mer 24 avril 2024 - 12:04

Quand dans le « corps on a virus »…

« Tout le malheur des Hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre »

En ce début de printemps 2020, personne n’avait spécialement en tête cette pensée de Pascal. A bien la lire, nous pourrions déduire que ce sont plusieurs semaines de bonheur qui nous ont été prescrites – disons plus justement ordonnées ! – quand le confinement nous a soudain maintenu au logis ! Pour qui veut bien y voir quelque philosophie, cette sorte d’« arrêt sur image » du film sociétal et social nous a surtout offert l’opportunité de marquer une pause et de penser la vie. Et même sa vie.

Qu’en est-il de l’être humainen ce début de siècle ? Depuis sa sortie du berceau africain, il y a quelque trois millions d’années, il poursuit l’écriture de son histoire au fil de l’évolution et de l’expansion démographique. Avec la curiosité comme moteur, c’est à dire la créativité permanente de son intelligence novatrice, dans tous ses domaines d’activité. Le prodigieux développement des moyens de communication et de déplacement qui a lui-même engendré un système économique mondial, a fait de la terre aujourd’hui, un village de sept milliards d’habitants.

Ce qu’on appelle « la mondialisation » a produit « l’Homme unidimensionnel », tel que l’a nommé le philosophe Herbert Marcuse. Et l’instantanéité de l’information procurée par ses objets nomades (téléviseur, ordinateur, smartphone, etc.) lui a donné l’impression de supprimer les distances et l’illusion de la maîtrise de l’espace et du temps. L’homo numericus se reconnaît dans les accessoires de ses semblables et trouve son âme dans son véhicule. En schématisant, il se réduit ainsi à l’état de consommateur insatiable et à un mode de vie uniforme ! Image même d’une société à repenser !

L’implantation des firmes multinationales active en permanence les liaisons marchandes entre gens d’affaires. De leur côté, le transport aérien à bas coût et les croisières à bord des villes flottantes favorisent sur l’ensemble du globe, le tourisme de masse. Et avec cet ensemble en connexion s’opèrent tout à la fois les transferts technologiques, la rencontre des cultures, le divertissement en tous genres…et la circulation virale ! A preuve ce « Coronavirus » qui, par les transporteurs express que nous sommes, agresse subitement l’humanité entière !

Un constat découle de la « magie technologique » et de cette culture distractive tous azimuts : Par l’esquive depuis la dernière guerre – et les « trente glorieuses » qui ont suivi – notre civilisation centrée sur le loisir s’ingénie à nous faire oublier notre statut individuel d’« être provisoire ». C’est à dire de mortel ! Notre hôte indésirable, tueur en série s’il en est, est en train de nous le rappeler ! Ce signal est d’autant plus brutal que l’Homme est guidé tout au long de sa vie par le fondamental « principe de plaisir », évoqué ci-dessus. Mais le plaisir ne peut être constant. Rattrapés par le « principe de réalité », en l’occurrence l’actuelle funeste contagion, avions, bateaux, trains et voitures – nos bottes de sept lieues – doivent temporairement ralentir leur marche locale et intercontinentale, jusqu’à nous faire songer à l’impensable : l’immobilité.

 Avec qui passons-nous le plus clair de notre temps ? Avec nous-même, bien entendu ! Et de fait, ces contraintes nouvelles nous renvoient bel et bien à notre individualité. Une excellente raison pour nous rencontrer et « auto-dialoguer »! Une bonne occasion de passer ainsi du « Moi social », notre devanture si je puis dire, au « Soi profond » notre espace intime, que francs-maçons nous nommons notre « temple intérieur ». Du Moi au Soi : c’est au vrai, le passage du « Qui suis-je ? » au « Que suis-je ? » Quelles sont ma place et mon action en tant qu’être humain inscrit dans un récit, familial, amical, professionnel, associatif. Bref, quel sens je donne ou je peux donner à ma vie ?

Il n’y a pas d’urgence, il n’y a que des gens pressés ! Sauf exception vitale, certes, rien ne nous oblige à l’accélération en toute chose, signe de notre époque. Nous le remarquons dans les médias et même en loge, le « parler » est souvent trop rapide. Les intervenants ne prennent pas toujours le soin de bien articuler. Ils débitent parfois leur planche, sans virgules entre les phrases, au grand dam de celles et ceux dont l’âge durcit l’oreille ! Assourdissement qu’accentue maintenant, en prime, un masque sournois. Nez en moins, dira l’humoriste.

Au vrai, profitons-nous de cette « expérience » inattendue ? Davantage à notre domicile, nous sommes à même en ce moment, avec la patience et le bienfait du silence, de bénéficier de la longueur du temps ! Cette pause devrait nous permettre ainsi de retrouver la présence à soi, en vivant vraiment le présent. Car, comme le mot l’indique, le présent est un cadeau !  

Alors que, nourrissons, nous dormions pendant des heures, nous avons vite cherché en grandissant à bien occuper nos heures de veille. Adultes devenus, nous ne cessons de nous activer pour répondre à cette question essentielle : Que faire quand je ne dors pas ? Ce désir de structuration du temps correspond davantage à notre soif éperdue de contacts sociaux – physiques ou par écrans interposés – auxquels nous a habitués la vie moderne !

Même si, paradoxalement, nous communiquons de plus en plus …en nous parlant de moins en moins ! Bien sûr, l’existence de cet agresseur invisible – champion de la transmission « micronisée » ! – est inquiétant. Et l’information continue n’est pas rassurante en désignant tous les jours ses nouveaux lieux possibles d’hébergement. Jusqu’à imprégner l’inconscient collectif angoissé et y inscrire en forme de jeu de maux lacanien interrogatif, que chacun, chacune, allez savoir, dans notre « corps on a virus » !

Heureusement, la médecine – avec le dévouement admirable de ses chercheurs, praticiens et praticiennes sur toute la planète – se bat de toutes ses forces contre cette dictature de l’invisible. Et sans nul doute, finira par l’éradiquer, comme elle a vaincu les épidémies précédentes. Dans le même temps, au long de nos rues, les croix vertes des quelque 22 000 pharmacies de France continuent de palpiter comme des cœurs. Autant de sentinelles de vie qui oublient la leur pour préserver la nôtre. Autant de héros du quotidien, comme le sont policiers, pompiers, infirmières, caissières, livreurs, commerçants de proximité, vaillant peuple désormais masqué lui aussi, à son poste et son office. Pour notre sécurité et subsistance.

 En ce qui nous concerne, également acteurs de la cité – retenus dans nos élans – même si ce freinage nous protège, voire nous régénère avant de reprendre vraiment contact avec nos familles, amis et activités – nous ressentons maintenant le vif besoin de nous donner ou redonner un horizon. Au bout des jours et des nuits qui s’étirent…

…Quand le brouillard hivernal n’est pas de service, le clair de lune me fait lever la tête. Puis m’attire certains soirs à ma fenêtre. La ville décoiffée de son voile de pollution habituel, les lumières y scintillent à nouveau. Mon œil devient regard et prend de la hauteur. Ô surprise ! Le ciel aussi a rallumé un semis d’étoiles. Telle une promesse. Je fixe la plus brillante pour, qui sait, en capter l’énergie !

  Actuellement, le plus court chemin d’un point à un autre, c’est le rêve. Avec celui d’un premier matin du monde.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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