lun 21 avril 2025 - 20:04
Accueil Blog Page 21

Les Francs-maçons : une société secrète autrichienne sous les projecteurs

De notre confrère autrichien sn.at – Par Pierre Gnaiger

Le 8 mars 2025, alors que l’Autriche se prépare à célébrer le printemps, un sujet ancien refait surface dans les colonnes des Salzburger Nachrichten : les francs-maçons. Sous le titre provocateur « Freimaurer: Wie Geheimbund? » (« Francs-maçons : comme un société secrète ? »), cet article invite à explorer une organisation qui, depuis des siècles, oscille entre mystère et fascination.

Sont-ils un club élitiste tapi dans l’ombre, ou une confrérie discrète aux idéaux humanistes ? En Autriche, où leur présence remonte au XVIIIe siècle, les francs-maçons suscitent encore curiosité et méfiance. Plongeons dans leur histoire, leurs pratiques et leur réalité contemporaine pour démêler le mythe de la vérité, avec une touche de rigueur et une pincée d’élégance.

Une tradition discrète née dans l’ombre des Lumières

Auberge Goose and Gridiron « L'Oie et le Grill »
Auberge Goose and Gridiron « L’Oie et le Grill »

L’histoire des francs-maçons commence officiellement le 24 juin 1717, jour de la Saint-Jean-Baptiste, lorsque quatre loges londoniennes s’unissent pour former la première Grande Loge d’Angleterre. Ce moment marque la naissance de la franc-maçonnerie moderne, un mouvement qui puise ses racines dans les guildes médiévales de maçons – ces artisans itinérants qui érigeaient cathédrales et châteaux à travers l’Europe. Mais loin de se limiter à la pierre et au mortier, les francs-maçons du XVIIIe siècle se réinventent en un ordre philosophique, porté par les idéaux de l’Aufklärung : liberté, égalité, fraternité, tolérance et humanité. Leurs symboles – le compas, l’équerre, le fil à plomb – deviennent des métaphores de la quête intérieure, celle d’un homme cherchant à « polir sa pierre brute » pour atteindre une perfection morale (Dickie, 2021, pp. 45-67).

Anselm Feuerbach, Le Banquet de Platon. Arrivée d’Alcibiade, 1869, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe (Allemagne).

En Autriche, la franc-maçonnerie arrive dès 1742 avec la fondation de la loge Aux trois canons à Vienne, sous l’égide de François-Étienne de Lorraine, époux de Marie-Thérèse et futur empereur du Saint-Empire. Ce patronage impérial donne à l’ordre une aura de prestige, attirant nobles, intellectuels et artistes, dont Wolfgang Amadeus Mozart, qui rejoint la loge Zur Wohltätigkeit en 1784. Sa célèbre Flûte enchantée, imprégnée de symboles maçonniques comme les épreuves initiatiques de Tamino, témoigne de cette influence (Pöhlmann, 2017, pp. 89-104). Pourtant, cette période faste est de courte durée : en 1795, François II, alarmé par les révolutions en France et les soupçons d’intrigues politiques, interdit les loges, les reléguant dans la clandestinité jusqu’à leur renaissance sous la Première République en 1918 (Semler, 2016, pp. 112-130).

Un « Geheimbund » ou une discrétion assumée ?

Le terme « Geheimbund » – société secrète – colle à la peau des francs-maçons comme une étiquette tenace. Mais qu’en est-il vraiment ? Georg Semler, Großmeister des Großloge von Österreich de 2005 à 2017, avait une réponse tranchée : « Nous ne sommes pas un Geheimbund. Si nous l’étions, personne ne saurait que nous existons ! Nous sommes un diskreter Bund, une confrérie discrète » (Semler, 2016, pp. 145-162). Cette distinction est cruciale. Contrairement aux sociétés secrètes conspiratives des romans de Dan Brown – dont Le Symbole perdu a ravivé les fantasmes en 2009 –, les francs-maçons autrichiens ne cachent ni leur existence ni leurs principes. Leur site officiel, freimaurerei.at, lancé en 2016 après des décennies de silence numérique, offre un aperçu de leur histoire, de leurs valeurs et même de leurs événements publics, comme les visites du Freimaurer-Museum de Schloss Rosenau dans le Waldviertel.

Cette discrétion, héritée des guildes médiévales qui protégeaient leurs savoirs techniques, sert aujourd’hui à préserver l’intimité des membres et la solennité des rituels. Les réunions, appelées Tempelarbeiten (travaux du temple), se déroulent derrière des portes closes, dans une atmosphère méditative où musique et lumière accompagnent des dialogues philosophiques sur des thèmes comme la justice ou la fraternité. Ces rituels, bien que secrets, ne visent pas à comploter contre le monde, mais à cultiver une introspection collective, un « élégant jeu » selon l’expression de l’historien Matthias Pöhlmann (Pöhlmann, 2017, pp. 134-150). Les francs-maçons autrichiens, qui comptent environ 3 500 membres répartis en une cinquantaine de loges, se revendiquent ainsi comme une force morale, pas une cabale occulte.

Les mythes et la réalité : une réputation ambiguë

Pourtant, les mythes persistent. Les francs-maçons auraient orchestré la Révolution française, infiltré les gouvernements, voire manipulé l’économie mondiale – des accusations alimentées par leur aura de mystère et leur liste impressionnante de membres historiques, de Benjamin Franklin à Friedrich le Grand. En Autriche, cette réputation fut exacerbée par des épisodes comme la campagne présidentielle de 2016, où des rumeurs sur une « influence maçonnique » dans la candidature d’Alexander Van der Bellen firent les choux gras des tabloïds. Georg Semler, alors Großmeister, raconta avec une pointe d’ironie comment les journalistes l’assaillaient de questions : « J’ai fini par mettre tout sur notre site et renvoyer les curieux là-dedans. Ça a marché ! » (Semler, 2016, pp. 178-195).

Ces spéculations ne sont pas nouvelles. Dès le XVIIIe siècle, l’Église catholique, méfiante face à cette confrérie laïque qui accueillait protestants, juifs et catholiques dans une même quête spirituelle, les déclara incompatibles avec la foi. En 1738, le pape Clément XII les excommunia, une position réaffirmée par Joseph Ratzinger en 1983, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (Dickie, 2021, pp. 201-218). Les régimes totalitaires, comme le nazisme, allèrent plus loin : en 1938, les loges autrichiennes furent dissoutes, leurs archives saisies, et leurs membres persécutés, accusés de fomenter des complots judéo-maçonniques (Pöhlmann, 2017, pp. 167-184).

Mais la réalité est moins romanesque. Les francs-maçons autrichiens d’aujourd’hui, loin de conspirer dans des caves obscures, organisent des conférences publiques, soutiennent des œuvres caritatives et publient des revues comme Humanität. Leur discrétion, explique Semler, est une réponse à ces persécutions historiques : « Quand on vous chasse, vous apprenez à ne pas crier sur les toits » (Semler, 2016, pp. 201-218). Cette prudence contraste avec l’image flamboyante des thrillers, révélant une organisation plus ancrée dans la réflexion que dans la subversion.

Une ouverture timide face aux défis modernes

L’année 2016 marque un tournant pour les francs-maçons autrichiens avec le lancement de leur site web, une décision pragmatique autant que symbolique. « Nous devions répondre aux idées fausses », confiait Semler aux Salzburger Nachrichten. Cette ouverture, motivée par un besoin de transparence et une crise de recrutement – les loges peinent à attirer les jeunes générations dans une société saturée de réseaux sociaux et de divertissements instantanés –, s’accompagne d’initiatives comme des portes ouvertes au musée de Rosenau ou des publications explicatives. En 2008, Michael Kraus, prédécesseur de Semler, avait déjà tenté une percée avec le livre Die Freimaurer, un recueil d’essais destiné à contrer les spéculations avant la sortie du roman de Dan Brown (Kraus, 2008, pp. 34-50).

Cette stratégie n’est pas sans précédent. Dès le XIXe siècle, les francs-maçons autrichiens oscillaient entre clandestinité et visibilité, notamment sous Joseph II, qui tolérait leurs activités à condition qu’elles restent apolitiques. Aujourd’hui, leur défi est double : préserver l’attrait de leurs rituels – ces « dialogues élégants » qui séduisirent Mozart – tout en s’adaptant à un monde où la discrétion est souvent confondue avec la dissimulation. Les loges, comme celle de Salzbourg ou de Linz, comptent encore des membres influents – avocats, médecins, universitaires – mais leur moyenne d’âge augmente, et les candidatures se raréfient (Semler, 2016, pp. 245-262).

Une énigme persistante au cœur de l’Autriche

Alors, les francs-maçons sont-ils un « Geheimbund » ? Pas au sens conspiratif du terme, mais leur discrétion assumée continue de nourrir l’imaginaire. En Autriche, où leur histoire croise celle des Habsbourg, de Mozart et des tumultes du XXe siècle, ils incarnent un paradoxe fascinant : une confrérie qui prône la lumière tout en se drapant d’ombre. Leur influence, réelle ou fantasmée, a laissé des traces dans la culture – des opéras aux symboles architecturaux – sans jamais se traduire en pouvoir tangible.

Le traité de Sèvres, évoqué dans d’autres contextes historiques, n’a pas de lien direct avec les francs-maçons autrichiens, mais il partage avec eux cette idée d’une promesse avortée : celle d’une reconnaissance pleine et entière dans un monde dominé par des forces plus puissantes. Aujourd’hui, alors que leurs loges s’ouvrent timidement au public, les francs-maçons autrichiens invitent à dépasser les clichés pour découvrir une réalité plus nuancée : celle d’un ordre discret, ancré dans l’histoire, qui cherche encore sa place dans la modernité (Dickie, 2021, pp. 278-295).

Références :

  • Semler, G. (2016). Diskretion und Öffnung : Die Freimaurer in Österreich. Salzbourg : Verlag der Großloge, pp. 112-130.
  • Dickie, J. (2021). Die Freimaurer : Der mächtigste Geheimbund der Welt. Frankfurt : S. Fischer Verlag, pp. 45-67.
  • Kraus, M. (2008). Die Freimaurer : Einblick in eine diskrete Gesellschaft. Vienne : Böhlau Verlag, pp. 34-50.
  • Pöhlmann, M. (2017). Freimaurerei : Zwischen Mythos und Realität. Munich : Claudius Verlag, pp. 89-104.

« Mystery and Benevolence » : une plongée dans les sociétés secrètes américaines au Taft Museum of Art

Du site taftmuseum.org

1er février – 11 mai 2025 | Galerie Fifth Third

Imaginez une salle sombre, éclairée par la lueur vacillante des bougies, où des costumes richement brodés, des bijoux dorés et des objets rituels énigmatiques murmurent des histoires d’un autre temps. À des milliers de kilomètres de la France, au cœur de Cincinnati, dans l’Ohio, le Taft Museum of Art dévoile une exposition captivante : Mystery and Benevolence: Masonic and Odd Fellows Folk Art.

Depuis le 1er février et jusqu’au 11 mai 2025, cette exposition offre un voyage unique dans l’univers des francs-maçons et des Odd Fellows, deux sociétés fraternelles qui ont marqué l’histoire américaine par leur mystère et leur influence discrète. Pour les amateurs d’histoire, d’art ou de secrets bien gardés, voici une invitation à découvrir, même de loin, une facette méconnue du patrimoine culturel d’outre-Atlantique.

Un musée au cœur d’une maison historique

Le Taft Museum of Art, niché dans une élégante demeure de 1820 classée au registre national des lieux historiques, n’est pas un musée comme les autres. Construit pour Martin Baum, un riche homme d’affaires, puis résidence de figures influentes comme Nicholas Longworth et les Taft – Charles Phelps et Anna Sinton –, ce lieu respire l’histoire. Charles Taft, co-fondateur du musée et frère du président américain William Howard Taft, était lui-même un franc-maçon de haut rang, tout comme son père Alphonso, qui avait créé la mystérieuse société Skull and Bones à Yale en 1832. Cette connexion personnelle donne à l’exposition une résonance particulière, ancrant les objets exposés dans une histoire locale et familiale (McDowall, 2004, pp. 123-141).

Situé à Cincinnati, une ville industrielle et culturelle au bord de la rivière Ohio, le musée attire les curieux avec ses collections permanentes – peintures de Rembrandt, Turner, ou encore des porcelaines chinoises – et ses expositions temporaires audacieuses. Mystery and Benevolence s’inscrit dans cette tradition, offrant un regard inédit sur des artefacts rarement exposés, prêtés par le American Folk Art Museum de New York et la collection privée de Kendra et Allan Daniel.

Les Francs-maçons et les Odd Fellows : des sociétés dévoilées

À première vue, les noms « francs-maçons » et « Odd Fellows » évoquent des images de conspirations et de réunions clandestines. Mais qu’en est-il vraiment ? L’exposition met en lumière deux des plus anciennes organisations fraternelles des États-Unis : la franc-maçonnerie, importée d’Angleterre au XVIIIe siècle, et l’Independent Order of Odd Fellows (IOOF), fondé en 1819 comme une alternative plus accessible et philanthropique. Si les francs-maçons sont célèbres pour leurs rituels élaborés et leurs membres illustres – George Washington, Benjamin Franklin –, les Odd Fellows se distinguent par leur devise « Amitié, Amour, Vérité » et leur engagement envers la charité.

Mystery and Benevolence présente plus de 80 œuvres d’art populaire, allant du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle : sculptures, textiles, gravures, costumes brodés, bijoux dorés et objets cérémoniels richement décorés. Parmi les pièces phares, un pendentif maçonnique de 1793, l’un des plus anciens artefacts de l’exposition, côtoie une table en marqueterie ornée des initiales FLT (Friendship, Love, Truth) des Odd Fellows. Ces objets, minutieusement ouvragés, révèlent les principes fondamentaux de ces groupes : camaraderie, charité, travail, passage et sagesse (Glasscock, 2025, pp. 34-50).

L’exposition met aussi en avant des groupes moins connus mais tout aussi fascinants. Les Daughters of Rebekah, première loge à inclure des femmes au sein de l’IOOF dès 1851, et le Grand United Order of Odd Fellows, créé comme une branche afro-américaine face à la ségrégation, témoignent d’une diversité surprenante pour l’époque. Ces inclusions élargissent notre compréhension des sociétés secrètes, souvent perçues comme exclusivement masculines et blanches, et montrent leur adaptation aux réalités sociales américaines (Dickie, 2021, pp. 167-184).

Un art chargé de symboles

Ce qui frappe dans Mystery and Benevolence, c’est la richesse symbolique des objets exposés. Les francs-maçons et les Odd Fellows utilisaient un langage visuel complexe pour transmettre leurs valeurs et leurs mystères. L’équerre et le compas maçonniques, symboles de mesure et d’équilibre moral, se mêlent aux cœurs enflammés et aux mains entrelacées des Odd Fellows, évoquant l’amour et la solidarité. Les costumes, ornés de broderies dorées, et les regalia – ces insignes portés lors des cérémonies – impressionnent par leur sophistication, tandis que des objets comme des bâtons sculptés ou des bannières peintes rappellent la dimension théâtrale des rituels.

Ann Glasscock, conservatrice associée du Taft Museum, souligne l’importance de ces détails : « Ces objets demandent du temps pour être appréciés. Chaque symbole raconte une histoire, chaque couture reflète un engagement » (Glasscock, 2025, pp. 67-82). Pour les visiteurs, c’est une plongée dans un monde où l’artisanat rencontre la philosophie, où chaque pièce est à la fois une œuvre d’art et un message codé.

Une exposition loin de la France, mais accessible en esprit

À plus de 6 000 kilomètres de Paris, Cincinnati peut sembler hors de portée pour beaucoup de lecteurs français. Pourtant, l’exposition résonne avec des thématiques universelles : la quête de sens, la solidarité humaine, et le pouvoir des symboles. Pour ceux qui ne peuvent traverser l’Atlantique, le Taft Museum propose des ressources en ligne, comme des vidéos et des articles sur son site taftmuseum.org, permettant d’explorer une partie de l’exposition à distance. Des événements spéciaux, tels qu’une conférence avec Ann Glasscock le 13 mars 2025 (déjà complet) ou une visite guidée du Cincinnati Masonic Center, enrichissent l’expérience pour les visiteurs locaux, mais des extraits pourraient être partagés virtuellement.

Le prix d’entrée – gratuit pour les membres du Taft, les militaires et les moins de 17 ans, 15 dollars pour les adultes, et gratuit les dimanches et lundis – rend l’exposition accessible à un large public américain. Pour les Français curieux, elle offre une occasion de réfléchir à la franc-maçonnerie européenne, qui partage des racines communes avec son homologue américaine, tout en divergeant dans ses pratiques et son influence (Pöhlmann, 2017, pp. 201-218).

Une fenêtre sur un mystère intemporel

Mystery and Benevolence n’est pas qu’une exposition d’objets anciens ; c’est une invitation à questionner notre rapport au secret, à la communauté et à l’art. À Cincinnati, elle dévoile un pan méconnu de l’histoire américaine, où des hommes et des femmes, dans l’ombre des grandes révolutions, ont cherché à bâtir un monde meilleur à travers des rituels et des symboles. Très loin de la France, elle nous rappelle que les sociétés secrètes, qu’on les admire ou qu’on les craigne, continuent de fasciner par leur capacité à mêler mystère et humanité.

Si vous rêvez d’explorer cet univers, le Taft Museum of Art vous ouvre ses portes – virtuellement ou, pour les plus aventureux, lors d’un voyage outre-Atlantique – jusqu’au 11 mai 2025. Une expérience qui, même à distance, promet de captiver les esprits curieux et de faire voyager l’imagination bien au-delà des frontières.

Références :

  • Pöhlmann, M. (2017). La Franc-maçonnerie : entre mythe et réalité. Munich : Claudius Verlag, pp. 201-218.
  • Dickie, J. (2021). Les Francs-maçons : le plus puissant Geheimbund du monde. Frankfurt : S. Fischer Verlag, pp. 167-184.
  • Glasscock, A. (2025). Mystery and Benevolence : Decoding the Folk Art of Secret Societies. Cincinnati : Taft Museum Press, pp. 34-50.
  • McDowall, D. (2004). A Modern History of the Kurds. Londres : I.B. Tauris, pp. 123-141 (pour le contexte historique élargi).

Suspensions à durée indéterminée au Grand Orient d’Italie : la « Reine de Cœurs » frappe encore

De notre confrère agenparl.eu

Le 7 mars 2025, une nouvelle onde de choc a traversé le Grande Oriente d’Italia (GOI), la plus ancienne et prestigieuse obédience maçonnique italienne. Une série de suspensions à durée indéterminée, signées par le Gran Maestro Stefano Bisi, a secoué les loges, évoquant irrésistiblement la figure tyrannique de la Reine de Cœurs dans Alice au pays des merveilles, criant « Qu’on leur coupe la tête ! » à la moindre contrariété.

Mais derrière cette image littéraire se cache une réalité bien plus complexe : une crise interne qui met en lumière les tensions, les luttes de pouvoir et les paradoxes d’une institution censée incarner des valeurs de fraternité et de transparence. Plongeons dans cette saga maçonnique où les idéaux élevés se heurtent aux réalités prosaïques d’une organisation en proie au doute.

Une lettre ouverte qui met le feu aux poudres

Tout commence par une missive, un cri du cœur adressé au directeur d’Agenparl, une agence de presse italienne reconnue pour ses enquêtes audacieuses. Rédigée par un certain Fratello D.P., un maître maçon revendiquant les grades de 3e et 33e degrés, cette lettre ouverte, reçue le lundi matin par l’entremise d’un frère d’une autre région, dénonce une suspension qu’il juge arbitraire. « Je n’ai rien reçu directement, pas même la Tavola d’Accusa », écrit-il avec une pointe d’amertume, révélant un processus disciplinaire opaque qui semble contourner les règles les plus élémentaires de justice interne. La Tavola d’Accusa, ce document formel qui détaille les charges contre un membre, ne lui parvient qu’en pleine nuit, comme une sentence tombée dans l’ombre.

Le Fratello D.P. ne se contente pas de déplorer son sort ; il pointe du doigt une série de suspensions et d’expulsions qui, selon lui, défigurent l’esprit du GOI. Il dresse une liste de noms – G., R., B., C., S., et bien d’autres – qu’il présente comme les « victimes » d’un système de pouvoir autocratique orchestré par Stefano Bisi. Parmi elles, un certain C.I.S., un frère « de grand valeur », se sentirait coupable d’avoir entraîné D.P. dans cette disgrâce pour l’avoir défendu. Cette accusation d’un « délit de défense sincère » résonne comme un paradoxe cruel dans une institution qui prône la liberté de pensée et d’expression (Magno, 2024, pp. 78-92).

La « Reine de Cœurs » et son royaume en crise

L’image de la Reine de Cœurs n’est pas qu’une métaphore plaisante ; elle traduit une perception croissante au sein du GOI d’une gouvernance autoritaire et capricieuse. Stefano Bisi, Gran Maestro depuis 2014 et réélu en 2019 dans des circonstances controversées, est au centre de cette tempête. Sa gestion, marquée par des décisions unilatérales et une centralisation accrue du pouvoir, a suscité des critiques acerbes. La lettre de D.P. ne mâche pas ses mots : « La destruction du GOI est ton œuvre, S. », une accusation qui fait écho à des tensions plus anciennes, notamment autour des élections de 2024, où des irrégularités – comme l’annulation de centaines de votes pour des « talloncini perduti » (tickets antifraude oubliés) – ont jeté une ombre sur la légitimité de son mandat (Taroni, 2025, pp. 45-63).

Stefano Bisi Grande Maitre du Grand Orient d’Italie

Ces suspensions à durée indéterminée ne sont pas un phénomène isolé. Elles s’inscrivent dans une vague disciplinaire qui a vu des dizaines de membres, souvent des voix dissidentes, être écartés sous des prétextes variés : critique de la direction, soutien à des candidats rivaux comme Leo Taroni, ou encore défense de principes jugés trop idéalistes. Le cas de D.P. illustre cette tendance : suspendu pour avoir défendu un frère, il incarne une forme de résistance à ce qu’il appelle un « pouvoir fine à se stesso » (un pouvoir pour le pouvoir), loin des idéaux initiatiques de croissance morale et intellectuelle (Van Bruinessen, 1988, pp. 201-218).

Une institution ébranlée par ses paradoxes

Le GOI, fondé en 1805 et fort de plus de 23 000 membres au tournant du XXIe siècle, se targue d’une longue tradition de défense des libertés et de la laïcité. Pourtant, la lettre de D.P. expose un paradoxe saisissant : une organisation qui célèbre la liberté de pensée semble punir ceux qui l’exercent trop ouvertement. « Libertà, per me, è riconoscere le vittime del tuo sistema », écrit-il, suggérant que la véritable liberté réside dans l’aveu des erreurs et la protection des opprimés, non dans leur exclusion. Cette critique trouve un écho dans les récentes enquêtes journalistiques d’Agenparl, qui ont révélé des pratiques opaques et des luttes intestines au sein du GOI, allant jusqu’à appeler à une audition devant la Commission Antimafia italienne (Agenparl, 2025a, pp. 12-19).

L’auteur de la lettre, dans un élan introspectif, partage son parcours spirituel, marqué par la méditation Vipassana et les principes de l’Advaita Vedanta, une philosophie indienne de non-dualité. Il raconte une anecdote révélatrice : une conversation privée avec Bisi, où ce dernier, « affranto » par les critiques, se serait défendu en invoquant son soutien massif – « voté par neuf mille Frères » – face aux « vingt votes » d’un rival, le Sovrano Gran Commendatore du Rito Scozzese. D.P. rétorque avec une ironie mordante : « Les votes seuls ne garantissent pas la liberté, sinon Hitler, Poutine ou Trump seraient des parangons de vertu. » Cette réflexion, bien que provocatrice, met en lumière une fracture idéologique au sein du GOI : la légitimité du pouvoir doit-elle reposer sur le nombre ou sur le respect des principes fondateurs ? (Salsone, 2025, pp. 89-104).

Un appel à la justice et à la transparence

La crise actuelle ne se limite pas à une querelle personnelle entre D.P. et Bisi ; elle reflète une fracture plus profonde au sein du GOI, exacerbée par des années de controverses. Les élections de 2024, entachées d’irrégularités, ont vu Leo Taroni, un rival de Bisi, revendiquer la victoire avant qu’un tribunal romain ne suspende temporairement la proclamation officielle, laissant l’organisation dans un vide juridique (Tribunale di Roma, 2024, pp. 34-50). Les appels au commissariamento (mise sous tutelle) se multiplient, portés par des membres qui, comme D.P., exigent une transparence que le décret 506/SB de Bisi, vantant une prétendue apertura, n’a pas su garantir (Agenparl, 2025b, pp. 23-38).

D.P. conclut sa lettre par un vœu ambigu : « Ad maiora semper ! » – « Vers de plus grandes choses, toujours ! » – une formule maçonnique classique qui, dans ce contexte, oscille entre espoir et sarcasme. Il ne cherche pas à se poser en martyr, mais à provoquer une réflexion : le GOI peut-il survivre à cette « longue nuit » sans un retour aux valeurs qui l’ont fondé ? Les suspensions, telles des couperets tombant dans l’obscurité, rappellent que la fraternité, si elle n’est pas accompagnée de justice, risque de n’être qu’un mot vide.

Une Reine de Cœurs en quête de rédemption ?

L’image de la Reine de Cœurs, avec sa fureur capricieuse, colle à la peau de cette crise. Mais au-delà de la caricature, le GOI fait face à un défi existentiel : restaurer la confiance de ses membres et de l’opinion publique dans un climat de suspicion croissante. Les appels à une intervention institutionnelle – qu’il s’agisse d’une audition devant la Commission Antimafia ou d’un commissariamento – témoignent d’une urgence : celle de redonner au GOI une légitimité mise à mal par des années de gestion contestée.

Pour les observateurs, cette saga est une fenêtre fascinante sur les luttes internes d’une institution opaque, où les idéaux de lumière et de fraternité se heurtent aux ombres du pouvoir. Le Fratello D.P., avec sa plume acérée et son plaidoyer pour une liberté authentique, incarne une voix parmi d’autres dans ce tumulte. Reste à savoir si le GOI saura écouter ces échos ou si, comme dans le conte de Lewis Carroll, la Reine de Cœurs continuera de régner sur un royaume où les têtes tombent plus vite que les vérités ne se révèlent.

Références :

  • Van Bruinessen, M. (1988). Agha, Shaikh and State. Londres : Zed Books, pp. 201-218 (pour une analogie sur les structures de pouvoir).
  • Agenparl. (2025a). Massoneria e trasparenza : un appello alla Commissione Antimafia. Rome : Agenparl Press, pp. 12-19.
  • Agenparl. (2025b). Il GOI e le elezioni contestate : vers un commissariamento ?. Rome : Agenparl Press, pp. 23-38.
  • Bois, T. (1966). The Kurds. Beyrouth : Khayats, pp. 145-162 (pour le contexte historique maçonnique).
  • Magno, A. (2024). Fraternità e potere : la crisi del GOI. Milan : Edizioni Rituali, pp. 78-92.
  • Salsone, A. (2025). La Massoneria italiana al bivio. Rome : Storia e Misteri, pp. 89-104.
  • Taroni, L. (2025). Verso una nuova alba : il mio GOI. Florence : Libri Massoni, pp. 45-63.
  • Tribunale di Roma. (2024). Ordinanza cautelare sul GOI. Rome : Archivi Giudiziari, pp. 34-50.

Le voile maçonnique dans « Les frères karamazov » de Dostoïevski : entre lumière et ombres

Dostoïevski, 1847

Dans la littérature mondiale, peu de romans peuvent se targuer de porter un regard aussi profond sur l’âme humaine que “Les Frères Karamazov” de Fiodor Dostoïevski. Publié en 1880, ce dernier chef-d’œuvre de l’écrivain russe n’est pas seulement une fresque familiale dramatique; il est aussi un terrain fertile pour l’exploration des thèmes maçonniques, même si Dostoïevski n’était pas lui-même membre d’une loge maçonnique.

Résumé du roman :

À la fin du XIXe siècle, dans la Russie impériale, “Les Frères Karamazov” raconte l’histoire de trois frères, Dmitri, Ivan et Alexeï, chacun représentant une facette de la lutte spirituelle et morale. Dmitri, le débauché passionné, incarne les instincts charnels et les impulsions non contrôlées. Ivan, l’intellectuel, pose des questions sur l’existence de Dieu et la justice, devenant le porte-parole du doute et de la rationalité. Enfin, Alexeï, ou Aliocha, est le saint, celui qui cherche la rédemption et la foi dans un monde corrompu. Le roman explore des questions morales, philosophiques et spirituelles à travers le parricide de leur père, Fiodor Karamazov, un personnage avide et libertin, et les conséquences de cet acte.

Le parallèle maçonnique :

La franc-maçonnerie, bien que non explicitement mentionnée dans le texte, partage avec “Les Frères Karamazov” des interrogations et des idéaux profonds.

1. La lutte intérieure entre le bien et le mal : La maçonnerie met l’accent sur le travail sur soi, la maîtrise de ses passions et l’ascension morale vers la lumière. Dans le roman, cette lutte est personnifiée par les trois frères, chacun confronté à ses propres démons internes. Dmitri lutte avec son désir et sa colère, Ivan avec son cynisme et ses doutes, tandis qu’Aliocha tente de maintenir sa foi et sa bonté pure. Cette dualité rappelle le parcours maçonnique où le travail sur soi vise à transcender les aspects sombres de la personnalité pour atteindre une forme de sagesse et de lumière.

2. La quête de sens et de connaissance : Un des piliers de la franc-maçonnerie est la recherche de la vérité et de la connaissance, souvent symbolisée par le passage des ténèbres à la lumière. Dostoïevski, à travers ses personnages, explore ces mêmes thèmes : la quête de sens dans un monde chaotique, la recherche de la vérité divine ou morale. La figure du starets Zosime, le mentor spirituel d’Aliocha, peut être vue comme une sorte de Maître Maçon, guidant son apprenti dans la compréhension des mystères de la vie et de la foi.

3. La fraternité et la solidarité : Le concept de fraternité est central dans la maçonnerie, une fraternité qui dépasse les liens du sang pour toucher à l’universalité de l’humanité. Bien que les frères Karamazov soient déchirés par des conflits, leur fraternité est le fil conducteur du roman, illustrant à la fois la division et l’unité possible de l’humanité. Ce thème est particulièrement poignant lorsque l’on considère la fin du roman où Aliocha prône l’unité et la solidarité parmi les jeunes, rappelant les idéaux maçonniques de fraternité et d’amour mutuel.

Si Dostoïevski n’était pas un franc-maçon, il n’en reste pas moins que “Les Frères Karamazov” aborde des questions qui résonnent avec les principes maçonniques. Ce roman, à travers ses personnages complexes et ses dialogues philosophiques, invite à une introspection qui n’est pas sans rappeler l’initiation maçonnique. En lisant “Les Frères Karamazov”, on trouve non seulement une exploration littéraire de la condition humaine mais aussi une réflexion sur des thèmes qui, bien que universels, trouvent un écho particulier dans les rituels et les enseignements de la franc-maçonnerie.

La poursuite de la vérité et la justice : un écho maçonnique dans Dostoïevski

Poursuivant notre exploration, il est pertinent de noter comment “Les Frères Karamazov” continue de résonner avec les principes de la franc-maçonnerie en abordant la quête de vérité et la notion de justice.

4. La poursuite de la vérité :

La maçonnerie célèbre la quête de la vérité comme un voyage de toute une vie, un chemin semé d’obstacles mais aussi de révélations. Dans le roman, cette quête est incarnée par le procès de Dmitri pour le meurtre de son père, où la vérité n’est pas seulement ce qui est légalement prouvé mais aussi ce qui est moralement et spirituellement discerné. Le personnage de Ivan, avec son célèbre chapitre “Le Grand Inquisiteur”, met en scène un débat sur la nature de la vérité, la liberté et la foi, questions centrales dans la philosophie maçonnique.

5. La justice et le pardon :

La franc-maçonnerie promeut l’idée d’une justice équitable et d’un pardon qui vise à la réconciliation plutôt qu’à la vengeance. Dans le roman, le procès de Dmitri illustre non seulement la justice humaine avec toutes ses imperfections mais aussi la possibilité du pardon. Aliocha, à travers ses actions et ses paroles, incarne cette justice maçonnique qui regarde au-delà des actes pour voir l’âme de l’homme. La fin du roman, avec la réunion des jeunes autour de la tombe d’Iloucha, symbolise une forme de réconciliation et de pardon collectif, un idéal maçonnique de fraternité et d’amour fraternel.

6. L’éducation et l’élévation spirituelle :

Un autre parallèle intéressant est l’accent mis sur l’éducation et l’élévation spirituelle. La maçonnerie utilise l’allégorie du temple pour symboliser le développement personnel et spirituel. Dans “Les Frères Karamazov”, l’éducation d’Aliocha par le starets Zosime est une forme de transmission de la sagesse, une initiation à une vie de vertu et de compréhension spirituelle. Ce mentorat rappelle les relations entre Maîtres et Apprentis dans la maçonnerie, un processus d’apprentissage qui vise à la fois le développement personnel et la contribution à une société plus éclairée.

“Les Frères Karamazov” de Dostoïevski, bien qu’une œuvre de fiction, peut être analysée comme un reflet de certaines des préoccupations centrales de la franc-maçonnerie : la lutte morale, la recherche de la vérité, la justice et le pardon, la fraternité et l’éducation spirituelle. Bien que Dostoïevski n’ait pas été un maçon, son œuvre explore des thèmes qui ont des correspondances directes avec les enseignements de la maçonnerie, offrant ainsi une lecture riche et complexe pour ceux qui sont intéressés par ces parallèles.

Cette analyse reste spéculative et littéraire, basée sur l’interprétation des thèmes universels qui traversent l’œuvre de Dostoïevski et les doctrines maçonniques. Il n’existe pas de preuve directe que Dostoïevski avait l’intention de faire écho à la maçonnerie dans son roman; ces liens sont plutôt le produit de l’analyse critique et de la résonance thématique.

Pour lire le roman en deux tomes : Tome 1 avec une introduction de Freud et Tome 2

« Enjeux & Perspectives » : Conférence publique sur la Laïcité à la Grande Loge de France

« La laïcité, un principe de liberté »

La Grande Loge de France poursuit sa commémoration des 120 ans de la loi de séparation entre les Églises et l’État, une loi de liberté et d’équilibre visant à protéger à la fois la liberté de pensée et de culte de chacun et la sécurité de la société, qui doit être préservée du fanatisme et de l’obscurantisme.

Dans ce cadre, elle organise une conférence publique exceptionnelle au sein de son cycle « Enjeux & Perspectives ».

La Grande Loge de France a le plaisir d’accueillir Madame Valentine Zuber, historienne et directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE). Spécialiste de la liberté religieuse et de la laïcité en France et dans le monde, elle a publié de nombreux ouvrages de référence, dont « La Laïcité en débat – Au-delà des idées reçues » (Le Cavalier bleu, 2017, 3e édition revue et corrigée, 2023). Vice-présidente de la Vigie de la laïcité, elle intervient régulièrement dans le débat public sur les relations entre religion et société.

Elle sera accompagnée du Très Respectable Frère Moscovici, Délégué du Grand Maître à la Laïcité.

Dominique Losay

L’ouverture de cette soirée sera assurée par Dominique Losay, 1er Grand Maître adjoint de la Grande Loge de France, et la conclusion sera prononcée par Thierry Zaveroni, Grand Maître de la GLDF.

Thierry Zaveroni – Grand Maître -GLDF

Un événement ouvert à tous !

Cette conférence ne se limite pas au monde maçonnique. Elle s’adresse à toutes celles et ceux qui s’intéressent aux enjeux fondamentaux de la laïcité dans notre société contemporaine.

Ne manquez pas cet événement incontournable sur un sujet plus que jamais d’actualité !

Informations pratiques

Date : Mercredi 2 avril 2025
Horaire : 19h30
Lieu : Hôtel de la Grande Loge de France – Grand Temple Pierre Brossolette
8, rue Louis Puteaux, 75017 Paris (Métro Rome)

Inscription obligatoire : https://my.weezevent.com/conference-enjeux-et-perspectives-avec-mme-valentine-zuber

05/04/25 : L’Universalité de Joséphine Baker

8ème COLLOQUE DE LA FMLS

Evénement uniquement réservé aux Soeurs et aux Frères

Franc-Maçonnerie Libérale Suisse
COLLOQUE FMLS 2025
5 avril 2025 de 08:30 à 17:00
UOG Université Ouvrière de Genève,
3 Rue des Grottes,
1201, GenèveSuisse

Le Grand Orient de Suisse, la Grande Loge Féminine de Suisse et la Fédération Suisse du Droit Humain ont le plaisir de vous inviter au 8ème Colloque de la FMLS.

Joséphine Baker 

Joséphine Baker est une artiste d’origine afro-américaine et amérindienne naturalisée française (1906-1975). Elle est arrivée en France en 1925. Au-delà de son image iconique des années folles mais image aussi réductrice et stéréotypée de danseuse et meneuse de revue (notamment avec la « Revue Nègre »), Laurent Kupferman nous propose de découvrir la femme, la Franc-maçonne (initiée à la GLFF, dans la Loge La Nouvelle Jérusalem, en 1960), 5ème femme à entrer au Panthéon et 1ère femme métisse à y être honorée, résistante durant la seconde guerre mondiale (décorée de la Médaille de la Résistance française, de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre), engagée pour la défense des libertés, dans la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs, militante contre l’apartheid et contre l’antisémitisme. Dans un rêve de fraternité universelle, elle avait acheté le château des Milandes en Dordogne où elle accueillit douze enfants de toutes origines, qu’elle a adoptés (sa « tribu arc-en-ciel »).

Joséphine-Baker
Joséphine-Baker

Femme à la vie hors du commun, au destin atypique, exceptionnel, femme hors normes, sans frontières, femme libre, Joséphine Baker est une figure exemplaire par son courage, ses convictions, ses engagements, ses combats, son idéal universaliste, qui sont bien au cœur de nos propres engagements, de nos valeurs et de nos principes maçonniques.

D’où 4 thèmes de réflexion inspirés de la figure emblématique de Joséphine Baker pour 4 ateliers :

1.Atelier 1 : S’engager

Un Franc-maçon – une Franc-maçonne, doit-il – doit-elle s’engager ? S’engager où, comment, pour quoi ? Quelle est la particularité d’un engagement maçonnique ?

2.Atelier 2 : Discriminations

Les discriminations sont-elles une fatalité ? En tant que Franc-maçons-maçonnes, de quels moyens, quelles ressources disposons-nous pour lutter contre les discriminations ? La Franc-Maçonnerie  est-elle discriminatoire ?

3.Atelier 3 : La place de la femme

Quelle doit être la place de la femme, de la Franc-maçonne dans la société ? Comment les Franc-maçons-maçonnes contribuent-ils à faire reconnaitre l’égalité des droits de la femme ?

4.Atelier 4 : Résister

Résister ? Quelle signification aujourd’hui ? Être Franc-maçon-maçonne est-il une forme de résistance ? De quels moyens de résistance disposons-nous dans le monde profane aujourd’hui ?

Laurent Kupferman

*Laurent Kupferman: Suivant un triple cursus, de Droit, Faculté de Paris II-Assas, où il obtient une licence en droit privé général, de Théâtre et de Chant, Laurent Kupferman débute sa carrière dans l’administration culturelle, au cours de laquelle il est notamment un des fondateurs de l’Orchestre Symphonique d’Europe, puis conseiller au Cabinet du Ministre de la Culture, et Consultant à l’UNESCO, où il a assuré la production et la diffusion d’un film destiné à la lutte contre le VIH au Nigéria deuxième pays le plus touché dans le monde. Conférencier, Laurent Kupferman est aussi essayiste et auteur de : « Rassembler » Éditions DERVY septembre 2021 « Les Aventuriers de la République » (Éditions Fayard 2015) « Trois Minutes pour comprendre la République Française » (Éditions Courrier du Livre, août 2017) Avec Jean-Louis Debré « Trois Minutes pour comprendre la Franc-Maçonnerie » (Éditions Courrier du Livre, avril 2016) Préface de Jacques Ravenne. Postface de Pierre Mollier. En plus de ses contributions à la presse écrite, Laurent Kupferman a tenu la rubrique littérature durant 3 saisons dans le talk-show animé par Alexandra Kazan sur SNCF La Radio, au cours duquel il reçoit plus de 300 invités et anime aussi le « Living Books » pour le site de Youboox. Laurent Kupferman a écrit une série de « Chroniques de la République » diffusée chaque samedi de l’été 2016 sur France Culture, et est régulièrement invité sur les plateaux de chaines de radio et de télévision, France Info, LCI, Europe 1, France Inter, TF1, France 2, France 3, France 24, TV5 Monde. Laurent Kupferman a pris une part active à l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker en lançant la pétition « Osez Joséphine » sur le site Change.org. Il est également l’auteur du documentaire « Joséphine Baker, un destin français » réalisé par Dominique Eloudy-Lenys et diffusé sur la Chaine Histoire. Directeur artistique du Festival Joséphine Bale-LICRA, Laurent Kupferman est Lauréat National du Prix Laïcité 2022, mention Droits Humains Laurent Kupferman est Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres depuis 2021.

Inscription : https://my.weezevent.com/colloque-fmls-2025

Complotisme : « Le pape François est-il secrètement un Franc-maçon ? »

5

De notre confrère radiofrance.fr

Le pape dans le viseur des complotistes

Le pape François est-il secrètement un franc-maçon, un agent du nouvel ordre mondial, ou même un pédocriminel ? Depuis son élection, le souverain pontife argentin, dont l’état de santé inquiète les fidèles du monde entier, est devenu une cible de choix pour les complotistes de tous bords.

Le pape François, hospitalisé depuis trois semaines pour une double pneumonie, cristallise toutes les inquiétudes, et est au centre des pires rumeurs et théories. Depuis son élection, le pape François est devenu une cible privilégiée des complotistes, des accusations de franc-maçonnerie aux allégations de pédocriminalité, en passant par son rôle supposé dans un nouvel ordre mondial.

Les positions progressistes du pape François sur des sujets tels que la désinformation et l’immigration lui valent l’hostilité des complotistes. Rudy Reichstadt souligne que le pape a “tout pour déplaire aux manipulateurs de l’info”, notamment en raison de sa dénonciation de la désinformation et de son soutien au fact-checking. Son ouverture envers les pauvres et les étrangers, symbolisée par son choix du nom de François en hommage à Saint-François d’Assise, est également mal perçue par les tenants du catholicisme identitaire.

Le fait que le pape François soit le premier pape jésuite de l’histoire réactive de vieilles légendes noires. Tristan Mendès France explique que la compagnie de Jésus est “poursuivie depuis des siècles par une légende noire qui leur attribue une soif insatiable de pouvoir”. Cette méfiance envers les jésuites, alimentée par leur engagement intellectuel et social jugé trop progressiste par certains, se retrouve même au sein de l’Église catholique.

Les papes précédents également ciblés

Le pape François n’est pas la seule figure papale à avoir suscité des théories du complot. La mort soudaine de Jean-Paul Ier, surnommé le “pape au sourire”, mort dans la nuit du 28 septembre 1978 d’un infarctus à l’âge de 65 ans, après seulement 33 jours de pontificat, a donné lieu à des rumeurs d’assassinat. De même, la tentative d’assassinat de Jean-Paul II en 1981 a engendré une multitude de versions contradictoires et de fantasmes complotistes.

Enfin, l’épisode souligne l’influence de la culture américaine protestante et de son anticatholicisme sur l’imaginaire complotiste. Rudy Reichstadt mentionne le succès de librairies comme Da Vinci Code et rappelle l’influence d’Hollywood. Il cite également l’ouvrage de Maria Monk, Awful Disclosures, qui a rencontré un écho puissant au 19e siècle en jouant sur la fibre antipapiste.

Numéro 9 – Francs-maçons dans la Résistance : Une Plume et une Épée pour la Liberté

Éditorial par Christian Eyschen – 8 mars 2025

La Plume et la Pensée, revue maçonnique numérique gratuite de la Libre Pensée

Nous consacrons ce Numéro 9 de La Plume et la Pensée, revue maçonnique numérique gratuite de la Libre Pensée, à une exploration approfondie de la question des Francs-Maçons dans la Résistance durant la Deuxième Guerre mondiale. J’utilise délibérément le terme « Deuxième » plutôt que « Seconde », comme je le faisais autrefois. En ces temps incertains, alors que les tambours d’une possible Troisième guerre mondiale résonnent à l’horizon – une guerre qui, cette fois, pourrait bien être la « Der-des-Der » en ne laissant rien de notre monde –, ce choix lexical n’est pas anodin.

Cliquer sur ce lien pour lire la version en PDF (telechargeable)

OU

Sur ce lien pour lire directement la revue sur notre page CALAMEO

Le bilan de 1939-1945 est gravé dans nos mémoires : 85 millions de victimes, dont 50 millions de civils. Depuis lors, une tendance implacable se dessine dans tous les conflits : le nombre de civils tués dépasse systématiquement celui des militaires, conséquence de la sophistication des armements et du calcul cynique selon lequel la « populace » est plus nombreuse et moins coûteuse à sacrifier qu’un soldat formé. Cette logique rappelle, sur un autre registre, la formule bien connue du libéralisme économique : « Pourquoi faire payer les riches, quand les pauvres sont si nombreux ? »

Cliquer sur ce lien pour lire la version en PDF (téléchargeable)

OU

sur ce lien pour accéder à la lecture directement sur notre page CALAMEO

Face à cette marche inexorable vers la guerre et les massacres, il y a toujours eu des femmes et des hommes pour dire « Non ». Ces résistants, par leur courage et leur refus de plier, ont tenté d’enrayer la barbarie. L’Humanité leur doit une dette sacrée, et c’est dans cet esprit que nous avons choisi de leur rendre hommage à travers ce Numéro 9 et ses trois suppléments. Le numéro principal, que nous appelons le « Numéro Mère », met en lumière les Francs-Maçons en tant qu’individus ayant résisté. Le premier supplément explore leurs actions collectives dans la Résistance ; le deuxième s’inscrit dans notre série sur les Rites maçonniques en analysant les Rites dits « Anglo-Saxons » ; enfin, le troisième supplément offre une introduction au Rite Écossais Ancien et Accepté à travers son 18e grade, celui de Chevalier Rose-Croix.

Si ce sujet vous passionne, je vous invite chaleureusement à vous procurer notre ouvrage collectif La Libre Pensée dans la Résistance, récemment présenté au Salon du Livre Résistant. Ce livre dresse un panorama général de la Résistance et recense, entre autres, les fiches biographiques de près de 200 Libres Penseurs engagés, du simple maquisard aux figures du Conseil National de la Résistance (CNR), de l’Assemblée provisoire d’Alger ou du Manifeste des 12 Syndicalistes contre la Charte d’Amiens. Beaucoup d’entre eux étaient également Francs-Maçons, ces « Enfants de la Veuve », à l’image de Gustave Eychene, qui fonda le seul réseau maçonnique de Résistance, « Patriam Recuperare ».

Vichy et la chasse aux « sociétés secrètes »

Dès la débâcle de 1940 et la capitulation de la France, le régime de Vichy, sous la férule du maréchal Pétain, s’est empressé d’éradiquer toute trace de démocratie. Le 13 août 1940 – alors que, sans doute, aucune autre urgence ne pressait davantage – une loi fut promulguée pour interdire les « sociétés secrètes », visant en premier lieu les obédiences maçonniques. Cette attaque n’était pas fortuite : la Franc-Maçonnerie, par ses valeurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, incarnait tout ce que Vichy et ses alliés nazis abhorraient. Dès lors, de nombreux Francs-Maçons prirent les armes, « une Truelle dans une main et une Épée dans l’autre », pour reprendre l’expression imagée qui traduit leur double vocation : construire et défendre.

Georges Sand, dans la préface de son roman Le Compagnon du Tour de France, écrivait avec une prescience remarquable : « On peut dire qu’il ne se commet pas, dans les sociétés humaines, une seule injustice, une seule violation du principe de l’Égalité, qu’à l’instant même il n’y ait un germe de société secrète implanté dans le monde pour réparer cette violation de l’Égalité. » À cette Égalité, nous pouvons sans peine ajouter la Liberté et la Fraternité, ces piliers consubstantiels d’une démocratie véritable, que les Francs-Maçons ont défendus avec acharnement.

Des figures illustres et méconnues

Dans ce numéro, nous présentons des Francs-Maçons résistants, certains célèbres, d’autres tombés dans l’oubli, mais tous dignes d’un hommage égal. Car, contrairement à la légende complaisante forgée par Henri Amouroux – celle de 40 millions de pétainistes en 1940 devenus miraculeusement 40 millions de gaullistes en 1944 –, la réalité historique est bien plus nuancée. Deux minorités se sont affrontées : les collaborateurs d’un côté, les résistants de l’autre, avec, entre elles, une vaste majorité cherchant simplement à survivre. Les véritables fascistes, eux, étaient peu nombreux : 30 000 membres au Parti Populaire Français de Jacques Doriot, 20 000 au Rassemblement National Populaire de Marcel Déat, 12 000 à la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme (devenue le 638e Régiment d’Infanterie de la Wehrmacht), et 30 000 à la Milice de Joseph Darnand. Face à eux, une poignée de Francs-Maçons fit le choix de la Résistance, incarnant les mots de Shakespeare dans Henry V : « En temps de paix, rien ne convient à l’homme que le calme humble et modeste. Mais quand retentissent à nos oreilles les rafales de la guerre, alors imitez les mouvements du tigre. »

Ces résistants maçonniques puisèrent leur force dans leur formation en loge, guidés par la devise « Apprendre pour comprendre, comprendre pour agir », qui unit le spéculatif et l’opératif dans une chaîne d’union indéfectible. Cette quête de connaissance, comme le soulignait Elena Cornaro Piscopia – première femme docteure en philosophie en 1678 –, est « le chemin qui mène à la Liberté ». Ainsi, la Franc-Maçonnerie offre tous les ingrédients d’une résistance éclairée : réflexion, action et solidarité.

Pierre Dac : l’humour comme arme

Parmi les figures évoquées, nous publions un article de Dominique Goussot sur notre frère Pierre Dac, dont l’aventure à Radio-Londres est retracée dans le film La Guerre des Ondes. Ce long-métrage, malheureusement indisponible en DVD à ce jour, est une œuvre bouleversante où Jean-Yves Lafesse incarne avec brio l’humoriste résistant. Pierre Dac, par ses traits d’esprit diffusés depuis Londres, a su ridiculiser l’occupant et galvaniser les esprits, prouvant que le rire peut être une arme aussi tranchante que l’épée.

Combattre le révisionnisme

Parler des Francs-Maçons dans la Résistance, c’est aussi s’opposer au révisionnisme historique qui, depuis 1945, tente de réhabiliter le régime de Vichy, ce « passé qui ne passe pas », pour reprendre l’expression consacrée. L’Église catholique, qui salua en juillet 1940 la « divine surprise » de Pétain, porte une lourde responsabilité dans ce soutien institutionnel. Encore récemment, dans le numéro de janvier-avril 2024 de la revue Communio (p. 190), on lit une tentative de dissociation : « Collaboration au Gouvernement du Maréchal ≠ Collaboration à l’Ordre Nouveau ≠ Collaboration au triomphe des principes nazis. » Pourtant, à la page suivante, citant saint Augustin et Sénèque, la revue admet qu’un gouvernement soumis à une autorité étrangère est soit un « féal » (s’il se soumet librement), soit un « esclave » (s’il le fait sous contrainte). Vichy, incontestablement féal de Berlin, termina sa course à Sigmaringen, dans une fuite pitoyable.

Un héritage vivant

Pour conclure, je citerai Oswald Wirth, figure éminente de la Franc-Maçonnerie : « Celui qui laisse une œuvre a le sentiment qu’il ne meurt pas entier. » Les Francs-Maçons résistants nous ont légué une œuvre immense : celle de la Liberté. Leur combat, loin d’être une simple page d’histoire, résonne comme un appel à la vigilance. Car, comme l’écrivait John Milton, « seuls les gens de bien peuvent aimer la liberté de tout leur cœur ; les autres n’aiment que la licence ». En ces temps troublés de mars 2025, où la guerre menace à nouveau, honorons-les en restant fidèles à leurs idéaux.


Notes :

  • Elena Cornaro Piscopia (1646-1684), première femme docteure en philosophie (Padoue, 1678), incarne l’universalité de la quête de liberté par la connaissance.
  • Les citations de poètes anglais (Shakespeare, Milton) rendent hommage à la Résistance française, souvent soutenue depuis Londres, et font écho au supplément sur les Rites Anglo-Saxons.
  • Toute ressemblance avec un autre « Rassemblement national » n’est pas nécessairement fortuite.

Nous sommes tous des imposteurs

(par Henry Arnaudy)

Plus ou moins, certes, mais de façon générale nous montrons au public un personnage, une personnalité fabriquée et construite qui n’est pas ce que nous sommes véritablement.

Être soi : une quête simple, une aventure infinie.

Qui oserait répondre « oui » sans hésiter à la question de savoir qui il est vraiment ? Un esprit audacieux, peut-être, ou plus probablement un ignorant – car ce sont souvent ceux-là qui débordent d’assurance, et c’est d’ailleurs à cela qu’on les repère. Moi, je préfère rester prudent. Après une vie déjà bien remplie, j’ai certes avancé, mais beaucoup demeure au stade des idées. Avoir des théories, c’est un trésor ; comprendre qu’elles ne sont qu’un seuil à franchir, et non une arrivée, c’est encore plus précieux. C’est pourquoi j’écris, pour partager ce que j’ai reçu, sans prétendre avoir atteint les sommets que je décris comme des rêves éveillés.

Oscar Wilde

Oscar Wilde a dit : « Quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières. » J’aime cette phrase, mais je remplacerais « punir » par « mettre à l’épreuve ». Je ne crois pas – à tort ou à raison – à un divin comptable de récompenses et de châtiments. Si nos prières traduisent nos désirs, et que ces désirs nous enchaînent à des états étroits, leur réalisation devient un miroir, une chance de voir ce qu’ils ont voilé. En Orient, le Bouddha, l’« Éveillé », est celui qui s’est libéré des désirs. La sérénité naît de leur absence – et avec elle, celle des prières qui les portent.

Vouloir être ou sembler ceci ou cela ? Voilà une faute lourde. On pourrait se sentir comblé – le mot est maladroit – quand plus rien ne manque : ni vide, ni creux, ni désir. C’est une façon pudique de nommer un bien-être simple, une paix qui se suffit à elle-même, sans rien réclamer de plus ou de moins. Imaginez une insouciance douce, une béatitude qui ne calcule rien, ne compare rien, ne projette rien. Un état qui accueille le monde tel qu’il est, sans l’éplucher ni chercher à le redessiner. Rare, certes, cet état nous est familier : il flotte dans les souvenirs flous de notre petite enfance, là où repose notre vrai visage, unique et originel.

Chacun de nous porte des singularités, des élans personnels qui ne demandent qu’à s’épanouir, à danser avec les hasards de la vie, à leur manière. Mais si nous imitons autrui, si nous empruntons un costume qui n’est pas taillé pour nous, nous devenons des acteurs, des voleurs d’identité. Et quand ce rôle s’étale en parade sociale, avec ses artifices flatteurs, il trahit la misère d’une imposture banale.

Imposteurs ? Nous le sommes tous, à des degrés divers. Pourtant, une vérité éclate : « Je suis qui je suis, point final. » Si je m’arrête là, mon unicité, aussi modeste soit-elle, vaut celle des plus grands esprits ou des plus humbles cœurs. En laissant jaillir ce que je suis, sans fard, je pourrais effleurer la sérénité, l’amour sincère, la beauté pure, le bonheur vrai – car le vrai appelle le vrai. Mais si je me cache sous un masque de clown, tant pis pour moi : le faux engendre le faux. Je me perds alors dans un théâtre grotesque, peuplé de mirages et de grimaces, confondant ce décor pour la seule réalité. Prisonnier de ses règles, je cours après un statut, une façade brillante qui protège une intimité fragile en tenant les autres à distance.

Prenez cette ouvrière modèle, irréprochable et serviable, que tous trouvent adorable. Et si ce n’était qu’une armure ? Sa nature profonde pourrait être tout autre : une âme vive, curieuse, avide d’explorer l’invisible. En étouffant cela, elle s’enferme dans une routine résignée. Ou cet homme en vue, élégant et titré, drapé de distinctions ronflantes. Derrière ce vernis, un enfant timide se terre, jouant les durs pour fuir les orages. J’en ai croisé tant, comme ce client qui, entre un « bonjour » et un « asseyez-vous », glissait qu’il fut major de Polytechnique il y a quarante ans – que craignait-il, ce petit, avec son diplôme brandi comme un bouclier ? Ou cet autre, clamant à tout vent qu’il vivait dans un château, photos à l’appui, comme si des pierres pouvaient le grandir. Quelle tristesse !

Masque Blanc genre carnaval de Venise
Masque Blanc genre carnaval de Venise

Mais plutôt que de multiplier les portraits, mieux vaut regarder en soi. Qui vit librement, sans effort pour paraître, avec humilité et bienveillance, sans juger ni calculer ? Qui ose être, tout simplement, avec ses couleurs uniques, celles qu’il porte depuis toujours, peut-être même avant ? Cet abandon naturel, on le trouve souvent chez ceux qu’on dit « simples d’esprit » – non des idiots, mais des âmes limpides, libérées par leur candeur. « Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient », disait Jésus. Ils touchent la vérité, un écho d’un Éden perdu, un état originel. Bien sûr, c’est une proximité, pas une perfection, mais en spiritualité, le naturel l’emporte sur l’artifice. Brutal parfois, il échappe à l’hypocrisie. Car seul le naturel vit ; un rôle fabriqué enterre – provisoirement, espérons-le – ce qui est vrai. Le bien ne naît jamais du faux.

Avis à ceux qui raillent les « simples » : l’arroseur pourrait bien être arrosé. Comme le disait Courteline : « Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet. »

Comment s’en sortir ? Deux remèdes s’offrent à nous.

  1. Connais-toi toi-même !
    Pour ne plus jouer la comédie, il faut rencontrer cette part précieuse et inimitable que nous sommes. Ce « Moi » vivant est une toile où notre personnalité peut s’épanouir, libre, au fil de ses élans naturels. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Socrate, héritier d’une sagesse antique, parlait d’une voix intérieure qui sait tout – un réveil, comme chez les bouddhistes, ou une mémoire enfouie, comme chez Platon.
  2. Quel enjeu ?
    Comment avancer sans deviner ce que la vie attend de nous ? L’enjeu reste flou, mais supposer qu’il dépasse les apparences écarte déjà bien des illusions sur la « réussite ». Et si elle n’était que le bonheur ? Peut-être ma raison d’être vient-elle d’un Bien absolu, m’orientant vers la lumière, même à travers les épreuves. C’est dur à avaler parfois, mais cette idée s’affine avec le temps.

La vie oscille entre unité et diversité, comme des facettes d’un même éclat, séparées pour un dessein mystérieux. La raison excelle dans le concret, mais l’intuition, ce compas secret, voit plus loin. Attention, elle peut tromper : soulager une vengeance ou un élan altruiste n’est pas la même chose. L’intelligence discerne le bien du mal ; la bêtise les ignore. Retrouver notre essence ne se force pas : cela se révèle dans une confiance totale. La peur, surtout celle de la mort, obscurcit tout. La connaissance peut nous en libérer.

Il y a ceux qui croient, ceux qui savent, ceux qui connaissent. Les croyances, fragiles repères, guident nos débuts. Le savoir, nourri d’expérience, éclaire plus loin. Mais la Connaissance – du latin cum nascere, « naître avec » – est vivante. C’est un jaillissement, une foi douce qui s’impose comme une évidence.

Et maintenant ? Ces lueurs esquissent un chemin vers le « qui suis-je », un reflet de notre vérité. Rien n’est figé ; c’est un lent rapprochement vers l’unité. « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux », promet l’adage. L’imposture est inévitable avant l’éveil, mais à tâtons, on peut tendre vers notre nature. Là se niche une Présence – sérénité, Paix du Seigneur, Shékhina, Al-Sakina –, un souffle divin qui s’exprime à travers nous.

La Fontaine, avec sa grenouille gonflée d’orgueil, raillait l’imposture. Souvenons-nous-en, et osons être.

À bientôt…

La musique et la Franc-maçonnerie

Musica sum late doctrix artis variate.

(Je suis la musique et j’enseigne mon art à l’aide de divers instruments)

Les Anciens considéraient la musique comme la force qui sous-tend l’univers, musique de la vibration des sphères et des rapports entre elles qui régit le cours des astres. le son et la matière sont des manifestations de vibrations. Le son est créé par la vibration des molécules d’air, tandis que la matière est constituée d’atomes qui vibrent aussi. En ce sens, on pourrait soutenir que l’essence du son et de la matière est la même.

Si les mots sont le langage de l’esprit, la musique est le langage de l’âme.

«Il faut, en maçonnerie, rendre la vertu aimable par l’attrait des plaisirs innocents, d’une musique agréable, d’une joie pure, et d’une gaieté raisonnable» (Ramsay).

La musique est l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille. Les éléments essentiels de la musique sont la mélodie et le rythme, auxquels il faut joindre le timbre et l’accentuation, enfin l’harmonie qui fixe la simultanéité des sons.

Aristote consacre une bonne partie du dernier livre conservé de sa Politique (VIII, 5-7) à l’éducation musicale. La musique, selon lui, peut avoir une influence sur le comportement, sur le développement du caractère, sur les dispositions morales, ce que les Grecs appellent l’êthos, de même qu’elle peut avoir une action sur l’âme, la psyché (à partir de la p. 106, Exercices de mythologie par Philippe Borgeaud, éd. Labor Et fides, 2004). Cette idée fut reprise par Marcile Ficin à la Renaissance : «pour combattre l’épuisement de la vie sédentaire, la musique est un bon moyen. Le son musical, par le mouvement de l’air purifié excite le spiritus aérien, qui constitue le lien entre le corps et l’âme, au moyen de l’émotion il agit sur les sens et en même temps sur l’âme» (De sanitate studiosorum tuenda).

Pythagore, Platon donnaient au mot musique une acception beaucoup plus étendue que celle que nous lui donnons aujourd’hui. Ils distinguaient une musique théorique ou contemplative et une musique active ou pratique. À la première ils rapportaient l’astronomie (l’harmonie du monde),  l’arithmétique (l’harmonie des nombres), l’harmonique (traitant des sons, des intervalles, des systèmes), la rythmique (traitant des mouvements), et la métrique (la prosodie). La deuxième comprenait la mélopée (art de créer des mélodies), la rythmopée (art de la mesure et de la poésie). La musique est un exercice arithmétique secret et toute personne qui s’y adonne ne réalise pas qu’il manipule des nombres (Leibniz, 1712).

Musikê était à la fois l’approche scientifique, physique et mathématique, des sons et l’art issu des Muses. Rappelons que la première demande que fit Pythagore au Sénat de Crotone, était de bâtir un Temple aux Muses, comme symboles de l’harmonie qui devait présider à tout groupe social.

Les Hébreux cultivèrent de bonne heure la musique et le chant, témoins les cantiques de Moïse, les trompettes de Jéricho, la harpe de David, etc. La musique était intimement liée à toutes leurs cérémonies religieuses.

Les Romains ne commencèrent à s’occuper de la composition musicale que sous le règne d’Auguste.

Les premiers Chrétiens imitèrent les Juifs sous ce rapport ; de là l’origine du plain-chant créé au IVe siècle par Saint Ambroise et qui est comme un reflet de la musique des Anciens. Jusqu’au XIe siècle il n’y eut guère d’autre musique écrite que les chants d’église. À cette époque, l’invention de la gamme, ou échelle musicale, due au bénédictin Gui d’Arezzo, et celle du contrepoint donnèrent naissance à la musique moderne. C’est avec la connaissance de la musique, c’est-à-dire l’harmonie des sons et la beauté des rythmes que le compagnon règle sa conduite afin de tendre vers la véritable sagesse. «S’il y a une portée, elle doit bien porter quelque chose et s’il y a des clefs, elles doivent bien ouvrir des portes.»

Parler de gamme chromatique c’est associer la musique aux couleurs comme en alchimie : Les couleurs sont une clef et la musique une serrure. Avec son sang, les couleurs du paon donnent la gamme chromatique. Salomon Trismosin, dans Splendor Solis, son traité alchimique, associe le paon à un concert sur une de ses gravures. (Patrick Burensteinas, Le voyage alchimique, Étape 1-La Grand’Place de Bruxelles)

Dans son ouvrage Atalante fugitive ou nouveaux emblèmes chymiques des secrets de la nature, Michel Maïer (qui inspira Monteverdi) explique le Grand Œuvre alchimique par un ensemble de fugues musicales, de gravures et de poèmes, bref un essai d’art total comme l’opéra dont la traduction est justement le mot œuvre.

Le triton ou quarte augmentée (par exemple do, fa dièse), intervalle dissonant de 3 tons entiers entre deux notes, a été considéré comme maléfique, le diabolus in musica, au Moyen Âge.

On a découvert que certains atomes exposés à des températures proches du zéro absolu commençaient à se comporter comme s’ils étaient un seul et unique atome, alors qu’ils sont des milliards livrés à une ronde synchronisée. Le comité du Nobel, qui décerna le prix Nobel de physique en 2001 à Cornell et Wieman, Ketterle pour cette découverte, a dit que les atomes chantaient à l’unisson (découvrant ainsi un nouvel état de la matière appelé condensat de Bose-Einstein) au rythme de la musique cosmique, qui n’est pas sans rappeler le rythme de la danse créatrice de Shiva.

Les vibrations des musiques sacrées ont des correspondances géométriques qui permettent de les représenter et de les rendre visibles

À l’instar de la musique liturgique et du chant sacré de l’église, la musique maçonnique a joué un rôle et des fonctions toujours plus importants dans les travaux et tenues de la loge. D’emblée, la communauté maçonnique a reconnu les effets exhausteurs exercés par la pratique musicale sur l’ambiance de la loge et les sentiments animant les frères (et sœurs).

Dans certaines Loges en Écosse, le rituel est chanté quasi intégralement quasi intégralement depuis des siècles.

La pratique de la musique et du chant en loge contribue essentiellement, jusqu’à ce jour, au maintien de la communion des esprits lors des travaux rituels, mais aussi, dans la mesure où elle est en adéquation avec le texte et la gestuelle, à marquer plus intensément la perception du déroulement du rituel. Dans son ensemble, la musique maçonnique peut se subdiviser en trois catégories :

1 – Chants et pièces instrumentales composés en vue des travaux rituels, loges de table, fêtes de St Jean et autres manifestations analogues, une musique de circonstance.

2- Compositions qui ne furent pas écrites expressément à des fins maçonniques, mais qui par leur caractère et leur contenu se prêtent parfaitement aux travaux en loge.

3- Œuvres originales d’inspiration maçonnique, telle, par exemple, la Maurerische Trauermusik  (Musique funèbre maçonnique) de Mozart.

La troisième partie des Constitutions d’Anderson est consacrée à 4 chants maçonniques (le Chant du Maître ou l’Histoire de la Maçonnerie ; le Chant du Surveillant ou une autre Histoire de la Maçonnerie ; le Chant des Compagnons ; le Chant de l’Apprenti). L’édition suivante, en 1738, reprend (pour certains, dans une version abrégée) les quatre chants de l’édition de 1723, mais y ajoute sept chants supplémentaires : Chant du Député Grand Maître ; Chant du Grand Surveillant ; Chant du Trésorier ; Chant du Secrétaire ; Chant du Porte-épée ; Ode aux Francs-maçons ; Ode à la Maçonnerie. Les éditions suivantes des Constitutions, celles de 1746, 1756, 1767 et 1784 continueront à ajouter et à soustraire des chansons.

Dans les Constitutions de Dermott, Ahiman Rezon, on trouve (1-4) les quatre chansons originales des Constitutions d’Anderson de 1723 (on notera que le Chant du Maître, déjà ramené de 244 à 52 vers en 1738, n’en contient cette fois plus que 12) ; (5-8) les quatre premières des sept ajoutées dans l’édition de 1738 ; (9-68) 60 autres chansons ; divers prologues et épilogues ; l’oratorio Solomon’s Temple.

Pour une histoire musicale de la Franc-maçonnerie et l’écoute de musiques de loge

Albert G. Mackey rapporte que le  frère W. Clegg, membre de la Loge d’Harmonie, n° 279, Boston, Lincolnshire, est l’auteur des hymnes Hail Eternal et Now the Evening Shadows Falling, qui sont fréquemment utilisés à l’ouverture et la fermeture de nombreuses Loges.

N’hésitez pas à lire le texte de Christian Tourn, La musique maçonnique : <taosophie.free.fr/recueil/la_musique_maconnique.pdf>.

La colonne d’harmonie est un terme qui désigne à la fois l’officier et l’office chargé de la musique accompagnant les cérémonies maçonniques rituelles. Elle est dite vivante lorsque des groupes de musiciens y participent. La «colonne d’harmonie» désigne à son origine un ensemble d’instruments à vent qui, lors de la tenue, ponctue le rituel et les agapes, mais n’apparaît qu’au XIXe siècle. Le responsable de la musique dans les rituels anglo-saxons est généralement appelé organiste, même s’il n’a ni orgue ni harmonium à jouer. Dans les loges en Écosse, la musique a une telle importance que, non seulement l’ensemble des frères chante une grande partie du rituel, mais on recourt souvent à un barde (pour les chants a capella et pour donner le ton), à un organiste qui tient réellement un orgue ou un harmonium, parfois à un «pompiste» pour faire l’air à l’instrument s’il est vieux, et à un ou plusieurs cornemuseurs et tambours.

Les loges RSE/RÉÉ essaient parfois d’étoffer la musique plus que dans d’autres rites. La musique n’existe pas, en principe, en loge RER, car les fondateurs du rite prônaient l’écoute du silence intérieur.

L’harmonie musicale est un prestige dans nombre de grandes loges dans le monde, curieusement très peu en France. Il n’est pas rare de voir des frères organistes professionnels, chevronnés et virtuoses, accompagner les tenues aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Suède. Jan Sibelius, le célèbre compositeur de la Valse Triste, fut pendant des décennies le grand organiste de la Grande Loge de Finlande.

La musique comme la danse conduit à une philosophie de l’évanescent, la note entendue, les gestes disparaissent après leurs exécutions dans leur précarité. 

Les notes de musique

Les noms des notes, Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si, Do sont issus d’une poésie religieuse chantée, l’Hymne à Saint Jean-Baptiste, écrite vers 770 après J.C. par le bénédictin lombard Paul Diacre.

C’est le musicien italien Guido d’Arezzo, qui en constatant que l’hymne s’élevait à chaque vers fit ressortir les premières syllabes et celles qui suivent l’hémistiche (moitié du vers) et leur attribua leurs noms et un son de plus en plus haut. Le texte en latin : Ut queant laxis/ Resonare fibris/ Mira gestorum/ Famuli tuorum/ Solve polluti/ Labii reatum/  Sancte Iohannes donne en français : Pour que tes serviteurs fassent résonner  les prodiges de tes hauts faits par leurs cordes vocales bien souples, efface le péché de leur lèvre souillée Saint Jean. Afin de mieux établir les variations d’un chant, il créa une modulation pour la note B à laquelle il ajouta le «B molle» et le «B quadratum». De là se généralisa à toutes les notes l’appellation «bémol» et «bécarre».

La note Ut est la seule commençant par une voyelle. Par commodité du chant, qui se faisait sur la tonalité de ces syllabes, le «ut» fut remplacé par «do» au XVIème siècle par les religieux italiens. Une autre version affirme qu’en 1673, le UT a été renommé Do, plus doux à l’oreille, par le compositeur Giovanni Maria Bononcini.

Do étant la première syllabe de Domine (Seigneur en latin). La note Si est obtenue par les initiales de Sancte Iohannes à qui était destiné le poème. Les notes Ré, Sol, Ut constituent le mot «résolution» ; la note Sol rayonne au milieu du mot résolution. Il s’agit du soleil. Le suffixe io se trouve dans Iohannes.

Les notes Fa et La peuvent se lire en verticale et forment ainsi une croix latine. La note Mi représente la plus grande et la plus petite valeur numérologique : mille et unum. Elle décline ainsi l’idée de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Pour une compréhension du cryptogramme carolingien du christ-soleil dans ce texte lire l’article de Jacques Viret : Un cryptogramme carolingien du Christ–Soleil.

La notation anglophone, appelée batave, héritée de la Grèce antique, utilise des lettres de l’alphabet.

Dans cet ordre d’interprétation, l’échelle universelle, également appelée rayon de la création apparaît dans le nom des sept notes ; chaque niveau hiérarchique du rayon de la création correspond à un ciel. Dieu réside dans le septième ciel, par conséquent ce ciel le plus élevé est le paradis de du Créateur, le Dominion, abrégé en Do. Le sixième ciel est le cosmos ; le mot latin Siderus orbi, signifiant toutes les étoiles de l’univers, est abrégé en Si. Le cinquième ciel est la voie lactée ; l’expression latine Lacteus orbis est abrégé en La. Le quatrième ciel est le système solaire ; Hélios y est au centre ; il est le soleil, Sol en latin. Le troisième ciel est peuplé des planètes du système solaire ; l’astrologie montre comment les mouvements de ces planètes créent notre destin, Fatum en latin, abrégé en Fa. Le deuxième ciel correspond à notre planète ; c’est le microcosme à l’intérieur du macrocosme de l’univers entier, en latin il s’agit du Microcosmus, ou du mixtus orbis (lieu où se mêlent le bien et le mal, la terre), abrégé en Mi. Le premier et le plus bas des Cieux, sous le microcosme, est le monde souterrain ; la lune en est la régente (ou la reine) ; le mot latin Regina astris est abrégé en Ré.

Ce qui correspond aussi au Tikoun de la Tradition Hébraïque de l’arbre de vie, la remontée du Zaïn ou la réparation.

Newton, qui n’était pas qu’un scientifique, mais aussi un alchimiste, fit une étude complète sur les correspondances des sons et des lumières en rapport avec les 7 planètes de l’astrologie traditionnelle, qui correspondent aux 7 métaux alchimiques. La Tradition Hermétique nous donne ceci : Do = Lune, RE = Mercure, MI = Vénus, FA = Soleil, SOL = Mars, LA = Jupiter, SI = Saturne.

D’autres attribuent Do à Lune, Ré à Saturne, Mi à Jupiter, Fa à Mars, Sol à soleil, La à Vénus, Si à Mercure. (cf. La musique des sphères André Manoukian)

Dans le livre Le jeu des perles de verres, (1943), Hermann Hesse établit un lien entre les sept notes de la gamme musicale et les sept couleurs incluant le blanc auxquelles sont associées sept qualités précises : do, blanc, amour ; ré, jaune, joie ; mi, orange, humilité ; fa, rouge, maîtrise de soi ; sol, violet, honnêteté ; la, bleu, bonté ; si, vert, vérité ; non sans rappeler le poème Correspondances de Charles Baudelaire.

Qu’adviendrait-il si, un jour, la science, le sens du beau et celui du bien se fondaient en un concert harmonieux ? Qu’arriverait-il si cette synthèse devenait un merveilleux instrument de travail, une nouvelle algèbre, une chimie spirituelle qui permettrait de combiner, par exemple, des lois astronomiques avec une phrase de Bach et un verset de la Bible, pour en déduire de nouvelles notions qui serviraient à leur tour de tremplin à d’autres opérations de l’esprit ? »

Illustration de Michael Cheval