mer 11 décembre 2024 - 20:12

La Fée Clochette, la petite métaphysicienne

Pour le dernier épisode de la première saison du dimanche des grands philosophes, marchons sur les pas de la Fée Clochette. Ne voyez guère dans ce choix un enfantillage de ma part, doublé d’une tentative de régression qui serait l’expression d’une peur viscérale de vieillir ou découlerait d’un manque d’inspiration. C’est tout l’inverse. Ce dernier opus, relie les sept autres épisodes, il est le fruit d’un syncrétisme des sept philosophes que nous avons abordés. Ce huitième épisode achève ce cycle et pose les bases de l’arpentage philosophique. Et cette petite fée si singulière détient une clé cruciale d’unification.

L’art de concevoir l’infiniment petit, le penser et le sentir (Leibniz, Hypathie, Weill)

D’une petite chose on apprend beaucoup. D’une chose abstraite et spéculative aussi. En outre, La Grâce et la Beauté des Lois de la Nature, cultivent l’art de la mémoire. Et nous invitent à penser et sentir l’infiniment petit. Alors, tachons d’abord de nous souvenir… au commencement, nait une petite fée dans une clairière.

L’ars memorandi: prémices de l’âme du monde

Souvenons-nous d’Hypathie d’Alexandrie, seule vent debout contre la barbarie, prenant place dans la Cité; souvenons-nous du génial Leibniz rabaissé par les relativistes. Souvenons-nous du martyr en conscience de Simone Weill, la philosophe de la beauté et de l’absolu parmi les petites gens, et de sa foi mystique. Ces trois philosophes ont survécu aux infamies, à la dureté de leur époque, à la superstition et aux changements de paradigmes incessants. Que nous enseignent-ils ? Que penser est un acte fort qui engage aussi à repenser le Monde. Pour cela, il faut sentir battre cette âme du Monde (anima mundi), afin de trouver sa place dans la Cité. Ce n’est pas chose aisée, même pour une fée..

La Fée Clochette et l’art de créer son Monde dans sa tête.

Dans l’œuvre des studios Walt Disney, la fée Clochette nait d’une simple aigrette de pâquerette. Elle ne nait pas en héroïne, elle doit elle-même créer son propre destin. Pour elle, point de baguette magique, mais à la place, un maillet. Un lourd et un imposant maillet dont elle aura bien du mal à comprendre l’utilité. Tout l’enjeu de sa quête sera d’accepter cet outil qu’elle trouve grossier, lourd, inutile.

Sur un plan métaphysique la Fée Clochette contient e Monde entier tandis qu’elle même l’ignore. Dès lors, plus qu’une savante, la fée Clochette est destinée à devenir une fée bricoleuse.

L’évolution procède comme un bricoleur, qui pendant des millions d’années, remanierait lentement son œuvre, la retouchant sans cesse, coupant ici, allongeant là, saisissant toutes les occasions d’ajuster, de transformer, de créer.

François Jacob, Le jeu des possibles. Fayard 1981

La fée Clochette et l’art de penser par soi-même (Hannah Arendt)

Ecouter ou lire des contes et légendes, c’est l’opportunité de faire œuvre d’imagination. De part l’imagination on s’extrait du formalisme et du normatif de la pensée. Et c’est avant tout un travail de déconstruction patiente de toutes nos mauvaises impressions, préjugés, diktats…Hannah Arendt et la liberté du choix en conscience nous a appris que maints concepts ne mènent guère qu’à une liberté relative. En revanche, concevoir son propre esprit philosophique et s’y inclure permet d’exercer un jugement juste. La pensée libre est l’émancipation de sa propre conscience, issue de l’induction créative. Et bien avant le schème de toute éthique sociale que l’on nous impose. Notre petite fée ne déroge pas à la règle et cela lui vaut moult problèmes.

Deviens ce que tu es (Nietzsche)

Raisonner c’est penser et sentir. Cela commence par les histoires que l’on se raconte le soir depuis la nuit des temps. Le temps des grands récits est souvent estampillé, rattaché à l’enfance. Comme nous avons tord! Le bonheur n’existe que pour ceux qui ne succomberaient jamais à l’aigreur et qui ne feraient jamais l’erreur d’une connaissance présumée absolument certaine.

La petite fée ignore tout de ses multiples talents cachés dans son maillet. Néanmoins, son enthousiasme et sa volonté d’apprendre sont sans bornes. Œuvrant à singer ses sœurs plus âgées, elle en vient à douter de sa propre nature féérique. Et c’est dans ce creuset du doute qu’elle s’incarne et se personnifie à la perfection, vêtue de l’étoffe d’un personnage Nietzschéen Nietzsche: le poète lucide plus que le philosophe fou. Comparable à Dionysos, ce personnage tragique et dual, elle crée avec sa part numineuse…des désastres. Si tout ce qu’elle entreprend semble voué à l’échec, dans le silence et la solitude, comme œuvrant au Noir, Clochette prend conscience de sa singularité. Je est un autre nous rappelle Rimbaud et en donnant libre cours à sa part ombrageuse, elle échafaudera maintes stratégies pour réparer ses torts.

Quand Clochette devient Pantope et le Prince réunis (Michel Serres et Machiavel)

L’audace et la témérité sont deux qualités allouées aux Princes machiavéliens. La faim justifie les moyens comme l’avance Machiavel Tout savoir sur Machiavel et «Le Prince». Contrairement aux autres fées, Clochette n’appartient pas qu’au monde sensible des Idées. Elle renvoie le miroir de l’universalité du Monde. Elle a besoin d’un cheminement logique et pragmatique pour donner libre cours à sa nature féérique et non l’inverse. Et c’est en visitant le monde réel, malgré la stricte interdiction de la Reine, qu’elle puisera de la matière (materea prima). Elle tentera des expériences, utilisera, l’abduction, la déduction, l’induction en bon disciple d’Aristote. Et deviendra comme Pantope (Michel Serres) l’optimiste compagnon voyageur un être doué qui relie l’Esprit à la nature.

Relier le naturel au normatif entre le monde sensible et terrestre fera de Clochette la plus métaphysicienne de touts les fées.

Puiser de la sagesse dans l’imaginaire.

Ernest Renan dressait un portrait de Marc Aurèle le célèbre empereur romain:

Marc ne comprit que parfaitement que le devoir. Ce qui lui manqua, ce fut à sa naissance, le baiser d’une fée, une chose très philosophique à sa manière, je veux dire l’art de céder à la nature, la gaité qui apprend que l’abstine et sustine n’est pas tout et que la vie doit aussi pouvoir se résumer en sourire et jouir.

L’art mystérieux de la métaphysique

Dali. Ma femme nue, regardant son propre corps devenir escalier, trois vertèbres d’une colonne, ciel et architecture

Nous avons le pouvoir de nos cinq sens et ceux beaucoup plus subtils; ceux qui portent la faculté de voir en nos cœurs autre chose qu’un cri étouffé. Nous avons cette liberté de croître au grand jour, comme cette fleur de pissenlit sur le tableau de Dali. Devenue par l’eau, la terre, l’air, le feu, la forme la plus suprême de son achèvement. Oui, méfions nous de juger ce qui nous parait ordinaire, un jour dans le ravissement de l’automne, la métamorphose a lieu…le Dent de Lion attend la providence d’un coup de vent pour jeter ses semailles en terre. Eternellement.

Mes chers amis, l’épisode huit achève cette première saison. Huit est un nombre particulier: il est le premier nombre cube construit sur le pair. Il démultiplie le désir insatisfait en le stabilisant par l’amour fondateur qui contient aussi le Désir de Speusippe. Si la route est longue, elle est suffisamment belle et harmonieuse lorsqu’elle ne néglige ni le réel ni l’imaginaire. Et qui sait si le baiser d’une fée n’aurait pas le miracle de faire entrevoir le prodigieux pouvoir de la gaité…

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Christelle Manant
Christelle Manant
Christelle Manant est consultante en rédaction web SEO. Elle est également auteure d’un livre « la lumière brille dans les ténèbres… » paru aux éditions Maïa, qui relate le parcours de 3 personnages en quête de paix et dans lequel chacun se vautre dans les 7 péchés capitaux tout en cheminant entre Rennes le Château et la Calabre, en compagnie du génial Dante Alighieri (la divine comédie), jusqu’au point de solitude, où chacun doit apprendre à vivre avec sa part d’ombre et sa part de ténèbres. Par ailleurs, elle a suivi l’enseignement du regretté Jacques Bouveresse sur « la nécessité et la contingence chez Leibniz » et s'est tourné vers la sémiotique et l’ontologie du pragmatisme peircien avec Claudine Tiercelin (Collège de France) en 2021.

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