Dans cet article, nous explorons le rôle fondamental de l’imagination dans le parcours initiatique, en particulier dans le cadre de la franc-maçonnerie, où elle devient un outil essentiel pour transcender les limites du monde matériel et accéder à une compréhension profonde des mystères universels. Les « ouvriers d’Hiram Abiff », figures symboliques de la franc-maçonnerie, incarnent cette quête spirituelle où l’imagination joue un rôle central, permettant à l’initié de façonner sa conscience et de s’élever vers la lumière.
L’Imagination : un outil universel au service de la connaissance
L’imagination est, sans conteste, l’une des facultés les plus puissantes de l’être humain. Dès l’enfance, elle constitue le premier support permettant de comprendre un environnement souvent mystérieux et complexe. Comme le souligne l’article,
« l’imagination est le premier support dont dispose l’enfant pour comprendre son environnement ».
Elle est bien plus qu’un simple mécanisme de création : elle est une porte vers l’invisible, un moyen de saisir ce qui est caché, que ce soit par l’âge, l’ignorance ou les limites de la raison.
L’histoire humaine elle-même est un témoignage de la puissance de l’imagination. De l’art à la science, en passant par la politique et la religion, l’imagination a été le moteur des grandes évolutions. Comme le dit William Blake, « ce qui est évident est une fois imaginé ». Les grandes inventions, les œuvres d’art, les avancées scientifiques – tout a d’abord germé dans l’imagination avant de se manifester dans le monde matériel. L’article va plus loin en affirmant que « l’évolution de l’histoire humaine s’est fondée sur l’imagination », une idée qui trouve un écho dans tous les domaines de l’activité humaine.
Dans l’art, l’imagination se matérialise à travers les œuvres de génies comme Salvador Dalí, Picasso, Goya ou Botero, qui ont su transcender les conventions pour exprimer des vérités profondes. En politique, elle est « l’art de rendre possible l’impossible », comme le note Alberto Bucle, ou encore « l’art de rendre nécessaire l’inutile ». Dans le domaine militaire, toute stratégie est d’abord élaborée dans l’imagination, en analysant les limites et les avantages avant de passer à l’action. Mais c’est dans la spiritualité et la religion que l’imagination joue un rôle particulièrement crucial.
Imagination et religion : la foi comme expression de l’invisible
Dans le contexte religieux, l’imagination est souvent appelée « foi ». Soutenue par des dogmes, elle permet à l’être humain de croire et de comprendre ce qui se situe « au-delà du physique », ce que l’article nomme l’immanifesté. L’imagination devient alors un pont vers l’invisible, un moyen de répondre aux trois questions fondamentales qui hantent l’humanité : « D’où je viens ? Que fais-je ici ? Où vais-je ? » Ces interrogations, propres à l’être humain doté de raison et d’imagination, le poussent à chercher un chemin spirituel pour retourner à son état primordial, une quête qui est au cœur de toutes les traditions spirituelles, y compris la franc-maçonnerie.
L’imagination, dans ce contexte, surpasse la raison, car cette dernière est souvent incapable d’expliquer ce que l’imagination perçoit. Elle permet de saisir des vérités qui échappent à l’analyse logique, offrant une compréhension intuitive et profonde de l’Univers et de notre place en son sein. Comme le souligne l’article,
« l’imagination, à mon avis, surpasse la raison, car elle ne peut généralement pas expliquer ce que l’imagination perçoit ».
Imagination et fantaisie : une distinction essentielle
Il est crucial de distinguer l’imagination de la fantaisie, une confusion fréquente mais lourde de conséquences. L’article s’appuie sur les travaux de Freud et d’autres penseurs pour clarifier cette différence. Selon Freud, la fantaisie est une forme de frustration née de la privation, un « désir qui surgit de la frustration de la réalité matérielle ». Ana Crespo, docteure en arts, définit la fantaisie comme « une activité de pensée qui reproduit continuellement, sous la forme d’une histoire, des images et des idées ingénieuses sans la présence de stimuli sensoriels directs, uniquement à partir de la mémoire ». En d’autres termes, la fantaisie est une évasion de la réalité, un mécanisme de compensation qui peut, dans des cas extrêmes, conduire à des troubles mentaux comme le délire ou la paranoïa.
L’imagination, en revanche, est une capacité cognitive créatrice, un outil qui permet de commencer à créer et à explorer des réalités nouvelles. Contrairement à la fantaisie, qui déconnecte de la réalité objective, l’imagination est un moteur de découverte et de compréhension. Pythagore, cité dans l’article, apporte une perspective encore plus profonde :
« L’imagination est la mémoire des états spirituels antérieurs, ainsi que physiques et mentaux, tandis que la fantaisie est un automatisme désordonné du cerveau physique. »
L’imagination, dans ce sens, est une faculté qui nous relie à des vérités transcendantales, tandis que la fantaisie nous enferme dans des illusions.
L’Imagination dans les institutions initiatiques
Dans les institutions initiatiques comme la franc-maçonnerie, l’imagination joue un rôle fondamental. Ces traditions fondent leur connaissance sur des symboles, qui expriment une connaissance transcendante, c’est-à-dire une compréhension des mystères qui se situent au-delà du physique. Comme le souligne l’article, « un processus initiatique sans imagination n’a pas de sens ». L’initié, en se privant de ses sens physiques lors des rituels, s’appuie exclusivement sur son imagination pour explorer les vérités cachées derrière les symboles.
Dans la franc-maçonnerie, l’imagination est intimement liée au travail sur la Pierre Brute, une métaphore centrale qui représente l’individu dans son état initial, imparfait et non façonné. L’apprenti maçon, à l’aide de son imagination, « ébauche » cette Pierre Brute pour la transformer en une pierre cubique polie, symbole d’une conscience élargie et d’une perfection morale. Ce processus est une allégorie du chemin initiatique : l’imagination permet à l’initié de visualiser et de comprendre les vérités spirituelles qui se cachent derrière les symboles, et de les intégrer dans sa quête de perfection.
L’article insiste sur le lien entre imagination et initiation : « Dans l’initiation, en se privant de ses sens, seule l’imagination reste à l’œuvre. » De la même manière qu’un sculpteur utilise son ciseau et son marteau pour révéler la forme cachée dans un bloc de pierre, l’initié utilise son imagination pour façonner sa conscience et accéder à une compréhension profonde du GADLU (le Grand Architecte de l’Univers). Cette compréhension ne repose pas sur une croyance aveugle, mais sur une expérience intérieure, une communion avec le divin qui s’installe dans le cœur de l’initié.
La transcendance par l’imagination : un chemin vers la compréhension
L’imagination, dans le cadre initiatique, n’est pas une fin en soi : elle est un moyen de parvenir à la compréhension, qui est la véritable transcendance. L’article affirme que
« sur le chemin initiatique, la compréhension est la transcendance de l’imagination ».
En d’autres termes, l’imagination est le point de départ, l’étincelle qui permet d’explorer l’invisible, mais c’est la compréhension – fruit d’un travail intérieur et d’une méditation sur les symboles – qui permet à l’initié d’intégrer ces vérités dans sa vie et dans sa quête spirituelle.
La franc-maçonnerie, en tant qu’institution initiatique, offre un cadre idéal pour ce travail. Les symboles maçonniques, tels que le compas, l’équerre, le niveau ou le fil à plomb, sont des outils d’enseignement qui stimulent l’imagination et invitent à une réflexion profonde. À travers ces symboles, l’initié explore les mystères de l’Univers, de la création et de sa propre nature, un processus qui le conduit à une transformation intérieure.
Volonté et imagination : le potentiel de l’être humain
L’article met en lumière une idée puissante : « La volonté et l’imagination humaines sont le plus grand potentiel de l’être pour accomplir sa mission sur ce plan. » La combinaison de la volonté – la détermination à poursuivre le chemin initiatique – et de l’imagination – la capacité à percevoir et à créer au-delà des limites du réel – permet à l’individu de réaliser son plein potentiel spirituel. Dans la franc-maçonnerie, cette mission est claire : devenir un « ouvrier d’Hiram Abiff », un bâtisseur de l’édifice moral et spirituel, un chercheur de vérité qui travaille à sa propre perfection et à celle de l’humanité.
Hiram Abiff, figure légendaire de la franc-maçonnerie, incarne cet idéal. Architecte du Temple de Salomon, il est le symbole de la maîtrise, de la sagesse et de la persévérance face aux épreuves. Les « ouvriers d’Hiram » sont ceux qui, à travers leur imagination et leur volonté, poursuivent cette œuvre sacrée, non pas dans un sens littéral, mais dans un sens spirituel : construire un temple intérieur, un espace de lumière et de vérité.
L’imagination comme moteur de la quête spirituelle
L’imagination est bien plus qu’un simple outil de création : elle est une faculté essentielle qui permet à l’être humain de transcender les limites du monde matériel pour accéder à une compréhension profonde de l’Univers et de lui-même. Dans la franc-maçonnerie, elle joue un rôle central, guidant l’initié sur le chemin de la lumière et de la vérité. Les « ouvriers d’Hiram Abiff », à travers leur travail sur la Pierre Brute, incarnent cette quête, utilisant leur imagination pour façonner leur conscience et s’élever vers la perfection.
Dans un monde dominé par la raison et les distractions matérielles, l’imagination nous rappelle l’importance de voir au-delà de l’évidence, de cultiver notre capacité à percevoir l’immanifesté, et de nous connecter à notre état primordial. Comme le souligne l’article, « toute la pureté du cœur est recréée dans la compréhension, non dans la croyance ». Que ce soit à travers les symboles maçonniques, les rituels initiatiques ou la méditation, l’imagination est la clé qui ouvre la porte à cette compréhension, nous guidant vers une liberté intérieure et une harmonie profonde avec l’Univers.
Un projet photographique de Yann Arthus-Bertrand – Un regard sur l’humanité de notre temps
Depuis plus de trente ans, Yann Arthus-Bertrand, @Yann Arthus-Bertrand, façonne, à travers son objectif, les contours d’un vaste portrait collectif de la France. Intitulée « Les Français et ceux qui vivent en France », son œuvre s’apparente à une mosaïque humaine en perpétuelle recomposition – une fresque poétique et fraternelle où chaque visage devient éclat, reflet, fragment de lumière. À la manière d’un bâtisseur d’images, il assemble les pierres vivantes de notre société pour en révéler l’âme multiple, dans sa diversité assumée et sa dignité silencieuse.
Yann Arthus-Bertrand, à l’université d’été du MEDEF 2009
À travers son studio itinérant, ce photographe-voyageur capte les visages de notre temps : plus de 15 000, peut-être bientôt 30 000 âmes se sont déjà prêtées à l’exercice. Chacun, dans sa vérité nue, a offert sa présence à l’objectif, comme on offre sa parole au silence du Temple. Ce projet, à la fois artistique et démographique, transcende les apparences pour révéler l’essence – celle d’une France plurielle, fraternelle et profondément humaine.
Une démarche inspirée par l’universel
Cette initiative n’est pas sans rappeler les antiques entreprises d’inventaire du réel, telles les tablettes d’argile mésopotamiennes ou les recensements d’Alexandrie. Elle s’inscrit dans une démarche presque initiatique, où l’homme, qu’il soit ouvrier, soignant, enfant ou artisan, devient le miroir d’un Tout.
Chaque portrait est pris sur une toile de jute, matière humble et naturelle, qui évoque le fond matriciel, la simplicité du support sur lequel se révèle l’être. Nul décor superflu, nulle mise en scène : l’essentiel est là, dans la lumière intérieure qui émane de ceux qui acceptent d’être vus tels qu’ils sont. Certains sont seuls, d’autres accompagnés d’un proche, d’un compagnon à quatre pattes, ou de leur outil de travail – comme on viendrait avec ses symboles à l’initiation.
La participation de la Grande Loge de France : une présence lumineuse
La Grande Loge de France, fidèle à sa vocation de temple ouvert sur la cité, a naturellement trouvé sa place dans cette fresque humaine. Le Grand Maître Thierry Zaveroni, entouré de plusieurs Frères, a participé à ce projet avec simplicité et solennité, dans l’esprit du Rite Écossais Ancien et Accepté qui nous appelle à incarner la fraternité dans le monde visible.
Par cette présence, c’est toute la Franc-Maçonnerie qui est honorée : une Franc-Maçonnerie enracinée dans l’universel, tournée vers l’Homme, tissant sans relâche le lien entre les diversités. L’image du Grand Maître, aux côtés de notre Frère Clément, s’inscrira dans l’ouvrage à paraître et sera exposée à la Mairie de Paris puis à travers les cités de France, comme une lumière portée au cœur de la République.
Une triple manifestation de l’œuvre
Trois supports donneront corps et rayonnement à cette entreprise :
Un livre, édité à l’automne 2025 chez Actes Sud, réunira une sélection de portraits accompagnés des textes éclairants du démographe Hervé Le Bras. À travers ses mots, la trame invisible des données se fera chant du réel, et le chiffre redeviendra chair.
Une exposition itinérante, dont la première étape sera la Mairie de Paris, puis divers lieux symboliques à travers la France. Le public y découvrira cette procession d’hommes et de femmes qui font la Nation : un peuple debout, digne, habité par ses métiers, ses silences, ses luttes et ses espoirs.
Un site dédié, www.yabstudio.fr permettra de suivre le fil vivant du projet, de découvrir certains portraits, et de connaître les lieux de passage du studio photographique.
Un miroir fraternel de notre temps
Ce projet est plus qu’un inventaire visuel : c’est une œuvre de reconnaissance et de reliance. En donnant à voir l’humanité dans sa diversité, il rappelle que derrière chaque visage se tient un mystère, une quête, une vocation. C’est un témoignage de la beauté de l’Ordre dans le Chaos – un Ordo ab Chao en images – et un appel à bâtir ensemble, dans l’égrégore de la fraternité, une société plus juste et plus lumineuse.
En quelques mots…
Une démarche photographique et démographique portée par Yann Arthus-Bertrand depuis 1993.
Des milliers de portraits sur fond de toile de jute, dans l’authenticité du quotidien.
Un livre à paraître chez Actes Sud en octobre 2025, avec les textes d’Hervé Le Bras.
Une exposition itinérante à travers la France, inaugurée à la Mairie de Paris.
La Grande Loge de France y participe, affirmant son ancrage fraternel dans la société.
Pour suivre ce projet et en découvrir les visages : www.yabstudio.fr
Sur France Culture, dimanche 18 mai à 9h42, Thierry Zaveroni, Grand Maître de la Grande Loge de France, est l’invité de Clément Ledoux dans Divers aspects de la pensée contemporaine.
À un mois du Convent, il dressera le bilan de sa mandature (2022-2025) : ouverture vers la jeunesse, rayonnement culturel, solidarité par le fonds « Fraternité & Humanisme », avancées sur l’IA, la fin de vie et la paix. Il reviendra sur l’inauguration du nouveau musée et la visite historique du Président Macron à l’Hôtel de la GLDF pour les 120 ans de la loi de 1905.
Sur les ondes de France Culture – “Divers Aspects de la Pensée Contemporaine”
À l’approche du Convent 2025, notre Frère Clément LEDOUX recevra dans le cadre d’une émission exceptionnelle le Très Respectable Grand Maître Thierry ZAVERONI, pour un échange rare et profond autour de son mandat (2022-2025) à la tête de la Grande Loge de France.
Trois années d’actions et de réflexions à revisiter :
L’ouverture vers le monde profane et la jeunesse
Une politique culturelle renouvelée
La reprise des Questions à l’Étude des Loges (Livre blanc sur la fin de vie, Manifeste sur l’Intelligence Artificielle)
L’Appel pour la Fraternité et pour la Paix
La solidarité à travers les actions du Fonds de dotation « Fraternité & Humanisme »
L’inauguration du nouveau musée de la GLDF, candidat au label « Musée de France »
La visite historique du Président Emmanuel MACRON le 5 mai dernier à l’occasion des 120 ans de la loi de 1905
Une parole forte, tournée vers l’avenir, à ne pas manquer.
Ces deux œuvres, bien que partageant un objectif commun – éclairer les symboles maçonniques – adoptent des approches radicalement différentes, révélant des visions distinctes de ce que signifie “faire parler les signes muets” dans une démarche initiatique. Sous un œil symboliste, et non maçonnologique, comparons ces deux voyages au cœur de la franc-maçonnerie, en explorant leur capacité à guider l’initié vers la lumière intérieure.
L’Approche des Auteures : Dictionnaire ou Vagabondage ?
Irène Mainguy
Irène Mainguy, bibliothécaire au Grand Orient de France et érudite rigoureuse, propose avec La Symbolique Maçonnique du Troisième Millénaire une approche encyclopédique, héritière modernisée de Jules Boucher. Son ouvrage se veut un répertoire structuré, offrant une revue exhaustive des symboles maçonniques – outils, nombres, figures géométriques – avec une rigueur académique fondée sur des sources historiques comme les catéchismes du XVIIIe siècle. Mainguy corrige les interprétations erronées et livre un panorama clair, enrichi d’illustrations inédites, qui s’adresse principalement aux débutants ou à ceux cherchant un manuel de référence.
Solange Sudarskis
Solange Sudarskis, universitaire, adopte une démarche radicalement différente dans son Dictionnaire vagabond en Franc-maçonnerie (Prix littéraire de l’Institut maçonnique de France pour la première édition). Loin de se limiter à une compilation, elle revendique un “vagabondage” intellectuel et spirituel. Avec plus de 1000 entrées, 800 illustrations, 1300 références (sources historiques, littéraires, vidéos, rituels), 4200 renvois internes, son dictionnaire est un réseau vivant de significations, mêlant symbolisme, rituels, mythes et philosophies. Préfacé par Christian Roblin, qui le décrit comme un “poumon qui fournit de l’oxygène”, l’ouvrage de Sudarskis transcende le format classique pour devenir une invitation à explorer la pensée maçonnique dans toute sa richesse et sa complexité.
Le Symbolisme Maçonnique : Clarté Analytique ou Profondeur Poétique ?
Sous l’œil symboliste, le traitement des symboles – cœur de la franc-maçonnerie – révèle une opposition fondamentale entre les deux œuvres. Le Mainguy adopte une approche analytique et descriptive, détaillant les significations des symboles comme l’équerre (rectitude) ou le compas (harmonie) avec précision. Cependant, cette méthode reste en surface de l’expérience initiatique. Comme le souligne une critique pertinente, “on ne devient pas poète en apprenant le dictionnaire” : Irène Mainguy donne les définitions, mais ne parvient pas à transmettre la dimension poétique et transformative du symbolisme. Expliquer un symbole ne remplace pas le fait de le ressentir lors d’un rituel ou d’une planche personnelle. Son ouvrage, bien qu’utile pour comprendre, manque d’une profondeur méditative qui guiderait l’initié dans une appropriation intérieure, essentielle pour progresser dans les grades symboliques (Apprenti, Compagnon, Maître).
Solange Sudarskis, en revanche, fait du symbole un langage vivant, un fil d’Ariane dans un voyage initiatique. Elle insiste sur la polyvalence des symboles, qui ne se réduisent jamais à une interprétation unique. Par exemple, son entrée sur « l’équerre » explore à la fois sa fonction opérative (outil du bâtisseur), les dangers de sa manipulation, et ses significations spirituelles (l’équité, la justice, la fidélité et l’irréprochabilité dans ses mœurs), tout en la reliant à des notions connexes comme le compas, le niveau, la pierre cubique, la fonction du Vénérable, la géométrie, la gestuelle,… grâce à un réseau de renvois en petites majuscules. Cette approche dialectique, inspirée de Socrate, invite le lecteur à “passer d’un sens à un autre” par des ricochets de l’imaginaire. Sudarskis ne se contente pas de définir : elle fait dialoguer les symboles, les rituels et les mythes, offrant une expérience méditative qui résonne avec la quête maçonnique. Ses 800 illustrations – gravures, dessins, photographies – renforcent cette immersion, transformant le symbole en une porte ouverte sur l’âme.
Rituels et Initiation : Explication ou Incarnation ?
La franc-maçonnerie est une voie initiatique, et les rituels sont le creuset où les symboles prennent vie. Le Mainguy aborde les rituels de manière didactique, décrivant les grades fondamentaux et leurs éléments symboliques (voyages, épreuves). Mais son approche reste théorique : son auteure explique sans incarner. Par exemple, la légende d’Hiram, centrale au grade de Maître, est traitée comme un fait historique ou mythique, sans exploration de sa portée émotionnelle ou transformative. Irène Mainguy donne les clés pour comprendre, mais pas pour ressentir ou transcender, ce qui limite son ouvrage dans une perspective symboliste.
Sudarskis, au contraire, place les rituels au cœur de l’expérience maçonnique. Elle détaille les cérémonies des trois grades, en analysant leur dimension psychodramatique et leurs variances selon différents rites. La légende d’Hiram devient une mise en scène de la mort et de la renaissance, un miroir de la transformation intérieure, qu’elle relie à des mythes universels (Osiris, Adonis). Les serments, repris dans leur diversité rituelle, et les descriptions des gestes (batterie, signe d’ordre) ou des décors (pavé mosaïque, colonnes Jakin et Boaz) ne sont pas de simples descriptions : ils sont des invitations à revivre l’initiation. Le Sudarskis, par son style “passionnant et vertigineux”, fait du rituel un espace où le symbole s’incarne, où l’initié peut “faire parler les signes muets”, selon l’expression d’Oswald Wirth.
Philosophie et Universalité : Fermeture ou Ouverture ?
Sous l’angle philosophique, les deux auteures divergent également. Irène Mainguy, malgré son ambition de moderniser l’œuvre de Boucher, reste ancrée dans une vision eurocentrée et traditionnelle du symbolisme maçonnique. Elle n’aborde pas les défis contemporains – intégration de nouvelles cultures, impact de la sécularisation – et son “fil d’Ariane” dans le “dédale labyrinthique” des symboles s’arrête à une synthèse intellectuelle, sans ouvrir de nouvelles perspectives spirituelles. Son ouvrage, bien que rigoureux, manque de chaleur et de vibration, comme si les symboles, sous sa plume, restaient des objets d’étude plutôt que des miroirs de l’âme.
Solange Sudarskis, elle, ouvre grand les portes de l’universalité. Son Dictionnaire vagabond établit des ponts entre la franc-maçonnerie et d’autres systèmes de pensée – platonisme, gnose, kabbale, alchimie, bouddhisme – montrant que la quête maçonnique s’inscrit dans une recherche plus large du mystère de l’Être. L’initiation, définie comme un “éveil de conscience”, et la fraternité, vue comme une transcendance des différences, deviennent des concepts universels. Cette ouverture interdisciplinaire, soutenue par 1300 références et un index analytique thématique, ancre l’ouvrage dans le XXIe siècle, tout en préservant la profondeur spirituelle. Le Sudarskis ne se contente pas d’expliquer : il invite à penser par soi-même, à construire son propre chemin initiatique.
Public et Utilité : Pour Qui et Pourquoi ?
Irène Mainguy s’adresse principalement aux débutants ou aux chercheurs. Son ouvrage est un manuel précieux pour un Apprenti cherchant à décrypter les bases du symbolisme, mais il déçoit les initiés plus avancés (Compagnon, Maître) qui aspirent à une compréhension vécue. Comme un dictionnaire, il donne les définitions, mais ne permet pas de composer la “poésie de l’âme maçonnique”. Il doit être complété par le travail en loge et une méditation personnelle pour devenir un outil de progression.
Solange Sudarskis, en revanche, parle à un public plus large et diversifié. Les apprenants y trouvent un guide pour décoder les rituels et les symboles, les érudits apprécient les connexions interdisciplinaires, et les profanes curieux découvrent une introduction érudite à la franc-maçonnerie. Conçu comme une “main tendue”, l’ouvrage accompagne les initiés dans leur progression, tout en encourageant une réflexion personnelle. Malgré une prose parfois dense, qui peut rebuter les novices, il brille par sa capacité à inspirer et à faire voyager, tel un “vagabond” spirituel.
Qui Éclaire le Temple ?
Sous l’œil symboliste, qui privilégie l’expérience initiatique à l’analyse maçonnologique, le Dictionnaire vagabond de Solange Sudarskis s’impose largement. Irène Mainguy offre un outil de savoir, utile mais statique, qui s’apparente à une bibliothèque bien rangée : on y trouve des réponses, mais pas d’élan vers la lumière. Solange Sudarskis, elle, transforme le temple maçonnique en un espace vivant, où les symboles dansent, où les rituels vibrent, où l’initié devient un “voyageur aux mains libres”. Son ouvrage, qualifié par Jacques Carletto de « pure merveille » et par Christian Roblin de “répertoire enchanté”, sème des points d’interrogation, invitant chacun à construire sa propre quête.
Le Mainguy donne les clés pour comprendre ; le Sudarskis ouvre les portes pour ressentir. Dans la confrontation entre ces deux œuvres, le Sudarskis rayonne davantage en offrant une voie symboliste authentique, où le symbole n’est pas une définition, mais une étoile qui guide vers l’infini.
Pour l’initié en quête de transformation, La Symbolique Maçonnique du Troisième Millénaire, est un simple manuel de voyage, le Dictionnaire vagabond en Franc-maçonnerie est un compagnon de route.
[1] Broché : 640 pages, Poids de l’article 1,02 Kg, Dimensions 16.3 x 3.5 x 24.1 cm
[2] Broché : 850 pages, Poids de l’article 1,99 Kg, Dimensions 20.2 x 4.1 x 29.8 cm
Si l’arrivée d’Internet à la fin du siècle dernier, n’a pas changé la face des Loges, la déferlante de l’Intelligence Artificielle risque de provoquer un tsunami au cours des dix prochaines années. L’auteur Franck Fouqueray a demandé à ChatGPT de nous décrire le futur, les risques et les moyens à mettre en œuvre.Fort de ces prévisions et de l’anticipation de sa croissance, nous pouvons prévoir d’ores et déjà une mutation anthropologique qui impactera l’Art Royal et toutes ses structures. La seule question à se poser est « Comment accompagner cette mutation ? » C’est justement le thème de cet ouvrage.
L’auteur : Fort de ses nombreux ouvrages de pédagogie maçonniques comme :
Manuel de survie pour Apprenti maçon voulant démissionner
Manuel de sauvetage pour Compagnon sans instructeur
Comment gérer les 4 nourritures maçonniques ? (voir le site)
Enfin, il lance en 2021 le journal Maçonnique en ligne : 450.fm
Présentation de l’ouvrage
Cliquez sur l’image pour se rendre sur le site de Dervy l’éditeur
Dans L’IA va-t-elle transformer la Franc-maçonnerie ?, publié en 2025, Franck Fouqueray, auteur prolifique et franc-maçon expérimenté, explore avec audace les implications de l’intelligence artificielle (IA) sur une institution séculaire. Connu pour ses ouvrages pratiques et accessibles sur la franc-maçonnerie (Manuel de survie pour Apprenti maçon voulant démissionner, 2014, ou encore Ma Franc-maçonnerie mise à nu… pour les profanes, 2016), Fouqueray s’attaque ici à un sujet résolument contemporain, mêlant réflexion prospective, analyse critique et une touche d’humour caractéristique.
L’ouvrage, structuré en sept chapitres, débute par un état des lieux de l’IA en 2025, soulignant son développement fulgurant – de ChatGPT atteignant un QI de 156 au test de Turing à des robots participant à des semi-marathons. Fouqueray illustre les avancées technologiques avec des exemples concrets, comme l’échec du projet français « Lucie », incapable de calculs simples et critiquée pour des réponses problématiques, notamment une imitation d’Adolf Hitler. Ces anecdotes, bien que parfois ironiques, servent à poser une question centrale :
La franc-maçonnerie, avec ses traditions et sa quête spirituelle, peut-elle s’adapter à une révolution technologique aussi disruptive ?
L’auteur argue que l’IA, loin d’être une menace, pourrait être une opportunité pour la franc-maçonnerie de se réinventer. Il propose des applications pratiques, comme l’utilisation de l’IA pour personnaliser les parcours initiatiques, gérer les archives maçonniques, ou encore faciliter les échanges internationaux grâce à des traductions en temps réel. Cependant, il met en garde contre les risques : la perte de l’aspect humain des rituels, la standardisation des réflexions, et les enjeux éthiques liés à la confidentialité, valeur cardinale de l’Art Royal. Fouqueray insiste sur la nécessité de poser des limites éthiques, notamment pour protéger les données des membres et éviter une déshumanisation de l’expérience maçonnique.
Un chapitre marquant est celui où l’auteur interroge directement ChatGPT, posant cinq questions sur la compatibilité de l’IA avec la franc-maçonnerie. Les réponses, équilibrées et nuancées, soulignent que l’IA peut enrichir l’apprentissage et les débats philosophiques sans remplacer l’introspection et la symbolique initiatique. Cette démarche originale reflète la volonté de Fouqueray d’impliquer l’IA elle-même dans le dialogue, tout en interprétant ses réponses avec une prudence maçonnique.
Le livre brille par sa capacité à équilibrer tradition et modernité. Fouqueray imagine une « franc-maçonnerie augmentée », où des loges virtuelles et des environnements immersifs coexisteraient avec les rituels traditionnels, tout en préservant l’essence humaine de la fraternité. Il explore également des scénarios futuristes, comme des rituels en réalité augmentée ou des hologrammes pour l’instruction, mais reste ancré dans une réflexion éthique : l’IA doit être un outil, non un substitut à l’expérience humaine.
En conclusion, L’IA va-t-elle transformer la Franc-maçonnerie ? est une réflexion stimulante et visionnaire, qui invite les maçons à s’adapter sans renier leurs valeurs fondamentales. Fouqueray, avec son style direct et son humour, offre un guide précieux pour naviguer entre tradition et innovation. Cet ouvrage s’adresse autant aux francs-maçons curieux des enjeux technologiques qu’aux profanes intéressés par l’évolution d’une institution face aux défis du XXIe siècle. Une lecture éclairante, qui pose les bases d’un débat crucial pour l’avenir de l’Art Royal. (Site de l’éditeur)
Ce samedi 17 mai à 10h30, l’Académie maçonnique Paris recevra, lors de son webinaire mensuel, pour une conférence intitulée :
« Un franc-maçon à Auroville »
FREDERIC POYET, Membre de la Grande Loge de France, ancien architecte, a vécu 5 ans à Auroville, ville expérimentale située en Inde, « ville de Sri Aurobindo », dite aussi « la ville de l’Aurore ».
Ce webinaire est gracieusement accessible aux Sœurs et aux Frères de toutes Obédiences, titulaires du grade de Maître, sur inscription préalable :
Né à Saint-Etienne dans la Loire, aîné d’une famille de 5 enfants, Frédéric Poyet est élevé dans la tradition catholique. Il fait ses études à L’École Spéciale d’Architecture, boulevard Raspail à Paris. Il subit un premier accident de moto qui le laisse handicapé. Après son diplôme, il exerce, tout d’abord, dans différents cabinets parisiens, avant de créer sa propre agence à Beauvais dans l’Oise.
En septembre 2013, encore jeune maître maçon, il part, pour trois mois, faire, en famille, un voyage en Inde. Dès le deuxième jour de leur arrivée, ils passent « un peu par hasard » à Auroville (« La ville dont le monde a besoin »). Non seulement, il y prolongera son séjour plus que prévu ; mais, une fois revenu en France, au début 2014, il liquidera son agence d’architecture et prendra une retraite anticipée, avant de rejoindre Auroville, au printemps. Il y restera cinq ans. Parmi les travaux et les jours, il y fera beaucoup de méditation, de rencontres et de découvertes d’autres cultures. C’est cette expérience qu’il relatera dans cette conférence, suivie d’échanges avec le public.
Le Matrimandir, centre et lieu de méditation d’Auroville.
Article du Routard : « Inventer une cité universelle où hommes et femmes de tous les pays doivent pouvoir vivre en paix et en harmonie au-dessus de toute croyance, de toute politique et de toute nationalité ».
Tel est l’idéal philosophique à l’origine d’Auroville, une ville créée de toutes pièces à partir d’une idée, en pleine campagne, à quelques kilomètres de Pondichéry. Sous l’impulsion de la Mère, compagne de Sri Aurobundo (fondateur d’un ashram à Pondichéry), ce rêve incroyable prit forme en 1968. L’architecte français Roger Anger inventa une « cité de l’Aurore » (origine du nom Auroville).
Du Chaos à la Lumière – L’Ultime Voyage, signé par Fernand Cafiero et Alain Desbrosse, avec les illustrations de Flora Desbrosse, est une œuvre d’une profondeur rare, qui s’inscrit dans la tradition initiatique et ésotérique tout en transcendant les cadres conventionnels. Ce livre, publié sous l’égide de la Grande Loge de France, est à la fois un poème cosmogonique, un traité d’alchimie spirituelle et un guide pour l’âme en quête de lumière. Il ne s’adresse pas au lecteur pressé, mais à celui qui est prêt à s’immerger dans une expérience intérieure exigeante et transformative.
Une œuvre qui murmure et invoque
Dès les premières pages, le ton est donné : ce n’est pas un livre qui se lit, mais un voyage qui se vit. Les auteurs, dans une prose flamboyante et saturée de symbolisme, nous entraînent dans une traversée où le Chaos n’est pas une abstraction théorique, mais une « nuit matricielle », et la Lumière, un « chant d’éveil » plutôt qu’un dogme. Le style, à la croisée de l’hermétisme biblique, des mystères égyptiens, de la kabbale et des traditions médiévales, est d’une densité poétique qui peut déconcerter. Les références aux Tarots, aux chapiteaux de Vézelay ou aux Rose-Croix s’entrelacent avec une fluidité qui évoque une psalmodie, un rituel en mots.
L’ouvrage suit un parcours alchimique structuré par les étapes classiques de l’Œuvre : du noir au blanc, du bleu au vert, du jaune au rouge, jusqu’à l’or et l’Aur. Chaque couleur, incarnée par une rose symbolique, marque une transmutation de la conscience. La rose noire, « graine du désordre primordial », évolue jusqu’à la rose d’Aur, « sommet irradiant de l’Œuvre spirituelle ». Cette progression n’est pas linéaire, mais vécue comme une succession de « climats spirituels », des états de l’être qui résonnent avec les saisons intérieures de l’âme.
Les auteurs : une complémentarité initiatique et artistique
Fernand Cafiero, franc-maçon chevronné célébrant ses 50 ans de pratique en 2025, apporte à l’ouvrage une profondeur enracinée dans la tradition maçonnique. Ancien cadre des télécommunications et musicien symboliste, il est connu pour ses conférences sur l’ésotérisme et l’alchimie. Sa plume trace des « sentiers » plutôt que des livres, et ce nouvel opus prolonge son précédent Être plutôt que paraître – Esse Quam Videri avec une intensité poétique renouvelée.
Alain Desbrosse, second Grand Maître adjoint de la Grande Loge de France, historien des spiritualités, juriste et politologue, complète cette vision par une rigueur analytique et une fidélité à l’idéal fraternel. Sa préface, empreinte de bienveillance, agit comme un « viatique lumineux », préparant le lecteur à ce voyage intérieur.
Les illustrations de Flora Desbrosse, historienne d’art et fondatrice du Petit Atelier de Flo, ajoutent une dimension visuelle essentielle. Ses œuvres, subtiles et lumineuses, traduisent les transmutations évoquées par les auteurs, donnant vie aux concepts abstraits dans un univers plastique qui invite à la contemplation.
Une invitation à la combustion intérieure
L’ouvrage se distingue par son exigence : il ne s’offre pas facilement. Comme l’écrivent les auteurs, « il faut l’aborder comme on entre dans un Temple : avec le cœur ouvert, l’esprit éveillé, et les pieds déchaussés du quotidien profane ». Le lecteur est invité à s’engager pleinement, à consentir à une forme de « combustion » intérieure – une métaphore alchimique qui résume l’essence de l’initiation. Ce livre « éclaire, consume et console », nous laissant face à une question fondamentale : sommes-nous prêts à répondre à son appel ?
Une critique nuancée
Si Du Chaos à la Lumière brille par sa richesse symbolique et sa puissance évocatrice, son style peut rebuter ceux qui recherchent une approche plus didactique. La densité des références et la nature poétique du texte demandent une familiarité avec les traditions ésotériques, ce qui pourrait limiter son accessibilité. De plus, l’absence d’un cadre analytique plus structuré peut laisser certains lecteurs sur leur faim, notamment ceux qui préfèrent une progression argumentative à une expérience méditative.
Cependant, c’est précisément dans cette approche non conventionnelle que réside la force de l’ouvrage. Il ne cherche pas à expliquer, mais à faire ressentir. Il s’adresse à l’initié comme au profane curieux, à condition que ce dernier soit prêt à se laisser « ébranler » par une œuvre qui défie les attentes.
Une flamme à saisir
Du Chaos à la Lumière – L’Ultime Voyage est un livre rare, une flamme qui éclaire autant qu’elle consume. Il s’impose comme une méditation profonde sur la quête intérieure, un pont entre le chaos originel et la lumière de la conscience éveillée. Pour les amateurs d’ésotérisme, d’alchimie et de poésie initiatique, il est un incontournable. Pour les autres, il est une invitation audacieuse à sortir de leur zone de confort et à entreprendre leur propre « ultime voyage ». Un ouvrage qui ne se lit pas, mais se vit – intensément.
Du 23 au 25 mai 2025, la ville d’Épinal accueillera la douzième édition des Imaginales Maçonniques et Ésotériques (IM&E), un événement culturel et intellectuel d’envergure qui s’articule autour du thème évocateur « Du Mot aux Maux ». Organisé par l’association des Imaginales Maçonniques et Ésotériques, cet événement se tiendra au 7, Avenue de Provence, à Épinal, et promet trois jours de conférences, d’expositions, et de réflexions profondes sur la puissance et l’ambiguïté des mots dans un monde en pleine mutation.
Cet article propose une analyse détaillée de cette manifestation, de son contexte, de son programme, de ses intervenants, et de son importance culturelle et philosophique.
Contexte et Genèse des Imaginales Maçonniques et Ésotériques
Les Imaginales Maçonniques et Ésotériques d’Épinal ont vu le jour en 2013, dans le cadre du 150e anniversaire de la Fraternité Vosgienne, la plus ancienne loge maçonnique de la région, fondée en 1862. Depuis leur création, les IM&E se sont imposées comme un espace unique de dialogue interdisciplinaire, réunissant des écrivains, des philosophes, des historiens, des scientifiques, et des artistes autour de thématiques à la croisée de la franc-maçonnerie, de l’ésotérisme, et des enjeux contemporains. L’événement s’inscrit dans une démarche d’ouverture, cherchant à explorer les dimensions symboliques, spirituelles, et sociétales des sujets abordés, tout en restant accessible à un public profane.
Le choix du thème « Du Mot aux Maux » pour l’édition 2025 reflète une prise de conscience aiguë des bouleversements actuels – climatiques, politiques, et culturels – et de la manière dont le langage façonne notre compréhension du monde. Comme l’exprime le dossier de presse, ce thème s’inspire de la célèbre formule biblique « Au commencement était le Verbe » (Jean 1:1-2), soulignant la puissance performative des mots, capables de créer, de guérir, mais aussi de diviser et de détruire. Dans un monde marqué par la « cacophonie » et la perte de sens des mots, les IM&E 2025 ambitionnent d’interroger leur rôle dans les guerres culturelles, les conflits géopolitiques, et les dynamiques de pouvoir.
Le Thème : « Du Mot aux Maux »
Le thème « Du Mot aux Maux » est à la fois un jeu de mots et une réflexion philosophique profonde. Il met en lumière la dualité du langage : un outil de connexion et de compréhension, mais aussi une arme de manipulation et de violence symbolique. Comme le souligne Jacques Oréfice, co-président des IM&E, dans le dossier de presse :
« Ce thème a été choisi avant que 2025 ne révèle un monde bouleversé et bouleversant tant par un changement climatique aux conséquences redoutables que par des bouleversements politiques tout aussi redoutés. »
Une réflexion sur le pouvoir des mots
Le programme explore plusieurs facettes de cette thématique :
Le mot comme acte créateur : En s’appuyant sur le concept grec de Logos – à la fois parole, raison, et acte créateur – les IM&E rappellent que les mots ont une puissance performative. Ils donnent forme au chaos, structurent les récits collectifs, et fondent les civilisations. La poésie, par exemple, est citée comme une démonstration de cette capacité à faire surgir l’être du non-être.
Les mots et les maux dans les conflits contemporains : Les organisateurs pointent du doigt la manière dont les mots sont détournés ou vidés de leur sens dans les « guerres culturelles ». Par exemple, le mot « Justice » peut signifier « Équité » pour certains et « Ordre » pour d’autres, révélant des visions du monde inconciliables. Le dossier cite également Victor Klemperer et son ouvrage Lingua Tertii Imperii, qui analyse comment le langage nazi a perverti les mots pour servir une idéologie totalitaire.
Les récits géopolitiques : L’édition 2025 met un accent particulier sur deux puissances mondiales, la Russie et les États-Unis, dont les discours politiques illustrent la guerre des récits. La guerre russo-ukrainienne, débutée en 2014 avec l’annexion de la Crimée, est décrite comme une guerre autant informationnelle que militaire, où les mots servent à légitimer des actions et à construire des narrations concurrentes. De même, les déclarations de l’ancien président américain Donald Trump, notamment son usage du mot « Tariffs » (droits de douane) comme outil économique et symbolique, sont analysées comme des actes performatifs aux conséquences globales.
La dimension humaine du langage : À travers la figure de l’écrivain algérien Boualem Sansal, le dossier explore la capacité des mots à nommer les maux, à résister à l’oppression, et à guérir les blessures collectives. Comme le souligne Sansal, « Nommez l’ennemi, nommez le mal, parlez haut et clair », une invitation à utiliser le langage comme un acte de vérité et de libération.
Une interrogation universelle
Le thème « Du Mot aux Maux » transcende les frontières culturelles et historiques. Il invite à réfléchir à la manière dont le langage, porteur d’histoires, de blessures, et d’aspirations, façonne notre rapport au monde. Comme l’écrit Patrice Lhote, co-président des IM&E, en citant René Char :
« Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. »
Cette citation encapsule l’esprit de l’événement : une exploration curieuse et ouverte de la puissance des mots, à la fois reflets de nos pensées et vecteurs de nos maux.
Programme des IM&E 2025
Le programme des IM&E 2025 s’étend sur trois jours et comprend quatorze conférences, des expositions, et la remise du prestigieux Prix Cadet Roussel. Voici un aperçu détaillé du programme, basé sur le dossier de presse :
Une réflexion symbolique et ésotérique sur la parole initiatique.
18h00 : Remise du Prix Cadet Roussel à Joël Gregogna pour son ouvrage Pinocchio, porte du Mystère (Éditions Dervy).
Une célébration de l’œuvre de Gregogna, qui explore les dimensions ésotériques et philosophiques du conte de Pinocchio.
Les Intervenants : Une Richesse Pluridisciplinaire
Les IM&E 2025 réunissent quatorze conférenciers aux profils variés, reflétant la diversité des approches du thème. Voici un aperçu des principaux intervenants, basé sur leurs biographies fournies dans le dossier :
Eric Badonnel : Membre actif du Grand Orient de France, spécialiste des questions de santé et de protection sociale, Badonnel est l’auteur de Franc-Maçon ! (2022), récompensé par le Prix Cadet Roussel en 2023. Sa conférence explorera l’absence comme un langage symbolique.
Sylvain Chimello : Historien et conservateur du patrimoine, Chimello a publié de nombreux ouvrages sur la Lorraine et la franc-maçonnerie. Sa conférence sur le populisme analysera les mots comme outils de manipulation politique.
Isabelle Flaten : Romancière et ancienne enseignante, Flaten est l’autrice de Adelphe (2019), primé par le Prix Erckmann Chatrian. Elle abordera les croyances irréconcilables à travers une perspective littéraire.
Joël Gregogna : Avocat honoraire et ancien dignitaire de la Grande Loge de France, Gregogna est un spécialiste de l’ésotérisme dans la bande dessinée et la littérature. Sa conférence et son ouvrage Pinocchio, porte du Mystère exploreront les dimensions initiatiques du conte.
Tourya Guaaybess : Professeure en sciences de l’information, Guaaybess est spécialiste des médias internationaux. Sa conférence sur l’interculturel examinera le rôle des mots dans les dynamiques globales.
Francis Janot : Archéologue et spécialiste des rituels égyptiens, Janot offrira une perspective unique sur la conservation des mots et des maux à travers l’histoire.
Reza Moghaddassi : Philosophe et auteur, Moghaddassi explorera les tensions entre le sacré et les conflits humains, dans la lignée de ses ouvrages sur l’universalité et le dialogue.
Jacques Ravenne : Co-auteur de la série Antoine Marcas avec Eric Giacometti, Ravenne est un franc-maçon et un spécialiste de la critique génétique. Sa conférence sur les mots qui tuent plongera dans l’histoire des persécutions.
Daniel Ruth : Psychothérapeute jungien, Ruth analysera les non-dits et leurs impacts transgénérationnels, en s’appuyant sur son expérience en développement personnel.
Alixe Sylvestre : Journaliste et autrice pour la jeunesse, Sylvestre proposera une réflexion sensible sur la tristesse et les mots qui l’expriment.
Les Expositions : Un Dialogue Visuel
En parallèle des conférences, deux expositions enrichissent l’événement :
« Un autre regard sur la Fraternité Vosgienne » par Jean-Pierre Bégel :
Cette exposition présente une trentaine de cartes postales de la collection personnelle de Bégel, illustrées par le caricaturiste Jihel (Jacques Lardie). Ces œuvres rendent hommage à la Fraternité Vosgienne, tout en offrant un regard satirique sur la vie politique vosgienne des années 1990. Jihel, figure du mouvement libertaire et maçonnique, est reconnu pour ses dessins ésotériques et uchroniques.
« Dialogue(s) » par Étienne Yver :
Cette exposition explore la franc-maçonnerie comme un espace de dialogue, à travers des peintures et des dessins. Yver, inspiré par les propos de Christophe Habas (ancien Grand Maître du Grand Orient de France), met en lumière les vertus de la bienveillance et du respect dans un monde dominé par les « passions tristes » (Spinoza). L’exposition interroge la capacité de l’art à condenser le temps et à ouvrir des espaces de contemplation.
Le Prix Cadet Roussel : Une Reconnaissance de l’Excellence
Depuis 2014, les IM&E décernent le Prix Cadet Roussel, qui récompense une œuvre ou un auteur pour sa contribution à la réflexion maçonnique, ésotérique, ou culturelle. Le prix tire son nom de l’image d’Épinal représentant Cadet Roussel, un personnage observant le monde avec distance et discernement, symbolisé par son face-à-main et les outils maçonniques (équerre et compas).
En 2025, le prix sera attribué à Joël Gregogna pour son ouvrage Pinocchio, porte du Mystère (Éditions Dervy). Ce livre revisite le conte de Collodi comme une quête initiatique, explorant les métaphores, les symboles, et les enjeux philosophiques de l’œuvre. Gregogna y voit une réflexion sur la transcendance, l’éducation, et la liberté dans une Italie en quête d’harmonie à la fin du XIXe siècle.
Lauréats précédents
2014 : Philippe Benhamou pour Madame Hiramabbi.
2015 : Céline Bryon-Portet et Daniel Keller pour L’Utopie Maçonnique.
2016 : Frédéric Vincent et Jean-Luc Maxence pour Imaginaire et psychanalyse des légendes maçonniques.
2017 : Georges Bertin pour Entre Caverne et Lumière.
2018 : Richard Rognet pour Les frolements infinis du monde.
2019 : Laurence Vanin pour Rebelle : vers une révolution éthique.
2020 : Lauric Guillaud pour Le sacre du noir.
2021 : Georges Bertin pour Mystères de l’Apocalypse de Jean.
2022 : Dominique Jardin pour L’alchimie des Francs-Maçons.
2023 : Eric Badonnel pour Franc-Maçon !.
2024 : René Rampnoux pour Montesquieu et Claude Vautrin pour l’ensemble de son œuvre.
L’Héritage des IM&E : Une Tradition d’Ouverture et de Dialogue
Depuis leur création, les IM&E ont attiré des intervenants de renom, parmi lesquels :
Auteurs de thrillers maçonniques : Alain Bauer, Eric Giacometti, Henri Loevenbruck, Jacques Ravenne.
Anciens Grands Maîtres : Gilbert Abergel, Christophe Habas, Daniel Keller.
Écrivains et poètes : Charlotte Bousquet, Lionel Davoust, Richard Rognet.
Et comme sociologue : Céline Bryon-Portet et Georges Bertin. Georges Bertin a été avec Céline Bryon-Portet le fondateur du CERII, Centre d’Etudes et de Recherches Interdisciplinaires sur l’Imaginaireet du Colloque International d’Epinal en 2021.
Ces personnalités, toutes nommées membres d’honneur de l’association, ont contribué à faire des IM&E un espace de réflexion pluraliste, où la franc-maçonnerie et l’ésotérisme dialoguent avec les sciences, les arts, et la littérature.
Les IM&E ont également organisé plusieurs expositions marquantes, telles que :
« L’Archéologie d’Hertz » (Didier Convard).
« Les Voyages du Franc-Maçon » (tricentenaire de la Franc-maçonnerie, 2017).
« Les Masques Africains » (collection de Gérard Krebs).
« L’Empire du Graal » (Giacometti et Ravenne).
Ces initiatives témoignent de l’engagement des IM&E à promouvoir le dialogue entre les disciplines et à célébrer la richesse des imaginaires maçonniques et ésotériques.
Pourquoi les IM&E 2025 Sont-elles Incontournables ?
L’édition 2025 des Imaginales Maçonniques et Ésotériques s’annonce comme un moment clé pour réfléchir aux enjeux du langage dans un monde en crise. Voici quelques raisons de ne pas manquer cet événement :
Un espace de dialogue artistique : Les expositions de Bégel et Yver enrichissent l’événement en proposant une réflexion visuelle sur la franc-maçonnerie et ses symboles.
Un thème d’actualité brûlante : Dans une ère de désinformation, de polarisation, et de manipulation linguistique, le thème « Du Mot aux Maux » offre une occasion unique d’interroger le rôle des mots dans la construction des récits collectifs.
Une programmation riche et variée : Avec quatorze conférences couvrant des perspectives philosophiques, historiques, littéraires, et psychanalytiques, l’événement s’adresse à un large public, des initiés aux curieux.
Des intervenants de haut niveau : La présence de figures comme Jacques Ravenne, Reza Moghaddassi, et Joël Gregogna garantit des échanges de grande qualité.
Un ancrage local et universel : Enracinées dans l’histoire de la Fraternité Vosgienne, les IM&E rayonnent par leur ambition de traiter des questions globales, comme le montre l’attention portée aux dynamiques russo-américaines ou aux médias internationaux.
(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Nous pourrions nous écrier : « Nous avons une République ! ». Qu’en faisons-nous ? Comment la soignons-nous ? Comment nous la transmettons-nous, entre contemporains, comme de dépositaires à successeurs ?
Arrivée d’Emmanuel Macron à la GLDF
Le chef de l’État est venu prononcer, à la Grande Loge de France, le 5 mai 2025, un discours sur la République et sur l’un de ses principes fondateurs, la laïcité, dont il a souligné l’actualité et l’avenir, la permanente urgence, comme cadre de protection de la liberté de conscience, c’est-à-dire, en tout premier lieu, liberté de croire ou de ne pas croire, sans être entravé ou envahi par la volonté d’autrui et, encore moins, par celle de l’État qui affiche et respecte, à cet égard, une stricte et vigilante neutralité.
Certains voudraient aménager les règles qui en découlent, pour les convenances particulières d’un culte. Le Président Macron, premier et fidèle défenseur des institutions, entend redonner à la laïcité tout son lustre, à l’occasion de la commémoration du centenaire de la loi qui l’a fait entrer dans notre ordre juridique républicain. Nous avons rendu compte, dans ces colonnes, de la cérémonie solennelle, rue Puteaux. Des esprits chagrins, en commentaires, ont regretté que cette intervention n’ait pas eu lieu rue Cadet, l’obédience qui y siège devant avoir, à leurs yeux, sinon le monopole incontestable, du moins, la perpétuelle primauté de la représentation de la franc-maçonnerie française, en général, et singulièrement sur ce plan. Quel initié peut souscrire à une prétention aussi outrageusement profane ? Quel initié ne devrait pas s’interroger sur l’excès en toutes choses, comme chez ceux qui n’ont cessé d’égrener des couplets ‘laïcards’, en manifestant leur parti pris par des attitudes antireligieuses ?
La devise de la République française est aussi celle de certains rites maçonniques. Même si on la retrouve dans un Relevé d’assemblée générale d’une loge de la Grande Loge de France, daté de 1795, elle a été forgée plus tôt. V. sur ce point, dans ce Journal, l’article d’Alain Graesel et, pour une réflexion philosophique plus générale, celui de Jean-Jacques Zambrowski.
Ne s’éloigne-t-on pas ainsi du plein respect de la laïcité qu’on prétend révérer, tout comme, récemment – et curieusement, en partie, dans les mêmes cercles –, quand il se dessine, à l’inverse, un courant d’opinion qui voudrait aménager la laïcité pour que puisse s’exercer, dans l’espace public, le contrôle social de quelques adeptes intégristes de la confession musulmane, pour dire les choses, et ce à rebours de la majorité de leurs coreligionnaires, intégrés ? La loi de la République s’applique à tous. Elle est supérieure à toute règle sur le territoire français. C’est ainsi qu’elle a tracé et trouvé les voies de la paix et de l’équilibre, à défaut d’une harmonie constante – grâce à une laïcité scrupuleuse qui n’impose ni n’accepte de voir imposer de vêture ni d’attitude à personne, dans la rue, quels que soient son sexe ou son genre et, bien entendu, son appartenance à quelque religion ou conviction que ce soit.
La laïcité, c’est une libération et justement, nous avons célébré, le 8 mai, le quatre-vingtième anniversaire de la Libération et avons donc chanté la gloire de la République retrouvée, d’une République à reconstruire et qui ne le fit pas facilement, renonçant douloureusement, par exemple, à son empire colonial. D’ailleurs, un essai qui vient de paraître montre combien un ancien président de la République – malgré l’histoire que lui-même a voulu réécrire – semble, dans les faits, s’y être résolu tardivement et à contrecœur[1].
Pape Leon XIV (Robert Francis Prevost)
Au demeurant, il n’y a pas que la République qui soit souveraine… un pontife, aussi ! L’élection d’un nouveau pape, ce même 8 mai, au soir, nous rappelle que, certes, dans une conception différente de celle d’aujourd’hui, la République romaine avait couru pendant les cinq siècles précédant la naissance de Jésus-Christ[2]. Aussi bien, à la lumière des circonstances présentes, nous ne saurions éprouver le moindre embarras à affirmer que, dans l’esprit qu’elle incarne et qui la distingue le mieux, la République n’attend pas de messie : forte d’une constitution démocratique, elle organise l’État et sa gouvernance, elle gère les affaires publiques et donne un horizon commun à tous les citoyens. Chacun doit s’y reconnaître, non seulement par un hymne et un drapeau, mais aussi par un idéal digne d’être proclamé hautement : Habemus Respublicam !
[1] Nicolas Bancel et Pascal Blanchard (dir.), François Mitterrand, le dernier empereur : de la colonisation à la Françafrique, Paris, Philippe Rey, avr. 2025, 928 p., 29,50 €. Pour accéder au site de l’éditeur, cliquer ici.
[2] Rappelons que Jésus vient du grec ancien Ἰησοῦς /Iēsoûs , lui-même issu du prénom hébreu ancien ישוע/Iéshua (même racine que Josué). Ce mot signifie « Dieu sauve » ou « Dieu délivre ». Christ vient aussi du grec ancien χριστός/khristós , qui signifie « l’oint du Seigneur » (à rapprocher du saint chrême, l’huile d’onction qui a «la bonne odeur du Christ»), sachant qu’il s’agit ici également d’une traduction de l’hébreu ancien משיח/maschiah (« messie »).
Il nous a paru à propos d’évoquer sur 450fm ce que certains choisiront d’appeler humanisme et que, pour éviter toute référence civilisationnelle, culturelle ou spirituelle particulière, nous appellerons valeurs de l’humain. Nous nous proposons en effet d’aborder les valeurs essentielles de l’humain, celle de la dignité, et du respect dû à chacun.
Cette question nous concerne tous, hommes et femmes soucieux de l’éthique et de ce que l’on a coutume d’appeler l’humanisme. Elle présente des dimensions multiples, d’ordre philosophique, religieux, spirituel et juridique, et à ce titre elle est au cœur de toute réflexion, comme elle mérite d’être l’inspiratrice de toute action.
Il y a deux siècles et demi, Kant énonçait que la dignité est le fait qu’une personne humaine ne doit jamais être traitée seulement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin en soi. On pourrait dire aussi qu’aucune personne humaine ne doit jamais être traitée comme un objet, mais seulement comme un sujet. De là découle naturellement le respect que chacun lui doit, en même temps que la responsabilité qui revient à chaque être humain, en tant qu’être pensant, et ce, d’autant plus qu’il est libre de ses pensées, quand bien même il ne le serait pas de ses actes.
Quelle que soit sa naissance, quel que soit son parcours, toute personne a droit au respect absolu de sa dignité. C’est ce qu’exprimait, beaucoup plus près de nous, le philosophe Paul Ricœur lorsqu’il écrivait, en 1988 : «quelque chose est dû à l’être humain du fait qu’il est humain».
Le respect dû par chacun de nous à toute personne humaine est inconditionnel, quels que soient l’âge, le sexe, la santé physique ou mentale, l’identité de genre ou l’orientation sexuelle, la religion, la condition sociale ou l’origine de l’individu en question.
Naturellement, certains diront, avec juste raison, qu’il convient de respecter non seulement tout être humain, mais aussi toute créature vivante, tout animal sauvage que l’on ne saurait tuer par plaisir, autrement que s’il est menaçant, non plus qu’un animal d’élevage, qui ne doit aucunement être maltraité. Et nous prêtons la même attention à ceux qui font justement remarquer que c’est la nature tout entière qu’il nous faut respecter, car l’homme n’est qu’un élément d’un écosystème global, auquel les végétaux, les montagnes, les mers et les rivières appartiennent tout autant que nous, et à dire vrai depuis bien plus longtemps que nous.
Mais faisons le choix de concentrer notre propos sur la dignité de l’être humain en ce qu’elle a d’intangible, et sur le respect absolu qui est dû à chacun en cette qualité.
Et s’il fallait justifier cette focalisation, disons que seul semble-t-il l’homme tue, violente, dégrade et maltraite son prochain par cruauté, malice, plaisir ou désœuvrement, pour l’exploiter, voire au nom d’une idéologie extrémiste qui rejette l’autre simplement parce qu’il est l’autre, simplement parce qu’il est différent.
On sait que les Francs-Maçons se définissent volontiers comme humanistes. L’humanisme est une attitude philosophique qui revendique pour chaque humain la possibilité d’épanouir librement son humanité, ses facultés proprement humaines. Selon le Dictionnaire de l’Académie française, l’humanisme vise à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité.
La relation entre humanisme et dignité humaine est manifeste, immédiate. Répondant à un journaliste, Alain-Noël Dubart, qui fût Grand Maître de la Grande Loge de France, a eu cette formule explicite : C’est le respect de la dignité humaine dans la droite ligne de la pensée de Kant. Notre humanisme est celui de la Renaissance revisité par les Lumières ».
Un demi-siècle avant que la République en fasse sa devise, les Francs-maçons avaient adopté ce triptyque que nous connaissons tous : Liberté – Égalité – Fraternité que l’on peut envisager comme bases du respect de la dignité humaine.
La liberté dont il est question ici doit être comprise dans toutes les acceptions du terme.
Nul ne doit être asservi, être l’esclave d’autrui, sous quelque forme que ce soit.
Nul ne peut être contraint dans sa pensée, sa croyance, son expression. Naturellement, cette liberté que chaque être humain peut revendiquer pour lui-même, chaque être humain doit la reconnaître à autrui.
Chacun est libre de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer, d’aimer – ou d’ailleurs de ne pas aimer – qui il veut, d’avoir telle opinion ou telle préférence politique ou spirituelle, et si l’un de nous revendique ces libertés pour lui-même, il doit évidemment les consentir à autrui.
La liberté impose donc la réciprocité, la pluralité et donc la tolérance. Il est donc déjà question ici du respect d’autrui.
On pourrait, diront certains, faire preuve de tolérance. Ils n’ont naturellement pas tort, mais la tolérance n’est que la première étape du chemin qui conduit à la pleine acceptation de l’autre. Tolérer, c’est ne pas rejeter, c’est laisser se produire ou subsister une chose qu’on aurait le droit ou la possibilité d’empêcher, c’est aussi supporter avec patience ce qu’on trouve.
L’égalité, le second terme du triptyque, est reliée au premier.
Dire que l’autre et moi sommes égaux, cela signifie en particulier que le point de vue de l’autre a la même valeur que le mien, même si je ne le partage absolument pas et même si je le considère infondé.
On peut combattre le point de vue de l’autre s’il exprime une idée que l’on juge dangereuse, ou malfaisante ; cela ne doit pas nous empêcher de le respecter en tant que tel, et pour cette raison, de laisser l’autre l’exprimer.
Encore une fois, la réciprocité suppose simplement que l’on puisse – et même que l’on doive – exprimer à notre tour notre point de vue et le faire valoir.
Chacun connaît la formule prêtée à Voltaire, bien qu’il ne l’ait en réalité jamais prononcée : « Je ne partage pas vos idées mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez les exprimer ». Peu importe que le sage de Ferney ait jamais tenu ou écrit ces paroles, nous pouvons en faire nôtre le sens ultime : le droit de l’autre à exprimer son point de vue est égal au nôtre. Et c’est cette égalité qu’il m’importe de défendre.
Notre Frère Christian Roblin, qui préside aux activités du Collège Maçonnique, a trouvé une jolie formule pour exprimer l’idée que je vous propose de méditer : « la tolérance nous modère, le respect nous modèle, c’est-à-dire qu’il nous donne une forme qui nous érige en modèle d’humanité. » Et d’ajouter, parce que respecter l’autre c’est entendre ce qu’il a à dire, c’est le laisser s’exprimer, quitte à lui porter la contradiction après l’avoir écouté : « L’écoute de l’autre…sans l’interrompre, quelle que soit son opinion, son origine, ses croyances ou non, C’est un préalable à un dialogue constructif où chacun a le droit à la parole et s’enrichit de celle de l’autre. »
Cette notion de dialogue respectueux de l’autre résume en fait un des engagements essentiels de toute Franc-Maçonne, de tout Franc-Maçon.
La liberté de pensée, la liberté qui doit être reconnue à chacun de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer, doit nous conduire à favoriser le dialogue entre laïcité, religions et spiritualités, sans a priori, sans exclusion d’aucune sorte. En France, plus encore qu’ailleurs, la plupart des obédiences sont à l’image de cette société, plurielle, accueillante à des adeptes de toutes les religions, catholiques, protestants, musulmans, juifs, … mais aussi de toutes les formes de spiritualité, comme le bouddhisme ou le taoïsme, tout autant qu’ouvertes à des agnostiques ou des athées.
France, Somme (80), Crécy-en-Ponthieu, Forêt de Crécy, Ecorce d’arbre // France, Somme (80), Crécy-en-Ponthieu, Crécy forest, Tree bark
Penser à la périphérie, c’est tourner son regard vers les expériences du monde actuelles et passées. Les arbres ne croissent pas à partir du centre mais de l’écorce. C’est une confrontation pacifique qui envisage ce que la Franc-maçonnerie doit à ses rencontres avec les autres spiritualités pour être elle-même.
Chacun de nous croit connaître (est sensé connaître) les termes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Pourtant, nous n’en faisons qu’une citation incomplète, tronquée : tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits.
Restons-en là un instant, c’est-à-dire à l’égalité des droits reconnus à chacun.
Les instructions données aux policiers et aux gendarmes du RAID ou du GIGN sont de tout faire pour appréhender les criminels, meurtriers et autres terroristes, afin qu’ils soient remis à la justice et bénéficient, quelle que soit la gravité ou la barbarie de leurs crimes, d’un procès équitable, sans qu’il soit porté atteinte à leur dignité d’être humain, non plus qu’à l’intégrité de leur personne.
Et naturellement, on comprend bien que cette réciprocité, cette reconnaissance de l’autre comme une personne, nous amène à la notion de fraternité.
La fraternité, c’est dire que l’autre est notre frère, notre frère ou notre sœur en humanité.
Platon disait que le mot primordial pour la communauté est loi; quant à Aristote, il pensait que c’est Philia. Les deux pourraient avoir raison. Ce qui maintient une communauté ensemble, c’est la loi au-dessus des êtres. Mais ce qui crée une communauté, c’est la fraternité qui vit dans ces êtres.
Les francs-maçons se reconnaissent entre eux pour frères ou sœurs et se nomment mutuellement ainsi (au Rite forestier ils se nomment cousins, cousines).
La fraternité maçonnique n’est pas que théorique, elle est ressentie sincèrement par tous. La fraternité se distingue de l’amitié car elle n’est pas une affinité ; sa recherche constitue un devoir pour le maçon. Il doit l’étendre à tous les membres de l’humanité ; ce qu’Emmanuel Lévinas qualifiait de passage du «dévisagement à l’envisagement».
Le thème de la fraternité sert souvent à démontrer le rôle de la violence, la nécessité de poser son identité, de comprendre l’identité de l’autre, de lui faire confiance, d’avoir une attitude dialogale. Il y a sublimation de faire monter en valeur morale toute relation humaine. Comme l’écrivait Joseph Uriot en 1744 dans Le Secret des francs-Maçons mis en évidence: «Lorsque nous sommes rassemblés, nous devenons tous frères ; le reste de l’univers nous est étranger : le prince et le sujet, le gentilhomme et l’artisan, le riche et le pauvre y sont confondus, rien ne les distingue, rien ne les sépare ; la vertu les rend égaux : elle a son trône dans nos loges, nos cœurs sont ses sujets, et nos actions le seul encens qu’elle y reçoive avec complaisance».
Cette notion de la valeur de l’autre, quel qu’il soit, est pour nous fondamentale.
Souvenons-nous de l’excellent film de Ridley Scott inspiré d’un roman d’Andy Veir Seul sur Mars, avec Matt Damon. Comme souvent dans les œuvres de science-fiction, le synopsis peut nous amener à un constat qui vaut autant pour l’humanité que nous connaissons que pour d’hypothétiques temps futurs.
L’histoire, donc, est celle d’une première mission sur Mars, au cours de laquelle un astronaute est laissé pour mort par ses co-équipiers, une tempête les ayant obligés à décoller en urgence. Mais en fait, cet astronaute a survécu et il est désormais seul, sans moyen de repartir, sur une planète hostile. Il va devoir faire appel à son intelligence et son ingéniosité pour tenter de survivre et trouver un moyen de contacter la Terre. Pendant qu’on s’active à la NASA pour tenter de le sauver, ses co-équipiers, mis au courant qu’il est vivant, vont faire demi-tour malgré le veto formel de la Nasa pour le récupérer, au péril de leurs vies. Trois constats sont à faire sur ce que suggère ce film, les trois reliés entre eux : Premier constat : Nous sommes là face à un triple questionnement : Techniques, technologies, valeurs de l’humain. Le progrès technique a permis d’envoyer des humains vers la planète rouge. La technologie permet d’annoncer l’imminence de la tempête, même si elle ne peut l’éviter. Et l’équipage n’est pas constitué de robots, programmés pour obéir aux instructions reçues, mais d’humains, capables de transgresser ces instructions, au point de mettre leur vie en danger pour sauver une autre vie, un autre humain. Deuxième constat : même s’il dispose de moyens et de technologies qui lui permettent de survivre, de se nourrir, de boire, de se protéger du froid glacial ou de la chaleur extrême, un humain cherche avant tout à communiquer, à échanger avec d’autres humains, à partager ses craintes comme ses espoirs. On se souvient ici des aventures de Robinson Crusoé. Troisième constat : pour un humain normalement constitué, la vie d’un autre être humain, surtout s’il le connaît ou si simplement il peut le voir et l’entendre, a une valeur sacrée qui peut aller jusqu’à justifier qu’il se sacrifie pour lui. Pensons par exemple aux volontaires de la société de secours en mer, ou à nos sapeurs-pompiers.
On pourrait ajouter qu’aux deux âges extrêmes de la vie, aucun humain ne peut venir au monde ni survivre seul.
La valeur première intangible sur laquelle nous pouvons nous accorder est la valeur de l’autre.
Et puisque nous sommes conduits à vivre ensemble, il faut comprendre cette injonction comme « vivre tous ensemble ». Cela signifie agir en faveur de ce qui participe à accueillir, intégrer, inclure. Cela signifie respecter en toutes circonstances la dignité de l’autre, quelle que soit sa différence, et même, s’il y a lieu, quelle que soit sa déviance.
Max de Haan, un franc-maçon néerlandais qui fût professeur de philosophie et recteur de l’Université de La Haye a écrit que la franc-maçonnerierecherche constamment ce qui unit les hommes et veut ignorer ce qui les sépare.
Citons deux courts extraits de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies et finalisée par le frère René Cassin, Prix Nobel de la Paix. Mais, comprenons bien au préalable le préambule de ce texte : Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde (…) Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,
Puis relisons l’article premier, celui que nous croyons connaître mais dont nous omettons en général deux éléments pourtant essentiels : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Car la liberté, l’égalité en dignité et en droits de tous les êtres humains ne sont que la conséquence du fait qu’ils sont tous doués de raison, tous dotés d’une conscience.
appartenant tous à la famille humaine,les humains ne sauraient agir entre eux que dans un esprit de fraternité.
C’est sur ce fondement qu’a été rédigé il y a fort longtemps le premier paragraphe de la Constitution de la Grande Loge de France : La Franc-maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité et constitue une alliance d’hommes libres, de toutes origines, de toutes nationalités et de toutes croyances ayant pour but le perfectionnement de l’Humanité.
Mais surtout, comme l’écrit Solange Sudarskis dans son Dictionnaire vagabond en franc-maçonnerie,le chantier est le lieu de la fraternité sans laquelle le franc-maçon ne peut se prévaloir de progrès initiatiques. En remontant aux Anciens Devoirs de la Maçonnerie, on découvre, insérée de façon plus ou moins voilée dans les règles normatives qui y sont énumérées, une indication précieuse, notamment, pour les recherches du compagnon : il y est affirmé que «l’amour fraternel constitue la pierre de fondation et la clef de voûte, le ciment et la gloire de cette antique Fraternité», méthode qui vise au dépassement des barrières limitatives qui entourent le moi vis-à-vis des autres : «Recherche pour ton Frère soixante-dix excuses et, si tu ne les trouves pas, reviens vers ton âme avec suspicion et dis-lui : ce que tu vois en ton Frère, c’est ce qui est caché en toi !»
Les Francs-maçons, quelle que soit leur obédience ou le rite qu’ils pratiquent, savent qu’il est un temps pour la réflexion, et savent que la fraternité doit présider à toute construction, à toute action. Mais ils savent aussi que la conception doit être au service de l’action, et que celle-ci doit être poursuivie avec force, c’est-à-dire avec persévérance et détermination.
Ne faisons pas preuve d’angélisme ni de naïveté : pour promouvoir la fraternité avec la reconnaissance de la dignité et du respect de chaque être humain, le chantier est à l’évidence encore immense, qu’il s’agisse de lutter contre le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination.
Chacun de nous, dans sa vie propre, à l’échelle de sa famille, de son quartier, de son administration ou de son entreprise, peut – et en fait doit – aussi promouvoir des valeurs actives comme la tolérance, la bienveillance et la fraternité pour cimenter ce socle commun que constitue l’idée d’humanisme, ou plus simplement celle « d’humanité ».
Il y a quelques années un Grand Maître de la GLDF, Marc Henry, s’adressant à des étudiants et à des élèves des grandes écoles, avait déclaré : « l’appartenance à une loge de la Grande Loge ne saurait se limiter à la production de discours touchant à la solidarité, l’humanisme, la dignité, etc., aussi élevés soient-ils, mais bel et bien par la réalisation de projets concrets portés par le ou les frères dans le cadre des structures de la société qui est la nôtre. »
Là est l’essentiel. La réflexion n’a de sens que si elle est au service de l’action.
La Franc-maçonnerie d’aujourd’hui est dite « spéculative », par opposition à la Franc-maçonnerie « opérative » des bâtisseurs de cathédrales. Mais nous sommes nous aussi engagés sur un chantier exigeant.
Nous sommes en effet engagés à construire une humanité plus éclairée, plus juste, plus solidaire. Une société plus respectueuse de chacun.
La Franc-maçonnerie est discrète, même si elle n’est pas une société secrète. Mais cela n’empêche pas les Maçonnes et les Maçons d’agir dans leur entourage, dans la cité, non pas selon des mots d’ordre qui leur seraient donnés, mais au nom des valeurs, des principes et des vertus qu’ils perfectionnent en loge.
Si ce thème est celui du respect que l’on doit à l’autre, on ne saurait ignorer celui que l’on doit aussi à soi-même.
On pourrait ne voir là que narcissisme, auto-satisfaction et complaisance, mais c’est un peu court. La fierté, l’amour-propre, une juste estime de soi, ne sont pas méprisables, au contraire.
Le personnage que je vois dans le miroir est-il digne de mon estime, voire de mon respect, tandis que je suis le seul à pouvoir le juger en réelle connaissance de cause ? Suis-je digne de ma propre estime ? Est-ce que je mérite la dignité à laquelle je prétends ? Chacun peut tromper son entourage, les autres. On peut aussi se tromper soi-même. Mais si nous savons être honnête et sincère ne serait-ce que face à notre miroir, sommes-nous vraiment digne de nous respecter nous-même, avant d’être respectable pour autrui ?
Il est donc essentiel de se respecter soi-même, à sa juste valeur, à son juste mérite et en assumant ses propres insuffisances, ses propres marges de progression. Car il va de soi que nous ne sommes pas parfaits. Nous cherchons seulement à nous perfectionner, à progresser plutôt qu’à régresser…
La plupart des grandes obédiences maçonniques françaises ne s’autorisent à alerter l’opinion publique que si de graves atteintes sont portées aux libertés fondamentales, à la dignité et aux Droits de l’Homme. On voit donc l’importance qu’ont à nos yeux ces thématiques essentielles.
La dignité de l’autre est pour chacun de nous une valeur sacrée, sur laquelle on ne saurait transiger. Respecter, faire respecter la dignité de chaque être vivant est un devoir absolu, un impératif catégorique.
Il n’est pas de sujet sans un autre qui le reconnaisse comme tel dans sa différence.
La première étape dans la reconnaissance de l’autre comme un être humain respectable en tant que tel, au-delà de l’humanisme en tant que doctrine, en tant que principe philosophique, c’est de s’efforcer de le comprendre, et à tout le moins de le connaître.
Reconnaître, c’est tenir pour véritable. Comment pourrait-on totalement reconnaître l’autre comme l’un de ses semblables sans avoir cherché à le connaître, à le comprendre, à savoir ce qu’est son histoire, ce qu’est son référentiel, ce que sont ses valeurs, ses principes ?
Connaître l’autre, c’est la première étape vers accepter l’autre, le respecter pour ce qu’il est, parce qu’il est.
Quelle que soit sa foi ou sa croyance, chacun connaît le commandement qui nous appelle à la fraternité : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Car, au fond, tout n’est qu’histoire d’amour… non au sens de sentimentalisme mais de conscience de l’altérité.
Et s’il fallait une raison pour que nous fassions tous de ce respect de l’autre et de sa dignité un élément central de notre propre vie, je citerai l’anthropologue Charles Gardou, qui dédie l’un des ouvrages qu’il a dirigé par ces mots : à ceux qui croient que, faute d’apprendre à se reconnaître comme des semblables et à vivre ensemble en bonne intelligence, nous risquons de disparaître ensemble comme des sots.
Le respect de la dignité d’autrui est donc pour nous tous un engagement fondamental auquel nous ne saurions déroger.
(entre l’être suprême jeanne d’arc et Victor Hugo !)
« Tu frappes à la porte de la sagesse, une voix demande : qui est là ? Tu réponds : Moi. Et la porte ne s’ouvre pas. Tu frappes à la porte de la sagesse, une voix demande : qui est là ? Et tu réponds encore : Moi. Ne soit pas étonné si la porte ne s’ouvre pas. Tu frappes à la porte de la sagesse, une voix demande : qui est là ? Tu hésites mais tu réponds : Toi. Enfin, la porte s’ouvre et tu entres dans la sagesse » Message de Sagesse caodaïste
La Franc-Maçonnerie, du fait de sa naissance dans le contexte de la Réforme protestante (Anglicane et Calviniste à la recherche d’un modus vivendi, à l’exclusion des autres dénominations à ses débuts), sera toujours en porte-à-faux avec la question religieuse : soit un rationalisme et un anticléricalisme virulents, soit une orientation spirituelle qui ferait considérer l’Institution comme un groupe répondant à une orientation cléricale. Pour échapper à ce dilemme, la Maçonnerie se lancera dans plusieurs aventures de création et d’accompagnement de véritables nouvelles Eglises, ou sectes, qui disparaîtrons ou se poursuivrons jusqu’à nos jours.
Les deux exemples connus, sont la création des Théophilanthropes durant la Révolution Française de 1789 qui disparaîtra avec l’accession au pouvoir de Bonaparte et le soutien de la mise en place des caodaïstes, troisième religion au Vietnam durant le temps de la colonisation française et toujours vivante aujourd’hui, tant au Vietnam que dans les différentes diasporas vietnamiennes, avec une participation de membres européens, très souvent Maçons ou proches de la Maçonnerie. C’est à cette dernière création que nous allons nous intéresser.
I- D’UN BOUDDHISME RENOVE, DU SPIRITISME ET DE LA FRANC-MACONNERIE, LA NAISSANCE ET LE PASSAGE SUR LES FONDS BAPTISMAUX D’UNE NOUVELLE RELIGION.
Il est intéressant pour nous de constater qu’au Vietnam, dans les années 1920, la naissance d’un grand nombre de sectes, à partir du spiritisme, du nationalisme vietnamien et de la présence de plus en plus affirmée de courants marxistes. Par rapport au caodaïsme, sa naissance est due à une évolution sociologique importante : la création d’une classe moyenne indigène, scolarisée, occupant des fonctions administratives dans l’empire colonial et aspirant plus à une promotion égalitaire qu’à l’indépendance, avec une volonté d’une spiritualité unifiée et tolérante, tout en conservant les différences entre ces courants.
C’est sur la base du spiritisme que le caodaïsme va se constituer. A cela rien d’extraordinaire : existe depuis longtemps un spiritisme vietnamien extrêmement puissant, inter-religieux, qui va être renforcé par tout un courant spirite européen qui est l’un des résultats de la première guerre mondiale et son cortège de défunts avec lesquels se fait le désir de communiquer. Y compris dans la Maçonnerie où ce courant était représenté de façon forte, tant en France qu’au Vietnam. La relation entre les deux structures va très vite s’opérer à partir de l’appartenance laïque du milieu administratif commun et souvent par opposition aux colons qui bloquent toute évolution et sont les soutiens d’un catholicisme intransigeant, alors que l’immense majorité de la population est bouddhiste. Les loges militaires vont soutenir également l’Église naissante en comprenant qu’elle n’est pas hostile fondamentalement à la France, et par nature anti-communiste. Donc, une étrange naissance sous le patronage de la Maçonnerie, du spiritisme et des services de renseignements français !
Ce fut au début de l’année 1926 (« Binh Dân ») que fut fondé le caodaïsme, bien qu’existaient déjà des cercles médiumiques qui s’en rapprochaient auparavant. Mais, depuis 1919, un homme, Phu Ngô Van Khieu, se passionna pour le spiritisme lié au taoïsme. Avec de jeunes médiums, il évoquait les esprits supérieurs (« Cao-Tien »). Parmi les esprits contactés, s’en trouvait un qui se nommait Cao Daï. Cette évocation des esprits était quelque chose de courant dans le milieu des fonctionnaires annamites, comme l’était l’horoscope dans le peuple avec, pour les deux groupes sociaux, un enracinement dans le culte des ancêtres. Phu Ngô Van Chieu était délégué administratif, en 1919, au poste de Phu Quoc, île située dans le golfe de Siam. Fait très intéressant, il sera affecté ensuite au deuxième bureau du gouvernement de Cochinchine, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la nouvelle religion durant l’histoire à venir du Vietnam.
Le nom de Cao Dai, découvert dans les séances de spiritisme, étonna les personnes présentes, mais Phu Ngô Van Chieu crut y reconnaître un surnom de Dieu qu’il convenait de représenter sous une forme tangible : Cao Daï lui donna l’ordre de le représenter par un œil symbolique au sein d’un triangle. Bien entendu, la copie du symbole du Grand Architecte de l’Univers est évidente ! Bientôt les fonctions administratives de Phu Ngô Van Chieu le rappelèrent à Saïgon où il fit des adhérents à la foi nouvelle, groupe recruté dans les milieux occultistes locaux. Le 24 décembre 1925, à l’occasion de noël, Cao Daï, l’ « Être Suprême », se révéla aux spirites, en langue annamite.
Phu Ngô Van Chieu, devenu médiateur entre les hommes et Cao Daï, était un produit typique du fonctionnaire indigène installé par l’administration coloniale française. Il était né le 28 février 1878 à Cholon-ville (« Binh Tay ») dans un milieu modeste et devient boursier au collège de Mytho. Au bout d’un travail forcené, il passe avec succès le concours de secrétaire du gouvernement, ce qui était alors le couronnement des études complémentaires franco-indigènes et la reconnaissance de la fidélité au gouvernement français. De 1899 à 1902, il est affecté au service de l’immigration. Passionné de religion et de spiritisme, il rejoint alors un groupe de jeunes bouddhistes qui avaient l’habitude de « faire tourner les tables ».
Après la révélation de Cao Daï, une autre conversion va avoir lieu : celle de Lê Van Trung, ancien mandarin cochinchinois, membre du conseil de gouvernement et spirite à l’occasion. Cao Daï, le « Grand Maître », par le truchement des médiums ; va le désigner pour devenir le Pape du caodaïsme, alors que Phu Ngô Van Chieu, habitué à la solitude, va se tenir à l’écart d’un mouvement qui, sortant de son cercle habituel, va devenir très rapidement une religion locale importante : les oratoires caodaïstes vont se répandre à Cholonville, Congtoc, Lôcgiang, Tândinh, Thuduc et Cântho. Deux médiums sont affectés à chaque oratoire pour recevoir les enseignements du Grand Maître.
Le 7 octobre 1926, vingt-huit dirigeants du caodaïsme, soucieux de se maintenir dans la stricte légalité, feront une déclaration officielle adressée au gouverneur de Cochinchine. A cette déclaration était jointe une liste d’adeptes comportant la signature de deux cent quarante-sept présents à la cérémonie ayant consacrée la naissance officielle du caodaïsme. Les autorités coloniales françaises verront favorablement la naissance de ce mouvement religieux issu des élites et cadres intermédiaires qu’ils sont en train de mettre en place et qui apportent leur soutien au régime colonial. De surcroît, la naissance de cette croyance et de son soutien est une manière de combattre l’influence de l’Église Catholique puissante dans le nord et le bouddhisme avec ses tendances nationalistes et, enfin, les groupes marxistes qui s’installent peu à peu dans les milieux universitaires en France ou sur place. Le renseignement français militaire va y voir un intérêt direct pour faire barrage aux influences anticoloniales et, les mouvements laïques, où la Franc-Maçonnerie joue un rôle capital, va apporter son soutien et ses conseils à la religion naissante, et ainsi en être l’un des éléments fondateurs dans l’esprit. Maçonnerie où est encore bien présente des courants spirites et un anticléricalisme virulent. Certains Maçons français vont s’y joindre et militer pour une plus grande ouverture des loges aux vietnamiens, surtout ceux qui sont membres du caodaïsme, constituant ainsi un pont entre les deux structures, allant pour certains Maçons jusqu’à considérer que le caodaïsme soit une sorte d’Eglise asiatique de la Maçonnerie qui met à l’honneur les religions mais aussi les hommes et les femmes célèbres, comme Victor Hugo, spirite, et Jeanne d’Arc !
Les dirigeants de la « Grande Voie » vont organiser trois missions de propagande à l’intérieur du pays : une pour les provinces de l’est, une pour celles du centre et une pour celles de l’ouest. En moins de deux mois, plus de vingt mille personnes, parmi lesquelles de nombreux notables, vont se convertirent. La fête de l’avènement du caodaïsme eut lieu les 14,15, et 16 du dixième mois de l’année Binh Dan (18,19 et 20 novembre 1926) dans la pagode Tu-Lam-Tu, située à Gô-Ken (Tây-Ninh). Le Gouverneur Général de l’Indochine ainsi que les grands fonctionnaires européens y furent invités. On y remarquait aussi la présence du capitaine Monet, connu comme spirite. Les loges maçonniques dans l’armée encouragèrent la naissance de cette nouvelle religion qui, d’une certaine façon, présentait un rempart contre les séditions possible. Le renseignement lui fut particulièrement favorable ! Ce fut durant la fête d’installation que furent promus le sacerdoce caodaïste et le nouveau code religieux. En mars 1927, le « Saint-Siège » du caodaïsme va être installé au village de Long-Thânh dans la province de Tây-Ninh, sur une surface de cent hectares. Le choix de ce lieu est, théoriquement, dicté par l’Esprit Supérieur, malgré l’opposition virulente de certains milieux, catholiques notamment. A cette époque, le caodaïsme compte un demi-millier d’adeptes et à qui il veut offrir le perfectionnement dans la « Grande Voie », en ayant en perspective le bien moral et spirituel de l’humanité.
II- EVOLUTIONS ET DERIVES.
Comme souvent dans l’évolution d’un mouvement religieux, la belle unité de départ va se fissurer et des scissions vont avoir lieu : « La religion de la Vraie Vérité », en 1930, et « L’Union de toutes les sectes caodaïstes », en 1934, par exemple. En fait, les statistiques, montreront qu’en 1948 existaient onze sectes de la communion caodaïste ! Les diverses sectes vont constituer des temples à leur tour et prendre des titres comme « Cardinal Législatif » ! Des troubles éclateront entre les différents groupes et c’est ainsi que, très vite, vont se mettre en place des services d’ordre qui, peu à peu, constitueront la future armée caodaïste. Les autorités françaises ne verront pas de façon négative la constitution de cet embryon d’armée, car elle assure l’ordre dans les régions qu’elle contrôle et n’a aucune velléité subversive. D’autre part, les gouvernements de gauche en France, radicaux et socialistes, faciliteront très largement la mise en place du caodaïsme par hostilité aux missions catholiques et par sympathie pour les idées religieuses, philosophiques et libérales proches de la Franc-Maçonnerie. Souvenons-nous qu’il s’est passé la même chose en Algérie où, paradoxalement, l’Islam sera encouragé par les administrateurs laïcs pour faire barrage à l’Église catholique. Ces sympathies laïques et maçonniques seront un handicap pour les caodaïstes quand, après la défaite de 1940 et le début de l’occupation japonaise de l’Indochine en accord avec Vichy et l’amiral Decoux, nommé par Pétain sans pouvoirs réels, va restaurer l’influence de l’Église catholique du nord, au détriment des bouddhistes majoritaires, des caodaïstes et autres sectes. Cela aura deux conséquences indirectes : soit une collaboration avec le Japon vers lequel il convient de se tourner pour être « plus asiatique », soit rejoindre les maquis communistes qui commencent à s’organiser sérieusement, soutenus par la Chine de Mao Tse Tung et de certains courants américains anti-colonialistes ou visant le remplacement des Français en Indochine. L’amiral Decoux fait fermer les sanctuaires de Tây-Ninh et des autres provinces et fait déporter aux Comores les dirigeants caodaïstes. Jusqu’en 1945, les Japonais vont encourager la levée de troupes chez les caodaïstes, sans grand succès d’ailleurs.
A la libération, les caodaïstes vont être rejetés provisoirement par le nouveaux gouverneur, Thierry d’Argenlieu (1), nommé par le général de Gaulle. Mais, devant l’amplitude des mouvements révolutionnaires, le rôle des caodaïstes va revenir à l’honneur : pour contrôler certaines régions, les Français vont s’appuyer sur eux, comme ils le feront avec les catholiques du nord ou les Hoà Haho (2). L’artisan de l’utilisation de courants minoritaires, et souvent violemment opposés, contre les communistes sera le général Raoul Salan. Dans ses mémoires (3) il écrit : « Je sais que les sectes ont tendance à exagérer et qu’il devient indispensable de réfréner leurs appétits.Les Hoà Hao tiennent les riches provinces de Chau Doc, Long Xuyen et Can Tho, au sud du Bassac, bras du Mékong, les caodaïstes assurent l’ordre dans les provinces de Tay Ninh et de Gia Dinh au nord-ouest de Saïgon, tandis que les Binh Xuyên (4) protègent Saïgon-Cholon et la route du cap Saint-Jacques. Les sectes nous aident et j’en ai encore besoin sur le plan militaire. Des accords ont été passés et je veille à ce qu’ils demeurent valables. C’est au militaire français que les sectes obéissent, car il les paie, les habille, les arme. Ce que réclame le président Huu (5), l’absorption pure et simple par ses services, et même l’élimination, ne saurait se concevoir en ce moment. Il faudra bien que le gouvernement vietnamien digère les sectes, mais les détruire serait une faute car elles sont farouchement anti Viet-Minh. Je m’oppose à toute intervention brutale et, en accord avec le gouverneur général Gautier, je décide d’accroître la surveillance dans le seul domaine militaire où j’ai des moyens de pression. Un plan d’action est mis au point avec mes grands subordonnés qui sera appliqué par ma mission de contrôle et de liaison »
Dans les zones contrôlées par les caodaïstes, le Viet-Minh n’aura qu’une influence négligeable. Après Diên Bien Phu, les caodaïstes, du fait de leur principale implantation géographique, vont jouer un grand rôle politique. Les Français vont mettre en place l’Empereur Bao Daï, qui tient à préserver l’unité de l’Indochine sera impuissant contre les personnages qui manifestent une hostilité très nette pour les caodaïstes et ce qu’ils représentent, en sachant qu’ils sont un atout pour l’équilibre de la situation. Leur ennemi mortel est Ngô Dinh Diêm (6), mandarin catholique, hostile aux Français et pro-américain. Le projet de liquidation des sectes, acte particulièrement aveugle, va amener à la défaite : elles représentaient près de deux millions de personnes farouchement anti Viêt-Minh et leur formation avait contribué à la pacification du sud. Les Américains, à partir de 1965, vont mettre en marche leur immense machine de guerre, mais vont laisser carte blanche à Diêm, totalement ignorants de la subtilité de la situation vietnamienne.
Les caodaïstes vont être persécutés avec violence. L’un des bras séculiers de cette lutte sera Nguyên Huu Tho, avocat, ex-ministre délégué à la présidence sous Diêm (1954-1957). Il fera exiler le pape caodaïste Pham Cong Tac qui mourra au Cambodge, mais il changera de camp et deviendra président du Front de Libération Nationale. Il échappera par miracle à un attentat perpétré dans la région de Chodoc. Des persécutions auront lieu aussi contre les Hoà Hao et les bouddhistes majoritaires dans le pays. L’une des conséquences, devant le danger qu’ils courraient, fut que de nombreux caodaïstes furent obligés soit de s’exiler soit de se joindre aux révolutionnaires, en apportant leurs compétences et. Nous pouvons constater que les sectes eurent, jusqu’à Diêm, une bonne efficacité. Ce qui amènera à tenter de poursuivre ces exemples indochinois par l’armée, dans la création des Harkis en Algérie. Mais ceci dans un contexte totalement différent, face à un peuple qui avait une culture religieuse globalement semblable.
III-ALORS LE CAODAÏSME ET LA FRANC- MACONNERIE ?
Très vite, dès la naissance de la nouvelle religion, les Maçons seront intéressés par sa philosophie. Un certain nombre y adhéreront, tandis que des vietnamiens vont rejoindre la Maçonnerie. Un délégué français, Gabriel Godron, sera même choisit comme représentant du caodaïsme en France et de nombreux lieux de culte vont s’ouvrir dans l’hexagone, là où vivent des communautés vietnamiennes. Le caodaïsme est présent également dans le monde entier, au gré des déplacements de populations indochinoises. Il est toléré dans sa pratique au Vietnam actuel par un gouvernement qui connaît les influences commerciales et politiques de ce groupe religieux à-travers le monde !
La doctrine caodaïste se veut concilier toutes les sensibilités religieuses, mais aussi à s’adapter à tous les degrés de l’évolution spirituelle :
1° Au point de vue moral, elle rappelle à l’homme ses devoirs envers lui-même, sa famille, la société qui est une famille élargie, puis envers l’humanité qui est la famille universelle. Cet aspect amenant, bien entendu, la pratique de la tolérance.
2° Au point de vue philosophique, elle prêche le mépris des honneurs, de la richesse, du luxe, pour chercher dans la spiritualité la pleine quiétude de l’âme. La liberté de conscience est aussi une croyance de base.
3° Au point de vue cultuel, elle demande la reconnaissance d’un Principe fédérateur, que le concept de G.A.D.L.U maçonnique peut le mieux à qui ressembler. Il est symbolisé par le triangle, symbole de la perfection et de la composition des énergies divines dans lequel figure « l’oeil ardent de l’Eternel ».
4° Au point de vue spirituel, elle confirme, d’accord avec d’autres religions et avec les systèmes de philosophie spiritualiste, l’existence de l’âme.
5° Au point de vue initiatique, elle communique à ceux de ses adeptes qui en sont dignes, les enseignements qui leur permettront d’accéder à une forme de sagesse intérieure et extérieure, qui se traduit par la fraternité humaine et le respect de la nature sous toutes ses formes.
Le rituel caodaïste est riche et complexe, laissant une place importante à la méditation et au silence. Gabriel Gobron, dans son ouvrage (7) résume les buts du caodaïsme en écrivant : « Sur ce terrain splendide de la fraternité humaine, les disciples du Christ et les fils d’Hiram, les adeptes du Bouddha, de Confucius, de Lao Tseu et les fervents de la théosophie, du spiritisme, de l’occultisme, se rencontrent unis dans leur volonté commune de construire le Temple de l’Humanité ». Noble perspective mais lourde tâche !
Nos Frères vietnamiens et quelques vieux nostalgiques de l’Indochine fréquentent toujours nos loges et le caodaïsme. Ils entretiennent la flamme de cette étrange rencontre…
NOTES
(1) L’amiral Georges Thierry d’Argenlieu (1889- 1964) : combattant de la France Libre, il sera nommé, par le général de Gaulle, Haut-Commissaire en Indochine Française (1945-1947). Catholique convaincu (il appartient à l’ordre des Carmes) il va mettre en œuvre un soutien très mal jugé par l’administration laïque du Vietnam et soutenu par les colons qui sont ralliés au catholicisme. Cette situation amènera les milieux laïcs et maçonniques au soutien du caodaïsme. De retour en France après son échec de réimplantation de la France et l’erreur politique grave du bombardement d’Haïphong, il se consacrera à sa vie religieuse monacale. Il avait réputation d’être dur pour les autres et pour lui-même : on le disait porteur d’un cilice !
(2) Hoà Hao : Secte basée sur le bouddhisme populaire, fondée en 1939 par Huynh Phu Sô (1919-1947). Le Viet Minh considérera le « bonze fou » comme un dangereux illuminé et il sera exécuté par eux. La secte continue à fonctionner dans le Vietnam actuel.
(3) Salan Raoul : Fin d’un Empire. Tome II. Le Viêt-Minh mon adversaire. Paris. Ed. France-Empire. 1971.
(4) Binh Xuyên : Secte fondée dans les années 1920, difficilement qualifiable : Confrérie, action politique, ou groupement semi-religieux ? Les membres s’appelaient « Frères » et respectaient un code d’honneur. Ils jouèrent un rôle politico-militaire durant les guerres vietnamiennes et l’Empereur Bao Dai confia à l’un des membres la direction de la Sureté. Bien entendu, Diêm va s’attaquer à eux pour les détruire et ce, avec l’appui de la CIA. Voulant jouer la division il proposera aux caodaïstes et Hoà Hao leur aide. Ce qu’ils refuseront par solidarité entre les sectes.
(5) Nguyên Huu Tho (1910-1996) : Ministre de la République du Vietnam (1969-1976), il deviendra Président de l’Assemblée Nationale de 1981 à 1987. Il est intéressant de noter que son ralliement au régime communiste après sa collaboration temporaire avec Diêm et sa persécution des sectes ne soit pas mentionnée par le gouvernement officiel actuel !
(6) Ngô Dinh Diêm (1901-1963) : Premier Ministre de la République du Vietnam de 1954 à 1955. Il deviendra Président de la République en 1955. Très largement soutenu par les Américains au départ, ces derniers seront obligés de l’évincer face à son comportement dictatoriale et sa volonté d’imposer le catholicisme contre les communistes, le bouddhisme et les sectes. Il sera assassiné le 2 novembre 1963 à Saïgon.
(7) Gobron Gabriel : Histoire et philosophie du caodaïsme. Paris.Ed. Dervy. 1949. (Page 1456)
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrage collectif : Regards sur l’Indochine. Paris. Association des auditeurs du Centre des hautes-études sur l’Afrique et l’Asie modernes (ARRI). 2004.
Brocheux Pierre : Indochine, la colonisation ambigue. Paris. Ed. La Découverte. 2004.
D’Ainval Christiane : Les belles heures de l’Indochine française. Paris. Ed. Perrin. 2001.
Dalloz Jacques : Dictionnaire de la guerre d’Indochine. Paris. Ed. Armand Colin. 2006.