Imaginez un voyage initiatique qui commence dans l’ombre d’une loge française mystérieuse pour se transformer en une épopée tumultueuse au Maroc, où des intrigues, des alliances et des trahisons redessinent la carte de la franc-maçonnerie. À l’aube des années 2010, Nadia Doghmi pose le pied sur le sol marocain, peut-être déjà marquée par une initiation en France dont les traces restent insaisissables.
Ce qui suit est une histoire complexe, accessible à tous, racontant son parcours controversé, les luttes internes qu’elle a suscitées et les bouleversements qu’elle a provoqués dans le paysage maçonnique marocain. Préparez-vous à plonger dans une aventure humaine et institutionnelle aussi fascinante que déroutante.
Un début flou : l’initiation introuvable

Vers le début des années 2010, Nadia Doghmi arrive au Maroc, son passé maçonnique enveloppé de mystère. On suppose qu’elle a été initiée en France, mais aucune preuve concrète ne relie son nom à une loge mère identifiable. Ce vide documentaire sème le doute dès son arrivée lorsqu’elle tente de s’affilier à la Respectable Loge Nejma, rattachée au Droit Humain International à Rabat. Le diplôme qu’elle présente suscite des interrogations : certains membres le jugent douteux, voire invalide, remettant en cause la légitimité de son initiation. Malgré l’absence d’archives confirmant son parcours, l’appui du Vénérable Maître de l’époque et d’une amie proche, elle aussi maçonne, permet à Nadia d’être reconnue comme membre. Ce début chaotique pose les bases d’une carrière marquée par des tensions.
Une ascension rapide et des nuages à l’horizon

Une fois intégrée, Nadia bénéficie du soutien de cette amie, surnommée sa « Sœur » dans le jargon maçonnique. Grâce à cette alliée, elle gravit les échelons avec une vitesse inhabituelle : elle obtient une augmentation de salaire symbolique, puis son exaltation à un grade supérieur en un temps record. Cependant, son comportement – jugé parfois autoritaire ou provocateur – et ses propos suscitent des frictions. Ces différends la conduisent à plusieurs reprises devant le Conseil des Maîtres, l’instance disciplinaire de la loge, où elle frôle l’exclusion. Refusant de plier, elle élabore un plan audacieux avec sa Sœur : fonder une nouvelle obédience qu’elles dirigeraient ensemble. Mais le projet révèle des failles. L’irrégularité de l’idée, combinée à l’ambition démesurée de Nadia qui cherche à dominer seule, pousse son amie à se retirer. Cette rupture marque la fin de leur alliance, et l’amie reste fidèle au Droit Humain International.
La naissance d’une obédience controversée

En 2018, Nadia concrétise son rêve avec la formation de la Grande Loge Mixte du Maroc (GLMM), naissance qui s’inscrit dans un contexte de rivalités maçonniques. En effet, fin 2016, le Grand Orient Mixte du Maroc (qui deviendra plus tard Grand Orient Maroc-Méditerranée) émerge, issu d‘une scission conflictuelle avec la Grande Loge du Maroc (GLM) notamment en raison du choix du seul Coran comme Livre de la Loi Sacrée et de la gestion autoritaire de la Grande Loge du Maroc. Pour contrer cette concurrence, la Grande Loge du Maroc encourage en 2018 la création de la GLMM, lui offrant l’accès à ses temples via un traité d’amitié. Au départ, la GLMM adopte le Rite Français pour attirer les membres du Grand Orient Mixte, mais son manque de maîtrise de ce rite et son absence de vision humaniste la conduisent à basculer vers le Rite Écossais Ancien et Accepté.

Cette stratégie inclut des tactiques agressives : la GLMM cible deux loges du Droit Humain International, à Rabat (Nejma) et Mohammedia. La loge de Mohammedia est vidée de ses membres et ne s’en remet pas, tandis que Nejma survit grâce au soutien temporaire du Grand Orient Maroc-Méditerranée. Finalement, Nejma s’installe dans le temple de la Grande Loge du Maroc à Rabat (loge Ibn Rochd) après un nouveau rapprochement entre le Droit Humain International et la Grande Loge du Maroc.
Des pratiques éthiques remises en question

La GLMM, sous l’impulsion de Nadia, adopte des méthodes critiquées. Elle pratique un « siphonnage » systématique, démarchant les membres d’autres obédiences mixtes et féminines avec des promesses alléchantes : des promotions rapides au grade de Maître pour les Apprentis et Compagnons, ou le recrutement de Maîtres déjà formés pour gonfler ses effectifs. Elle intègre même des membres radiés par d’autres loges, brisant les codes de la fraternité maçonnique. Plus troublant encore, Nadia, en tant que « Grande Maîtresse », facilite l’accès aux grades en fournissant des planches – des textes préparés pour les rituels – copiées sur internet, selon des témoignages locaux. Cette approche, mélange de pragmatisme et de contournement des traditions, choque les obédiences marocaines, qui y voient une dérive.
Une scission spectaculaire et des titres fantaisistes
En 2019, l’ambition de Nadia atteint son apogée avec une rupture avec la Grande Loge du Maroc. Elle négocie une « triple patente » avec Joseph Castelli, un Frère décédé depuis, coutumier des transmissions de grades éclairs, lui conférant en quelques minutes le 33e degré du Rite Écossais, le 97e degré du Rite de Memphis-Misraïm et le 5e Ordre de Sagesse du Rite Français.
Cette promotion, dépourvue de légitimité reconnue, lui permet de créer un Suprême Conseil et de distribuer à son tour des 33e degrés à des membres fraîchement initiés.
Face à cette mascarade générale, la Grande Loge Mixte Nationale suspend son traité d’amitié (voir courrier ci-dessous) et interdit à la GLMM l’accès à ses temples. La Grande Loge Mixte de France avec son grand Maître Félix Natali, suit le mouvement et rompt le traité avec la Grande Loge Mixte du Maroc lors de son Convent de juin 2025.


Des alliances mouvantes et une crédibilité en jeu
Nadia se tourne alors vers la Grande Loge Unie du Maroc (GLUM), qui lui ouvre ses temples pour contrer la Grande Loge du Maroc. Mais cette alliance tourne court. En 2023, la loge Les Compagnons de l’Atlas à Marrakech (GLUM) exclut la loge Nafass de la GLMM – devenue quasi virtuelle après la démission de sa Vénérable Maître et de sa fille – pour manque de discrétion et comportements jugés immoraux. Une proposition de confédération maçonnique entre la GLUM et la GLMM, évoquée lors d’un convent en janvier 2023, échoue, révélant un manque de réelle volonté d’ouverture.

Le mystère du traité avec le Grand Orient de France : une logique insaisissable
C’est en 2025 que l’histoire prend une tournure encore plus énigmatique. Nadia Doghmi, malgré les critiques unanimes des obédiences marocaines et la dénonciation récente du traité entre la Grande Loge Mixte de France, soumet une demande de traité d’amitié au Grand Orient de France (GODF). Cette démarche, soutenue par des Frères et Sœurs franco-marocains influents au sein du Conseil de l’Ordre, soulève des questions troublantes.
Pourquoi le GODF, conscient des irrégularités de la Grande Loge Mixte du Maroc – diplôme douteux, pratiques éthiques contestées, rejet par la majorité des maçons marocains sauf quelques expatriés déconnectés du terrain – envisagerait-il une telle alliance ?
Cette décision interpelle d’autant plus, que le GODF, obédience prestigieuse prônant la régularité et l’éthique maçonnique, a historiquement renoncé ou suspendu des traités avec des structures qu’il jugeait controversées. Un article publié sur 450.fm en novembre 2023, intitulé « Quelqu’un peut-il expliquer la logique des traités d’amitié du GODF ? », avait déjà mis en lumière l’opacité de certaines alliances douteuses du GODF, suggérant que des motivations politiques, économiques ou personnelles pourraient primer sur les principes maçonniques. (Voir en fin d’article l’état précis des traités du GODF)
Dans le cas de Nadia Doghmi, plusieurs hypothèses émergent. Certains y voient une tentative de renforcer l’influence française au Maroc via une obédience docile, d’autres soupçonnent des pressions de lobbies franco-marocains cherchant à élargir leur réseau. Une troisième piste évoque une erreur stratégique, le GODF sous-estimant l’ampleur des dérives de la GLMM. Cette question reste sans réponse !

Cette signature potentielle pourrait aussi refléter une logique interne au GODF, où des factions divergentes s’affrontent sur la direction à prendre. Avec près de 50 000 membres et 1399 Loges, le GODF n’est pas à l’abri de luttes de pouvoir et un traité avec la Grande Loge Mixte du Maroc pourrait être une concession à des membres influents soutenant Nadia Doghmi. Pourtant, cette hypothèse soulève une contradiction : pourquoi s’allier à une structure que la Grande Loge Mixte de France, partenaire et allié très fidèle au GODF a elle-même rejetée ? Les rencontres mensuelles entre Grands Maîtres, où cette demande a été évoquée, pourraient révéler des tractations secrètes, mais aucune transparence n’a été offerte à ce jour.
Pour les maçons marocains, cette décision est un affront à leur souveraineté maçonnique, déjà fragilisée par les rivalités locales. Elle risque aussi de ternir la réputation du GODF, accusé par certains de sacrifier ses valeurs pour des gains à court terme. Les profanes, quant à eux, pourraient y voir un exemple de plus des intrigues qui entourent la franc-maçonnerie, renforçant les stéréotypes de complots et d’opportunisme.

Un avenir incertain pour la franc-maçonnerie marocaine
Aujourd’hui, la trajectoire de Nadia Doghmi et de la Grande Loge Mixte du Maroc soulève des questions. Son diplôme douteux, ses pratiques contestées et son isolement progressif la rendent peu représentative de la maçonnerie marocaine. Les obédiences locales, malgré leurs rivalités, s’accordent sur la nécessité de préserver l’éthique et la régularité maçonnique. Pour les profanes, cette saga illustre les défis d’une institution tiraillée entre tradition et ambition personnelle. L’avenir dira si la GLMM survivra ou si elle s’effacera, laissant derrière elle un legs controversé dans l’histoire maçonnique du Maroc.
Il reste toutefois à comprendre ce que le GODF est venu faire dans cette galère… l’avenir nous le dira sous peu.
État des traités du GODF en 2024



