mer 11 décembre 2024 - 12:12

Lycurgue : Le législateur mythique de Sparte

Au cœur des mystères de l’antiquité, entre le VIe et le IXe siècle avant J.-C., se dresse la figure légendaire de Lycurgue, fils d’Eunomus et frère de Polydectus, qui aurait refusé le trône pour se consacrer à la tutelle de son neveu, Carilaus, jusqu’à ce que ce dernier puisse régner sur Sparte vers 870 av. J.-C. Ce philosophe et législateur grec est vénéré comme le fondateur de la Sparte militaire et disciplinée, mais sa réalité historique est entourée d’un voile de mythologie.

Lycurgue, dont le nom signifie « habile et intelligent », est peut-être plus un mythe qu’un homme, un dieu plutôt qu’un législateur. Historiquement, il n’existe pas de preuves tangibles de son existence ni d’écrits qui lui soient directement attribués. Pourtant, il est crédité d’avoir façonné une Sparte basée sur l’austérité, l’égalité et la puissance militaire, guidé par l’oracle de Delphes – une « Rétro » qui a fait de Sparte une machine de guerre redoutable.

L’odyssée de Lycurgue commence par un exil volontaire. À la naissance de son neveu, potentiel roi de Sparte, il choisit de s’éloigner pour éviter les conflits familiaux. Son voyage le mène en Crète, où il étudie les lois et l’organisation sociale, se liant d’amitié avec le grand Thalès de Milet. Il poursuit son éducation à travers l’Asie, l’Ionie et l’Égypte, observant, apprenant, et s’inspirant des systèmes de gouvernement et des coutumes locales, y compris les enseignements moraux d’Homère.

À son retour, Lycurgue se lance dans une transformation radicale de Sparte. Il instaure une société où la sobriété, l’éducation, le mépris de la richesse et l’amour de la patrie sont des piliers. La Sparte de Lycurgue est une terre où tous sont égaux devant la loi et où la terre est redistribuée pour assurer cette égalité. Les pièces d’or et d’argent sont bannies, remplacées par une monnaie de fer sans valeur, rendant le commerce avec l’extérieur difficile et encourageant l’autosuffisance.

Les femmes spartiates, contrairement à leurs contemporaines grecques, sont éduquées pour la guerre, une innovation radicale où la force physique de la mère est vue comme la clé de la vigueur des enfants. À la naissance, seuls les plus forts et les mieux formés des bébés sont acceptés dans la société spartiate ; les autres, considérés comme des fardeaux, sont destinés à un sort tragique.

Cette austérité n’était pas sans critique. Comme le dit José Martí, avoir des ennemis peut être un signe de talent ou d’influence, et Lycurgue, en imposant ses lois, a certainement suscité son lot de détracteurs. Sparte, sous son influence, devient un ennemi naturel d’Athènes, incarnant un style de vie où le luxe est absent, remplacé par une discipline militaire stricte et une vie communautaire où chacun mange aux mêmes tables.

Ainsi, Lycurgue a peut-être été plus qu’un homme, un symbole d’une philosophie de vie où chaque citoyen est un maillon dans une chaîne de force et de vertu, une légende qui a fait de Sparte un modèle de puissance militaire et d’ordre social en Grèce antique. Que son existence soit mythique ou réelle, son impact sur la pensée et l’organisation de la société est indéniable, et son nom résonne encore dans les corridors de l’histoire comme celui d’un grand législateur et philosophe.

Un Héritage de Discipline et de Contradictions

Lycurgue et les deux chiens, gravure d’Otto van VeenEmblemata Horatiana (1607).

L’héritage de Lycurgue, qu’il soit réel ou mythique, a laissé une empreinte indélébile sur Sparte, transformant cette cité en une entité unique dans le paysage grec. Sa législation a été à la fois un moteur de force et une source de controverses. Dans cette Sparte, où la guerre était une vertu et où chaque citoyen était un soldat, la vie quotidienne était régie par des règles strictes qui visaient à faire de chacun un guerrier, mais aussi un membre loyal et dévoué de la communauté.

L’éducation spartiate, connue comme l’« agogé », était une épreuve de survie et de formation militaire dès le plus jeune âge. Les enfants, séparés de leurs familles, étaient soumis à un régime strict de discipline, entraînement physique et éducation morale. Cette éducation n’était pas seulement une préparation à la guerre mais une formation à la citoyenneté spartiate, où le sacrifice personnel pour le bien de la cité était la plus haute forme de patriotisme.

Cependant, le système de Lycurgue n’était pas sans ses ombres. L’égalité proclamée était en réalité une égalité pour les citoyens spartiates, laissant hors de ce cercle les ilotes, les esclaves de Sparte, et les périèques, les habitants libres mais non-citoyens. Cette hiérarchie sociale rigide était un paradoxe dans une société qui prônait l’égalité parmi ses membres. Les ilotes, en particulier, vivaient sous la menace constante de révoltes, contrôlés par une oppression systématique, ce qui contraste fortement avec les idéaux de justice et d’égalité que Lycurgue aurait voulu instaurer.

La légende de Lycurgue dit qu’après avoir mis en place ses réformes, il quitta Sparte pour ne jamais y revenir, laissant derrière lui un serment que les Spartiates ne changeraient pas ses lois tant qu’il ne serait pas de retour. Sa disparition, qu’on raconte comme un voyage vers Delphes ou une mort volontaire par jeûne pour sceller ses lois, a servi à renforcer l’idée que ses lois devaient rester immuables.

L’impact de Lycurgue sur la culture maçonnique peut être discerné dans les valeurs d’ordre, de discipline, et de recherche de la perfection personnelle et collective. Les francs-maçons, dans leur quête initiatique, peuvent voir en Lycurgue une figure allégorique de la législation de soi, où la lutte contre les passions est comparable à la formation spartiate. La discipline, la simplicité, et l’engagement vers un idéal commun sont des traits que l’on retrouve aussi dans les principes maçonniques.

Ainsi, Lycurgue reste un symbole fascinant, une figure à la croisée de la mythologie et de l’histoire, dont les lois ont façonné une société qui, malgré ses contradictions et ses ombres, continue d’inspirer par son idéal de vertu et de force collective. Dans le cadre de la franc-maçonnerie, son héritage peut être vu comme une invitation à la réflexion sur la construction de soi et de la société, sur l’équilibre entre liberté et discipline, et sur la quête de la lumière à travers l’obscurité des passions humaines.

Quel est son lien avec la Franc-maçonnerie ?

Lycurgue, bien que figure historique et mythique de l’antiquité grecque, n’a pas de lien direct et documenté avec la Franc-maçonnerie en tant qu’institution moderne… puisqu’elle n’existait pas encore. Cependant, on peut établir des connexions symboliques et philosophiques entre son héritage et certains principes maçonniques :

  1. Symbolisme de l’Initiation et de la Discipline :
    • Lycurgue est souvent cité comme un exemple de législateur qui a cherché à créer une société idéale, où chaque individu est formé à la discipline, à la vertu et à l’abnégation pour le bien commun. Cette idée de formation et d’élévation personnelle est centrale dans la franc-maçonnerie, où l’initiation symbolise une transformation de soi, un passage des ténèbres à la lumière, similaire à l’entraînement spartiate qui vise à forger des citoyens vertueux.
  2. Ordre et Structure Sociale :
    • La vision de Sparte par Lycurgue, avec son système social strict et son égalitarisme parmi les citoyens, peut être vu comme une métaphore de l’ordre et de la structure que la franc-maçonnerie cherche à inculquer dans ses membres. Les loges maçonniques sont organisées avec une hiérarchie et des rituels qui reflètent une quête d’ordre, de discipline et de fraternité.
  3. Lutte contre les Passions Humaines :
    • L’un des aspects marquants de la législation de Lycurgue est le contrôle des passions humaines pour le bien de la cité. Dans la franc-maçonnerie, un des objectifs est de travailler à la maîtrise de soi, à la tempérance et à la sagesse, combattant les vices pour atteindre une forme de perfection morale.
  4. La Quête de l’Idéal :
    • Lycurgue est souvent associé à la recherche d’une utopie sociale, une vision qui résonne avec le travail maçonnique de construction d’un temple idéal, non pas matériel mais spirituel, où chaque franc-maçon contribue à la construction d’une société meilleure.
  5. Mythe et Tradition :
    • La figure de Lycurgue, aussi historique que mythique, illustre comment les traditions et les mythes peuvent influencer l’éthique et la philosophie d’une société. La franc-maçonnerie, avec ses légendes et ses symboles, utilise également ces éléments pour enseigner des leçons morales et spirituelles.
  6. Inspiration pour les Hauts Grades :
    • Certains hauts grades maçonniques, particulièrement ceux qui incluent des références à des figures historiques ou mythiques pour illustrer des leçons morales ou spirituelles, pourraient utiliser Lycurgue comme un exemple de législateur et de réformateur, bien que ce ne soit pas explicitement mentionné dans les rituels standard.

Bien que Lycurgue ne soit pas explicitement lié à la franc-maçonnerie dans ses textes fondateurs ou ses rituels, son histoire et la philosophie de sa législation offrent un cadre symbolique et allégorique que les Francs-maçons peuvent interpréter dans leur quête de perfection morale, de discipline et d’amélioration de la société.

1 COMMENTAIRE

  1. Héphaïstos (Vulcain) tomba amoureux d’Athéna. Sa chair en frémissait en l’approchant, il bandait si fort l’arc de son sexe que lorsqu’Athéna le repoussa violemment, la flèche semencielle tomba et pénétra la terre. Les spartes (sperme) en naquirent. Ce récit fonde donc le lieu de l’identité grecque comme un surgissement de la terre, un rattachement géographique.
    Abraham naquit à Ur en Mésopotamie. Le lieu de sa naissance n’est pas le lieu de son destin. Lekh lekha dit D. à Avram, ce qui signifie : va vers toi. Et il quitta Ur. Ce récit fonde l’identité comme un arrachement à la Terre. Le mot ivrit, l’hébreu est construit sur la racine IVR comme avor (le passage), avera (la rupture), avera (la transgression), ouvar (la transmission) et donc il est dans sa signification étymologique l’être de l’arrachement, de la rupture, du passage.
    L’enracinement grec et l’arrachement hébraïque !
    Un autre aspect de la différence entre Grecs et Hébreux paraît important. Les commencements de la pensée grecque, recueillis par Hésiode dans la Théogonie et les Travaux et les jours, relatent un genre de processus de vie dont on ne saurait oublier la violence native, d’abord entre les divinités primordiales, Ouranos, Géa, Kronos, Zeus, puis entre dieux et demi-dieux : Zeus et Prométhée, puis entre les dieux et les hommes, l’oracle divin et Œdipe, Sophocle et Eschyle prolongent Hésiode. La théologie de la Grèce antique apparaît dans un cercle de violence s’augurant par un refus (celui d’Ouranos qui n’accepte pas les naissances des générations issues de son accouplement avec Géa) qui se poursuit par un acte de rétorsion (la castration d’Ouranos par Kronos à l’instigation de Géa), vengeance et rétorsion reproduites à leur tour par la malédiction qu’appelle le «père» sur le parricide, malédiction à l’accomplissement de laquelle le fils de ce dernier est voué. Itération des cercles et de cycles de la puissance stérile qui freine l’émergence de la conscience en confinant l’écoulement du temps dans des histoires de méfiance, de défiance, d’engrenages de pouvoir, de trahisons et de peurs.
    Les commencements bibliques énumèrent les générations primitives, où s’alternent de père en fils des personnages qui incarnent successivement le Bien et le Mal. L’hérédité n’est pas, ici, une reproduction itérative.
    La tradition hébraïque nous livre un Dieu de justice, non par l’exercice d’une vengeance mais par l’engagement d’un procès. Dès lors, l’histoire n’est pas comme chez les Grecs, déterminée dans l’airain d’un décret. Elle se construit dans une interlocution dialogale d’où procède, du même mouvement, une mutation des structures de la psyché, puisque ce Dieu cherche un protagoniste, un interlocuteur.
    La violence grecque et la justice hébraïque !
    Bien évidemment on pourrait renverser mon regard porté sur ces deux traditions pour trouver dans celle de la Grèce autant de vertus qu’il y a de violence dans l’hébraïque.

    Au fait, toutes les passions humaines sont-elles à combattre ? Où est la joie dans ces propositions et ces connexions symboliques et philosophiques ?

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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