Démissions en masse. Le mot claque comme une planche mal équarrie, et pourtant il dit moins l’effondrement que le retrait silencieux d’hommes et de femmes qui s’éloignent du feu faute d’y trouver une chaleur juste.
Nous voyons les chiffres, nous entendons les soupirs, nous recevons parfois des lettres courtes et dignes : des Apprentis qui se déchaussent déjà, des Compagnons qui rangent leurs outils avant d’avoir vu l’œuvre, des Maîtres que n’habite plus l’élan. Le mal n’est pas d’hier, la pandémie l’a rendu vif, et nous n’avons plus le droit d’en détourner le regard. Car ce qui saigne ici, c’est la corde même qui nous relie.
Le premier diagnostic n’est pas financier, il est de sens
Lorsque la tenue se défait en rituel d’usage, lorsque la planche se contente de redire le pavé, les colonnes, l’équerre et le compas sans faire entendre la musique qu’ils recèlent, lorsque la parole n’est plus passage mais commentaire, la Loge perd son pouvoir d’initier. Nous n’avons pas besoin de dissertations pseudo-philosophiques ni de répétitions automatiques, nous avons besoin d’une ascèse du symbole, d’un art de dire peu pour laisser paraître beaucoup, d’une dramaturgie de la lumière qui noue le silence, le geste et la pensée. Réapprendre l’« école de morale sous le voile de l’allégorie, au moyen de symboles » – telle est la tâche ; non comme un slogan, mais comme une discipline partagée par le Vénérable, les Surveillants, l’Orateur, l’Expert, par tous ceux qui président à la qualité du temps.
Vient ensuite la manière d’habiter la fraternité
Nous savons combien des discussions profanes mal contenues, des querelles d’ego, des rigidités administratives, des procédures opaques sapent en profondeur la confiance. La vigilance fraternelle n’est ni police ni indiscrétion : c’est l’art d’approcher sans contraindre, d’écouter sans juger, de discerner ce qui relève de la fatigue, de la blessure, du désaccord légitime, et de proposer un chemin.
Chaque Loge gagnerait à instituer un trio discret – Vénérable, Hospitalier, Orateur – capable d’ouvrir la porte à qui s’essouffle, de recueillir la parole de départ avant qu’elle ne devienne définitive, d’offrir un passage plutôt qu’une rupture. L’« entretien de fidélité » n’est pas un interrogatoire, c’est une halte au bord de la route : qu’as-tu reçu, qu’attends-tu, qu’as-tu manqué, que pouvons-nous corriger ensemble ?
Reste la pierre la plus lourde, que beaucoup taisent par pudeur : le coût réel de la vie maçonnique

Capitations, décors, agapes, déplacements, tout s’additionne jusqu’à rendre l’appartenance fragile pour des Frères et des Sœurs qui travaillent, élèvent des enfants, traversent une période économique dure.
Nous ne sauverons pas la fraternité en brandissant la caisse comme un totem. Nous la sauverons en ordonnant nos finances à la finalité initiatique. Cela suppose une transparence assumée, des budgets lisibles, des décisions expliquées ; cela suppose aussi de la créativité : des capitations modulées selon les revenus, des fonds de solidarité consolidés et réellement actifs, un Tronc de la Veuve dédié aux situations passagères, des agapes à double seuil où l’on peut choisir la frugalité sans humiliation, des bibliothèques de décors partagés, des achats mutualisés, des covoiturages organisés avec sérieux. Le beau n’est pas le cher : une table simple peut être haute si la conversation l’élève.
Proposons alors des voies concrètes et cohérentes avec notre esprit
Renouveler l’atelier de la parole d’abord : instituer un compagnonnage exigeant pour les Apprentis où chaque planche est une montée, avec des thèmes qui touchent la vie intérieure autant que la culture du Rite ; former les Officiers à la dramaturgie du Temple, afin que l’ordinaire retrouve de la tenue et que chaque Office soit un organe vivant et non un titre ; diversifier les travaux sans s’égarer, de la méditation guidée sur un mot du rituel à la lecture lente d’un texte fondateur, d’une planche dialoguée à un débat réglé où l’on apprend la dissidence courtoise. La répétition cesse d’être monotone quand elle devient approfondissement : la même équerre ne dit jamais la même chose à celui qui se tient droit autrement.
Et surtout, faire connaître ce qui se pratique au-delà de la Maîtrise : la joie de poursuivre un parcours


Nous ne gardons pas les degrés comme des trophées, nous les vivons comme des paysages successifs d’une même ascension. Prenons l’exemple du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) : ses 33 degrés ne forment pas un escalier social, mais une pédagogie de l’âme, un élargissement progressif du regard, du 1er au 33e, où l’on passe de la taille de la pierre à l’architecture de l’esprit. Il importe de le dire, de le montrer sans dévoiler, d’ouvrir des « fenêtres de sens » : tenues blanches fermées dédiées à l’herméneutique des degrés, conférences d’introduction aux hauts grades, parrainages croisés entre Ateliers symboliques et Chapitres, visites fraternelles encadrées, lectures partagées des textes fondamentaux.
Ainsi naît l’envie d’aller plus loin non par curiosité, mais par fidélité à ce que nous avons commencé. L’horizon nourrit la route ; donner à voir l’horizon, c’est retenir des cœurs qui, faute de perspective, se lassaient.
Ensuite, installer la transparence comme une règle d’art
Rien n’est plus corrosif que l’opacité. Qu’il y ait des chiffres de départs, des arrivées, des affiliations, des suspensions : qu’on les dise, qu’on les explique, qu’on les travaille. Un tableau de bord simple, partagé en Loge et en Obédience, vaut mieux que des rumeurs. Une culture de l’évaluation fraternelle vaut mieux que des incantations. Non pour se compter par vanité, mais pour se comprendre et s’ajuster. Nous ne sommes pas une entreprise, et pourtant certaines méthodes sobres – écoute structurée, retour d’expérience, amélioration continue – peuvent servir la finalité spirituelle lorsqu’elles sont placées sous le compas de la bienveillance.
Enfin, raffermir la charte des mœurs en Loge
Les passions tristes n’ont pas droit de cité dans le Temple. Cela se travaille, cela s’enseigne, cela se veille. Rien n’empêche une Loge de rappeler en ouverture, avec gravité, l’interdit des polémiques profanes ; rien n’empêche de pratiquer, une fois l’an, une « tenue d’amnistie » où l’on dénoue les nœuds, où l’on demande pardon, où l’on repart d’un pas égal ; rien n’empêche de mettre fin, avec calme mais fermeté, aux comportements qui blessent. La fraternité ne se proclame pas, elle s’administre avec douceur et justice.
Si nous avançons ainsi – réenchanter la forme, humaniser la gestion, affermir les mœurs – alors les départs redeviendront des décisions personnelles et rares, et non l’indice d’une institution qui se défait.
Nous le savons au fond : la Loge offre une paix que le monde n’offre plus. Dans le Temple, nous nous posons, nous nous reposons même ; nous apprenons à respirer, à penser droit, à parler juste, à aimer sans flatter. Que cette promesse redevienne sensible à chaque tenue, et le reste suivra : l’engagement, la fidélité, la joie de servir.
Agir, plus et mieux, dès maintenant
Il y a ce bonheur simple et souverain d’être Maçon, de reprendre place en Loge, de laisser le Rite faire son œuvre en nous comme une lente respiration. À chaque ouverture, nous sentons la justesse du geste, la musique du silence, la clarté d’un symbole qui s’approfondit. Ce bonheur, je le vis pleinement et je souhaite le partager, parce qu’il nous tient debout et nous relie.
Que chaque Atelier se donne, avant la Saint-Jean qui vient, un cap net et mesurable : trois affermissements rituels pour redonner de la tenue au temps sacré, trois gestes concrets de solidarité pour que nul ne demeure au bord du chemin, trois décisions de transparence pour que la confiance circule comme une lumière. Fixons-nous un rendez-vous fraternel pour en goûter les fruits, non pour nous juger, mais pour nous hausser ensemble.
Que les Obédiences accompagnent cet élan sans alourdir la marche, qu’elles préfèrent la qualité vécue à l’illusion comptable des effectifs. Alors la lumière qui a éclairé nos Travaux continuera de briller en nous, afin que nous achevions au dehors l’œuvre commencée dans le Temple, sans l’exposer aux regards profanes.
Ainsi notre Fraternité, née il y a plus de trois siècles, demeurera ce phare patient dont l’humanité a plus que jamais besoin.
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je déteste le « cela a toujours exister » avec ceci on évite toutes les questions et elles sont nombreuses le Covid a été un révélateur d’une tendance existant; durant un certain tems on a perdu le chemin et par besoin de sociabilité on a fais autre chose tout compte fais la FM on peu s’en passer ma réponses des obédiences n’a pas été à la hauteur de ces questions. Avant dans nos loges on mangeai ou pas ce qui avait actuellement c’est bientôt à la carte le prix des agapes! Le vivre ensemble un slogan en réalité l’individualisme prévaut. on rentre qui selon quels critères? Pyramides des âges défavorables il faut des jeunes qui en connaît?
allez on trouve notre perle rare pas de chance il a une carrière pas de soucis on initie pour la maçonnerie il débarque dans un coin ok il a plus ses copains alors il oublie la FM au mieux il paye sa capit!
et démissionne par la suite j’e au eu une cette semaine. Allez on ajoute une pincée d’ego une dose d’intolérance un bon zest de métaux oui je sais cela a toujours exister mais démissionner c’étai pas notre ADN là tout es prétexte à démission . quand à encadrement des apprentis trouver un opérationnel très dur alors on se débrouille .l’état des loges représentatif du tissu associatif et de notre société
Plus de sérieux certains app ont l’impression d’être dans un club service redonner aux anciens des responsabilités pour que les jeunes comprennent que la démarche maçonnique maçonnique est une chose sérieuse . #on ne plaisante pas avec l’amour » ni l’amour Maçonnique ….j’ai dit Emile Calabrese
Pardon, vous l’avez publié, merci.
Je disais que j’ai démissioné, après 33 ans de travail, à cause de l’attitude inqualifiable des Obédiences (à mon avis) face au génocide à Gaza. I semble que ce sujet vous hérisse puisque vous n’avez pas jugé bon de publier mon commentaire. Ou peut-être que le modérateur est débordé.
Cette question est aussi ardue que vieille. Je n’ai mas, comme nombre d’entre nous, la solution radicale et définitive. Comme bien des questions il est sain de la maintenir présente à l’esprit et de rester vigilants devant l’incompréhension qui présente souvent le visage de l’ignorance. Le travail maçonnique reste une pierre à polir inlassablement. Quel(s) lien(s) entretenons-nous avec les mauvais compagnons ?
Il est clair que le mal est profond et qu’il faille chercher la solution jusque dans les racines.
Gardez toujours à l’esprit les fondamentaux : réunir ce qui est épars ; je pense par ailleurs qu’il est plus impérieux d’axer la réflexion sur une revitalisation des effectifs plus jeunes et donc susceptibles d’apporter un sang neuf et une bouffée d’oxygène Car manifestement, il y a comme une sclérose, une monotonie qui qui sont installées et sont à l’origine de cette hémorragie.
Très respectueusement…
Merci pour cet article qui ose prendre la parole et tracer des pistes de réflexion concrètes.
Je suis de ceux que ces démissions interrogent et troublent, sans chercher refuge dans une explication commode qui verrait là une forme de sélection naturelle au regard des valeurs de l’Ordre.
Faut-il toujours considérer le Frère qui s’en va comme le seul véritable démissionnaire ?
Ne pourrions-nous pas, avec un peu d’humilité, reconnaître que ces départs traduisent aussi les démissions silencieuses de nos propres Loges qui laissent pénétrer les métaux en leur sein ?
Indiscipline, jugements hâtifs, railleries, hiérarchies implicites, messes basses, copinages, clans dressés sur les colonnes… Lorsque ce ne sont pas tensions ou oppositions ouvertes.
Nos Loges s’essoufflent, s’étouffent parfois, sous le poids du temps et des habitudes, engourdies par la gérontocratie, le laxisme et la négligence, lorsque ce ne sont pas l’ambition et la quête du plateau qui s’y invitent.
Ce sont ces pesanteurs accumulées qui entravent l’expression vivante des fondamentaux de nos Rites, là où devraient régner la Lumière, l’harmonie et la rigueur.
la VM de ma loge-mère ( fondée en 1827 ) s’est livrée à une étude concernant les démissionnaires. il en est ressorti que la majorité concerne des jeunes maitres qui n’avaient pas trouvé écho à leurs attentes ( c’est ma supposition ). si le phénomène s’amplifie cela peut être dû au phénomène général repéré dans le mouvement associatif dans lequel nombre d’adhérents viennent à l’association en consommateur et partent s’ils ne reçoivent pas ce qu’ils attendaient. et la possibilité de démissionner sans fournir de raison distingue la FM des sectes. comme Etienne j’ai démissionné d’une loge dont j’avais été VM car je ne supportais pas les conflits qui régnaient entre 2 clans. et j’ai démissionné récemment du chapitre de RF car je ne trouvais pas d’intérêt aux travaux présentés la plupart du temps.
j’ai dit
Bonjour à tous
Comme déjà dit, ce problème ne date pas d’hier. Je considère que la majeure partie de cette désaffection provient de ce que nous privilégions la quantité à la qualité. Qualité dans le sens de l’intérêt pour la spiritualité et le sens de la démarche auquel invite la FM. Il ne faut pas leurrer les profanes en minimisant la difficulté de la méthode initiatique. Je ne crois que les coûts induits soient la vraie cause, surtout lorsqu’on ne travaille qu’en loge symbolique. Deux présences par mois même avec agapes ne dépassent pas en principe 25€ tout compris
J’ai demissioné face au comportement honteux des obediences et de beaucoup de F.’. et S.’. devant un genocide.
Clap clap clap !
Bravo, rien à jouter …et merci pour la direction montrée AVEC des exemples concrets.
Le travail des surveillants laisse à désirer. Linstruction est essentielle et tres souvent inexistante ou bâclée. Les apprentis s’ennuient
A voir de ce côté ?
Maçon sans tablier… creusons le sujet !…
Bonjour,
Excellent article qui révèle le malaise des loges et au-delà des obédiences. Que font-elles pour endiguer cette fuite ? Je ne sais car nous avons préféré prendre notre autonomie en créant une loge libre dans lesquelles l’humilité, la sincérité et la bienveillance sont les piliers.
J ai démissionné en étant vénérable car je considerai que certains frères ne respectaient pas l éthique et avaient un discours différent entre l’eus actes et leur parole . J ai préféré être maçon sans tablier
Bravo Franck , tout est dit et si bien dit, et cela ne date pas d’hier…