sam 23 novembre 2024 - 21:11

On lui avait dit…

On lui avait dit…

« Tu verras en loge, tu vas rencontrer beaucoup de gens d’horizons différents, de toutes nationalités, de tous âges, de toutes opinions et de toutes confessions. Et en une soirée, après ton initiation, ils vont devenir tes frères, tes sœurs ! » …

On lui avait dit…

« Tu verras en loge, tu te feras vite des amis (es) d’enfance ! Et puis, comme on se retrouve tous ensemble après les tenues, aux agapes, et ensuite, régulièrement, chez les uns ou les autres pour les réunions, c’est vraiment très chaleureux ! » …

On lui avait dit…

« Tu verras, grâce aux rituels qui nous rapprochent les uns des autres, tu éprouveras vite un sentiment d’appartenance. Et puis, grâce à la méthode symbolique, une image vaut mille mots, alors on se comprend sur le champ ! » …

On lui avait dit…

« Tu verras, tu vas vivre de très belles cérémonies, tu vas « voyager » dans d’autres ateliers, et comme il y a des conférences, des sorties avec nos conjoints, sans oublier le Convent, tu sentiras vite qu’on est une grande famille ! » …

…Alors notre homme – en ville professionnel de la communication – convaincu par ces fortes paroles et encadré par son parrain, a envoyé sa demande d’adhésion au Président de la loge, pour lui exprimer sa soif de spiritualité et de rencontres. Puis, quelque temps après, il a avoué sa « sécheresse intellectuelle » et déballé sa vie profane à trois frères enquêteurs avides de le connaître.

Sur convocation, il s’est humblement soumis ensuite à l’épreuve du bandeau et a répondu du mieux qu’il a pu à des questions impossibles, du genre « Quelle est votre opinion de la franc-maçonnerie ? ». Et un soir, enfin, il fut initié. Il reçut la Lumière et les baisers affectueux de sa nouvelle et souriante fratrie. Avant de repartir, ébloui, heureux, confiant, résolu, vers le quotidien de la cité agressive.

En bon apprenti, il assista ensuite à toutes les tenues et aux réunions extérieures. Sa gentillesse, sa serviabilité était appréciée. Chacun reconnaissait en lui un vrai franc-maçon !

Pourtant, au fil de son apprentissage – en plus du silence « formateur » qui lui était imposé en loge – une autre chose le dérangeait. Il avait l’impression bizarre que la loge, puis les loges qu’il visitait avec son parrain, étaient composées de nombreux cercles internes, certes caractéristiques de tout groupe, mais dans lesquels, malgré ses efforts il ne parvenait pas à entrer. Il se sentait comme tenu à distance. Alors que les frères, les sœurs de sa promotion semblaient, eux, elles, pénétrer dans lesdits cercles, comme les anneaux d’un magicien s’insèrent les uns dans les autres, lui se heurtait en permanence à l’étanchéité de ce qu’il percevait comme des clans, affinités et autres apartés, entretenus par l’ancienneté. Au comptoir du bistrot près de l’obédience, mais aussi pendant les agapes, lors des réunions à domicile ou en sortie estivale. Sans parler des frères et des sœurs dont la sonnerie soudaine de leurs smartphones restés ouverts, interrompaient les dialogues. Ou de ceux et celles qui s’isolaient pour pianoter textos et mails sur leurs écrans. Aujourd’hui, ce ne sont plus les tables de Moïse, c’est la tablette qui fait la Loi, ironisa en lui-même le maçon en herbe !

Regards complices, gestes entendus, allusions orales, habilement mêlés au vocabulaire de la cité : Autant de signes mystérieux qu’il croyait percevoir dans les échanges. Il poussait la politesse jusqu’à se rendre sourd à ce langage qu’il pensait codé en embrassant ses frères et ses sœurs. Ne sait-on jamais, c’était peut-être ça le fameux secret maçonnique ? ! Il pensa un moment qu’il se faisait des idées. Qu’il fallait attendre. Que son malaise provenait de son esprit, sans doute resté dans les ténèbres ! Il confia son désarroi à son parrain, lequel essaya de le persuader qu’effectivement son intégration serait progressive, qu’il devait aller au-devant de ses frères, de ses sœurs, qu’il comprendrait le fonctionnement de la loge dans quelque temps. Qu’il allait bientôt tout voir, tout savoir, que tout allait venir ! Mais rien ne vint, en termes de vrais contacts. Ni de sa personne, ni de personne. Le filleul d’habitude si paisible, si affable, sentit une forte agressivité l’envahir, en même temps qu’il se fermait, telle une huître !

Alors il se dit, lui l’homme de communication… qu’il ne savait pas communiquer ! Et un mauvais soir, après une dure journée professionnelle, sans prendre de gants, il décida de rendre son tablier ! Il n’alla pas en tenue. Et quinzaine après quinzaine, on ne le vit plus sur les colonnes.

– Il avait certainement des problèmes personnels, dit l’un.

– Il n’a rien compris aux symboles, dit l’autre.

– Il n’a pas su s’intégrer ! ajouta un troisième

– Ce n’était pas un homme libre, ajouta un quatrième, content de lui.

Son parrain eut bien du mal à le convaincre de revenir en loge. En lui faisant comprendre qu’il ne changerait pas les autres, mais que lui pouvait changer sa vision et son écoute du monde maçonnique, de fait microcosme de la cité, avec ses bons côtés mais aussi ses travers. Il ne s’agit pas de culpabiliser et de rester dans son coin, mais de se « décrisper », somme toute d’oser s’affirmer : en n’étant ni hérisson ni paillasson ! Et le filleul, qui avait certainement trop idéalisé la franc-maçonnerie, remit in extremis son tablier pour tenter une nouvelle approche. Pour ouvrir les cercles et s’ouvrir à ses frères, à ses sœurs, humains trop humains !

On ne lui avait pas dit…

Que la fraternité est un art, ô combien difficile. Parce qu’aujourd’hui, on communique de plus en plus, mais on se parle de moins en moins !

1 COMMENTAIRE

  1. Ils ne m’ont pas seulement dit, certains m’ont fait. Ils ont jeté des pierres si peu taillées dans mon jardin qu’elles étaient blessantes. Mais je les ramassées en silence et, avec elles, j’ai construit l’assise de mon temple intérieur, espace où se préserve mon irréductible fraternité et celle de beaucoup d’autres.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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