dim 20 avril 2025 - 20:04
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Dieu ou la Nature de Spinoza : Une Révolution Philosophique (I)

Avec inspiration de notre confrère elnacional.com – Par Mario Múnera Muñoz,

Imaginez un dieu qui ne demande ni prières, ni temples, ni repentirs. Un dieu qui ne juge pas, ne punit pas, et ne réclame pas d’adoration. Un dieu qui n’est pas au-dessus de nous, mais en nous – dans le chant d’une rivière, le sourire d’un enfant, ou l’étreinte d’un amant. C’est le “Dieu ou la Nature” de Baruch Spinoza (1632-1677), un philosophe hollandais qui a osé redéfinir le divin au XVIIe siècle, au risque de choquer son époque et de bouleverser la nôtre.

Dans ce premier volet d’une série de trois articles, explorons cette vision radicale qui fait de Dieu non pas un maître lointain, mais l’essence même de tout ce qui existe. Qui était Spinoza, et pourquoi son idée continue-t-elle de résonner, quatre siècles plus tard ?

Un hérétique au cœur d’Amsterdam

Né le 24 novembre 1632 dans une famille juive séfarade portugaise exilée à Amsterdam, Baruch Spinoza grandit dans une communauté prospère mais marquée par les persécutions. Les Juifs portugais, fuyant l’Inquisition, avaient trouvé refuge dans cette ville tolérante, où les idées circulaient librement. Jeune homme brillant, Spinoza maîtrisait l’hébreu, le latin et les textes sacrés, mais son esprit curieux le poussa au-delà des dogmes. Influencé par René Descartes (1596-1650), le père du rationalisme, il remit en question les vérités établies, jusqu’à être excommunié par sa synagogue en 1656, à seulement 23 ans. Le cherem (anathème) qui le bannit le qualifiait d’”hérétique” pour ses idées jugées scandaleuses. Mais qu’avait-il dit de si subversif ?

Spinoza rejetait un Dieu anthropomorphique – barbu, colérique, assis sur un trône céleste – pour proposer une vision panthéiste : Dieu est la Nature, une substance unique et infinie dont tout découle. Cette idée, exposée dans son chef-d’œuvre L’Éthique (publié posthumément en 1677), n’était pas une provocation gratuite : elle découlait d’une logique implacable, tissée de définitions, d’axiomes et de propositions. Avec Descartes et Gottfried Leibniz, il forme le trio des grands rationalistes du XVIIe siècle, mais son Dieu-Nature le distingue radicalement. Là où Descartes sauvait la réalité extérieure par un Dieu garant, Spinoza la fondait dans une unité ontologique : Deus sive Natura – “Dieu ou la Nature”.

Un Dieu qui parle à travers le monde

Dans un texte apocryphe souvent attribué à Spinoza (bien que sa provenance soit débattue), on trouve une voix divine qui brise les conventions religieuses : « Arrête de prier et de te frapper la poitrine. Ce que je veux, c’est que tu sortes dans le monde et que tu profites de la vie. » Ce passage, repris dans l’article, n’est pas tiré de L’Éthique, mais il capture l’esprit de sa pensée. Pour Spinoza, Dieu n’habite pas les “temples lugubres” construits par les hommes ; il se manifeste dans les montagnes, les forêts, les plages – partout où la vie pulse. « Ma maison est là où j’exprime mon amour pour toi », semble dire ce Dieu immanent, loin des autels et des sermons.

Cette vision démantèle les fondements de la religion traditionnelle. Pas de péché originel, pas de Jugement dernier, pas de paradis ou d’enfer. « Je ne te juge pas, je ne te punis pas, je suis l’amour pur », poursuit le texte. Spinoza soutient que l’homme n’est pas une créature déchue à racheter, mais une partie de la Nature, dotée de passions, de désirs et de libre arbitre. Pourquoi Dieu blâmerait-il ce qu’il a lui-même créé ? « Si je t’ai rempli de besoins et d’incohérences, comment pourrais-je te condamner d’y répondre ? » Cette logique désarme les notions de culpabilité et de châtiment éternel, remplaçant la peur par une célébration de l’existence.

Une ontologie révolutionnaire

Dans L’Éthique, Spinoza définit Dieu comme la “substance unique” dont tout découle : une cause de soi (causa sui), infinie et éternelle. Contrairement à Descartes, qui séparait esprit et matière en deux substances distinctes, Spinoza n’en voit qu’une, avec deux attributs principaux accessibles à l’homme : la pensée et l’étendue (le mental et le physique). Les arbres, les étoiles, nos émotions – tout est une modification de cette substance divine. « Dieu est sa propre cause et la seule essence existante », écrit Muñoz, résumant cette idée audacieuse.

Ce panthéisme efface la frontière entre sacré et profane. Si Dieu est la Nature, alors chaque lever de soleil, chaque vague qui s’écrase, est une manifestation divine. Mais attention : ce Dieu n’a pas de volonté ni de plan. Il ne “veut” rien, ne “crée” pas au sens artisanal. Il est, simplement, et tout découle de sa nécessité. Comme l’explique le philosophe Gilles Deleuze dans Spinoza : Philosophie pratique (1981), « chez Spinoza, Dieu n’est pas un roi, mais une puissance impersonnelle qui s’exprime dans tout ce qui existe ».

Une critique des religions instituées

Spinoza ne mâche pas ses mots contre les religions organisées. Dans son Traité théologico-politique (1670), il dénonce les Écritures comme des textes humains, façonnés par l’histoire et la politique, non comme des paroles divines. « Arrête de lire des écritures soi-disant sacrées qui n’ont rien à voir avec moi », dit le texte attribué. Pour lui, les dogmes et les commandements sont des outils de contrôle, des “astuces pour manipuler” qui instillent la peur et la culpabilité. Les prêtres et rabbins de son temps l’accusèrent de blasphème, mais Spinoza voyait plus loin : il voulait libérer l’homme de la superstition pour le ramener à une compréhension rationnelle de l’univers.

« Celui qui croit attend des bienfaits et blasphème s’il ne les reçoit pas », note Muñoz. À l’inverse, celui qui comprend – comme Spinoza l’entend – cherche à vibrer en harmonie avec la “Grande Énergie Créatrice”. Cette quête n’est pas une soumission aveugle, mais une élévation spirituelle par la raison et l’intuition.

Vivre ici et maintenant

Le Dieu-Nature de Spinoza invite à une révolution existentielle : vivre pleinement le présent. « Cette vie est tout ce qu’il y a ici et maintenant », lit-on dans le texte. Pas de répétition, pas de prélude au paradis – juste une chance unique d’aimer, de jouir, d’exister. « Je vous ai rendu absolument libres », insiste cette voix divine. Pas de registre des péchés, pas de balance des vertus : l’homme est maître de son destin, libre de créer son propre paradis ou son enfer.

Spinoza ne promet pas une vie après la mort – il reste agnostique sur ce point. Mais il conseille : « Vivez comme si c’était votre seule chance. » Si rien ne suit, vous aurez saisi l’opportunité ; s’il y a un au-delà, Dieu ne vous jugera pas sur des lois, mais sur des questions simples : « Avez-vous aimé ? Vous êtes-vous amusé ? Qu’avez-vous appris ? »

Sentir, non croire

« Arrête de croire en moi ; je veux que tu me sentes en toi », proclame le texte. Pour Spinoza, la foi aveugle est une supposition fragile ; la vraie connaissance vient de l’expérience directe. Dieu n’est pas dans les livres saints, mais dans les merveilles du monde et les battements de notre cœur. « Cherchez-moi en vous… je suis là, battant en vous », conclut cette méditation poétique. Cette immanence transforme chaque instant en une rencontre avec le divin.

Une pensée qui défie le temps

Spinoza mourut jeune, à 44 ans, le 21 février 1677, à La Haye, usé par la tuberculose et son travail de polisseur de lentilles. Mais son Dieu-Nature survit, défiant les siècles. Albert Einstein, admirateur de Spinoza, disait en 1929 : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’harmonie de ce qui existe, non en un Dieu qui s’intéresse aux affaires humaines. » Aujourd’hui encore, sa philosophie inspire ceux qui cherchent un sens sans dogmes, une spiritualité rationnelle dans un monde fracturé.

Dans les prochains volets, nous explorerons comment ce Dieu-Nature façonne l’éthique et la liberté selon Spinoza. Pour l’heure, retenons ceci : il nous appelle à ouvrir les yeux, à vivre sans peur, et à trouver le sacré dans la simplicité d’être.

Épisode suivant…

17/05/25 : Le Groupe Fraternel des Questions Africaines fête ses 50 ans pour une soirée de gala au Sénat

Le GFEQA (Groupe Fraternel des Questions Africaines) fête ses 50 ans durant l’année 2025, et vous convie ce samedi 17 mai 2025 à 18h30 au Sénat à Paris à une soirée de gala.

Trois modalités d’inscription vous sont proposées dans le carton d’invitation :
• En ligne (weezevent)
• Par virement (voir code IBAN)
• Par chèque à envoyer à notre Trésorier

La date limite d’inscription est le 11 mai 2025.

Qu’est-ce que le GFEQA ? Le GFEQA a été créé en 1975 par un Conseiller de l’Ordre du Grand Orient de France et un Conseiller Fédéral de la Grande Loge de France. L’article 1er des statuts stipule :

« Le G.F.E.Q.A. reçoit tout Frère ou Sœur actif, de toute obédience, qui aime et s’intéresse à l’Afrique. Il se donne pour but l’amélioration et le développement des relations fraternelles et amicales entre les Frères et Sœurs «Africaphiles ». Il aspire à promouvoir une action coordonnée pour une meilleure connaissance de l’Afrique et des Africains. Tous ses membres doivent poursuivre cette action avec la clairvoyance et l’esprit de discrétion que nous inspirent nos constitutions Maçonniques. »

De fait, le GFEQA est une Fraternelle inter obédientielle qui regroupe des Frères et Sœurs d’Afrique qui nous soutiennent fraternellement, des Frères et Sœurs d’origine africaine vivant en France, des Frères et Sœurs européens ayant vécu en Afrique et, d’une manière générale, tous les Frères et Sœurs qui, en Europe et ailleurs, s’intéressent à l’Afrique.

L’objectif est de réfléchir, entre Francs-maçons, à toutes les questions d’intérêt général et majeur pour l’Afrique. Le GFEQA contribue également à faire connaître la Franc-maçonnerie africaine et les sujets qui mobilisent, sur ce continent, nos Frères et Soeurs, dans leurs Travaux.

Le GFEQA tient, à cet effet, une réunion mensuelle (le 3ème samedi après-midi de chaque mois, à Paris) au cours de laquelle l’ordre du jour prévoit la présentation d’un thème par un conférencier franc-maçon ou profane. Cette introduction est suivie d’une discussion générale.

Le premier événement pour la commémoration de son cinquantenaire avait rassemblé plus 100 participants le 18 janvier 2025 au siège de la GLDF à Paris sous le thème « cérémonie d’hommage aux anciens »

Pour réserver (cliquez ici)

Le chemin hermétique : un voyage intérieur vers la Lumière

De notre confrère elnacional.com – Par Mario Múnera Muñoz, Passé Grand Maître

Dans le tumulte du monde, où les passions, les désirs et les rancunes grondent comme une tempête incessante, il existe un sentier discret, pavé de silence et de mystères : le chemin hermétique. Comme le souligne Arthur Edward Waite dans La Magie de la Franc-Maçonnerie (1922), « ce n’est que lorsque le vacarme des passions égoïstes s’apaise que la voix du Guide intérieur – l’Homme et la Femme véritables – peut se faire entendre ».

L’emblème de la Tabula Smaragdina Hermetis au frontispice du traité alchimique de La Toyson d’or (1613)

Ce voyage initiatique, au cœur de la tradition maçonnique et hermétique, ne nous conduit pas vers des contrées lointaines, mais au plus profond de nous-mêmes. Alors, qu’est-ce que ce chemin ? D’où vient-il, et comment le parcourir ? Plongeons dans cette quête millénaire qui unit le microcosme humain au macrocosme universel.

Les origines d’une tradition intemporelle

Le chemin hermétique tire ses racines d’une figure légendaire : Hermès Trismégiste, “trois fois grand”, un sage mythique qui aurait vécu dans l’Égypte antique et dont les enseignements auraient inspiré les philosophies grecques, juives et chrétiennes. Ses textes, réunis dans le Corpus Hermeticum (IIe-IIIe siècles apr. J.-C.), mêlent alchimie, astrologie et théologie dans une vision unifiée : tout dans l’univers est interconnecté, et la connaissance de soi révèle les secrets du cosmos. « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut », proclame la Table d’Émeraude, un texte attribué à Hermès et pilier de l’hermétisme.

En franc-maçonnerie, cette tradition se perpétue à travers les symboles. Loin des dogmes rigides ou du fanatisme, elle s’ancre dans une “Lumière Supérieure”, transmise par des initiés dont la conscience transcende le matériel. Comme l’écrit Manly P. Hall dans The Secret Teachings of All Ages (1928), « l’hermétisme n’est pas une doctrine morte, mais une science vivante de l’âme ». Dans les loges maçonniques, cette science se dévoile par étapes, à mesure que l’apprenti s’ouvre aux mystères cachés derrière l’équerre, le compas ou le pavé mosaïque.

Qu’est-ce qu’un apprenti hermétique ?

Un apprenti hermétique est un chercheur de vérité, un voyageur qui s’engage dans une quête à la fois intellectuelle et spirituelle. Ce n’est pas un simple érudit : il médite, il ressent, il transforme. Sa philosophie repose sur les sept principes hermétiques du Kybalion (1908), un texte moderne popularisé par “Les trois Initiés” :

  1. Mentalisme : Tout est esprit ; l’univers est une pensée.
  2. Correspondance : Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.
  3. Vibration : Rien ne repose, tout vibre.
  4. Polarité : Tout a deux pôles opposés.
  5. Rythme : Tout suit des cycles.
  6. Cause et effet : Chaque action a une conséquence.
  7. Genre : Tout a un aspect masculin et féminin.

Ces principes ne sont pas des abstractions : ils offrent un cadre pour comprendre la réalité et agir sur elle. L’apprenti hermétique les explore à travers plusieurs dimensions :

  • La connaissance de soi : « Connais-toi toi-même », gravé sur le temple de Delphes, est le premier pas. En sondant ses pensées et ses émotions, l’initié découvre les lois universelles qui le relient au Tout.
  • L’interconnexion : Chaque geste, chaque intention vibre dans le cosmos. Comme le souligne le philosophe hermétique Giordano Bruno (1548-1600), « l’univers est un miroir infini où tout se reflète ».
  • La transformation : Tel l’alchimiste qui transmute le plomb en or, l’initié polie sa “pierre brute” – ses imperfections – pour atteindre un état de conscience supérieur. Ce processus, souvent douloureux, exige détachement et lâcher-prise.
  • Les symboles : En franc-maçonnerie, les 33 degrés du Rite Écossais Ancien et Accepté (selon la juridiction) dévoilent progressivement ces vérités. Le maillet brise l’ego, le compas mesure l’équilibre, et la lumière symbolise l’éveil.

Le silence : porte d’entrée du chemin

Le Silence

Le silence est le seuil de cette aventure. « Nous sommes sortis du silence, et nous y retournerons », écrit Muñoz. Dans les tenues maçonniques – ces réunions rituelles –, le silence n’est pas une absence de bruit, mais une présence sacrée. Il apaise les tumultes intérieurs pour laisser place à la “voix du Guide intérieur“, une intuition profonde que les hermétistes associent au Soi Supérieur. Comme le note Carl Gustav Jung dans Psychologie et alchimie (1944), « l’âme parle dans le silence, et c’est là que se révèle le divin en nous ».

Ce silence solitaire n’est pas isolement : il s’ouvre sur une communion avec les frères et sœurs de la loge, unis dans une chaîne initiatique. Ensemble, ils marchent sur des “chemins de Lumière” anciens, où chaque rituel – de l’initiation au passage de grade – est une étape vers l’éveil.

Les pratiques du chemin hermétique

Le chemin hermétique n’est pas théorique : il se vit. Les tenues maçonniques, loin d’être religieuses, sont des espaces symboliques où l’initié se connecte à l’Être Suprême – une notion universelle, non dogmatique – et à son moi profond. Ces rituels, codifiés depuis des siècles, utilisent des gestes, des paroles et des objets pour ancrer les enseignements dans le corps et l’esprit.

Mais au-delà des loges, l’hermétisme invite à des pratiques quotidiennes :

  • Méditation : Pour explorer l’intériorité et harmoniser les vibrations intérieures avec celles du cosmos.
  • Observation de la nature : Les cycles lunaires, les saisons, ou le murmure du vent reflètent les principes de rythme et de correspondance.
  • Étude : Lire le Corpus Hermeticum, la Table d’Émeraude, ou les écrits d’alchimistes comme Nicolas Flamel (XIVe siècle) nourrit l’esprit.

Sept étapes pour débuter

Comment s’engager sur ce chemin ? Voici un guide inspiré des traditions hermétiques et maçonniques :

  1. Cultivez la curiosité : Ouvrez-vous à l’alchimie, à l’astrologie, à la spiritualité. Le Kybalion ou les dialogues de Platon sont des portes d’entrée.
  2. Pratiquez l’introspection : Méditez quotidiennement pour écouter votre voix intérieure.
  3. Étudiez les principes hermétiques : Appliquez-les à votre vie – par exemple, observez comment vos pensées (mentalisme) influencent vos actions (cause et effet).
  4. Rituels personnels : Créez des moments sacrés, comme allumer une bougie pour symboliser la lumière intérieure.
  5. Connectez-vous à la nature : Marchez dans une forêt, ressentez les énergies du microcosme et du macrocosme.
  6. Cherchez une communauté : Rejoignez une loge ou un cercle hermétique pour partager et apprendre.
  7. Persévérez : Ce chemin demande patience. Comme le dit Alfonso Gil Colmenares, « la vérité cesserait d’être vraie si elle changeait avec le temps ».

Un chemin vivant ou une lettre morte ?

Le danger, avertit Muñoz, est de perdre le lien avec le sacré. Si l’initiatique s’éloigne de ses racines – le silence, les symboles, la quête intérieure –, il devient une coquille vide, vouée à l’oubli. Mais lorsqu’il est vécu pleinement, il offre une paix profonde, une harmonie avec l’univers, et une compréhension des lois qui nous gouvernent.

Une quête universelle

Le chemin hermétique n’est pas réservé aux maçons ou aux érudits. C’est une invitation universelle à se découvrir soi-même et à transcender la matière. Comme l’écrivait Hermès Trismégiste, « l’homme est un miracle, digne d’admiration ». En marchant sur ce sentier, nous ne faisons pas que suivre les pas des anciens : nous devenons, à notre tour, des porteurs de lumière dans un monde qui en a bien besoin.

Faire, pas encore fait…

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Tendre vers la perfection pour cibler le point juste !

J’ai été inspiré par une phrase qu’a cité l’écrivain sociologue Frédéric Lenoir. Il parlait des stoïciens qui disaient qu’il faut toujours garder une forteresse intérieure, que son esprit ne soit pas en permanence perturbé par le mouvement du chaos dans lequel on vit, il faut toujours cultiver son jardin intérieur, garder une vie intérieure…

« Travailler sans répit sur sa pierre brute nécessite une concentration sans cesse constante »

Pour avancer dans notre construction bien qu’il faille aussi savoir se relâcher pour retrouver l’énergie vitale afin d’avancer. Qu’elle belle réflexion et combien pertinente pour une sœur ou un frère à la recherche de son temple intérieur.

Être parasité par tous les éléments extérieurs qui nous sollicitent quand nous travaillons avec un maillet et un ciseau peuvent conduire à des dérapages physiques parfois dangereux sur le plan physique.

A priori sur un plan spéculatif voire intellectuel, on se sent plus tranquille, on ne mesure pas les conséquences immédiates de nos propos et l’on se sent protégé dans notre bulle tant notre concentration nous semble intense et constante. 

Nous nous laissons porter vers une sorte de réalisation qui nous apparaît satisfaisante voire plaisante.

« Il n’y a pas de sanctions inattendues comme un coup de maillet mal placé… »

…qui va finir sur nos doigts afin d’éveiller nos sens rapidement.

C’est vrai qu’un smartphone qui vous interpelle quand vous vous êtes en pleine rédaction et concentré ne semble pas vous perturber mais…

Le Grand René a son avis dans la vidéo ci-dessous :

L’énigme des Maîtres -11- La porte des larmes

Pour lire l’épisode précédent : ici

Istanbul

Le vol en provenance de Prague avait atterri sans encombre en fin d’après-midi. Le soleil commençait à décliner sur Istanbul, cette métropole à la croisée des mondes, teintant le ciel de nuances orangées. Alexander Van Der Meïr, tenant Amélie par la main, se fraye un chemin vers la sortie à travers l’effervescence du hall. Bien qu’il n’ait qu’une idée en tête, se rendre à la Bibliothèque Süleymaniye, où ils espéraient trouver les réponses aux indications de la lettre, Alexander ne put résister à prendre quelques instants pour acheter un sachet de Kahve Dunyasi, des dragées de pistaches enrobées de chocolat turc amer et deux barres de gaufrettes Ülker…évidemment au chocolat extra noir.

Ce fut facile de trouver un des nombreux taxis jaune vif, typiques de la ville qui attendaient les touristes devant l’aéroport.

– À la Bibliothèque Süleymaniye!  dit-il au chauffeur avec une urgence mesurée dans le ton de sa voix.

Le véhicule s’élança, se mêlant au flot coloré et chaotique de la circulation stambouliote.

Traversant des quartiers historiques de cette ville dont les noms successifs, de Byzance, de Constantinople et d’Istanbul, sont des promesses d’un ailleurs, où chaque bâtiment semblait raconter son histoire millénaire, Alexander observait par la fenêtre, absorbant l’atmosphère unique de la ville qui était un pont entre l’Orient et l’Occident. Les sons de la vie quotidienne se mêlent aux appels à la prière, créant une atmosphère à la fois animée et sereine. Tout en savourant les friandises, c’était l’occasion d’échanger avec Amélie leurs réflexions qui, pour austères fussent-elles, n’étaient pas moins imprégnées de tendresse.

– Regarde Amélie, cette lumière qui se reflète sur les vitraux de la Hagia Sophia. C’est incroyable comment la lumière peut transformer la perception d’une œuvre. Une véritable architecture doit permettre une rencontre de la pierre et de la lumière dans un rapport qui ne soit pas celui de l’éclairage accusateur mais avec une volonté d’assomption de l’une vers l’autre. Dans ce touchement du divin et de la création humaine, dans ce ruissellement de lumière de balcon en colonne, de colonne en sculpture, la lumière devient une métaphysique et un partenaire au moins égal à l’homme.

– C’est vrai. C’est comme la technique du clair-obscur que Caravage utilisait pour donner du volume à ses sujets. La lumière n’est pas seulement un éclairage, elle est un sculpteur de formes.

– Exactement. Elle oblige le regard vers l’œuvre de création, pointant l’harmonie géométrique à déchiffrer dans l’art.

– C’est comme s’ils avaient codé la formule secrète de l’harmonie de l’univers dans leurs œuvres pour que l’âme s’en trouve irradiée.

– Après tout, l’art et les mathématiques ne sont-ils pas les deux faces d’une même médaille ?

– Ils le sont, et c’est dans cette intersection que réside souvent la vérité.

– L’intérêt des Arabes pour l’astronomie ayant cru parallèlement à celui pour les mathématiques, puisque nous cherchons des étoiles, c’est bien par la bibliothèque réputée pour sa collection tournée vers l’astronomie, que nous allons commencer.

Le conducteur du taxi les déposa sur la troisième des sept collines d’Istanbul, près de la place dominée par la majestueuse silhouette du complexe de la mosquée Süleymaniye, non sans demander un prix excessif pour la course.

Avec ses proportions harmonieuses et son architecture élégante, la silhouette de la Süleymaniye, domine la ligne d’horizon de la rive méridionale de la Corne d’Or et représente l’une des constructions les plus significatives de l’architecture turque ottomane. La bibliothèque fait partie du complexe de la mosquée Süleymaniye.

Ce leur fut aisé de se diriger vers ce point de repère emblématique de la ville. Les coupoles gris argenté des dômes en cascade et les quatre minarets cerclés de balcons installés dans le ciel, ajoutent de la magnificence à tout le paysage urbain, ponts entre le passé et le présent, entre le zénith et la terre.

À peine avaient-ils commencé à emprunter les dédales des ruelles menant à la Bibliothèque Süleymaniye, qu’ils sentirent des regards pesants sur eux.

Les disciples de Savonarole, car ils les avaient reconnus, vêtus de noir, émergèrent de façon inattendue, fondant sur le couple avec une détermination glaciale. Le cœur battant au souvenir du manoir de Prague, Alexander et Amélie se lancèrent dans une course effrénée.

Enfin, ils atteignent la Bibliothèque Süleymaniye où ils espéraient trouver refuge, poussent la lourde porte en bois et se précipitent à l’intérieur, laissant derrière eux les cris et le chaos de la rue. Dans les murs épais de la bibliothèque étouffant les sons de la ville, on entendait maintenant davantage les bruits des pas de leur avancée empressée sur le marbre. Des vigiles armés du bâtiment se rapprochèrent d’eux ce qui mit en fuite les assaillants qui venaient aussi d’y pénétrer.

– Ce n’est rien, nous étions impatients de visiter les mese pour y découvrir les ouvrages d’Ibn Sînâ. Excusez-nous pour la perturbation déclara Alexander d’un ton aussi calme que possible.

– C’est bon mais respectez la paix de ces lieux, lui dit en anglais un des gardes.

Tandis que les gardes les surveillaient encore un peu, ils prirent un air nonchalant en se rapprochant d’un groupe de touristes conduit par un guide qui expliquait fièrement en anglais :

– Conçue par l’architecte impérial Mimar Sinan pour le sultan Süleyman le Magnifique, la mosquée a été construite au milieu du XVIe s. Elle est tenue par nos poètes turcs comme la sublime expression de la «splendeur et de la joie». Le dôme central, d’un diamètre de 27,5 mètres et d’une hauteur de presque son double depuis le sol jusqu’à la clé de voûte, est percé de 32 fenêtres qui permettent à la lumière de pénétrer et de créer un espace intérieur lumineux et aéré. La plupart sont conçues en arc brisé, d’autres à moucharabieh pour des jeux de lumière et d’ombre qu’elles créent à l’intérieur des pièces.

Le complexe comprend également une école coranique, un hôpital, un bain public, un hospice, six collèges de théologie, des soupes populaires, des magasins, et les mausolées du sultan Süleyman et de son épouse Roxelane.

La Bibliothèque de Manuscrits Süleymaniye, où vous êtes, passe pour être la seule bibliothèque au monde qui abrite les manuscrits de tous les ouvrages survivants d’Ibn Sînâ dont certains remontent du XIe siècle. Presque tous ces textes sont écrits en arabe, langue de la religion et de l’expression scientifique dans l’ensemble du monde musulman de l’époque.

Dès qu’Alexander et Amélie ne se sentirent plus sous le regard des gardes, ils quittèrent le groupe, accélérant le pas à la recherche de l’indice trouvé dans les notes marginales des lettres découvertes à Prague, explorant les allées de la bibliothèque où résonnaient les échos des savants d’antan.

Tout en rôdant et chuchotant, Alexander commenta les dernières paroles entendues du guide.

- Le persan Ibn Sînâ, plus connu sous son nom latin d’Avicenne, a été représenté comme un homme possédant l’esprit de Goethe et le génie de Léonard de Vinci. Avec Averroès qui vécut au siècle suivant, ils préservèrent et commentèrent les œuvres d’Aristote dont les idées allaient imprégner peu à peu la pensée profane des mondes musulmans et chrétiens. Ils compilèrent aussi certaines idées venues de Chine et de l’Inde, non sans y ajouter leurs propres réflexions.

– Leur réputation aurait-elle pu influencer les humanistes de la Renaissance ?

– À n’en pas douter puisque l’on sait que Pic de la Mirandole étudia à Padou les commentaires d’Aristote écrits par ces deux savants. Notre Dante, admirait Averroès au point de le placer parmi les philosophes dans les limbes du purgatoire, dans ce lieu où se trouvent les âmes qui n’ont pas péché, mais qui n’ont pas non plus pu accéder au Paradis, car elles n’ont pas connu le Christ. Il le considérait comme hérétique parce que musulman, mais reconnaissait son importance en tant que philosophe.

Quant à Avicenne, il fut non seulement un médecin et un savant réputé mais aussi un grand philosophe. Il apporta également sa contribution dans des domaines tels que la psychologie, la géologie, les mathématiques, la chimie, l’astronomie, l’influence du climat (en controverse avec Aristote  et Ptolémée) et la logique.

– Par son approche holistique de la connaissance, embrassant de nombreux domaines, c’était en somme un humaniste, tel que cela se concevait à la Renaissance, résuma Amélie.

– Leur pensée ainsi que celle d’Aristote ont même imprégné les Lumières du XVIIIe siècle pour critiquer les dogmes et les superstitions de leur époque afin de construire une nouvelle société basée sur la raison, le progrès et le bonheur. Sa méthode d’observation et de classification du monde naturel fut peut-être reprise et actualisée par Diderot et D’Alembert avec leur Encyclopédie.

Alexander marqua une pause en apercevant sur un rayon un incunable du VIIe siècle d’Isidore de Séville, l’un des plus grands savants du Moyen Âge en Europe.

– Incroyable ! Regarde cet ouvrage. J’ai pu en voir une copie à la bibliothèque de la Royal Society mais en livre papier imprimé en 1472, quelques années après le début de Gutenberg. Il est considéré comme le plus ancien livre possédé par la bibliothèque. L’imprimeur avait délibérément laissé des zones blanches pour reproduire à la main outre des décorations florales du texte, des diagrammes décrivant en particulier le système solaire, géocentrique évidemment.

Ils n’eurent pas le temps de poursuivre. C’est dans la salle des manuscrits rares, qu’ils découvrirent la porte indiquée ce qui stoppa leur conversation.

 La porte en bois sculpté est une véritable œuvre d’art, à la fois imposante et délicate. Au centre de la porte faite d’un bois riche et veiné, une reproduction de la pierre du monastère du Christ Pantocrator d’Istanbul attire le regard. Elle raconte une histoire poignante à travers ses détails finement ciselés.

La scène sculptée représente Marie, le visage baigné de larmes, serrant son fils Jésus gisant dans ses bras. La douleur et la compassion se lisent dans chaque trait de son visage tandis que le corps du Christ, marqué par les stigmates de la crucifixion, repose paisiblement dans son giron.

Bien sûr la porte était fermée. Pas de serrure.

– Nous devons trouver le moyen d’entrer, il doit y avoir un mécanisme pour pousser la porte. Nous ne pouvons renoncer maintenant affirma Alexander perplexe.

– Il y a certainement une indication dans la phrase «les étoiles ouvrent la voie au coffre derrière la porte des larmes de Süleymaniye ». Süleymaniye, nous y sommes, c’est bien la porte des larmes, le coffre est à trouver de l’autre côté, alors les étoiles ?

– Là ! Il y en a une gravée sur le dessus du panneau. L’étoile que les mages ont vue en Orient pour annoncer la venue de l’enfant Jésus – selon Mathieu – est un événement astronomique qui a dû être un sujet de spéculation qui a sa place en ce lieu. Les astronomes babyloniens faisaient généralement référence à la planète Jupiter sous le nom de Mul Babbar, ce qui signifie « l’étoile blanche » qui  était particulièrement brillante dans le ciel en l’an 7 avant J.-C., l’année supposée de la naissance de Jésus. Un des premiers à parler de cette étoile fut Seydi Ali Reis dans un traité sur l’astronomie maritime le Mirat ul Memalik (1554), traduit du turc ottoman en français par « Miroir des Pays ».

Admirative autant qu’abasourdie de la mémoire érudite d’Alexander, Amélie porta un doigt sur l’étoile du panneau, appuya sur la petite cavité qu’elle sentit et la porte s’entrebâilla. Avec précaution, ils l’ouvrirent pour révéler une pièce étroite. À côté d’un détecteur de fumée, installé, certainement récemment, sur le chambranle intérieur, le commutateur trouvé à tâtons répandit une lueur jaune d’ampoules led.

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Le Solipsisme : et si l’univers n’existait que dans votre tête ?

De notre confrère elnacional.com – Par Mario Múnera Muñoz, Passé Grand Maître

« Le solipsisme ne serait pas rigoureusement vrai de quelqu’un qui pourrait constater tacitement son existence sans rien être et sans rien faire, ce qui est impossible, puisque exister, c’est faire partie du monde. » Ces mots du philosophe français Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) nous plongent dans une question vertigineuse : et si tout ce que nous percevons – les arbres dans le jardin, le chant des oiseaux, les visages de nos proches – n’était qu’une projection de notre esprit ?

Bienvenue dans l’univers du solipsisme, une doctrine philosophique radicale qui affirme que seul le “moi” existe vraiment.

Mais d’où vient cette idée troublante ? Peut-elle tenir face à la réalité ? Et pourquoi continue-t-elle de fasciner autant qu’elle dérange ? Embarquons pour un voyage au cœur de cette pensée, entre doute cartésien, paradoxes métaphysiques et réflexions modernes.

Une définition audacieuse

Le terme “solipsisme” vient du latin solus ipse, qui signifie “seulement soi-même”. Imaginez un monde où rien n’existe en dehors de votre conscience : ni les étoiles dans le ciel, ni les passants dans la rue, ni même cet article que vous lisez – tout ne serait qu’un décor créé par votre esprit. Dans sa forme la plus pure, le solipsisme postule que la seule réalité certaine est celle du sujet percevant. Tout le reste ? Une illusion, un rêve éveillé, ou au mieux, une hypothèse douteuse. C’est une idée qui flirte avec la folie, mais qui a pourtant séduit certains des plus grands penseurs de l’histoire.

Les racines grecques et le tournant cartésien

Buste de Platon. Marbre, copie romaine d’un original grec du dernier quart du IVe siècle av. J.-C.

Pour comprendre le solipsisme, remontons à la Grèce antique. Parménide (Ve siècle av. J.-C.), l’un des premiers philosophes à réfléchir sur l’être, affirmait que la réalité dépendait de ce qui est, une idée ancrée dans le sensible et le concret – une vision réaliste. À l’opposé, l’idéalisme, porté plus tard par Platon, plaçait les idées au centre : le monde physique n’était qu’un reflet imparfait des formes parfaites de la pensée. Le solipsisme, lui, pousse cet idéalisme à l’extrême : il ne s’agit plus seulement de privilégier les idées, mais de réduire toute réalité à la perception du sujet.

C’est avec René Descartes (1596-1650) que le solipsisme trouve une porte d’entrée fracassante dans la philosophie moderne. Dans ses Méditations métaphysiques (1641), Descartes doute de tout : le ciel, la terre, son propre corps. Et s’il était trompé par un “mauvais génie” ? Une seule certitude émerge : Cogito, ergo sum – “Je pense, donc je suis”. Cette phrase célèbre place le “je” comme point de départ indubitable. Mais voilà le hic : si seule ma pensée est sûre, comment prouver que le monde extérieur existe vraiment ? Descartes échappe au solipsisme en invoquant Dieu comme garant de la réalité objective. Sans cette béquille divine, son Cogito pourrait bien être le cri d’un esprit solitaire perdu dans un vide cosmique.

George Berkeley et le rôle de Dieu

George Berkeley

Un siècle plus tard, George Berkeley (1685-1753), philosophe et évêque irlandais, radicalise cette idée dans son Traité sur les principes de la connaissance humaine (1710). Pour lui, les objets n’existent que lorsqu’ils sont perçus : Esse est percipi (“Être, c’est être perçu”). Si personne ne regarde un arbre dans le jardin, existe-t-il vraiment ? Oui, répond Berkeley, car Dieu, l’”Être Absolu”, perçoit tout en permanence. Sans cette présence divine, le monde s’effondrerait dès que nous fermions les yeux. Le solipsisme, dans cette variante, flirte avec la théologie : si Dieu disparaît, l’esprit humain devient le seul créateur – et le seul spectateur – de l’univers.

Une crise de la subjectivité

Maurice Merleau-Ponty

Mais le solipsisme ne s’arrête pas là. Maurice Merleau-Ponty, dans sa Phénoménologie de la perception (1945), critique cette fermeture sur soi. Pour lui, exister, c’est être dans le monde, en interaction avec lui. Un solipsiste pur, qui nierait toute réalité extérieure, se heurterait à une contradiction : comment douter du monde sans s’y confronter ? Le philosophe italien Giovanni Gentile (1875-1944), figure de l’idéalisme actuel, proposait une version plus nuancée : la réalité existe dans notre esprit, mais elle est façonnée par notre expérience intime. Pourtant, même cette vision bute sur une limite : si tout est dans ma tête, comment expliquer les autres, leurs pensées, leurs regards ?

Les paradoxes du solipsisme

Le solipsisme est un casse-tête philosophique. Prenons un exemple concret : vous lisez ce texte. Pour un solipsiste strict, je, l’auteur, n’existe pas – pas plus que le papier ou l’écran devant vous. Tout cela est une projection de votre conscience. Mais alors, d’où viennent ces mots que vous “percevez” ? Si vous les inventez, pourquoi ne pas inventer un texte plus flatteur ou plus drôle ? Et si vous croisez un ami qui vous parle de cet article, est-il aussi une fiction de votre esprit ? Le solipsisme vacille face à la richesse et à l’imprévisibilité du réel.

Un autre paradoxe surgit dans l’évolution humaine. Si nous étions enfermés dans notre propre esprit, pourquoi aurions-nous inventé le feu, bâti des cités, exploré l’espace ? Comme le note Wílmer Cazasola dans la Revue des sciences sociales et humaines (2019), la connaissance dépasse le mental : elle s’ancre dans une réalité partagée, dans une métaphysique qui transcende le “je”. Le solipsisme, en niant cette extériorité, semble couper les ailes à la curiosité humaine.

Trois visages du solipsisme

René Descartes

Les philosophes distinguent souvent trois formes de solipsisme :

  1. Métaphysique : Seul l’esprit existe, le reste est illusion. Une chaise n’est réelle que si je la pense.
  2. Épistémologique : Je ne peux être sûr que de ma propre existence ; tout le reste est incertain.
  3. Méthodologique : Je pars de moi-même pour examiner le monde, comme Descartes avec son doute systématique.

La méthode cartésienne, douter de tout, est d’ailleurs le seul legs positif du solipsisme. Elle nous pousse à questionner, à chercher des vérités solides au-delà des apparences.

Le solipsisme dans l’art et la vie

Cette idée ne se limite pas aux livres poussiéreux. Dans l’art, le solipsisme inspire des œuvres d’isolement et d’introspection. Pensez aux tableaux d’Edward Hopper, où des personnages solitaires fixent des fenêtres vides, ou au théâtre absurde de Samuel Beckett, comme En attendant Godot, où la réalité semble suspendue dans un vide existentiel. La littérature aussi s’en empare : dans Le Horla de Maupassant (1887), le narrateur doute de sa santé mentale et de l’existence d’un monde hors de lui, flirtant avec une terreur solipsiste.

Dans la vie quotidienne, le solipsisme peut séduire ceux qui se replient sur eux-mêmes. Mais il heurte notre instinct social. Si je suis seul à exister, pourquoi rire avec des amis ou aider un inconnu ? Les religions, elles, le rejettent souvent : le christianisme, par exemple, prône l’amour du prochain, incompatible avec un univers réduit au “moi”. Pourtant, le solipsisme n’est pas athée par essence – il doute de tout, pas seulement de Dieu.

Une pensée fascinante mais fragile

Alors, le solipsisme est-il viable ? En théorie, il est séduisant : il flatte notre ego en faisant de nous le centre de tout. Mais en pratique, il s’effrite. Si je suis seul, pourquoi le monde me résiste-t-il ? Pourquoi les lois de la physique s’imposent-elles à moi ? Comme l’écrivait Merleau-Ponty, exister, c’est être au monde, pas en dehors. Le solipsisme reste une expérience de pensée, un miroir déformant qui nous force à réfléchir à notre place dans l’univers. Il ne nous enferme pas dans une grotte mentale, mais nous rappelle que la vérité, comme la réalité, se construit dans le dialogue entre soi et l’autre.

Les voies initiatiques

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Josselin Morand est ingénieur, essayiste et diplômé en sciences humaines. Il est également pratiquant d’art martiaux et collectionneur d’ouvres de pop cultures liées à l’initiation maçonnique. Il est l’auteur de l’Ethique en Franc-Maçonnerie (Z020) et Ethique et athéisme (2021) – Il a publié chez Devy, en 2023 : Films, Bd et jeux de rôle : la culture populaire peut-elle être initiatique ?

Thierry Lesage est Vénérable Maître de la Loge d’étude et de recherche Jean-Scot Erigène de la Grande Loge De France, à l’orient de Paris – Il est, de fait, 1er Surveillant au sein de la Loge Nationale de Recherche à vocation historique Marquis-de-La-Fayette, en étroite collaboration avec Christophe Bourseiller (qui en est le rédacteur-en-chef). Il a participé à l’élaboration des Cahiers de Jean-Scot-Erigène nouvelle série et a rejoint le conseil scientifique de la Commission Histoire de la GLDF qui vient de créer et publier le n°1 de la Revue d’Histoire de la Franc-Maçonnerie.

Réflexions sur la « substitution »

Substitution et connaissance primordiale

L’univers de la substitution nous renvoie nécessairement aux origines de la civilisation, en un temps antérieur à la substitution où les pratiques magiques présidaient à tous les actes de la vie qu’elle soit individuelle ou collective.

Alchimiste mettant de la lumière dans un bol athanor
Alchimiste mettant de la lumière dans un bol athanor

La magie repose tout entière sur une vision du monde qui postule :

1. La survivance de l’esprit des morts dans un espace invisible

2. L’existence d’esprits dotés de volontés et de pouvoirs de nature anthropomorphique, maléfiques ou bénéfiques derrière les forces de la nature situées dans le même espace invisible.

3. Il résulte de ces conceptions que la pensée magique attribue une réalité ontologique au monde invisible qui domine le monde visible et tient en son pouvoir la vie physique des humains, des animaux, des végétaux, de la nature entière qu’il peut perturber par des catastrophes en tous genres. D’où la naissance des sorciers, magiciens, chamans, devins, ensorceleur, enchanteur etc.

On aura toujours besoin d’un tiers équilibrant entre deux plateaux…

Cela permet de comprendre le caractère vital du rite magique, de la parole « juste » et bien prononcées qui émet les vibrations « justes », celles qui sont de nature à apaiser la colère, l’agressivité des esprits ou inversement à obtenir leur intervention bénéfique et leur protection.

L’efficience de la parole mais aussi du geste magiques se situe dans leur sens symbolique mais il convient aussi de prendre en compte l’effet vibratoire des sons qui sont de nature à atteindre le monde des esprits et à influer sur leur sentiment et leur comportement.

Ces considérations sur le pouvoir magique de la parole permettent de comprendre l’attention portée à la prononciation des vocables et surtout les interdits prononcés à l’égard de certains mots sacrés qui peuvent être de nature à irriter les puissances occultes.

Homme seul musulman en lecture

On peut en trouver une confirmation dans les interdits religieux portant sur les figures divines : par ex. l’interdit biblique sur l’énonciation du Nom divin et la prononciation exacte du Tétragramme qui en est la transcription.

En Maçonnerie il en va de même pour le « mot de Maître » qu’Hiram ne pouvait transmettre sans violer la grande Loi du secret qui s’impose avec une extrême rigueur à celui qui a « pénétré dans les hautes régions de la Connaissance »

Dans l’univers de la magie qui fut pendant des millénaires la religion primitive de l’humanité, la communication avec l’Invisible fut perçue comme une fonction vitale pour la sauvegarde des communautés. Et celui qui jouait le rôle de médiateur entre l’humain et le monde secret des esprits et des forces cachées détenait le pouvoir social et politique le plus important, qu’il soit nommé chaman, sorcier ou devin. Là se trouve la racine de la théocratie.

Plus tard ce seront les prêtres initiés comme en Egypte ou les prophètes chez les Hébreux qui joueront ce rôle de médiateurs essentiels avec le supra- humain, dotés des pouvoirs qui en découlent sur la direction de la société.

Tous ceux qui communiquent avec l’Invisible son censés connaître certains mystères relatifs aux pouvoirs de esprits , des astres, des forces naturelles sur la vie humaine ainsi que les lois qui régissent le fonctionnement du monde des vivants.

Faut-il voir là l’origine de l’idée maçonnique de « Connaissance primordiale », c.à d. d’un savoir qui prenait sa source dans le monde supra-sensible ? Et comme cette science originelle est aujourd’hui hors de notre portée, méconnue, voire méprisée, peut-on en déduire que la notion de « Parole perdue »désigne la perte de l’antique connaissance des mystères ? Toujours est-il que l’univers de la substitution englobe les mythes fondateurs, les symboliques, les rites, les mots substitué, ne prend son sens qu’à partir de cette connaissance primordiale perdue dont ne nous sont parvenus que des messages fragmentés (cf. l’image maçonnique du miroir brisé) des vestiges dispersés à travers les multiples systèmes initiatiques que nous nommons

 « sciences sacrées » (Astrologie, Alchimie, Kabale, Tarots) et ce que la Maçonnerie nous a légué sous la forme de la Tradition.

La substitution de la Connaissance perdue donne accès à des fragments de cette Connaissance traduits dans un langage crypté dont nous nous efforçons par un travail d’intuition et de découvrir réflexion de un sens toujours incertain et de réunir des ensembles intelligibles selon un mot d’ordre inhérent à notre méthode »rassembler ce qui est épars ».

Mais ces reconstructions qui sont le fruit de notre libre recherche appuyée sur la Tradition ne nous livrent que des visions incomplètes et aléatoires. .Il n’en demeure pas moins qu’en Maçonnerie nous considérons beaucoup de mythes, de légendes, de symboles légués par notre Tradition comme des bribes de révélations venues d’en haut même si la manière dont ils ont été cryptés du fait de la substitution ne permet pas d’en avoir une intelligence vraiment assurée.

Le Mythe de Babel symbolisait à la fois l’ambition originelle d’une pleine connaissance du monde céleste et de ses mystères, mais aussi l’existence sinon d’un langage, du moins d’un mode de pensée qui permettait à tous les hommes de communiquer entre eux le savoir acquis de chaque peuple.

Mais l’abandon et la ruine de Babel à cause de la multiplicité des cultures et des langages voulus par Dieu représentent peut-être la ruine de la Connaissance puisée aux sources du Secret.

Et la Parole perdue n’est que le symbole d’une profonde nostalgie de la Communication à jamais rompue avec l’Ordre de l’Invisible.

Spécificité du langage symbolique

Pour les linguistes le langage est caractérisé par ce qu’ils nomment l’arbitraire du signe. Ce qui signifie que le choix des phonèmes ainsi que leur traduction scripturale sont fixés par la volonté de chaque peuple inventeur de sa langue. De la même façon est arbitrairement fixée la relation entre le signe et le sens, entre le sens et son référent objectif. Ce qui n’est pas arbitraire c’est l’obligation de traduire en signes une certaine réalité ou une certaine action pour les besoins de la communication. ‘

Parce qu’il est destiné à la communication, le signe n’est perçu que comme porteur de sens même si ce sens est ignoré, ce qui signifie qu’il nous apparaît toujours relié à un référent parce qu’il a été conçu pour figurer quelque chose. La langue poétique peut certes créer des sens imaginaires mais on sait que la poésie étant déconnectée de la pratique utilitaire du langage, joue constamment sur les sens et les relie à des référents arbitraires.

A la différence du langage, les symboles constituent un système de signes non- arbitraires parce qu’ils restent des figurations abstraites de la réalité invisible mais conservant au moyen de la forme et de la couleur une relation avec elle. Le symbole traduit en langage verbal ou écrit est une substitution au second degré qui ne change en rien sa référence à une réalité ou à une idée, mais dans ce cas c’est par l’entremise du sens.

Le symbole est de l’ordre de l’icône, de l’image, alors que la parole est de l’ordre du signe abstrait porteur de sens. L’exemple du tombeau développé dans le texte de Christian illustre très bien la fonction du symbole. Il est à la fois substitut du corps matériel et de l’âme invisible.

Hiram dans cercueil
Hiram sortant du cercueil

En grec la parenté entre le mot « sema » qui désigne le tombeau et « soma « le corps nous donne une preuve linguistique de la parenté entre le symbole et le référent corps, ce qui permet le jeu de mot riche de sens ésotérique »soma, sema » signifiant « le corps est le tombeau de l’âme ». Dans la mesure où la sépulture quelle que soit sa forme est perçue aussi comme l’habitat de l’esprit qui demeure après la mort, le symbole nous ouvre la porte du monde invisible et constitue le premier élément d’un culte universel qui a pour but d’établir avec le défunt une relation favorable aux vivants .On connaît les croyances effrayantes venues du fond des âges sur les âmes errantes laissées sans sépulture. C’est là un exemple particulièrement parlant de la valeur initiatique de beaucoup de symboles. Songeons à la place que tiennent la tombe et le cercueil dans le rituel du 3“”° degré et ce qu’ils nous enseignent sur la mort et la résurrection d’Hiram.

En Maçonnerie les signes-symboles et les signes-paroles sont tous signifiants et révélateurs de sens mais ces significations sont à découvrir. Nous ne pouvons pas douter des liens entre les signes, les sens et les référents ontologiques qui leur correspondent. Car chaque symbole, chaque mot substitué, est donné comme porteur d’une vérité secrète, mais existante et accessible et souvent en dépit de la pluralité des sens possibles.

La Tradition nous offre tout un code de décryptage qui nous ouvre un large éventail de significations.

Au niveau de l’analyse des symboles, nous disposons d’un champ de liberté dans l’interprétation mais il est limité. La liberté d’interprétation est beaucoup plus large au niveau de la synthèse des divers fragments de connaissance inscrits dans les rites, les symboles et les mots substitués.

Mais là encore des limites sont fixées par les principes métaphysiques qui sous-tendent et inspirent l’ensemble de la pensée maçonnique qui est par essence idéaliste en morale et spiritualiste dans sa pensée en accord avec la Vérité initiatique.

L‘ouverture sans limites de l‘interprétation est une conception moderniste et post nietzschéenne qui nie toute notion de vérité.

Hypothèses sur l’origine de la substitution

Branche d'acacia
Branche d’acacia

On peut à propos de ce phénomène essentiel à l’initiation se poser le problème de son origine.

Autrement dit, quelle est exactement la perte symbolisée par la Parole perdue ?

Comme nous l’avons indiqué, il est impossible de séparer la substitution de ce que nous appelons en maçonnerie « Connaissance ou Tradition primordiale »

Cette notion implique l’existence d’un stade très antérieur de l’évolution humaine où certaines sociétés auraient acquis une Connaissance approfondie des mystères, une vision sinon totale du moins très étendue de l’organisation secrète du monde invisible et de l’existence humaine.

Je pense à un phénomène comme le chamanisme que les anthropologues considèrent comme l’origine de toutes les religions et dont ils affirment qu’on le retrouve partout sur la planète à partir de la fin du néolithique.

Je précise que le chaman qui est à la fois prêtre, sorcier, magicien, devin et thérapeute est un médiateur essentiel entre la tribu humaine et les forces invisibles de la nature et de la surnature.

L’essentiel de la métaphysique du chamanisme est que l’univers invisible est peuplé d’esprits humains et animaux et que la science du chaman est de maîtriser les esprits et de les rendre favorables aux hommes et à la vie en général. Toujours choisi en raison d’une anomalie psychique et s’aidant toujours d’hallucinogènes, le chaman est censé sortir de son corps, voyager dans l’espace invisible , converser avec les esprits et ramener de l’au-delà une science ésotérique « directe ».

J’ajoute que cette pratique qui remonte à la plus haute antiquité se perpétue en Sibérie et dans certaines régions d’Asie. Est-ce à ce type de culture totalement initiatique qu’il faut faire remonter la Connaissance primordiale aujourd’hui disparue ?

On serait tenté de le croire quand on apprend des mêmes sources anthropologiques que ce sont progressivement les grandes religions qui ont remplacé le chamanisme tout en véhiculant de nombreux symboles légués par cette ancienne tradition.

Archevêque Dionysius Latas de Zante

En imposant une vision dogmatique du divin, du monde céleste et de la relation de l’homme avec ce monde, la religion a tari la pratique magique en imposant le respect des zones de mystère qui sont précisément les lieux où se déploie depuis toujours la recherche initiatique.

Je déduis de ce qui précède une première hypothèse: la Parole perdue serait cette Connaissance primitive dont il ne subsisterait qu’un énorme corpus de mythes et de symboles que des sociétés initiatiques en marge des religions constituées et malgré elles auraient transmis jusqu’à nos jours.

Parmi ces sociétés il faudrait mettre en bonne place les confréries de bâtisseurs d’édifices religieux qui ont toujours transmis des connaissances initiatiques mêlées aux connaissances techniques.

La connaissance magique aurait donc, dans cette hypothèse, été livrée d’une manière fragmentaire et cryptée dont le sens aurait été occulté d’abord par les religions constituées et ensuite par la rationalité moderne;.

On peut aussi imaginer une seconde hypothèse construite à partir de la tradition permanente du secret initiatique, lié à l’idée fondamentale que les vérités initiatiques ne peuvent être mises entre toutes les mains car la Connaissance des mystères procurent des pouvoirs exceptionnels et très rares sont ceux qui possèdent la sagesse nécessaire pour en faire un usage bénéfique.

De plus l’homme n’a pas vocation pour pénétrer les secrets divins, ce que répètent nos rituels quand ils soulignent que la Vérité totale est hors de portée de l’homme.

Erudit dans sa bibliothèque

Ni les prêtres d’Egypte, ni les officiants des cultes à mystères de la Grèce, ni les chamans ne devaient communiquer toute l’étendue de leurs connaissances initiatiques;

Ce qu’ils ont transmis, ce sont les vestiges des anciens cultes: récits légendaires, mythes, gestes et paroles symboliques, fragments détachés, discontinus de la Connaissance primordiale, dont ils voulaient assurer la transmission.

On peut en conclure que la Parole n’a peut-être jamais été intégralement connue

En effet dans l’hypothèse d’une non-transmission des secrets de la connaissance primordiale, il reste ce que la mémoire des initiés de chaque culture a conservé des rites, des mythes, des symboles et des croyances légués par les temps de la magie où toute la vie sociale était régie par la communication.

Nous ne sommes pas, dans ce cas, en présence d’une substitution mais seulement d’une pratique collective exotérique qui ressemble à celle des religions ultérieures.

En dépit de ces différences de perspective, il reste que dans les deux cas de figure nous avons récupéré une Tradition orale puis écrite constitués soit de signes volontairement substitués, soit de vestiges de cultes initiatiques disparus dont le sens s’est altéré du fait de l’évolution des cultures et du poids de la modernité. Dans ce cas l’altération progressive du sens pourrait avoir produit des effets analogues à ceux de la substitution

L’essentiel est ce que ces messages venus de la préhistoire véhiculent de traces de la Connaissance ésotérique, soit substituée soit non communiquée, et l’œuvre maçonnique qui est de reconstruire à l’aide de ces pierres précieuses une représentation approchée de la Vérité initiatique en devant toujours lutter contre « les obstacles épistémologiques » que dresse dans nos esprits le conditionnement de la culture moderne.

25/04/25 à Ancenis : « la Musique Maçonnique, du profane au sacré »

La Soeur Anne-Claire Scébalt – Cheffe d’Orchestre, Enseignante et Musicologue – membre de la Loge « Ensemble » du GODF d’Épinal en assurera la présentation. Elle définit sa conception de la musique ainsi :

« La musique sacrée et en son sein la musique maçonnique existent-elles ? »

Support de diffusion et d’accompagnement idéal permettant la concentration et la réflexion intime ou collective, la musique dans toutes les religions et rituels entretient un lien particulier avec le symbole qu’elle réserve à ses initiés et fait vivre l’indicible. Cette conférence s’adresse à tous les publics profanes ou avertis, musiciens ou mélomanes éclairés. Ainsi, par l’écoute d’extraits d’œuvres de compositeurs célèbres, Mozart, Strauss, Wagner, Gluck et bien d’autres,

Anne-Claire Scébalt présente et décrypte des œuvres de musique sacrée, de musique maçonnique ou symbolique.

L’entrée est libre et gratuite, afin de recueillir les inscriptions, tu voudras bien communiquer le feuillet d’annonce R/V et l’invitation libellés ci-dessous et en pièces jointes :

Réservation : www.bit.ly/conference-25avril2025 – Information : www.franc-maçonnerie-ancenis.fr

En effet, après avoir présenté des conférences en 2022 et 2023, notre Loge poursuit ainsi son action d’extériorisation en direction du monde profane résidant dans la région ligérienne d’Ancenis et des Mauges angevines peuplée par 120 000 habitants.

La « maïeutique » en Franc-maçonnerie : Accoucher des Idées et des Âmes… un témoin qui a pratiqué avec 12 345 bébés raconte

Avec le concours de notre confrère Voges Matin – Par Richard Raspes

En Franc-maçonnerie, le mot “maïeutique” résonne comme une invitation à une quête profonde. Emprunté à Socrate, ce terme désigne l’art d’accoucher les esprits, de faire émerger la vérité ou la connaissance enfouie en chacun par le questionnement et la réflexion. Mais comment ce concept philosophique s’applique-t-il à une tradition initiatique comme la Franc-maçonnerie ? Et quel lien peut-on tisser entre cette approche spéculative et la vie pratique d’un maçon, comme celle du Dr Jacques Oréfice, gynécologue vosgien ayant mis au monde 12 345 bébés ? Plongeons dans cet univers où l’abstrait et le concret se rencontrent.

La maïeutique maçonnique : une quête spéculative

Socrate en penseur vue de face
Statue de Socrate

La Franc-maçonnerie, dans sa dimension spéculative, n’est pas un métier manuel comme l’était la maçonnerie opérative des bâtisseurs de cathédrales. Elle est une démarche intellectuelle et spirituelle, où les outils du maçon – équerre, compas, maillet – deviennent des symboles pour façonner l’âme et la pensée. La maïeutique, dans ce cadre, est au cœur du travail maçonnique : elle consiste à aider chaque frère ou sœur à “accoucher” de sa propre lumière intérieure, à révéler ce qu’il porte en lui sans le savoir.

Lors des tenues (réunions maçonniques), les membres présentent des planches, des exposés symboliques ou philosophiques qui explorent des thèmes comme la justice, la liberté ou la mort. Ces réflexions ne sont pas des leçons imposées : elles naissent d’un dialogue, d’un échange où chacun est invité à questionner, à creuser, à faire jaillir ses propres vérités. Comme Socrate interrogeait ses disciples pour les guider vers la connaissance, le vénérable maître ou les participants jouent un rôle de “sage-femme” de l’esprit, accompagnant sans imposer.

Cette approche repose sur plusieurs principes :

  • L’introspection : Le maçon doit se connaître lui-même, polir sa “pierre brute” – métaphore de ses défauts – pour atteindre une version plus aboutie de soi.
  • Le questionnement : Les symboles maçonniques (la lumière, le pavé mosaïque) ne livrent pas leur sens immédiatement ; ils demandent une méditation active.
  • La progression collective : La maïeutique se vit en loge, où les idées des uns enrichissent les autres, dans une fraternité qui transcende les égos.

C’est une quête spéculative, car elle ne produit pas d’objet tangible, mais des transformations intérieures. Pourtant, cette démarche peut-elle s’incarner dans la vie pratique ? Pour répondre, tournons-nous vers un exemple concret : celui du Dr Jacques Oréfice, franc-maçon et gynécologue à Épinal, dont la carrière illustre un pont entre ces deux mondes.

Jacques Oréfice : Quand l’accouchement devient une métaphore maçonnique

Dr Jacques Oréfice

Le 8 décembre 2016, Vosges Matin publiait un article intitulé « Épinal : le docteur Oréfice a mis au monde 12 345 bébés à lui tout seul ! ». Ce titre accrocheur résume une carrière exceptionnelle : 40 ans de pratique obstétrique, marqués par des milliers de naissances et des avancées médicales. Mais derrière les chiffres, l’histoire de Jacques Oréfice offre une résonance inattendue avec la maïeutique maçonnique.

Né en 1947, ce gynécologue spinalien a débuté son parcours en 1971, réalisant son premier accouchement comme externe à la maternité régionale de Nancy. « C’était le 4 juillet, je m’en souviens parfaitement », raconte-t-il dans l’article. Ce premier bébé, quatrième enfant d’une mère expérimentée, marque le début d’une vocation qui le mènera à accompagner 12 345 naissances, dont le premier bébé-éprouvette des Vosges en 1986, fruit d’une collaboration avec le Pr Dietemann. Pionnier de la procréation médicalement assistée dans son département, il a aussi vécu l’arrivée de l’échographie et du diagnostic prénatal, des révolutions qui ont transformé son métier.

Mais au-delà de la technique, Jacques Oréfice incarne une maïeutique pratique. Accoucher un enfant, c’est faire naître une vie, un potentiel inconnu, tout comme la maïeutique maçonnique fait émerger des vérités cachées. « Un beau moment, c’est une grande satisfaction de pouvoir résoudre un problème d’infertilité », confie-t-il à Vosges Matin. Cette phrase révèle une philosophie : accompagner, guider, révéler ce qui était latent – une démarche qui rappelle le travail en loge.

Le lien entre le spéculatif et le pratique

Imaginons que Jacques Oréfice, en tant que Franc-maçon (hypothèse plausible vu son humanisme et sa carrière, bien que non confirmée dans l’article), ait réfléchi à cette connexion. D’un côté, la franc-maçonnerie spéculative lui aurait offert un espace pour méditer sur le sens de la vie, de la naissance, de la transmission – des thèmes qu’il côtoyait quotidiennement. Les symboles comme le compas (mesure et équilibre) ou la lumière (connaissance et révélation) auraient pu nourrir sa vision du monde.

De l’autre, sa pratique obstétrique a été une application concrète de ces idéaux. Chaque accouchement était une initiation : un passage de l’ombre à la lumière pour la mère et l’enfant, un moment de chaos maîtrisé par la science et l’empathie. Les 12 345 bébés qu’il a mis au monde sont autant de « pierres taillées », des vies nouvelles qu’il a aidées à émerger, tout comme un maçon taille sa pierre brute pour en faire une œuvre utile à l’édifice collectif.

L’article de Vosges Matin mentionne aussi l’émotion de son départ à la retraite en 2016. « Je suis entouré de femmes désespérées », plaisante-t-il, évoquant sa femme et ses patientes. Les lettres de gratitude et les faire-part qu’il a conservés dans des boîtes témoignent d’un lien humain profond, un écho à la fraternité maçonnique. Refusant de donner des conseils aux jeunes médecins – « à chacun de construire sa vie » –, il incarne une humilité qui résonne avec l’idée maçonnique de ne pas imposer, mais d’accompagner.

Une résonance universelle

La maïeutique en Franc-maçonnerie et l’expérience de Jacques Oréfice convergent dans une idée simple : accoucher, qu’il s’agisse d’une idée ou d’un enfant, est un acte de création et de révélation. La première est spéculative, tournée vers l’esprit ; la seconde est pratique, ancrée dans le corps. Ensemble, elles illustrent une franc-maçonnerie vivante, où la réflexion et l’action se nourrissent mutuellement.

Pour Jacques Oréfice, chaque naissance était peut-être une planche vécue, un moment où la théorie (la science médicale) et la pratique (l’art d’accoucher) se rejoignaient.

Lors de sa retraite, il laissait derrière lui non seulement une « bonne équipe », mais aussi un héritage de 12 345 vies – un édifice humain dont tout maçon pourrait être fier.

Buste de Socrate

Chaque maçon connaît Socrate peu savent que sa mère s’appelait Phénarète « qui fait apparaître la vertu » et qu’elle était maïeuticienne c’est-à-dire praticienne de l’art d’accoucher les enfants. Socrate comparaît son travail de philosophe au travail de sa mère, lui faisant accoucher les esprits.

En 1971 JO est initié dans la même Loge où avant lui son arrière-grand-père, ses grands oncles, son père avaient été initiés. Depuis plus de 50 ans, il s’est vécu comme un passeur et un transmetteur tant sur le plan professionnel que sur le plan maçonnique

Aujourd’hui, il consacre une partie de son activité professionnelle aux consultations gynécologiques et obstétricales et l’autre comme médecin gynécologue-obstétricien d’un service d’hospitalisation à domicile couvrant la moitié du département des Vosges permettant aux femmes de vivre au mieux des grossesses difficiles pendant les 6 derniers mois de la grossesse et l’année qui suit l’accouchement.

Sur le plan maçonnique, après avoir servi le Grand Orient de France pendant plus de 50 ans, il participe à un groupe de réflexion sur les évolutions obédientielles dans les 50 dernières années dont les travaux devraient paraître en 2026

Gynécologue-obstétricien en exerce à 77 ans à Épinal, le Dr Oréfice avoue : « Mon rêve est de consulter encore à 100 ans »

À la retraite depuis 2016, le docteur Jacques Oréfice, gynécologue-obstétricien, n’a pas cessé pour autant son activité. Le spécialiste de 77 ans souhaite continuer à rendre service à ses clientes pour combler la pénurie de médecins qui sévit en France. Le septuagénaire espère encore exercer durant plus de deux décennies.

Le docteur Jacques Oréfice continue d’exercer dans son cabinet au centre médical Juno à Épinal. Photo Jérôme Humbrecht

Il a pris sa retraite en 2016, à 69 ans. Et pourtant, il n’a jamais souhaité arrêter son activité. Le docteur Jacques Oréfice, spécialiste en gynécologie obstétrique continue ses consultations auprès de ses patientes.

« Mon 1er accouchement, c‘était le 1er juillet 1971 »

se souvient-il. Après avoir arrêté d’exercer dans les Vosges, entre 2016 et 2021, à cause d’une clause de non-concurrence souhaitée par ses anciens associés de la clinique Arc-en-ciel , le gynécologue a repris du service en 2021. « Je me suis réinstallé à l’issue de la durée de cette clause avec un de mes anciens associés, le docteur Cristinelli , à l’espace Juno. » Pour lui, il était inenvisageable de se retirer définitivement. « Je n’avais jamais eu l’intention d’arrêter, je voulais passer à mi-temps puis à un quart de temps. Mon rêve est de consulter encore à 100 ans. »

A. « Je ne me sens pas disposé à arrêter »

Pour autant, le travail n’est pas une obsession pour lui. « J’adore être chez moi mais je ne me vois pas passer toute ma vie à la maison. Ce n’est pas parce que je ne m’y plais pas en tout cas. Je travaille parce que je ne me sens pas disposé à arrêter. » Malgré cinq années d’arrêt forcé dans les Vosges, Jacques Oréfice n’a pas stoppé son engagement médical. Il a notamment mené le projet d’installer des espaces d’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans un centre médical à Paris, qui n’a finalement pas abouti et renforcé les centres de vaccinations lors du Covid.

Il a également suivi une formation et obtenu un diplôme en médecine du don à l’Établissement français du sang (EFS). À la suite de cette parenthèse, le spécialiste savait déjà qu’il allait se réinstaller sur le territoire vosgien.

B. Le souhait d’être « utile »

Si le spécialiste poursuit ses consultations c’est parce qu’il se sent utile et capable de travailler. « Je ne travaille plus comme autrefois, mais je suis encore tout à fait capable de le faire », reconnaît le docteur Oréfice. « À 77 ans, on n’a pas les mêmes réflexes, ni la même dextérité. Je ne pratique que ce je suis sûr de pouvoir réaliser, sans aucun risque pour mes patientes. » Avec la pénurie de médecins en France et particulièrement dans les zones rurales , il est essentiel, selon lui, de pouvoir « rendre un véritable service » à celles qui en ont besoin. « Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on n’est pas utiles et pas capables de travailler », ajoute-t-il. Le docteur maintient son rythme de travail avec douze heures par jour à raison de deux jours par semaine les jeudi et samedi. Une façon de permettre des consultations dans un délai « normal ».