mer 25 juin 2025 - 22:06

Mot du mois : « Métier »

Ce vaste champ étymologique *meiw- exprime l’idée de petitesse. Le latin en infère un lexique très varié : menu, minime, minuscule. La minute comme subdivision du temps. Une diminution, par laquelle on désigne le moins, le mince, découpage minutieux d’une entité. La menuiserie.

Village des Métiers d’Antan

C’est toujours la désignation d’une tâche qu’on exécute sous les ordres de quelqu’un. Celle d’un ministre au service d’un maître, *magister, magistrat. Dans la Rome antique, le ministre obéissait, cantonné à des tâches subalternes, souvent un esclave affranchi qui servait l’élu du peuple et du pouvoir impérial. On allait même jusqu’à choisir un esclave eunuque, pour éviter qu’il vole l’épouse du chef !

De quoi plonger nos actuels ministres dans une profonde songerie, non ?

Le métier, quant à lui, est le produit de la contamination entre *ministerium et *mysterium, mot d’abord religieux. Ainsi, au MoyenÂge, il désigne le service, l’office, avant de prendre le sens de besoin, nécessité, usage.

On voit proliférer les « métiers à l’extérieur », à haut risque, liés au feu, fondeur de suif pour l’éclairage, forgeron, métallier, ou polluants et puants (cuir, peaux), qui ont besoin de vent (moulin, meuniers). Le « décrotteur » nettoie le bas des vêtements tâché par la boue de la rue, tire sur une planche à roulettes les gens aisés auxquels il fait passer le ruisseau. Le chiffonnier récupère les os pour les boutons ou, par calcination, le blanchiment du sucre ou le phosphore des allumettes. Toujours dans la mire du « guet des métiers ».

Les « métiers infâmes » touchent à la mort, aux sorts, exécutions, et sont réservés aux exclus et aux bannis, interdits d’entrer en ville et d’y trouver sépulture. Jusqu’au plus infamant, « le petit métier, le plus vieux métier du monde », en d’autres termes la prostitution.

Village des Métiers d’Antan

Les Protestants, au XVIe, en « laïcisent » le sens : « Tout le monde doit apprendre un métier, soit pour gagner sa vie, soit, s’il n’en a pas besoin, pour disposer d’une science ou d’un talent à mettre au service du bien public, gratuitement » (John Dod et Robert Cleaver).

Il est à noter qu’une dépréciation assortit toujours plus ou moins l’exercice d’un métier, pas de « sot métier » certes, mais on s’en débarrasse sur les petites gens, les petites mains des pauvres et des orphelins dans les ateliers. De là vient le développement du métier à tisser, sous l’influence de Marie de Médicis, qui trouvait trop chers les tapis importés d’Orient et exigeait que cette fabricaton soit partiellement confiée aux enfants pauvres confiés à l’administration des hôpitaux.

La connotation du tissage, de la texture, est restée en filigrane du mot.

Le métier, c’est un savoir-faire, une technique, un entrelacs de savoirs qui s’acquièrent. Il a même son argot, ses argots, comme langue véhiculaire plus ou moins secrète.

Et, même si on prête moins attention dans la langue courante aux nuances d’emploi du mot, pour une oreille un peu fine, il subsiste une gradation, sans doute involontaire pour beaucoup, qui va des métiers manuels, de bouche, d’usine, de services publics, entre autres, jusqu’aux offices, charges et autres professions de ceux qui se salissent moins les mains. D’encre de stylo qui coule, peut-être ? Mais l’objet est en voie d’extinction… sauf pour les ministres et leurs paraphes…

Annick DROGOU


Le métier, c’est bien davantage que l’emploi ou la profession que résume une ligne à remplir sur un formulaire administratif. Le métier dit l’ancrage, le geste et la fidélité. Il n’est pas seulement ce que l’on fait, mais ce que l’on devient. Le métier façonne autant qu’il désigne. Il engage le corps, l’âme et le temps. Le métier comme un travail d’artisan, ce que nos frères anglophones appellent le « craft ». Le métier a ses rites, ses secrets, ses exigences partagés entre gens de métier, dans une communauté de gestes, de savoirs et de silences.

Village des Métiers d’Antan

Il y a des métiers de précision, des métiers de transmission, des métiers d’instinct. Et toujours la patience des mains, des yeux et des corps qui apprennent à penser. L’apprenti tâtonne, c’est le métier qui rentre, dit-on. Le métier comme une discipline, école de patience pour acquérir la maîtrise de l’outil. Avoir du métier, sentir sans y penser le bon moment, le bon angle, la juste mesure. C’est le poids de l’expérience, ce savoir invisible qui se devine à la justesse du trait, à l’équilibre des mots ou au rythme du maillet.

Paradoxe apparent, la maîtrise assumée n’exclut pas le doute et commande toujours l’humilité. C’est le métier qui nous façonne. Comme un métier à tisser nos vies, cet artisanat de l’intimité et de l’épaisseur des jours. De ce qui se trame, ce qui nous tisse, noue et dénoue. Toujours sur ce métier, remettre l’ouvrage, petite ou grande œuvre, en attendant la Parque ultime qui en coupera le fil.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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