 9 300 décès par suicide en 2016 (soit environ 12 pour 100 000 habitants) en France métropolitaine et environ 200 000 tentatives de suicide.

Au niveau mondial on estime qu’en 2019, 703 000 personnes sont mortes par suicide. « Le taux de suicide mondial normalisé selon l’âge était de 9,0 pour 100 000 habitants pour 2019. Les taux variaient selon les pays, allant de moins de deux décès par suicide pour 100 000 à plus de 80 pour 100 000. Le taux mondial de suicide standardisé pour l’âge était plus élevé chez les hommes (12,6 pour 100 000) que chez les femmes (5,4 pour 100 000)» (sources : infosuicide).

Au niveau mondial, la grande majorité des suicides (près de 80 %) surviennent dans des pays pauvres ou à revenu intermédiaire ; le suicide est la 4ème cause de mort des 15-29 ans (cf schéma ci-dessous).

Les modes de suicides :

  • Pendaison
  • Ingestion de produits toxiques
  • Ingestion de médicaments
  • Armes à feu
  • Chute dans le vide (défénestration)
  • Accidents de voiture
  • Ecrasement par un train
  • Asphyxie (exposition à des gaz toxiques ou tête dans le sac)
  • Attentat-suicide
  • Suicide par le feu
  • Autres

Les principales causes du suicide

On imagine bien qu’il soit très difficile d’affirmer les raisons des suicides ; on a généralement tendance à évoquer les facteurs de risque suicidaire :

  • Les troubles mentaux (en particulier la dépression et les troubles liés à l’usage de l’alcool) dans les pays à revenu élevé
  • les conflits, les catastrophes, la violence, la maltraitance
  • un deuil, un sentiment d’isolement
  • les personnes confrontés à la discrimination, tels que les réfugiés et les migrants ;
  • les populations autochtones ; les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI) ;
  • les prisonniers.
  • la fin de vie.

Suicide et religions

Pour l’ensemble des religions, le suicide est généralement prohibé avec toutefois des variations.

Les églises catholique et orthodoxe sont les plus catégoriques.  Pour l’église catholique cela date d’Augustin d’Hippone (354-430), auteur de la première dénonciation du suicide (Cité de Dieu 1,17-28).

Deux arguments sont généralement exposés pour justifier cette condamnation :

  • la théologie de la création : en attentant à ses jours, l’être humain dispose d’un bien qui ne lui appartient pas, mais qui lui a été confié sous forme de talents à faire fructifier, et sur quoi Dieu réclamera des comptes (Matthieu 25,14-30).
  • la théologie de la rédemption : comme le croyant vit et meurt pour le Seigneur et non pour lui-même (Romains 14,8), celui qui se retire volontairement la vie la vole à la mission qui lui a été confiée.

A partir du Concile d’Orléans, en 533, l’Église a refusé les obsèques religieuses aux suicidés.

Aujourd’hui le Catéchisme de l’Eglise Catholique dit : ” Lorsque des troubles psychologiques graves, l’angoisse ou la crainte grave de l’épreuve, de la souffrance ou de la torture sont en cause, la responsabilité du suicidaire est diminuée “. (CEC, 2282).

Les protestants et les bouddhistes ont une vision plus circonstanciée.

Les jaïnistes, en Inde, admettent le santhara, qui consiste à se laisser mourir par le jeûne à la fin de sa vie.

Dans la religion juive, certains rabbins autorisent les funérailles religieuses en prétextant que le suicidé avait regretté son acte (par exemple en cas d’ingestion de barbituriques).

Chez les musulmans, si l’opinion générale s’oppose à la permission de se tuer des fatwas justifient le suicide dans des circonstances données.

Suicide et philosophie

Depuis l’antiquité, les philosophes se partagent entre un refus et une acceptation du suicide !

On en trouve parmi les suicidés célèbres : Empédocle, philosophe grec du V e siècle av. J. -C, Sénèque, philosophe stoïcien du Ier siècle de l’ère chrétienne, Gilles Deleuze, (1925-1995), Arthur Koestler, romancier et philosophe (1905-1983).

Le suicide et l’euthanasie

Le mot euthanasie est utilisé pour désigner le déclenchement de la mort par l’autorité médicale pour une raison médicale, la plupart du temps, dans des circonstances où la personne concernée a perdu sa conscience.

On définit le suicide assisté comme la possibilité pour un-e patient-e de recevoir par l’autorité médicale une dose léthale (pouvant déclencher la mort) médicamenteuse que la personne s’administre lui-même (ou elle-même).

Les différentes formes de suicide

Le suicide dans un contexte dépressif : La dépression s’accompagne toujours d’une dévalorisation personnelle et d’une vision déformée de la réalité vécue ; le suicide est généralement considéré comme une alternative à l’incapacité à résoudre une problématique vécue comme essentielle.

Le suicide amoureux : Il s’agit d’un suicide déclenché par l’impossibilité à accéder à la « possession » d’un désir amoureux ; il peut aussi rentrer dans le cas du suicide dépressif.

Le suicide sacrificiel : certains exégètes bibliques considèrent que Jésus en fait partie : « Jésus, en envoyant Judas le dénoncer, ne s’est-il pas « suicidé par la main interposée des Romains, une euthanasie programmée pour le rachat des péchés de l’humanité ? », interroge Françoise Biotti-Mache (historienne du droit) ». Il est pratiqué par les extrémistes musulmans et bouddhistes.

Le suicide pour l’honneur : il est pratiqué lorsque le déshonneur (généralement public) affecte la réputation d’une personne qui ne le supportant pas choisi de se donner la mort. Au Japon, c’est le célèbre hara-kiri !

Le suicide libérateur : il est utilisé pour mettre fin à des souffrances extrêmes accompagnées ou non d’une déchéance physique et/ou intellectuelle.

Le suicide philosophique : on l’emploie pour désigner une mort choisie pour mettre fin à une vie considérée comme inutile et médiocre !

Le suicide par défi : C’est en particulier utilisé par les adolescents (cf aujourd’hui le “labellochallenge” Tiktok : Les jeunes appliquent du baume à lèvres ou coupent un morceau de leur baume lorsque leur journée ne s’est pas bien passée. Une fois le tube terminé, ils doivent mettre fin à leurs jours).

Le suicide par arrêt de l’alimentation : il concerne essentiellement les personnes âgées qui en viennent, consciemment ou inconsciemment, à refuser toute nourriture, ce qui abrègera la vie. On le voit aussi dans les grèves de la faim protestataires ayant dépassé un certain stade.

Les comportements suicidaires : tout se passe comme si les personnes qui les adoptent souhaitaient consciemment ou inconsciemment, abréger leur existence. Cela s’applique aux comportements à risques et aux addictions, en particulier le tabagisme et l’usage de drogues.

Les tentatives de suicide appartiennent à un autre chapitre car elles ne sont pas forcément liées à un réel désir de mort ; dans la plupart des cas il s’agit d’un appel à l’aide dans un langage corporel.

Suicide et franc-maçonnerie : le suicide, la « solution » de l’initié !

La franc-maçonne, ou le franc-maçon, se veut libre ! C’est au nom de cette liberté que la fin de vie peut (ou doit) être décidée par l’initié !

Notre premier suicide c’est celui de notre existence profane ; lorsque nous mourrons à la vie profane, n’en sommes nous pas les premiers responsables ?

Devenu initié, nous découvrons une autre dimension, d’autres exigences mais aussi un profond détachement ! L’humilité, le refus de l’ambition et du pouvoir, la quête de la vérité et de l’authenticité nous incitent au dépouillement !

Cette réflexion s’inscrit aussi dans l’imprégnation de la démarche maçonnique par la sémiologie de la mort, omniprésente symboliquement.

Refusant la soumission à l’âge, à la maladie, à d’autres concepts, la question émerge inévitablement : quelle mort désire-t-on ? La déchéance de la dépendance ou une fin digne ?

Jean-Pierre Villain, dans un article de « La chaîne d’union » 2016/2 (N° 76), intitulé « Le maçon, le désespoir et la mort, Une lecture kierkegaardienne du parcours maçonnique », précise « De ce point de vue, le chemin maçonnique nous apprend donc aussi cela : la vérité absolue de l’espérance suppose sa nécessaire humilité. Il ne saurait y avoir de vrai sage, de vrai maître qui croit à tout jamais en avoir fini avec les tentations du suicide, du meurtre et du désarroi. »

Le suicide du franc-maçon (de la franc-maçonne) peut s’assimiler à un suicide philosophique, un acte de liberté qui rejoint la revendication du droit de mourir dans la dignité !

Cet acte de liberté n’est pas contradictoire avec une croyance dans une « existence » post-mortem ! La sincérité de la motivation et la droiture de l’existence ne peuvent laisser le moindre doute sur la spiritualité d’un tel geste.

Pour les non-croyants fidèles à la fameuse devise « Ni Dieu, Ni Maître », le suicide est en complète cohérence avec leur engagement.*

Et vous, amie lectrice – ami lecteur, qu’en pensez-vous ? Est-ce une de vos préoccupations ?

D’autres réflexions sur le suicide

Le maçon, le désespoir et la mort – Une lecture kierkegaardienne du parcours maçonnique par Jean-Pierre Villain dans La chaîne d’union 2016/2 (N° 76), pages 50 à 59

8 Commentaires

  1. Par définition, chacun est propriétaire de son propre corps et de son identité. Donc, de mon point de vue, il en est « maître »…après la Nature, laquelle lui donne la santé pour un « temps de vie » mais aussi lui impose, successivement, pathologies, « usures de l’âge et disparition. Certes, il n’est pas d’individu sans l’autre, notre semblable, dont nous avons besoin. Partant, nous sommes indépendants par nature, mais dépendants par nécessité. Cette disposition de mon corps ne peut toutefois s’exercer que dans la mesure où, dans son « utilisation » et « fonctionnement » je ne porte pas atteinte pas à autrui.

    « Peut-on disposer de sa propre vie sans aucune limite et y mettre fin volontairement selon les moyens dont on décide ? » est la question posée. Ma réponse est OUI, ainsi que je viens de l’indiquer.

    Notamment en tant que franc-maçon, nous avons appris en loge à raisonner – sans pour autant avoir raison – donc à dialoguer avec nous même et les autres. L’écoute est ici extrêmement importante : l’écoute de soi, de sa conscience, d’abord. Et l’écoute d’autrui ensuite. Pour réfléchir et décider.

    Avant de stopper éventuellement le cours de sa vie par soi-même – c’est à dire se suicider par tous les moyens possibles – il n’est toutefois pas inutile de faire le bilan de son « vécu ». Et de le revivre en pensée. Nous n’avons pas demandé à naître. Mais une fois né, il convient d’Etre. C’est à dire, après avoir reçu l’assistance nécessaire pour conquérir l’autonomie, il convient de passer d’ETRE à EXISTER.

    Chacun de nous est une plante. Nous avons besoin de nutriments pour prospérer, pour nous « perfectionner dans notre être (dit Spinoza). Le plus précieux des « fortifiants » étant l’AMOUR reçu. Des parents ou substituts, de la famille, des amis, de l’environnement humain. Mettre fin volontairement à sa vie peut résulter d’une souffrance physique ou morale insurmontable. Mais aussi d’un MANQUE. Autant que de « reconnaissance », nous avons besoin de « l’attention » de l’autre, des autres. C’est leur regard qui nous fait exister. Mieux que des remerciements pour le bien que l’on peut faire ou avoir fait autour de soi, c’est « trouver et occuper notre place » dans la société des Hommes qui nous est nécessaire. Comme la plante a besoin d’air et de lumière pour s’épanouir. Sans cet oxygène, sans cette clarté, elle meure. Une vie d’Homme, c’est une étincelle qui éclaire le monde un instant mais qu’il a droit d’éteindre. Vivre est donc une volonté. Mourir par soi, en paix avec soi et les autres, peut être aussi un choix. Telle une ultime liberté. Gilbert Garibal

    • Merci MTCF Gilbert pour cette belle contribution ; c’est un sujet difficile et parfois on présente cette mort décidée comme une lâcheté mais comme tu l’écris c’est aussi un acte de courage et de détachement qui peut intervenir à la suite d’un constat : le constat que notre espace de vie est terminé ! Il pourrait continuer avec une perte progressive d’autonomie, une dépendance accrue, une perte des capacités cérébrales, etc.

  2. Très intéressent comme sujet et délicat il est très important d’en parlé, et di pensé soit même , la mort fait partie de la vie pour cette raison chaque vie et précieuse. nous n’en contrôlons pas tout ou rien, la vie ce déroule, point, il faut ce battre, rien ne tombe dans la bouche toute cuite, protégeons-nous de la destruction, ce battre sens ce détruire n’y nuire a l’autre, mais le protégé et le sens de la vie, ce qui veut dire courage, mais pour l’instant nous détruisons pour donnée sens a nos vies, ce que je nommerais la peur,,, en même temps c’est comme cela que l’on nous dirige, ne somme-nous pas en train de construire un suicide collectif

    • Merci pour votre contribution ! Effectivement , il y a ces deux aspects du suicide : le suicide comme un acte conscient d’un être qui choisit le terme de son existence et le suicide inconscient personnel ou collectif qui aboutit à une destruction sans vraiment le dire !

  3. Oui MTCF, c’est un vrai sujet de réflexion. Dans ma vie profane avec mon esprit libertaire, j’ai parfois été réconfortée de me dire que j’avais ce « droit » et rien que l’idée de cette liberté est probablement ce qui m’a empêché de passer à l’acte au moins une fois dans ma vie. Mais depuis que je suis initiée effectivement je me sens mal à l’aise avec cette idée sans avoir pris le temps de mettre des mots là dessus. Merci donc d’avoir proposé ce sujet 🙏

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Alain Bréant
Alain Bréant
Médecin généraliste, orientation homéopathie acupuncture initié en 1979 dans la loge "La Voie Initiatique Universelle", à l'orient d'Orléans, du GODF Actuellement membre d'une loge du GODF à l'orient de Vichy Auteur sous le pseudonyme de Matéo Simoita de : - "L'idéal maçonnique revisité - 1717- 2017" - Editions de l'oiseau - 2017 - "La loge maçonnique" - avec la participation de YaKaYaKa, dessinateur - Editions Hermésia - 2018 - "Emotions maçonniques " - Poèmes maçonniques à l'aune du Yi King - Editions Edilivre - 2021

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