Notre cerveau est à ce point piloté par les biais cognitifs, le plus célèbre étant le biais de confirmation, qu’on peut se demander si le libre arbitre existe. Individuellement nous avons peu de chances de nous corriger, mais collectivement la raison peut reprendre le dessus . Voici comment et pourquoi.
Les philosophes et écrivains avaient depuis belle lurette repéré que nous les humains n’en faisons qu’à notre désir secret, appelé inconscient par Freud, mais les descriptions se font de plus en plus implacables depuis Kahneman et Tversky, et de plus la liste des biais cognitifs, faiblesses de notre cerveau, s’allonge désespérément.
Les optimistes ont beau dire que connaître leur existence, et se connaître comme on nous l’enjoint en loge, permettent d’avancer, les progrès que l’individu peut espérer sont hasardeux. Tout le fonctionnement du cerveau se fait de manière automatique, et seule une infime partie des processus émerge à la conscience .
Sachant que l’émergence d’une décision à la conscience est précédée de plusieurs secondes par les préparatifs à l’action initiés en automatique par le cerveau, on peut se demander si la conscience n’est pas qu’un artefact permettant de se rassurer par le sentiment qu’on est maître dans sa boutique, alors qu’en fait on en est loin…
Alors nous voilà devant nos biais. Voyons le plus célèbre d’entre eux : le biais de confirmation. Nous avons une tendance naturelle à ne retenir, dans le flot d’informations qui nous arrive, que ce qui va dans le sens de nos croyances et préjugés. Si quelqu’un questionne nos affirmations, notre premier réflexe, pour la grosse majorité d’entre nous, est de produire une justification, par un exemple dans lequel notre affirmation est vraie ( exemple « positif » ). Or, ce n’est pas parce que l’affirmation est vraie dans 100 exemples qu’elle est universellement correcte. Par contre, un seul contre-exemple peut suffire à invalider l’affirmation . Mais si nous avons choisi un exemple positif, c’est parce qu’il nous est impensable d’avoir tort. C’est cela le biais de confirmation ; c’est un aveuglement, et il est difficile pour l’aveuglé d’imaginer ce qu’il faut voir.
C’est évidemment d’autant plus vrai qu’on est entouré d’autres aveuglés, comme c’est le cas lorsqu’on se retrouve entre gens pensant pareil sur les réseaux sociaux.
La théorie argumentative du raisonnement, développée par Hugo Mercier (2009) permet d’expliquer ces comportements, ainsi que bien d’autres, comme la persévérance dans les croyances (causes de tant de ruptures d’amitiés) ou la polarisation des débats. Elle est frappante en ce sens qu’elle remet en cause la séparation « système 1 » ( intuitif ) / système 2 ( raisonnement ) de Kahneman : même le raisonnement est sous l’emprise des croyances puisqu’on observe, chez le plus rationnel des scientifiques, que dans un débat il peut se mettre à défendre ses thèses avec une mauvaise foi digne des pires leaders populistes.
Il est temps de retrouver un rayon des Lumières dans ce déterminisme inconscient sur lequel, semble-t-il, nous n’avons en fait aucune prise.
Qu’observons-nous dans nos sociétés démocratiques ? Certes nos parlements versent parfois dans l’hystérie des foules décrite par Gustave Le Bon : invectives, affirmations clamées et répétées à l’envi sans arguments, postures d’intimidation, images, émotions et court-termisme omniprésents, bref on dirait un cerveau, mais sans cortex.
Mais, il arrive plus fréquemment un déroulement comme suit : présentation d’un projet de loi par un groupe, avec un argumentaire, puis l’opposition aligne une liste exhaustive des faiblesses du projet, dont certaines ont été anticipées par le groupe auteur du projet et dont les arguments sont immédiatement disponibles, etc.
Des phénomènes comparables sont aussi observables dans un jury de cour d’assises.
Que pouvons-nous en déduire ?
Qu’un individu, dominé par ses envies intimes et ses biais, propose des projets faiblement armés contre l’adversité. Mais, il peut déjà améliorer sérieusement la résilience de son projet, s’il se glisse au préalable dans la peau de ses opposants.
Étonnant cerveau humain : quand il se met en posture de critiquer, il trouve les points faibles avec une déconcertante facilité. Lors des « peer reviews » d’articles scientifiques, il n’est pas rare de voir surgir une montagne de critiques méthodologiques sur l’étude présentée…
Lorsqu’on fait passer des tests de biais de confirmation à des individus, seuls 10% arrivent à comprendre qu’il faut tester la solidité de l’affirmation en cherchant des exemples qui l’invalident plutôt qu’en aligner qui la valident.
Lorsque ces mêmes problèmes sont traités par des groupes, 80% arrivent à trouver la bonne méthodologie de validation/invalidation. La voilà donc, la bonne idée pour contourner nos biais : l’intelligence collective, ça existe !
Accéder à la conviction que l’intelligence collective exige une baisse de sa garde, de la formation, de l‘expérimentation, de l’apprentissage, et une estime suffisante de soi-même. L’axiome : l’autre va m’apporter sans me mettre en péril est une étape nécessaire à une acceptation d’une expérience de prise de décision par un collectif.
Être en position de leadership invite naturellement au déploiement de son ego et suscite de fait, plaisir et récompense immédiate (posture dominante, ton péremptoire, choix de son interlocuteur…etc.) ; y renoncer est impossible spontanément pour celui qui tient toutes les cartes à un instant T.
Accepter de sortir de sa zone de confort du leadership dominant sans concertation, suppose de regarder autrui, entendre autrui, sans crainte, c’est-à-dire en ayant surmonté ses pulsions reptiliennes, sa peur de l’autre.
Intégrer que l’intelligence collective permettra d’accéder à un niveau supérieur de prise de décision en concertation, du suivi efficace de la décision prise est un pas à franchir plutôt rare, et in fine quasi inexistant…seules des formations de management s’y aventurent pour les dirigeants qui acceptent de mettre en péril leur ego au bénéfice d’un tout, structure, entreprise, groupe, (loge) etc…ou parfois en situation d’urgence quand le bateau coule et que le leader qui a mené son petit monde à la catastrophe accepte enfin de faire profil bas…il est alors souvent trop tard …
Bref, l’intelligence collective ne se décrète pas, elle s’apprend.
Non seulement on peut ensemble trouver le chemin vers la solution, mais tous repartent en ayant accompli un progrès. Bien entendu, la connaissance des biais permet de les repérer rapidement … chez les autres bien sûr, mais en groupe solidaire on ne prend pas les choses personnellement.
Et voilà pourquoi nos planches donnent parfois de si sublimes échanges dont nous sortons tous enrichis !
Bonne tenue à toutezétous.
Patrick ( + épouse ! )