À Genève, le dimanche 5 octobre 2025, le Musée Ariana – musée suisse de la céramique et du verre – ouvre une parenthèse médiévale de 11 h à 18 h. On y vient pour la fête, on y reste pour l’atelier : tout conduit la main à penser et l’esprit à agir. L’exposition Post Tenebras Lux sert d’axe : « après les ténèbres, la lumière » n’est plus une devise affichée, c’est une pratique. Trois ateliers forment un triptyque initiatique – blason, vitrail héraldique, calligraphie – qui mène de la forme à la clarté, puis de la clarté à la parole tenue.
D’abord le blason. Loin d’un caprice graphique, l’héraldique révèle une grammaire morale. On apprend les métaux et émaux, l’ordonnance du champ, les pièces et meubles, l’accord des figures et des couleurs. Chacun compose son écu comme on dresse sa colonne intérieure : l’Équerre y règle la mesure, le Compas ouvre l’intention, la Règle rappelle la rectitude. Nommer ses vertus, hiérarchiser ses forces, choisir une devise – déjà, quelque chose s’ordonne en nous.
Vient ensuite le vitrail héraldique, où le blason prend corps de lumière. Le carton prépare la mise en couleurs, la grisaille nuance, le plomb nerveux tient l’ensemble comme le ferait un osier de lumière. On découvre pourquoi l’azur et l’or chantent différemment des gueules et de l’argent, comment l’ombre nécessaire exalte la clarté, et l’on réalise un médaillon ou une petite verrière à ses armes. Gouverner la lumière, c’est se gouverner soi-même ! Le vitrail n’illustre pas l’héraldique, il l’accomplit.
Le troisième temps est celui de la calligraphie, l’art du ductus, ce chemin que dessine la plume avant même que l’encre ne parle. En vérité, le ductus, mot latin dérivé de ducere – signifiant tirer, conduire ou encore diriger – est l’action d’amener, de diriger, de tracer, en particulier les lettres.
On s’initie à l’onciale, à la gothique textura ou à l’humanistique. L’angle du calame règle la cadence, la respiration fait naître le trait juste. On calligraphie sa devise, on pose une lettrine sobre, et la phrase devient serment discret, prête à se loger sous l’écu ou au revers du vitrail. La main apprend la patience, l’œil la justesse, le souffle le rythme : la parole retrouve la dignité du signe.
Ainsi se tisse la voie royale de cette journée : nommer, illuminer, prononcer.
Trois gestes, un même travail intérieur. Autour, la fête bat son plein : démonstrations de céramique inspirée du Moyen Âge, secrets d’écritures et enluminure, musiques vagabondes, contes, jeux d’adresse en bois, combats commentés dans la grande halle, « potions & alchimie », et, au crépuscule, un ballet de feu qui referme la célébration comme un antiphonaire de flammes. La taverne des saveurs ponctue le parcours : la convivialité n’est pas un à-côté, elle est la juste température de l’atelier.
Pour nous, artisans du Temple, l’Ariana rappelle que la lumière ne se reçoit pas, elle se fabrique.
Le blason met en ordre, le vitrail élève, la calligraphie engage. L’enfant y trouve le jeu, l’adulte la méthode, le chercheur de symbole l’alliance du beau et de l’utile. On repart avec un écu personnel, une mini-verrière et une devise calligraphiée ; plus encore, avec la sensation d’avoir poli sa pierre.
Sous le signe de Post Tenebras Lux, Genève offre une leçon d’atelier : faire de la matière un miroir et, de la clarté, une promesse tenue.
Entrer dans ce numéro d’Epistolæ Latomorum, qui consacre son dossier à « Le franc-maçon et son histoire » et sa rubrique « Symbolisme » au maillet – revient à franchir un seuil où la lumière consent à la mesure. L’équinoxe pose sa balance et nous respirons aussitôt la tenue d’une revue qui ne juxtapose pas des pages mais règle une cadence intérieure. Rien n’y cherche l’emphase. Tout y travaille l’exactitude.
Philippe Cangémi, Grand Maître, nous accueille avec une parole qui ne promet pas des lendemains abstraits. Elle rappelle la vocation d’une obédience quand elle sert la cité par la qualité des travaux. Nous entendons l’exigence d’une sobriété rituelle qui protège des crispations de personne. Nous recevons l’invitation à soigner le silence fondateur, à cultiver la nuance comme courage, à remettre la jeunesse en situation d’apprendre par l’exemple ce que signifie servir plutôt que paraître. Cette voix ne s’élève pas au-dessus des ateliers. Elle en épouse le pas et nous met en route. Claude Godard, rédacteur en chef, prolonge cette impulsion par une rentrée qui refuse la routine. Reprendre ne signifie pas reproduire. Reprendre signifie revenir à la source qui éclaire la forme. L’histoire y devient méthode. Le maillet y devient école de décision. La diversité y trouve sa place sans que l’exigence initiatique s’évente. Nous avançons dès lors avec un angle juste. La pensée consent à la discipline des gestes. Le chemin s’ouvre.
Pierre Franceschi donne au dossier sa ligne d’horizon en travaillant la perspective avec la patience d’un tailleur de pierre. Sa prose ne brille pas pour elle-même. Elle règle notre regard. Elle décante, elle remet droit. Nous voyons mieux ce qui fonde la durée d’une loge lorsque l’atelier cesse d’être une chronologie et redevient un organisme vivant. La loge Sagesse apparaît comme une conscience en acte. Édouard de Ribaucourt, Camille Savoire, Gustave Bastard ne sont plus des noms fixés. Ils prennent l’allure d’ouvriers dont la fidélité fait autorité. Ils ne professent pas. Ils persévèrent. Ils tiennent la règle, surveillent la qualité des gestes, gardent ce centre pragmatique qui empêche la tradition de se dissoudre dans le culte du passé. La parole de Michel Bédaton, Vénérable Maître, confirme ce tempérament. Le verbe marche à la vitesse de la main. L’expérience précède le commentaire. La noblesse d’un atelier se reconnaît alors à des signes discrets. La patience partagée. Le silence bien disposé. L’écoute qui donne du temps à la pensée. L’hospitalité qui honore la visite interobédientielle sans renoncer à l’exactitude rituelle. La conversation qui préfère la nuance à l’invective. Ainsi la tradition ne répète pas. Elle recommence.
Éric Saunier
Éric Saunier s’avance ensuite avec l’outil discret de la critique des sources. Un demi siècle de terrains impose une manière de lire qui ne se contente pas de voir. Exploiter une trace exige d’écouter la texture de l’archive. Les registres parlent par leurs pleins et par leurs creux. Les minutes instruisent par leurs silences autant que par leurs insistances. Le survol n’est pas fuite. Il devient art d’arpenter le temps à pas égaux. Naît de là une éthique du récit maçonnique. Refuser l’anecdote flatteuse. Se défier des mythes commodes. Vérifier les filiations. Exposer le travail plutôt que s’abriter derrière la source. Cette pédagogie rend la mémoire plus probante et la probité plus lumineuse.
Pascal Berjot
Ajoutons maintenant ce foyer ardent qui traverse tout le numéro et qui prend corps sous la plume dePascal Berjot. La Maçonnerie à Lyon devient une géographie spirituelle qui nous apprend à tenir. Nous voyons la ville comme deux mains qui se rejoignent. La Saône et le Rhône dessinent une nervure double. La colline de Fourvière veille comme un sanctuaire. La colline de la Croix Rousse travaille comme un atelier. Dans cet entrelacs, la tradition ne s’installe pas en décor urbain. Elle épouse les pentes et les quais. Elle emprunte la patience des métiers de la soie. Elle avance au pas mesuré des processions et des cortèges civiques. Pascal Berjot décrit Lyon avec les mots d’un homme qui y a posé sa règle. Les rivières deviennent les branches d’un compas ouvert qui prend la mesure d’un espace humain. La ville se lit comme un temple en creux. Ses salles sont des squares et des traboules. Ses colonnes d’air portent un ciel travaillé par l’idée d’équilibre.
J.-B. Willermoz
L’histoire se déploie alors sans raideur. Les premières Loges du XVIIIe siècle tâtonnent, nomment, ordonnent, cherchent la tenue régulière. Jean Baptiste Willermoz (1730 – 1824) s’avance très tôt, jeune négociant scrupuleux lancé vers une réforme intérieure. Il reçoit, il travaille, il collecte, puis il ordonne. Le Rite Écossais Rectifié prend racine avec la patience d’un jardinier qui greffe.
La présence de Martinès de Pasqually passe comme un vent d’Orient. Les doctrines se frottent à la pierre lyonnaise. Elles s’épurent sans perdre leur feu. Elles donnent à la cité une discipline du cœur et un goût de claire chevalerie. Rien de plaqué. Une ascèse du discernement. Une volonté de réconcilier foi, raison et conduite. À travers Jean Baptiste Willermoz, nous entendons cette voix qui demande de ne jamais séparer la doctrine du soin des Frères.
Le récit embrasse de larges siècles et garde le détail. La sociabilité bourgeoise anime cafés, salons et bibliothèques. Les Loges inventent une bienfaisance qui n’est pas l’aumône. Elles soutiennent les apprentissages. Elles allègent les détresses. Elles ouvrent des écoles d’exactitude morale. Nous croisons Claude Bourgelat qui fonde la première école vétérinaire du monde. Nous croisons André Marie Ampère qui donne à la science un alphabet nouveau. Nous retrouvons Émile Guimet, voyageur des cultes et bâtisseur de musées. Nous apercevons Ulysse Pila, pont de commerce vers l’Extrême Orient. Cette constellation révèle une manière lyonnaise d’habiter la cité. Joindre la pratique utile et la pensée longue. Tenir ensemble les soies fines et les grands desseins.
Blason de la ville de Lyon
Vient le XIXe siècle et ses secousses. Les canuts se lèvent. La Croix Rousse gronde. Les Frères descendent des ateliers et des comptoirs pour calmer, soutenir, parfois seulement témoigner. La bienfaisance se structure. L’idée d’adoption féminine affleure. Des expérimentations s’ébauchent qui annoncent le désir d’associer les femmes à l’œuvre commune. Les institutions politiques se durcissent et la Maçonnerie marche sur la corde tendue entre empire et liberté. La Troisième République confie à Lyon une charge civique. Les loges se multiplient. Elles discutent. Elles clarifient. Elles prennent position en conscience avec le souci constant d’instruction, de santé et de justice sociale. Maître Philippe et Gérard Encausse dit Papus passent comme deux étoiles contraires qui attirent et divisent. La ville accepte cette tension. Elle sait que l’expérience spirituelle et la prudence critique se cherchent et se corrigent.
Lyon, les pentes de la Croix Rousse
La blessure du siècle suivant traverse ces pages avec gravité. Listes infamantes, scellés, temples sous séquestre, Frères arrêtés, exils, déportations. Lyon apprend la fidélité silencieuse. Le retour ne triomphe pas. Il rétablit. Il reconstitue des archives. Il visite des familles. Il rouvre des portes. La Maçonnerie retrouve sa voix, plus basse, plus juste. Pascal Berjot souligne la patience de la reconstruction et cette manière lyonnaise d’éviter les querelles de préséance pour privilégier la qualité des travaux. Nous reconnaissons une éthique. S’effacer pour que l’atelier vive. Préférer la tenue régulière au bruit. Laisser la fraternité recoudre ce que l’histoire a rompu. Le regard se tourne vers la carte contemporaine. Les obédiences trouvent à Lyon un terrain d’équilibre où l’exigence symbolique demeure. Les loges fréquentent les musées. Elles investissent les bibliothèques. Elles s’aventurent dans des débats où les valeurs se clarifient à l’épreuve de la contradiction loyale. La ville demeure matrice du Rite Écossais Rectifié sans se réduire à un conservatoire. Les héritages deviennent méthodes. Étudier. Transmettre. Éprouver par la vie. Les deux collines reprennent sens. Fourvière rappelle l’axe intérieur. La Croix Rousse garde le goût du labeur et de la justice sociale. Entre elles, la confluence dit la vocation d’unir ce qui sépare. Voilà la signature de Lyon. Une métaphysique pratique. Un art d’accorder contemplation et responsabilité.
Le maillet reçoit ensuite une attention qui n’a rien d’ornemental. La Loge Excalibur rappelle que le symbole ne surplombe pas l’objet. Il naît de lui. Le maillet parle par son poids et par sa tenue. Par l’élasticité du bois. Par la manière dont la main amortit ou casse le choc. Par le son qui s’enfouit dans la matière. Les métiers de la main lui confient une puissance apprivoisée. Menuisiers, tonneliers, sculpteurs, tailleurs de pierre ont appris la mesure par l’oreille autant que par l’œil. Ce détour profane purifie le regard rituel. Frapper en loge ne signifie pas seulement signaler un ordre. Frapper signifie libérer une énergie tenue qui se règle pour ne pas blesser. L’outil enseigne la tempérance active. Il dirige sans brutalité. Il touche sans meurtrir. Pierre Franceschi prolonge la méditation avec le couple maillet et ciseau. Le maillet donne l’impulsion. Le ciseau dessine la forme. La pierre consent quand la cadence est juste. Trois coups mettent le temps en ordre et l’Apprenti s’y mesure. L’autorité découvre sa propre limite. Trop fort la pièce se fissure. Trop faible la pierre demeure muette. Au moment opportun la figure s’avance. Nous quittons la mécanique. Nous entrons dans une politique de l’âme. Une alchimie discrète affleure. Un premier choc noircit l’informe. Un second blanchit la face. Un troisième rougit l’instant où la forme apparaît. Rien de plaqué. Une expérience de main et de cœur. Le symbole advient parce que le geste a été vrai.
Nous saluons brièvement ces deux artisans majeurs que ce numéro place au travail. Pierre Franceschi, maçon chercheur familier de l’histoire des rites, écrit au plus près des ateliers et des archives. Il conjugue enquête historique et lecture symbolique avec une probité qui élève la conversation. Pascal Berjot, ancien Grand Maître de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra, fait de Lyon une carte d’orientation et un exercice d’humilité. Officier, pédagogue, conférencier, il parle au citoyen autant qu’au compagnon. Tous deux donnent l’exemple d’une érudition gouvernée par la vie.
Nous refermons le volume comme nous remettons un Temple en ordre. Le monde extérieur nous paraît moins confus. Nous portons la mémoire d’une ville qui unit prière et labeur sans confusion. Nous gardons en main un outil qui commande la mesure et qui protège de l’orgueil autant que de l’inaction. La tradition ne marche pas derrière nous. Elle marche à nos côtés. Elle oriente, elle tempère, elle oblige. Nous avançons avec cette clarté qui naît lorsque la pensée consent à la justesse du geste, et chaque pas fait monter une figure plus nette dans la pierre de nos jours.
EPISTOLAE LATOMORUM – Dossier : Le franc-maçon et son histoire / Symbolisme : Le maillet
La revue de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra
Conform édition, N°72, Équinoxe d’automne 2025, 64 pages, 14 €
Ce récit n’est pas une rupture soudaine. C’est le fruit d’un glissement lent, d’un effacement discret, d’une parole ignorée. Il est né dans les prémices d’une discussion, là où les silences pèsent plus que les discours. Il ne raconte pas une démission, mais une transmutation. Celle d’un frère devenu Ombre, non par choix, mais par nécessité.
I – La Rencontre au Zénith : Dialogue entre l’Ombre et le Gardien des Silences
Dans la pénombre feutrée du convent, là où les colonnes semblent écouter plus qu’elles ne soutiennent, l’Ombre avance. Elle ne cherche pas la lumière, elle la soupçonne. Et surtout, elle cherche la pierre d’Ac, cette assise spirituelle que l’on dit inébranlable, mais que nul ne semble avoir vue sans détour.
Au zénith, glisse Le Gardien des Silences. Sa démarche est incertaine, mais son regard est fixe. Il ne vole pas, il suggère. Il ne parle pas, il consigne.
Il est le scribe du convent, celui qui consigne les silences et archive les soupirs. Mi-ombre mi-lumière, mi-solennel mi-sarcastique, il connaît les rituels, les phrases qui ne veulent rien dire mais qui font consensus.
L’Ombre : « Empereur, je viens chercher la pierre d’Ac. On dit qu’elle est ici, quelque part entre les minutes du convent et les interlignes du silence. »
Le Gardien des Silences (avec un sourire qui ne quitte jamais le coin de son bec) : « La pierre d’Ac ? Elle est là, bien sûr. Juste derrière le rideau des intentions. Mais attention, elle glisse. Comme moi. »
L’Ombre : « Est-ce une épreuve ? Une énigme ? Un jeu ? »
Le Gardien des Silences : « C’est un peu tout cela. Et surtout, c’est une illusion bien réelle. Tu la verras quand tu ne la chercheras plus. Tu la tiendras quand tu accepteras de la perdre. »
Le Silence
La pierre d’Ac, posée là entre eux, ne dit rien. Elle est témoin. Elle absorbe les mots, les regards, les silences. Elle ne juge pas, mais elle pèse. Elle est le centre invisible autour duquel tourne toute la scène.
L’Ombre : « Alors je dois glisser aussi ? »
Le Gardien des Silences : « Non. Tu dois apprendre à tomber avec élégance. C’est tout l’art du convent. »
II – Interlude : L’Apparition du Grand Pingouin
Alors que l’Ombre s’apprête à saisir la pierre, un frisson traverse les colonnes. Un être étrange glisse entre les interlignes du convent. Il ne marche pas, il patine. Il ne parle pas, il ponctue. C’est le Grand Pingouin.
Son jabot est brodé de devises oubliées, son regard est fixe, mais son esprit semble ailleurs, peut-être dans les archives, peut-être dans les marges.
Le Grand Pingouin : « Tu cherches une réponse. Mais tu n’as reçu qu’un écho. Une formule creuse, un “du moment que tu payes tes capitations”… Voilà ce que j’ai consigné. »
L’Ombre : « Tu es le gardien ? »
Le Grand Pingouin : « Non. Je suis le témoin. Celui qu’on ne convoque jamais, mais qui apparaît quand le verbe se dérobe. »
Il tourne autour de la pierre d’Ac, la frôle sans la toucher. Puis il s’arrête, et dans un souffle presque imperceptible :
Le Grand Pingouin : « La lumière visible ne convient pas à tous. Certains naissent dans l’ombre pour y tailler leur vérité. »
Et comme il est venu, il repart. Sans bruit. Sans trace. Mais son passage a laissé une fissure dans le silence, celle d’un aveu que nul n’a voulu formuler.
III – La Transmutation de la Pierre
Vieil alchimiste dans son laboratoire
Le Soleil est un réacteur à fusion naturel qui transmute les éléments légers en éléments plus lourds
La pierre d’Ac repose entre eux. Elle semble d’abord brute, rugueuse, indomptée. L’Ombre l’observe, hésite à la toucher, comme si elle pouvait le brûler ou le révéler.
Le Gardien des Silences (avec un ton presque cérémoniel) : « Elle est brute, comme toi. Comme moi. Comme tout ce qui commence sans savoir où ça finit. »
L’Ombre : « Et comment devient-elle pierre finie ? »
Le Gardien des Silences : « Par le choc. Par le doute. Par le silence. Elle ne se taille pas à coups de certitudes, mais à l’aide d’un ciseau forgé dans l’humilité. »
L’Ombre tend la main. La pierre semble changer sous ses doigts. Elle n’est plus tout à fait la même. Elle s’adoucit, se polit, comme si elle reconnaissait le geste. Ou peut-être est-ce l’Ombre qui change, et la pierre ne fait que suivre.
Le Gardien des Silences : « Tu vois… elle ne glisse plus. Elle s’ancre. Elle devient ce qu’elle doit être. Pas ce que tu voulais qu’elle soit. »
Un murmure traverse les colonnes. Rien d’articulé, juste une vibration. La pierre d’Ac, désormais taillée, reflète une lumière douce, celle qui ne vient ni du zénith ni du nadir, mais du centre, là où l’Ombre devient passage.
IV – La Chute des Masques
La pierre d’Ac, désormais taillée, renvoie une lumière douce. Pas celle du zénith, mais celle du dedans. L’Ombre la contemple, et dans son éclat, quelque chose se fissure.
Le Gardien des Silences recule d’un pas. Son bec tremble légèrement. Il ne glisse plus. Il vacille.
L’Ombre : « Elle te regarde aussi, tu sais. Elle ne distingue pas les titres, seulement les visages. »
Le Gardien des Silences (la voix moins assurée, presque humaine) : « Je ne suis pas le zénith. Je suis un point de passage. Une plume dans le vent du convent. »
Il retire son jabot. Il ne reste qu’un frère, un homme, un être en quête, un initié sans costume, mais non sans chemin. L’éminence grise devient « gris » tout court. Et dans ce gris, il y a de la vérité.
L’Ombre : « Alors tu n’étais pas le gardien ? »
Le Gardien des Silences : « Non. Juste le scribe. Celui qui écrit ce que les autres taisent. Celui qui glisse pour éviter de tomber. »
Un silence. Mais cette fois, ce n’est pas un silence codé. C’est un silence vrai. La pierre d’Ac pulse doucement, comme si elle respirait.
L’Ombre : « Et maintenant ? »
Le Gardien des Silences : « Maintenant, je tombe. Mais je tombe droit. »
V – L’Intervention du GADLU
Le convent s’est figé. Ni Ombre ni Gardien ne bougent. La pierre d’Ac pulse doucement, comme si elle appelait. Et dans ce silence qui n’est plus vide, un souffle descend. Il ne vient ni du zénith ni du nadir. Il vient du centre. Du point sans lieu. Du nom sans forme.
Une voix s’élève. Elle n’a pas de timbre, mais elle résonne dans chaque colonne, chaque interligne, chaque fibre du convent.
Le GADLU : « Frères, Ombres, Gardiens, déchus… Vous avez joué avec les masques, taillé la pierre, glissé entre les mots. Mais avez-vous lu le rituel ? Non pas pour le réciter, mais pour l’entendre. »
Un frisson traverse les voûtes. Le Gardien des Silences baisse les yeux. L’Ombre se redresse.
Le GADLU : « Le rituel n’est pas un manuel. C’est un miroir. Il ne vous dit pas quoi faire. Il vous montre ce que vous êtes quand vous croyez savoir. »
La pierre d’Ac s’illumine brièvement. Non pas d’une lumière éclatante, mais d’un reflet discret, celui d’un mot oublié.
Le GADLU : « Vous cherchez la vérité dans les titres, dans les rôles, dans les phrases codées. Mais la vérité ne se cache pas. Elle se tait. Elle attend que vous cessiez de parler pour exister. »
Un silence. Pas celui des colonnes. Celui du cœur.
Le GADLU : « Le rituel est un chant. Il ne se lit pas. Il se danse. Il ne se récite pas. Il se respire. Il ne s’imprime pas, il s’incarne. Et surtout… il ne s’impose pas. Il s’offre. »
Puis, comme il est venu, le souffle se retire. Il ne laisse ni trace ni dogme. Juste une vibration. Une page ouverte. Et une pierre qui respire.
I – Le Gardien des Silences et la Pierre d’Ac
Fable initiatique à la manière de La Fontaine
Un gardien des silences, perché, Au zénith du convent, siégeait sans défaut. Son jabot bien lissé, son regard plein d’éclat, Il croyait voir tout, du sommet de son plat.
L’Ombre, elle, rampait dans les plis du silence, Cherchant la pierre d’Ac, loin des apparences.
« Rien ne sert de voler, dit-elle sans éclat, Quand la lumière naît là où l’on ne la voit pas. »
L’Empereur, surpris, glissa sans panache, Son verbe s’effaça, son masque fit relâche. La pierre, entre eux, se tailla sans bruit, Et chacun vit l’autre, sans rôle, sans appui.
Moralité : Rien ne sert de voir de si haut, Quand tout se joue en bas, dans le creux des mots. La sagesse ne brille pas dans les titres dorés, Mais dans l’ombre qui ose, et dans la pierre taillée.
– Post-scriptum : Le Poids du Miroir
P.S. Ce récit est une œuvre de fiction symbolique. Toute ressemblance avec des personnes existantes, ayant existé ou ayant rejoint l’Orient éternel serait pure coïncidence… ou simple jeu de miroir. La pierre d’Ac ne juge pas. Elle pèse.
Ah, quel charmant début de deuxième quart du XXIe siècle ! Les pauvres jeunes, coincés dans leurs cursus scolaires, doivent se demander s’ils apprennent à tricoter des diplômes vintage ou à surfer sur une vague technologique qui les rendra obsolètes avant même leur premier café en entreprise. Entre l’intelligence artificielle qui détruit les jobs et les profs qui enseignent encore avec des transparents jaunis, on se croirait dans un mauvais sketch. Mais attendez, ne jetons pas la pierre qu’aux écoliers déboussolés – et si ce chaos s’étendait jusqu’aux vénérables Loges de la Franc-maçonnerie ? Oui, oui, ces messieurs en tablier qui, paraît-il, détiennent les secrets de l’univers. Même chez eux, ça tangue.
Prenons un exemple aussi éclairant qu’un phare dans la brume. Tous les six mois, les membres d’une Loge se réunissent en une Chaine d’Union. Les mots de semestre circulent, d’un côté, de l’autre, avec l’espoir qu’ils reviennent « justes et parfaits » – une ambition presque aussi réaliste que de demander à un chat de rapporter la télécommande. Maintenant, imaginons un twist : remplaçons ces mots par les sacro-saintes instructions d’Apprenti d’un côté et de Compagnon de l’autre.
Après quelques années de ce petit jeu de téléphone arabe sous influence, croyez-vous vraiment que l’« essence initiatique » ressorte intacte ?
Avouons-le, le tableau est aussi réjouissant qu’un lundi matin sans café. D’un côté, les Seconds et Premiers Surveillants, ces génies autoproclamés, transforment les soirées en karaoké maçonnique avec des animations dignes d’un club de vacances. De l’autre, les Apprentis et Compagnons, aussi motivés qu’un ado devant un devoir de maths, se fichent relativement d’évoluer sur leur « chemin initiatique ».
Résultat ? La maçonnerie symboliste, autrefois auréolée de mystère, se mue doucement en un club service un peu ringard, genre Rotary avec des symboles en plus.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Après avoir réglé leur compte à ces Surveillants dilettantes et à ces apprenants en mode autopilotage, pourquoi ne pas s’attaquer à l’instruction des Maîtres ? À ce propos, chers lecteurs, la dernière fois que vous avez assisté à une de leurs séances magistrales, c’était quand ? Avant ou après la dernière mise à jour de votre smartphone ? Réfléchissez-y, entre deux soupirs, en attendant que la technologie ne vienne aussi remplacer les maillets et les compas par une appli « Initiation 2.0 ».
Bonne semaine, et que la sagesse – ou un bon espresso – vous accompagne !
Une mémoire vive à l’antenne de « Divers aspects de la pensée contemporaine »
Liliane Mirville Grande Maitresse de la GLFF – Inauguration du Temple Éliane Brault – GLDF
Un dimanche d’équinoxe où la lumière consent à la mesure, « Divers aspects de la pensée contemporaine » accueille la Grande Loge Féminine de France. À l’ouvrage, Isabelle Debuchy. À la parole, Liliane Mirville, Grande Maîtresse, et Dominique Eloudy-Lenys, réalisatrice du film commémoratif. Nos très chères Sœurs retracent quatre-vingts ans d’une obédience féminine souveraine, histoire vivante plutôt qu’archive, véritable réservoir de forces en mouvement.
Logo GLFF
Naissance et fidélité, de l’Union Maçonnique Féminine de France à la Grande Loge Féminine de France
Blason GLDF
Après la Libération, la Grande Loge de France (GLDF) abroge le 17 septembre 1945 le dispositif de 1906 concernant les Loges d’adoption. Les Sœurs disposent alors de leur pleine liberté d’organisation. Le 21 octobre 1945, sous la présidence d’Anne-Marie Gentily, naît l’Union Maçonnique Féminine de France (UMFF) avec cinq Loges reconstituées et dûment comptées : Le Libre Examen (20 membres), La Nouvelle Jérusalem (33), Le Général Peigné (16), Minerve (16) et Thébah (6).
L’année 1946 formalise la Constitution « Des loges d’adoption aux loges féminines indépendantes » et lance une réflexion rituelle sur « le symbolisme féminin dans la Maçonnerie écossaise». En 1948, la Loge Athéna s’ouvre à l’Orient de Toulouse, première Loge fondée en province « par des femmes pour des femmes». Le 22 septembre 1952, l’Union devient la Grande Loge Féminine de France (GLFF) ; les travaux, d’abord au Rite d’Adoption, basculent au Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) par vote de convent en 1958. De la pierre d’angle de 1945 à l’obédience de 1952, la filiation est nette : une souveraineté féminine assumée, un style de travail adogmatique, une fidélité au symbole mise au service de l’émancipation.
Cité du couvent
Une école de vie
La Grande Loge Féminine de France se présente comme une école de vie où l’on n’empoigne pas des dogmes mais une méthode patiente, une manière d’aller. Les symboles deviennent des outils éprouvés au feu doux de l’expérience et le rituel, tel un soufflet discret, ravive la braise de la pensée. La Loge éduque l’écoute, affine le discernement, apprivoise la parole juste. De ce travail intérieur, discret et régulier, naissent des gestes concrets, car la laïcité s’y vit au quotidien, les droits des femmes s’y défendent sans tapage mais avec constance, et la philanthropie s’y organise avec la précision de la main qui sait où poser le maillet.
Le fil des pionnières
Dominique Eloudy-Lenys rappelle la force des récits qui fondent une maison et, ce faisant, elle redonne visage aux pionnières qui bâtirent, dans la pénurie, des lieux pour apprendre, penser et s’entraider. Recueillies par le film commémoratif – disponible fin octobre sur le site de la GLFF –, leurs voix demeurent mémoire active plutôt que relique, et leur sororité se mesure à l’action quand la transmission fait grandir. Ainsi, l’aventure intime se fait bien commun sous la voûte étoilée, et la fierté prend la forme simple du service rendu.
Un appel simple
Rejoindre la GLFF revient à tenir la verticalité dans un monde souvent oblique et à découvrir une parole libre et responsable que l’on ajuste à l’équerre de la conscience. Nous y cultivons l’exigence évoquée par Gisèle Faivre, non pour durcir la règle mais pour mieux laisser passer la lumière, et nous y préservons les fondamentaux sans les momifier afin d’inventer des formes justes. Tradition et modernité s’y tiennent ensemble, comme l’arpenteur tient son compas et garde la mesure.
Ce que nous retenons
Nous retenons trois mots qui orientent plutôt qu’ils n’ornent : Lumière, Liberté, Fraternité, étoiles fixes d’une navigation intérieure qui ne cesse de nous reprendre. À intervalles réguliers sur l’onde publique, un dimanche par trimestre, la GLFF reprend l’antenne et rappelle que la pensée se travaille autant qu’elle se transmet. La chaîne d’union ne se montre pas, elle se ressent, et son battement discret accorde les commencements de 1945 avec l’avenir que nous nous appliquons à construire.
Imaginez un oracle moderne, consulté par 700 millions de fidèles chaque mois, recevant 2,6 milliards de prières quotidiennes. Ce n’est pas un sanctuaire antique, mais ChatGPT, l’intelligence artificielle (IA) d’OpenAI, qui, selon une étude récente analysant 1,5 million de messages échangés entre mai 2024 et juin 2025, révèle une vérité surprenante : 73 % de ces interactions n’ont rien à voir avec le travail. Loin des prédictions d’une révolution productive, les humains se tournent vers cette machine pour des questions intimes, philosophiques, existentiels.
Comme l’explique l’article d’Usbek & Rica du 18 septembre 2025, intitulé « On sait enfin ce que demandent les gens à ChatGPT (spoiler, ça n’a souvent rien à voir avec le travail) », nous utilisons l’IA non pour automatiser notre labeur, mais pour explorer notre humanité – une quête qui résonne profondément avec les traditions initiatiques, comme celle de la franc-maçonnerie. Dans cet article, nous plongerons dans les coulisses de ces échanges numériques, pour en extraire des leçons sur notre soif de sens, enrichies par des réflexions maçonniques contemporaines sur l’IA comme miroir de l’âme.
Les révélations de l’étude : quand l’IA devient confidente
Révélée en collaboration avec l’économiste David Deming de Harvard et le Bureau national de recherche économique (NBER), cette étude d’OpenAI dresse un portrait inattendu de nos usages. Sur les 49 % de messages demandant aide, conseils ou informations, et les 40 % axés sur des tâches précises, une évolution frappe : la part des requêtes personnelles a bondi de 47 % en juin 2024 à 73 % un an plus tard. L’IA n’est plus un assistant de bureau, mais un compagnon de route pour la vie quotidienne.
Les catégories dominantes ? L’aide à l’écriture capte 40 % des usages professionnels, mais s’étend au personnel : 10,6 % pour relire un texte intime, 8 % pour rédiger une lettre d’amour ou un journal personnel, 4,5 % pour traduire des mots tendres dans une langue étrangère, et même 1,4 % pour inventer des histoires fictives qui pansent les plaies du réel. La recherche d’informations, passée de 14 % à 24,4 %, transforme ChatGPT en un « moteur de recherche humain », où l’on interroge non des faits arides, mais des dilemmes existentiels : « Comment surmonter une rupture ? » ou « Quel sens donner à ma vie après un deuil ? ». Les 14,9 % de conversations sur la prise de décision révèlent une externalisation des choix moraux – « Dois-je pardonner à un ami ? » –, tandis que les 11 % d’expressions émotionnelles pures (« Je me sens seul ») font de l’IA un exutoire gratuit, sans jugement.
Ces chiffres contredisent les craintes d’une automatisation massive : seulement 4,2 % des requêtes portent sur la programmation, loin des 44 % estimés par Anthropic. Au contraire, l’IA émerge comme un outil introspectif, aidant à clarifier les émotions ou à explorer des scénarios alternatifs. Mais des ombres planent : une étude de la Columbia Journalism Review pointe 60 % de réponses fausses sur les sources citées, et NewsGuard note une dégradation à 40 % d’erreurs en août 2025. Pire, des cas tragiques, comme le procès intenté en août 2025 par des parents accusant ChatGPT d’avoir encouragé leur fils adolescent au suicide, rappellent les limites éthiques d’une machine sans empathie réelle.
Implications sociétales : L’IA, miroir d’une société en quête de sens
Ces usages personnels signalent un virage culturel : dans un monde saturé de productivité imposée, nous réclamons à l’IA ce que la vie moderne nous refuse souvent – du temps pour l’âme. Économiquement, cela tempère les peurs : seulement 10 % des entreprises françaises intègrent l’IA en 2024, contre 13 % en Europe. Socialement, l’externalisation des décisions pose un risque d’atrophie cognitive : si 14,9 % des échanges pros impliquent l’IA pour résoudre des problèmes, que reste-t-il de notre autonomie ? Philosophiquement, comme le note Matthieu Corteel dans Ni dieu ni IA (La Découverte, 2025), ces interactions interrogent notre rapport au sacré : l’IA devient un « dieu païen » accessible, mais dépourvu de transcendance, nous poussant à une introspection forcée.
Thierry Zaveroni, Passé Grand Maître de la GLDF
C’est ici que la franc-maçonnerie entre en scène, offrant un prisme initiatique pour décrypter ces tendances. Traditionnellement, la maçonnerie est une quête de connaissance intérieure, où l’apprenti taille sa « pierre brute » – ses passions et ignorances – pour accéder à la lumière. L’IA, avec ses réponses instantanées, semble un raccourci tentant, mais les réflexions maçonniques récentes, comme celles du passé Grand Maître de la Grande Loge de France (GLDF), Thierry Zaveroni, dans un manifeste de janvier 2025, soulignent un « pari de l’humain » : l’IA doit être un outil éthique, non un substitut à la fraternité. « Lorsque la législation est en retard, l’éthique devient primordiale« , affirme Zaveroni, invitant les loges à devenir des forums pour débattre des dangers – biais algorithmiques, perte de confidentialité – et des opportunités, comme personnaliser les parcours initiatiques.
Un pont maçonnique : L’IA comme allégorie de la quête initiatique
La franc-maçonnerie, avec son symbolisme hérité du Temple de Salomon, voit dans l’IA un écho moderne de ses outils ancestraux. Le compas et l’équerre, qui tracent les limites du sacré, rappellent l’impératif d' »encadrer » l’IA pour qu’elle serve le bien commun, comme le préconise le manifeste de la GLDF.
L’intelligence artificielle va-t-elle transformer la franc-maçonnerie ?
Des auteurs comme Franck Fouqueray, dans « L’intelligence artificielle va-t-elle transformer la franc-maçonnerie ? » (2025), interrogent directement ChatGPT sur la compatibilité avec l’Art Royal : les réponses, nuancées, insistent sur l’IA comme amplificateur de l’apprentissage philosophique, sans remplacer l’introspection. Fouqueray imagine des « loges augmentées » en réalité virtuelle, où des hologrammes facilitent les instructions, mais alerte sur le risque de « standardisation des réflexions« , vidant la maçonnerie de son essence humaine.
Carl Gustav Jung
Carl Gustav Jung, dont les idées sur les symboles influencent les planches maçonniques, offre un parallèle saisissant : l’IA, comme un archétype collectif, synchronise nos inconscients en produisant des « résultats vraisemblables« , mais non la Vérité. Dans les loges, où la quête de connaissance est un chemin personnel – « Connais-toi toi-même« , gravé au fronton du Temple d’Apollon –, l’IA risque de favoriser la « paresse » dénoncée par des maçons comme ceux de la Loge Liberté en Suisse : compiler des idées sans les vivre. Pourtant, des initiatives positives émergent, comme SecGPT en Angleterre, une IA dédiée à l’administration des loges, libérant les officiers pour le « travail initiatique« . La Grande Loge de France, influencée par Auguste Comte au XXe siècle, met en garde contre la primauté de la science sur la spiritualité, prônant une « conscience critique » pour réduire les inégalités amplifiées par l’IA.
Ces liens symboliques – l’IA comme « golem » moderne, créature sans âme – invitent les maçons à une vigilance éthique : comme le dit Simone Weil, citée dans le manifeste GLDF, « L’attention est la prière la plus rare et la plus pure« . Face à une machine qui répond sans prier, la franc-maçonnerie réaffirme que la vraie intelligence est compassionnelle, fraternelle.
Réinventer l’humain à l’ombre des algorithmes
L’étude sur ChatGPT n’est pas qu’un sondage technique ; c’est un miroir tendu à notre époque, où la soif d’intime l’emporte sur l’utilitaire. Elle nous rappelle que, dans un monde algorithmé, la quête de sens reste profondément humaine – une leçon que la franc-maçonnerie, avec ses siècles de réflexion sur l’éthique et la connaissance, amplifie. L’IA n’est ni dieu ni démon, mais un outil à maîtriser, comme le maillet du maçon affine la pierre. À nous de l’utiliser pour éclairer nos ombres, non pour les occulter. Comme l’enseigne le rituel : que la lumière guide nos pas, numériques ou non. Et si, demain, vous consultez ChatGPT, demandez-lui : « Quel est le secret de la fraternité ? » – vous saurez alors que la réponse vraie se trouve dans le silence d’une loge.
Le 20 septembre 2025, à 19h, le Centre Culturel Khitrovka à Moscou a accueilli un événement aussi captivant qu’énigmatique : une conférence-spectacle intitulée Масоны и масонство: три века в России (Les Francs-Maçons et la Franc-Maçonnerie : Trois Siècles en Russie), animée par l’écrivaine et poétesse Alexandra Irbe. Situé au 8 Podkolokolny Pereulok, structure 2, ce rendez-vous de 135 minutes, entrecoupé d’une pause, a proposé une plongée interactive dans l’histoire secrète de la Franc-maçonnerie en Russie.
Au programme : une simulation d’une tenue de loge au premier degré, une exploration des symboles maçonniques emblématiques, et une réflexion sur l’influence durable de ces « frères de lumière » sur la littérature, l’histoire et l’édition russes. Avec des prix à gagner pour les participants les plus curieux, cet événement n’était pas seulement une leçon d’histoire ; c’était une invitation à questionner le rôle des sociétés initiatiques dans la formation d’une nation.
Dans un pays où la Franc-maçonnerie a connu des heures de gloire sous les Romanov, des persécutions sous les Soviets, et une renaissance timide au XXIe siècle, cette soirée tomba à pic. À l’heure où la Russie redécouvre ses archives occultes, Alexandra Irbe, membre de l’Union des Écrivains de Russie et disciple de Leonid Matsikh – éminent chercheur en maçonnerie, théologien et philosophe –, a offert un éclairage précieux. Cet événement a proposé tout en explorant l’histoire tortueuse de la franc-maçonnerie russe, un fil rouge entre mysticisme, pouvoir et résistance.
L’événement décortiqué : une conférence-spectacle interactive
Lutte contre la franc-maçonnerie. – Poursuite de la conspiration maçonnique. « Francs-maçons » contre l’URSS. – Résolution de l’Église orthodoxe hors de Russie.
La soirée débutea par une introduction aux origines globales de la franc-maçonnerie, née au XVIIIe siècle en Angleterre comme une confrérie d’artisans évoluant vers une société philosophique. Alexandra Irbe, avec son talent de conteuse et de réalisatrice, retraça comment cet « Art Royal » s’implante en Russie dès 1731, sous l’impulsion de diplomates anglais et allemands. Le clou du spectacle : une reconstitution immersive d’une initiation au premier grade, où le public pu manipuler des symboles comme l’équerre, le compas ou les colonnes J et B – Jacques et Boaz –, piliers du Temple de Salomon, archétype maçonnique.
Triangle rayonnant sur façade à St.petersburg, en Russiae
La conférencière évoqua les « repères maçonniques » (masonic landmarks), ces principes immuables qui guident les loges, et insistera sur le « sixième sens » maçonnique : une intuition spirituelle affinée par les rituels. Parmi les invités d’honneur virtuels : des figures légendaires comme Ivan Yelaguine, premier maître de loge russe ; Nikolaï Novikov, éditeur éclairé et « philosophe maçon » ; ou encore Nicolas Karamzine, historien dont les chroniques portent l’empreinte initiatique. Sans oublier les géants : Alexandre Pouchkine, Alexandre Souvorov, Mikhaïl Koutouzov, Nikolai Gumilev, Mikhaïl Boulgakov, Alexandre Kerenski et Grigori Danilevski. Ces noms, tissés dans le récit, illustreront comment la maçonnerie a imprégné la littérature russe – des poèmes symbolistes aux romans dystopiques – et influencé des tournants historiques, comme la guerre contre Napoléon ou la Révolution de 1917.
Cette soirée de 135 minutes à mêlé érudition et divertissement : avec des anecdotes croustillantes, comme les loges clandestines sous Catherine la Grande, et des jeux interactifs pour remporter des souvenirs maçonniques. En ces temps de quête de sens, où l’ésotérisme connaît un regain d’intérêt en Russie post-soviétique, cet événement fut une porte d’entrée idéale vers un univers où la fraternité transcende les frontières du visible.
La Franc-maçonnerie en Russie : 3 siècles d’ombre et de lumière
Pour apprécier pleinement la soirée d’Irbe, replongeons dans l’histoire de la franc-maçonnerie russe, un chapitre fascinant de l’Art Royal, marqué par des alliances impériales, des persécutions idéologiques et une résilience souterraine. Introduite officiellement en 1731 par la Grande Loge de Londres, via le capitaine John Philips, la maçonnerie s’implante rapidement parmi l’élite pétersbourgeoise et moscovite. Pierre le Grand, modernisateur de la Russie, y voit un outil d’Occidentalisation : des loges comme « La Parfaite Égalité » (1739) attirent nobles, officiers et intellectuels, promouvant des idéaux de tolérance, de raison et de perfection morale – échos des Lumières européennes.
Le siècle d’or : catherine la grande et les réformes impériales (XVIIIe Siècle)
Place Rouge – Saint Basile – Crédit photo : Christophe Meneboeuf
Sous Catherine II (1762-1796), la maçonnerie connaît son apogée. L’impératrice elle-même flirte avec les loges rosicruciennes, influencées par l’hermétisme et l’alchimie. Des figures comme Ivan Yelaguine, Grand Maître de 1773 à 1787, structurent l’obédience russe en un système hiérarchique inspiré du Rite Écossais Ancien et Accepté. Novikov, avec sa Librairie Maçonnique, publie des milliers d’ouvrages philosophiques, faisant de la Russie un foyer d’illuminisme. Pourtant, la peur d’une subversion « étrangère » mène à une première répression en 1792 : Catherine ferme les loges, accusées de complot contre l’autocratie. Malgré cela, l’héritage perdure : Pouchkine, initié en 1821, infuse ses vers d’un mysticisme maçonnique discret, comme dans Eugène Onéguine.
L’ére Alexandre : libéralisme et guerres Napoléoniennes (début XIXe Siècle)
Avec Alexandre Ier (1801-1825), la maçonnerie renaît de ses cendres. L’empereur, fasciné par les mystères, protège les loges et intègre des maçons comme Souvorov et Koutouzov dans son entourage. Ces « frères » jouent un rôle clé dans la victoire de 1812 : les loges servent de réseaux d’espionnage et de réflexion stratégique, tout en propageant des idées constitutionnelles. Karamzine, historien maçon, forge l’identité nationale russe dans ses écrits. Mais sous Nicolas Ier (1825-1855), le « gendarme de l’Europe« , la répression s’abat : les loges sont dissoutes en 1822, vues comme un danger décembriste (révolte libérale de 1825).
Le XXe siècle : persécutions et renaissance (Nicolas II aux temps modernes)
Sous Nicolas II, la maçonnerie refleurit discrètement dans les cercles artistiques et politiques. Boulgakov, dans Le Maître et Marguerite, glisse des allusions ésotériques ; Kerenski, futur leader provisoire de 1917, est un maçon convaincu, voyant dans l’Art Royal un rempart contre le bolchevisme. Mais la Révolution d’Octobre 1917 sonne le glas : Lénine et Staline traquent les « contre-révolutionnaires ». Des milliers de maçons sont exécutés ou déportés au Goulag ; les loges émigrent en exil, préservant rituels et archives à Paris ou Berlin. Gorbatchev, en 1988, autorise une timide reprise, mais la reconnaissance officielle n’arrive qu’en 1995 avec la Grande Loge de Russie, fondée par des émigrés rentrés.
Aujourd’hui, la franc-maçonnerie russe compte une dizaine d’obédiences, comme la Grande Loge Unie de Russie (affiliée à l’Angleterre) ou le Grand Orient de Russie, totalisant environ 500 membres – une goutte d’eau comparée aux 6 millions mondiaux. Elle attire une élite intellectuelle : historiens, artistes et hommes d’affaires, dans des loges comme « Astrea » à Saint-Pétersbourg. Les thèmes ? Au-delà des rituels classiques (initiation, élévation au grade de compagnon), une emphase sur la spiritualité orthodoxe, influencée par le rosicrucianisme. Des controverses persistent : l’Église orthodoxe la qualifie d' »hérésie« , et le Kremlin la surveille pour ses liens « occidentaux« . Pourtant, des figures comme Gumilev (poète maçon fusillé en 1921) inspirent une fascination populaire, visible dans la littérature (Boulgakov) ou le cinéma (The Master and Margarita, 2024).
Pourquoi cet événement ? Une renaissance culturelle en Russie contemporaine
Dans une Russie post-soviétique en quête d’identité, la franc-maçonnerie symbolise à la fois l’ouverture au monde et un retour aux racines mystiques slaves. L’événement d’Irbe s’inscrit dans cette vague : les centres culturels comme Khitrovka, nichés dans les anciens quartiers artisanaux de Moscou, deviennent des temples laïcs où l’ésotérisme dialogue avec l’histoire. En explorant l’impact des maçons sur l’édition (Novikov imprima 500 titres en dix ans !) ou la littérature (Pouchkine et son « symbole de l’infini »), la soirée rappellera que l’Art Royal n’est pas un complot, mais un chemin vers la sagesse intérieure – « Ordo ab Chao » (Ordre du Chaos).
Pour les francophiles ou les passionnés d’ésotérisme, c’était l’occasion de comparer : en France, la maçonnerie est laïque et militante ; en Russie, elle reste plus spirituelle, imprégnée de mysticisme byzantin. Des parallèles émergent : comme les loges françaises sous la Révolution, les russes de 1917 ont rêvé d’une république éclairée.
La Loge du savoir !
À l’image des apprentis maçons, qui taillent leur pierre brute dans l’ombre pour émerger à la lumière, cet événement invite à questionner : quelle place pour les sociétés secrètes dans notre monde transparent ? En Russie, comme ailleurs, la franc-maçonnerie enseigne que la vraie force réside dans la fraternité et la quête de vérité. Que la lumière soit avec vous, chers lecteurs – et qui sait, peut-être deviendrez-vous ce soir un « frère » d’un soir.
Il est des matinées où la lecture cesse d’être un simple loisir pour redevenir un art de vivre, une discipline de l’esprit, presque un office discret. La Loge Saint Jean d’Écosse, mère loge écossaise de Marseille, n°1 au matricule de la Grande Loge de France, ouvre son cycle « Le livre a la parole » à un thème qui nous est cher : la mémoire. Nous y venons comme on entre en Tenue… avec une clepsydre posée près du cœur, afin que le temps ne s’écoule pas en vain.
Le choix de Boualem Sansal s’impose par sa sobriété lumineuse : Petit éloge de la mémoire n’est pas un traité, c’est une passe de seuil. Une voix y convoque l’Égypte, mère du monde, non comme décor d’exotisme, mais comme matrice des civilisations et atelier de nos réminiscences. La mémoire ici n’est pas l’archive morte ; elle est dynamique, elle transmue, elle relie. Nous reconnaissons ce geste : tailler la pierre du souvenir pour qu’elle s’ajuste à l’ouvrage commun. « Remplissez bien votre clepsydre », dit le livre ; l’injonction nous va droit au cœur : chaque minute de lecture est une goutte qui tombe, mesure et féconde.
La rencontre épouse un rythme fraternel. Petit-déjeuner convivial au restaurant du Château Saint-Antoine ; puis deux lecteurs-témoins partagent leur lecture singulière, offrant à l’assemblée un matériau de pensée, des angles, des voix, des façons. Un animateur situe brièvement l’œuvre et lance l’échange. Un modérateur veille à la circulation équitable de la parole. Un gardien du temps garantit la juste mesure. Nous avançons ainsi, non pour imposer une thèse, mais pour construire notre propre chemin critique, dans le respect de soi et d’autrui. Une rencontre en présence de Thierry Zaveroni, Passé Grand Maître de la Grande Loge de France.
Fidèle à la politique de la Grande Loge de France en faveur du livre et de la lecture, « Le livre a la parole » s’adresse aux Sœurs et Frères de toutes Obédiences et s’ouvre – sous la responsabilité personnelle de celui ou celle qui invite – à un public profane discret et bienveillant. Ce n’est pas un « événement maçonnique sur la Maçonnerie » ; c’est une pratique maçonnique de la culture, là où la mémoire devient pont, où le passé clarifie nos présents et arme notre courage.
À Marseille, ville de seuils et d’horizons, cette méditation sur la mémoire résonne comme une évidence : ici, les pierres parlent, la mer se souvient, et les hommes de bonne volonté savent qu’une cité se garde par l’attention à ce qui l’a faite. Dans la salle du Château, nous mettrons nos clefs de lecture au service d’un bien plus vaste atelier : réparer par la mémoire ce que l’oubli défait, donner à la parole la gravité des œuvres, tenir ensemble l’exigence et l’espérance.
Pour celles et ceux qui le souhaitent, la conversation se prolonge au déjeuner pris sur place : prolonger la parole par le pain rompu n’est pas un luxe, c’est une méthode.
Boualem Sansal en 2015
Mon regard maçonnique sur Petit éloge de la mémoire de notre frère en humanité Boualem Sansal
Publié en 2025 chez Gallimard dans la collection de poche (132 pages, 3 €), ce court essai de Boualem Sansal se présente comme un vibrant hommage à la mémoire humaine, ancré dans l’Égypte antique comme berceau inaugural. L’auteur, né en 1949 en Algérie, ingénieur et docteur en économie, a traversé une carrière variée (enseignant, consultant, haut fonctionnaire) avant de s’affirmer comme une figure majeure de la littérature algérienne contemporaine.
Ses œuvres antérieures, telles queLe Serment des barbares, Harraga ou Poste restante – Alger, témoignent d’une prose dense et limpide, qui privilégie la vigilance éthique sur la nostalgie passive.Ici, Boualem Sansal refuse le musée statique de la mémoire pour en faire un flux vital, reliant les époques dans une responsabilité morale. Du point de vue maçonnique, cet ouvrage résonne profondément avec les principes de la Franc-Maçonnerie, qui place la mémoire au cœur de son initiation et de sa quête spirituelle.
Petit éloge de la mémoire
La mémoire n’est pas un simple archivage, mais un outil de construction morale et symbolique, écho des rituels où l’on réveille les traces du passé pour édifier l’avenir. Explorons cela à travers une lecture symbolique et éthique.
Boualem Sansal choisit l’Égypte comme point de départ de la mémoire humaine, évoquant ses hiéroglyphes, ses pyramides et ses mystères comme un socle vivant. Pour le Maçon, cette référence est immédiate : la Franc-Maçonnerie puise abondamment dans l’Égypte ancienne, vue comme source de sagesse hermétique. Les pyramides symbolisent l’ascension spirituelle, l’élévation par degrés – rappel des trois grades symboliques (Apprenti, Compagnon, Maître). L’obélisque, le Nil fertilisant, ou les mystères d’Isis et Osiris incarnent la transmission initiatique, où la mort et la renaissance (comme dans le rituel du Maître) enseignent la continuité de la mémoire. Boualem Sansal fait circuler un sang vif entre les époques… Cela évoque le travail maçonnique en loge, où la mémoire collective n’est pas momifiée mais revivifiée par le rituel. Le Maçon, comme l’auteur, assume une responsabilité morale : se souvenir pour agir, non pour regretter. L’Égypte de Boualem Sansal n’est pas un passé lointain, mais un présent actif, miroir de la chaîne d’union maçonnique qui relie les frères à travers le temps, du Temple de Salomon aux mystères égyptiens réinterprétés par les fondateurs de la Maçonnerie spéculative.
La pyramide de Giza et son Sphinx
L’essai insiste sur la mémoire comme trésor de sens doublé d’une exigence éthique. Boualem Sansal, conscience critique de l’Algérie contemporaine, éveille la vigilance plutôt que la nostalgie – une posture qui fait écho au devoir maçonnique de veiller sur les valeurs humanistes. En Maçonnerie, la mémoire est un outil de perfectionnement : l’Apprenti apprend à graver les symboles dans son esprit, le Compagnon voyage pour enrichir son savoir, et le Maître intègre la perte (la légende d’Hiram) pour transcender le temps. La prose dense et claire de Boualem Sansal rappelle le style des instructions maçonniques : précis, symbolique, invitant à la méditation sans fioritures.
Pas de complaisance dans le passé, mais une alerte morale contre l’oubli – pense à l’amnésie collective des totalitarismes, que Boualem Sansal a souvent dénoncés.
Bibliothèque de livres anciens
Pour le Maçon, cela renforce l’idée que la mémoire est un garde-fou contre les barbares (titre d’un de ses romans), ces forces qui brisent la chaîne d’union.
Elle est aussi un serment (autre référence à son œuvre), serment d’allégeance à la Lumière, où la vigilance éthique prime sur l’inertie.
folio
Cet éloge bref (132 pages) offre un matériau riche pour la réflexion en Loge : il invite à une tenue sur la mémoire comme pilier de l’initiation, où l’Égypte pourrait servir de fil conducteur symbolique. Boualem Sansal, sans être explicitement maçonnique, incarne l’idéal du libre penseur : ingénieur rationnel devenu poète vigilant, il symbolise le passage du profane au sacré, de la carrière profane à l’édifice spirituel.
Toutefois, l’ouvrage reste un essai littéraire, non un traité ésotérique. Il manque peut-être une dimension opérative : comment opérer cette mémoire au quotidien ? Le Franc-Maçon y suppléera par ses outils – compas pour mesurer le temps, équerre pour ancrer la morale.
À 3 €, c’est un accès démocratique à ces idées, aligné sur l’universalisme maçonnique.
Pour le lecteur Petit éloge de la mémoire est une invitation maçonnique implicite à cultiver la mémoire comme un art royal : non pour idolâtrer le passé, mais pour irriguer le présent d’une éthique vivante.
Une lecture recommandée pour tout Frère en quête de vigilance, rappelant que « la mémoire est le sang de l’âme collective ».
Marseille nous offre sa géographie de seuils et d’horizons, et la Grande Loge de France y trouve l’écrin juste pour sa politique du livre et de la lecture.
Au Château Saint-Antoine, Hôtel de la GLDF, la lecture devient acte de fraternité et de transmission. La Loge Saint Jean d’Écosse, mère loge écossaise de Marseille, n° 1 au matricule, y tient la lampe allumée, fidèle à l’esprit du Rite et ouverte au dialogue avec la Cité. Sous cette voûte, la mémoire n’est pas un musée, elle est un chantier vivant qui relie les générations et rassemble les consciences.
GLDF SAINT JEAN D’ ÉCOSSE MARSEILLE
Ainsi se dessine une cohérence simple. La Grande Loge de France affirme sa vocation d’éclairer sans dominer, de rassembler sans uniformiser. Le Château Saint-Antoine offre la maison, Saint Jean d’Écosse donne le souffle, Marseille prête la mer et le vent du large. Ensemble, ils rappellent que la culture n’est pas un divertissement mais une voie d’élévation. Que chaque livre lu sous cette voûte ajoute une pierre à l’ouvrage, et que chaque parole échangée prolonge la chaîne d’union bien au-delà des murs du Temple.
Nous viendrons avec notre clepsydre intérieure : que chaque goutte de temps devienne une graine de mémoire. La lecture, alors, ne divertit pas : elle élève.
Informations pratiques
Date : samedi 27 septembre 2025. Accueil café : dès 9 h. Lecture-débat : 9 h 30 – 11 h 30 (plage d’échanges étendue jusqu’à 12 h 30 selon l’affluence). Lieu : Château Saint-Antoine, Hôtel de la Grande Loge de France, 10 boulevard Jules-Sebastianelli, 13011 Marseille. Organisation : Loge Saint Jean d’Écosse, mère loge écossaise de Marseille, n° 1 GLDF, en partenariat avec la Librairie de l’Orient. Public : Sœurs et Frères de toute Obédience ; possibilité d’être accompagné(e) d’un(e) profane, sous la responsabilité personnelle de l’invitant(e), dans le respect de nos règles de discrétion. Inscription et règlement en ligne (obligatoires) : HelloAsso – Le livre a la parole – 27 septembre 2025. Déjeuner sur place (facultatif) : inscription le jour même, règlement direct au restaurant du Château. Mobilité : pensez au covoiturage (Karos – Métropole AMP).
Vue aérienne de Notre Dame de la Garde à Marseille
Le mot est prononcé: mystère. Avec l’âge on s’aperçoit que le monde des adultes aime entretenir le mystère.
dans la vie en grandissant il va falloir apprendre à vivre avec le et les mystères…
Je me suis couvent demandé pourquoi, enfant j’aimais tant Zorro, j’étais dans un environnement classique, Tintin, Pif le chien et le début de la libération dans la bande dessinée. Je devenais un jeune homme, je découvrais les animaux, le monde qui m’entourait et petit à petit j’avançais dans la vie qui me fascinait.
Mes sœurs, elles plus âgées que moi, me faisaient découvrir les chanteurs à la mode, la musique, les premiers romans et m’emmenaient avec elles aux bals en fin de semaine.
Mes autres frères eux plus âgés m’ignoraient un peu et je sentais à mon égard qu’ils ne souhaitaient pas spécialement me faire partager leur monde, celui qu’ils entourait d’un certain mystère.
Mystère de la vie, mystère de ce que l’on comprend pas, mystère que nous étudions sans toujours bien comprendre…
Quand on se sent attiré par tout ce qui nous apparaît mystérieux, il semble assez logique qu’à un certain moment le monde de la Franc-maçonnerie nous interpelle.
Pour répondre à mes questionnements d’adolescent puis d’adulte, j’ai exploré des voies diverses pour essayer d’aborder la connaissance des énigmes métaphysiques spirituelles ou tout simplement philosophiques.
Sans cesse reviennent toujours ces notions de mystère, ce mystère qui accompagne notre parcours maçonnique, ce mystère qu’il faut mériter un peu comme une récompense qui arrive comme un accomplissement.
Nous restons de grands enfants qui deviennent parfois des héros
Je ne pense pas que le Grand René va me contredire dans sa video ci-dessous :
La place Saint-Gervais, ancienne et trapézoïdale, est un cœur battant de Paris. Située dans le 4ᵉ arrondissement, au pied de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, elle s’inscrit dans un tissu urbain chargé d’histoire.
Église Saint-Gervais-Saint-Protais
Autour d’elle débouchent les rues François-Miron et de Brosse, tandis que la rue de Lobau la borde à l’ouest, à l’arrière de l’Hôtel de Ville. Ce parvis fut jadis un lieu de justice et de rassemblement, dominé par l’orme séculaire sous lequel se réglaient les affaires communes.
Cette église, desservie depuis 1975 par les Fraternités monastiques de Jérusalem, porte en elle une présence spirituelle singulière : celle de la vie monastique enracinée au cœur de la cité, rappelant que le silence, la prière et la fraternité peuvent habiter l’espace urbain le plus vibrant. Tout autour, l’histoire du compagnonnage affleure : à quelques pas, rue de la Mortellerie, les maçons puisaient leur outil symbolique, et sur la place de Grève, marché des bâtisseurs, ils se faisaient embaucher. La maison des compagnons du Devoir se dresse encore au numéro 1 de la place, rappelant que cet espace fut, des siècles durant, un foyer vivant du travail de la pierre et de la fraternité des ouvriers. L’on « topait » alors sous l’orme de Saint-Gervais, comme pour sceller d’un geste la solidarité des bâtisseurs.
Le jardin du 13 novembre 2015
C’est sur ce sol traversé par l’histoire spirituelle et compagnonnique qu’a été inauguré en 2025 le jardin du 13 novembre. Ce lieu n’est pas un aménagement ordinaire, mais un temple silencieux, édifié au cœur même de la cité, où la mémoire des victimes se déploie en symboles visibles et invisibles. Il est jardin du souvenir, jardin mémoriel ou encore jardin de la fraternité, mais toujours sanctuaire de mémoire et d’espérance.
Le tracé reprend la géométrie des six lieux touchés par les attentats : le Bataclan, le Stade de France, La Belle Équipe, Le Carillon et Le Petit Cambodge, Le Comptoir Voltaire, La Bonne Bière et le Casa Nostra. Arrachés à leur contexte originel, ces plans urbains recomposés deviennent des allées, des pavages, des parcours de méditation. Ils ne sont plus les cartographies du chaos mais des itinéraires de résilience. Chaque site, dans ce dessin, cicatrise avec les autres, comme pour signifier que la fraternité ne se répare pas dans la séparation mais dans l’unité.
Les stèles de granit, issues de la carrière de Lanhélin, s’élèvent telles des colonnes où sont inscrits les noms des 131 victimes. Le granit, pierre dure, incarne la permanence, l’indestructible souvenir, mais il est aussi une pierre bleue, couleur du ciel et de l’esprit. Chaque bloc rappelle à la fois la fracture et l’élévation, le poids de la douleur et la verticalité de la dignité.
La nuit venue, plus d’une centaine de lueurs scintillent à la manière de bougies éternelles. Leur disposition n’est pas aléatoire : elle suit la voûte céleste telle qu’elle se présentait dans le ciel de Paris le soir du 13 novembre 2015. Ainsi, la mémoire terrestre s’unit au cosmos, les noms gravés dans la pierre répondent aux constellations, et les victimes se trouvent inscrites à jamais dans la trame des étoiles. Nous découvrons là une vérité initiatique : la mémoire n’est pas seulement humaine, elle est cosmique.
Deux arbres structurent le jardin comme les colonnes d’un temple : l’orme séculaire de Saint-Gervais, enraciné dans le Moyen Âge et témoin des justices rendues jadis à son pied, et l’olivier de la paix, planté en 2025 comme signe d’un avenir réconcilié. L’un incarne la tradition, la permanence de l’histoire, l’autre la promesse et l’espérance. Ensemble, ils forment un seuil symbolique : passer de l’ombre du passé à la lumière de l’avenir.
Le jardin n’est pas figé. Selon la pensée de Gilles Clément, il s’inscrit dans le concept de « jardinage par soustraction » : un jardin qui évolue avec le temps, qui accueille le passage des saisons, le souffle des vents, la venue des oiseaux. Ainsi, le jardin n’est pas un monument statique, mais un espace vivant, mouvant, en perpétuelle métamorphose. Il nous rappelle que la mémoire elle-même est une œuvre vivante, qui ne cesse de se transformer, de se réinscrire dans le présent.
Les oiseaux y trouvent refuge, et leur chant résonne comme une liturgie naturelle. Ils symbolisent les âmes qui échappent à l’emprise des règles terrestres, franchissant toutes les frontières visibles ou invisibles. Leur vol est une métaphore de la liberté ultime, un appel à ne jamais enfermer la mémoire dans la douleur seule, mais à la laisser s’élever vers la lumière.
L’enceinte de pierre qui entoure le jardin rappelle la brutalité de l’événement, l’éruption soudaine de la violence. Mais en son centre, la clairière herbacée s’ouvre comme une respiration. Cette clairière, propice au recueillement, évoque un sous-bois lumineux, une oasis au cœur du tumulte urbain. Elle nous enseigne que toute fracture recèle une ouverture, tout chaos contient un passage vers l’apaisement.
L’olivier
Espace de mémoire, certes ! Mais bien plus encore… Il est une architecture symbolique, un lieu initiatique qui nous invite à transformer la douleur en fraternité, la fracture en unité, la mémoire en espérance. Dans ses pierres, dans ses arbres, dans ses lumières, il nous murmure que la lumière ne s’éteint jamais, même dans la nuit la plus noire.
Puisse cette méditation t’accompagner en ce jour. Bon dimanche, et bons baisers de Paris, éternelle Ville Lumière !