dim 24 novembre 2024 - 03:11

Franc-maçonnerie et ésotérisme en Russie depuis le XVIIIe siècle (Partie 2)

Du magazine chretien katholisches.info – Par le Père Paolo M. Siano*

(Découvrir la partie 1)

La Kabbale dans la franc-maçonnerie russe aux XVIIIe et XIXe siècles siècle

En 2004, Konstantin Burmistrov (né en 1969) était assistant en philosophie juive et en mysticisme juif à l’Institut de philosophie de l’ Académie des sciences de Russie et Maria I. Endel (née en 1974) était maître de conférences en philosophie juive et en mysticisme juif à l’ Académie hébraïque. Université de Moscou .

En 2004, les deux chercheurs ont publié un essai sur la Kabbale juive dans les enseignements des francs-maçons russes : « La place de la Kabbale dans la doctrine des francs-maçons russes » (dans : Aries – Journal for the Study of Western Esotericism, ( 2004 ), pp. 27-68). Pour aider le lecteur à classer et à comprendre cet essai qui retrace l’histoire de la franc-maçonnerie russe entre les XVIIIe et XIXe siècles, je reprendrai différentes dates historiques que j’ai déjà évoquées dans la première partie.

2.1 Périodisation et tendances de la franc-maçonnerie russe

À la fin du XVIIIe siècle, il existait en Russie plus de 150 loges regroupant au total 8 000 francs-maçons, dont plus de 3 100 pouvaient être identifiés. Il s’agit pour la plupart d’hommes d’État, d’aristocrates, d’intellectuels, d’officiers, de soldats, d’écrivains, de scientifiques, d’ecclésiastiques, etc. Burmistrow/Endel nomment les principales composantes de la tradition maçonnique : « le mysticisme, l’alchimie et la Kabbale » (p. 27). Le rôle de la Kabbale dans la tradition maçonnique est extrêmement important (« extrêmement important », p. 28).

L’histoire de la franc-maçonnerie russe au XVIIIe siècle peut être divisée en trois périodes :

  1. De 1740 jusqu’à l’accession au trône de Catherine II (1762), la franc-maçonnerie était considérée comme une « mode » importée sans réserve d’Occident.
  2. De 1762 au début des années 1780, la franc-maçonnerie est considérée comme la première philosophie morale en Russie, dans laquelle prévalait auparavant le système anglais à 3 degrés ou franc-maçonnerie « symbolique » ou « John ».
  3. À partir de 1780, c’est la période « rosicrucienne », c’est-à-dire dominée par les hauts gradés maçonniques (voir p. 28). Puis, en 1822, vint l’interdiction par l’État de toute activité maçonnique se poursuivant en secret (voir p. 28f), ce qui était de toute façon plus conforme au caractère initiatique de la franc-maçonnerie.

Burmistrov/Endel voient deux tendances principales dans la franc-maçonnerie russe de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle : la tendance rationaliste-déiste ou des Lumières et la tendance « mystique ». La première est typique de la franc-maçonnerie à trois degrés, dirigée par le Grand Maître Ivan Jelagin (1725-1794), qui était initialement enthousiasmé par les idées de Voltaire, mais s’en est ensuite éloigné parce que Jelagin s’est ensuite enthousiasmé pour la Kabbale (cf. p.29).

2.2 Le mysticisme de la franc-maçonnerie russe aux XVIIIe et XIXe siècles siècle

La tendance « mystique » de la franc-maçonnerie russe au XVIIIe siècle est particulièrement évidente dans les hauts degrés :

  1. Le Rite Suédois avec le « Capitulum Phoenix », dont le Grand Maître est le Prince Gabriel Gagarine (1745-1808). Ce rite traite également de la Kabbale, de la magie et de l’alchimie (voir p. 30).
  2. L’ Ordre de l’Or et des Rosicruciens est un système maçonnique-rosicrucien de haut niveau qui a été transplanté d’Allemagne en Russie vers 1780. Cet ordre a été créé en Allemagne vers 1755/56 [probablement pas avant 1757]. Ses fondateurs sont : Bernhard Joseph Schleiß von Löwenfeld (1731-1800), Johann Georg Schrepfer (1738-1774), Heinrich-Jacob von Schröder et Johann Christoph von Wöllner (1732-1800) (voir p. 30f).

Les principaux enseignements de cet ordre rosicrucien proviennent de la Kabbale : l’arbre des dix Séphirot (émanations de Dieu), la numérologie mystique, Adam Kadmon (l’homme primordial, émané de Dieu), etc. (voir p. 31f). Les enseignements kabbalistiques de l’ Ordre de la Rose-Croix d’Or sont repris par les francs-maçons russes. Le but ultime de cet Ordre Rosicrucien est : éveiller les puissances occultes de la nature, libérer la lumière naturelle enfouie au plus profond des ordures après la condamnation, allumer en chaque frère un flambeau qui l’aidera à voir le Dieu caché et lui-même. pour s’unir à la source de lumière originelle (voir p. 32). En bref : magie et gnose.

Von Wöllner, puis Johann Christoph Anton Theden (1714-1797), médecin personnel de Frédéric le Grand, et leur envoyé à Moscou, le baron Heinrich-Jacob von Schröder, sont les dirigeants des « Frères » de Moscou et la principale source d’informations et d’informations maçonniques. littérature mystique. Johann Schwarz (1751-1784), l’un des principaux francs-maçons de Russie, rencontra Wöllner et Theden en Allemagne en 1782 et reçut d’eux :

  • a) la nomination du chef unique et suprême de l’ Ordre de la Rose-Croix d’Or dans l’ Empire russe ;
  • b) les actes du « Diplôme Théorique » ;
  • c) l’autorisation de reprendre le travail de l’Ordre en Russie (voir p. 33f).

Les rosicruciens russes von Schwarz et Nikolai Novikov (1744-1818) ont leur centre à Moscou, sont fortement impliqués dans la Kabbale (« Kabbale juive ») mais aussi dans l’alchimie, les kabbalistes chrétiens et les idées de Louis-Claude de Saint-Martin. ou intéressés par le Martinisme (voir p. 34).

2.3 Les kabbalistes parmi les francs-maçons russes : peu nombreux ? Mais certainement influent

Burmistrov/Endel sont d’avis qu’il n’y a que quelques francs-maçons russes qui s’impliquent intensément dans l’étude du mysticisme, de l’alchimie, de la Kabbale… Ce sont principalement des rosicruciens et des francs-maçons qui ont le degré de “théoricien” de la Rosicrucienne d’Or. (cf. p. 34f). Mais même s’ils n’étaient que quelques-uns, ils avaient une autorité et une influence considérables (« une grande autorité et influence », p. 35).

La structure de la franc-maçonnerie russe de cette période est souple : certaines loges ou associations de loges sont hostiles les unes aux autres, tandis que d’autres s’unissent, comme dans les années 1770 le système anglais Yelagin et les loges berlinoises de rite suédois de Reichel (« Reichel’s Swedish-Berlin loges”). Il existe également des francs-maçons qui appartiennent à plusieurs rites à la fois dans lesquels ils exercent des tâches de leadership (voir p. 35).

L’un des francs-maçons russes les plus enthousiastes en matière de « Kabbale » est Yelagin, le chef de la franc-maçonnerie anglaise en Russie (voir p. 35).

2.4 Les francs-maçons rosicruciens entre la gnose de la Kabbale, l’orthodoxie russe et le réformisme social

La grande majorité des rosicruciens/martinistes russes (tous francs-maçons) et des francs-maçons russes titulaires du diplôme de théoricien sont des chrétiens orthodoxes et connaissent les enseignements et la spiritualité de la patristique (voir p. 35). L’éditeur, rédacteur en chef de journal et bibliothécaire Nikolaï Ivanovitch Novikov est particulièrement représenté parmi les francs-maçons rosicruciens de Moscou. Les francs-maçons russes de la fin du XVIIIe siècle, dont beaucoup occupaient des positions sociales élevées, combinaient dans leur vie : la foi et la piété orthodoxes, l’alchimie, la Kabbale et l’implication dans les domaines de l’éducation, du bien-être, de l’enseignement universitaire, de la médecine, du théâtre, de l’armée, de la politique. … (voir p. 36f). Derrière cette activité sociale se cache une vision rosicrucienne moscovite du monde et de l’humanité qui « reflète une version maçonnique du mythe biblique de la Chute, enracinée dans le gnosticisme » (« un concept du monde et de la race humaine, reflétant une version maçonnique, enracinée dans le gnosticisme »). dans le gnosticisme, du mythe biblique de la chute de l’homme”, p. 37), et ils adoptent des idées kabbalistiques telles que celle de la restauration universelle, Tikkun-ha-olam, typique de la Kabbale d’Isaac Luria, c’est-à-dire la doctrine de la restauration universelle, Tikkun-ha-olam , typique de la Kabbale d’Isaac Luria, c’est-à-dire la doctrine de la restauration universelle, restauration dans l’Ordre ou harmonie détruite par la catastrophe primordiale dite du « bris des vases »… Selon cette doctrine kabbalistique, l’homme doit pénétrer dans les régions inférieures de l’univers afin de libérer les étincelles de lumière qui y sont emprisonnées (cf. p. 37, texte et note de bas de page 41).

2.5 La Kabbale dans la tradition maçonnique russe

Dans la section « Tradition maçonnique et Kabbale », Burmistrow/Endel écrivent que la Kabbale est la base de la théosophie, de la cosmogonie et de l’herméneutique des francs-maçons russes et distinguent trois niveaux kabbalistiques : 1) la recherche de la perfection ; 2) Connaissance des Sephirot et des quatre mondes ; 3) Comprendre le langage spirituel.

« La Kabbale est à la base de la théosophie, de la cosmogonie et de l’herméneutique et accompagne l’initié dans les trois étapes de son ascension vers la vérité. Dans un premier temps, cela lui apprend à posséder la lumière de l’être céleste éternel Adam Kadmon et il doit s’efforcer d’atteindre sa perfection. Au deuxième niveau, cela lui offre l’image intégrée du monde kabbalistique des dix Sephirot et des quatre Olamot. Ceci est particulièrement important au troisième stade, lorsque la Kabbale devient nécessaire pour comprendre le « langage spirituel » des Écritures, en utilisant l’herméneutique kabbalistique. Il n’est pas surprenant que les règles et les méthodes de l’herméneutique kabbalistique aient été si importantes pour les francs-maçons russes ; nous pouvons trouver sa description dans presque tous les manuscrits maçonniques traitant de questions kabbalistiques » (p. 38).

Nous verrons que ces trois degrés kabbalistiques sont similaires aux objectifs des trois degrés des francs-maçons anglais.

Malgré diverses différences, les systèmes ou rites maçonniques mentionnés ci-dessus ont en commun certains concepts fondamentaux de la Kabbale : l’homme primordial ou Adam Kadmon, sa disgrâce et la réintégration ultérieure à laquelle se joint le franc-maçon… L’Adam/Franc-maçon possédait à l’origine vertu et vraie connaissance… Celui de l’Uradam/Franc-Maçon est un élément syncrétique (« hautement syncrétique ») qui puise à plusieurs sources : la Bible, les Apocryphes, l’Hermétisme, le Gnosticisme, la Kabbale (voir p. 38). Selon la doctrine du Martinisme, l’Adam Originel ou Premier Adam est le Jésus-Messie éternel, tandis que le Second Adam ou Jésus Incarné est la manifestation du Premier Adam… Bien qu’ils soient chrétiens orthodoxes, les francs-maçons russes adoptent la Doctrine judéo-kabbalistique par Adam Kadmon (voir p. 38f).

Burmistrow/Endel ne disent pas qu’Adam Kadmon a le mâle et la femelle en lui et qu’il est donc androgyne.

La Kabbale conduit l’adepte à la connaissance de soi et de la nature, c’est-à-dire à la connaissance de Dieu, car macrocosme et microcosme sont entrelacés, l’un est le miroir de l’autre… C’est « un renouveau des doctrines néoplatoniciennes et gnostiques »). À l’automne, une étincelle de lumière est captée par l’obscurité (voir p. 39f). La voie maçonnique permet à l’adepte d’acquérir la connaissance, l’illumination et la déification : « Connaissance mystique maçonnique, illumination mystique, jusqu’à l’union avec la Divinité » (« Connaissance mystique maçonnique, illumination mystique, jusqu’à l’union avec la Divinité », p. 40) .

Les deux savants russes comparent ensuite les trois degrés kabbalistiques avec les trois degrés maçonniques du système anglais :

« L’épistémologie maçonnique exige donc que l’initié passe par trois étapes. Dans la première étape, il s’engage dans l’autocorrection morale et la réalisation des mystères inhérents à l’homme. Dans la deuxième étape, il doit connaître la nature. Dans la troisième étape, les mystères de la nature et de Dieu sont compris à un niveau supérieur en utilisant le « langage spirituel » des Saintes Écritures. Ce chemin en trois étapes est considéré comme un retour à cette époque où « le livre de la nature était ouvert à la compréhension humaine et où l’homme pouvait comprendre tous ses mystères avec son esprit » » (p. 41).

Dans la section : « La vraie Kabbale », nous lisons : « Les francs-maçons russes considéraient la « vraie Kabbale » comme une partie essentielle de la sagesse originelle requise pour que l’homme déchu retourne à « l’Eden » (p. 42). .

Le déjà mentionné Ivan Yelagin, Grand Maître provincial de Russie, associé à la Grande Loge anglaise des Modernes , est d’avis que la Kabbale est une doctrine des mystères divins révélés par Dieu et qu’elle est essentielle et utile pour la connaissance de Dieu. … C’est la véritable connaissance des allégories, des symboles et des hiéroglyphes des paroles divines… Salomon connaissait la Kabbale (voir p. 42).

Selon Johann Schwarz, chef des Rosicruciens de Moscou (1782-1784), déjà mentionné, la franc-maçonnerie était une science secrète dont les premiers adeptes étaient des sectaires juifs (« la maçonnerie était une science secrète dont les premiers adeptes étaient des sectaires juifs », p. 42). Selon les enseignements des Rose-Croix russes, une étincelle de lumière était transmise d’adepte à adepte à travers la chaîne de transmission. Ce secret fut transmis aux Esséniens et finalement à l’Ordre Rose-Croix, qui reçut cette étincelle de lumière avec les vertus de leurs ancêtres. Pour les rosicruciens russes (c’est-à-dire les francs-maçons de la Croix d’Or), c’est là que réside la tradition maçonnique (voir p. 42f).

2.5.1 La Kabbale dans le « travail » maçonnique (de l’alchimie/magie au social…)

Dans la section « Tikkun ha-olam : les buts de l’activité maçonnique et la Kabbale » , « Tikkun ha-olam : les buts du travail maçonnique et la Kabbale », nous lisons que l’activité maçonnique n’est pas seulement la connaissance de soi, la connaissance de la Nature. et Dieu, mais surtout dans la pratique alchimique et kabbalistique (« kabbalistique et alchimique ») consistant à améliorer et à sauver ou restaurer (« tikkun ») le monde déchu avec Adam… Tout comme la création est une œuvre alchimique, restauration/réintégration… Alchimiquement et kabbalistiquement, il faut convertir le métal en argent et en or, la sephira Din (jugement) en sephira Hesed (charité)… purification de l’homme et des sphères de l’univers (voir p. 43f). C’est pourquoi les francs-maçons se consacrent à la fois à la philanthropie, aux causes sociales et à l’alchimie ésotérique (voir p. 44). Dans une lettre (dont Burmistrov/Endel ne précise pas la date), le prince rosicrucien Nicolas Troubezkoi (1744-1821) explique au franc-maçon Alexej A. Rzhewski (1737-1804) l’importance de la Kabbale pour le travail maçonnique (voir p. . 44) .

Burmistrov/Endel écrivent : « Si l’on considère la tradition maçonnique dans son ensemble, on peut arriver à la conclusion que les francs-maçons russes ont utilisé la Kabbale, premièrement, comme base de leur système cosmogonique, ce qui explique la structure hiérarchique du monde céleste. , et pour la Communication avec ce monde. Deuxièmement, la Kabbale a fourni les clés pour interpréter les Écritures et découvrir les couches les plus profondes et les plus secrètes du texte biblique. Par ailleurs, derrière la sotériologie maçonnique, on peut reconnaître quelques concepts kabbalistiques adaptés, notamment le concept de Tikkun ha-olam. Pour les francs-maçons, la Kabbale contient la véritable connaissance de Dieu, du monde et de l’homme et permet non seulement un changement universel mais détermine également leurs voies et chemins » (p. 45).

Dans la note 70, les deux chercheurs russes écrivent que le concept de Tikkun ha-olam se retrouve dans les enseignements kabbalistiques de Martinez de Pasqually et de son élève Louis-Claude de Saint-Martin ; les écrits et les idées du maître et de l’étudiant étaient répandus parmi les francs-maçons russes à la fin du XVIIIe siècle.

2.6 Textes kabbalistiques des francs-maçons russes

Burmistrow/Endel écrivent qu’ils ont découvert un nombre considérable de manuscrits maçonniques dans les archives d’État de Moscou, qui témoignent d’un grand intérêt et d’une grande connaissance des francs-maçons russes pour le mysticisme juif (voir p. 45). Trois groupes de textes kabbalistiques peuvent être distingués :

  1. Traductions de textes kabbalistiques originaux ou du moins de fragments de ceux-ci. Les francs-maçons russes du XVIIIe siècle connaissaient d’importants textes kabbalistiques tels que le Sepher Yezirah (un texte cosmogonique important du 6e siècle après JC) et le Sepher ha-Zohar (13e siècle) (voir p. 46f).
  2. Traductions de l’allemand et du latin vers le russe d’œuvres de chrétiens kabbalistiques européens et d’érudits de la Kabbale. Dans ces textes sont décrits en détail les thèmes kabbalistiques suivants : Sephirot, noms de Dieu, lettres hébraïques, méthodes exégétiques (Gématrie, Notarikon, Temurah)…
  3. Écrits de francs-maçons russes sur des sujets liés à la Kabbale. C’est le groupe le plus intéressant car il donne un aperçu des idées maçonniques sur la Kabbale (voir p. 47).

2.7 Grand maître Jelagin et ses maîtres de la Kabbale

Yelagin est l’un des francs-maçons russes les plus importants à l’époque de Catherine II. Il est sénateur, homme d’État, écrivain et chef de la Chancellerie d’État. Dans les années 1750, Ivan Yelagin rejoint la franc-maçonnerie. En 1770, il fut élu Grand Maître de la Grande Loge provinciale de Russie sous les auspices de la Grande Loge « Royal York » à Berlin, et le 26 février 1772, il reçut la licence de Grand Maître provincial pour le russe du Grand Maître de la Grande Loge d’Angleterre ( « Modernes ») Rich. Dans un écrit inédit, Jelagin décrit sa carrière maçonnique : Dans sa jeunesse, il a été initié à la franc-maçonnerie, mais s’est ensuite retiré parce qu’il trouvait cela peu attrayant. Après une brève phase d’enthousiasme pour les idées de Voltaire et d’Helvétius, Jelagin revient vers les francs-maçons et recherche la connaissance des mystères divins (voir p. 48). Vers la fin des années 1770, défié par sa propre franc-maçonnerie russe anglophile, Jelagin se lança dans l’étude de la Bible, des Pères de l’Église, du grec et de l’hébreu (voir p. 49). Le baron Johannes Georg von Reuchel (1729-1791), chef des loges en Russie qui pratiquaient à partir de 1771 le rite suédois de Berlin, le rite de Zinnendorf (voir p. 49), y joua un rôle important. Dr. Johannes Wilhelm Kellner von Zinnendorf (1731-1782), médecin de campagne dans l’armée prussienne à partir de 1765. Le franc-maçon Zinnendorf propagea le rite suédois en Allemagne et fonda la Grande Loge nationale d’Allemagne ( voir p. 49, texte et note de bas de page 88).

Reuchel est envoyé en Russie par la Grande Loge Nationale d’Allemagne, qui pratique le rite suédois . La mission russe de Reuchel est de briser la domination anglaise dans les cercles franc-maçons (voir p. 49, note 87). Reuchel et Jelagin sont à la tête de deux systèmes maçonniques rivaux, qui s’unissent pourtant en 1776. De plus, Reuchel devient le mentor de Jelagin sur son chemin spirituel… Reuchel, qui est décrit par Jelagin comme un « vrai franc-maçon », guide Jelagin dans sa connaissance de la Kabbale et du Talmud (voir p. 49). C’est Reuchel qui fournit à Jelagin des manuscrits sur les sciences occultes et la Kabbale (voir p. 49).

Vers la fin des années 1770, Yelagin entre en contact avec un autre expert de la langue hébraïque et de la Kabbale : Stanislas Pines Eli (ou Ely), originaire de Bohême et médecin à Saint-Pétersbourg. Eli écrit un livre maçonnique (« Admonitions fraternelles à certains frères francs-maçons ») qui est très populaire parmi les rosicruciens de Moscou. Eli enseigne l’étude des Saintes Écritures dans un sens kabbalistique (voir p. 50). Selon Novikov, Eli appartenait à la franc-maçonnerie d’Elagin (voir p. 51). Yelagin, bien sûr, a également étudié les Séphirot, Adam Kadmon, la Gématrie, le Notarikon, la Temurah… Bien qu’il appartienne à la religion chrétienne orthodoxe, Yelagin propose une interprétation kabbalistique et non chrétienne du Nouveau Testament : Jésus-Christ serait l’Adam Kadmon, tandis que Jésus de Nazareth serait un franc-maçon et l’un des « hiéroglyphes » ou images de Jésus-Adam-Kadmon le serait (voir p. 52). Burmistrow/Endel commentent ceci :

« Yelagin est un phénomène remarquable qui nous montre à quel point les Russes instruits de la fin du XVIIIe siècle étaient très intéressés par la Kabbale » (p. 52).

2.8 Maçonnique-Rosicrucien, ou Ordre de la Croix d’Or

Burmistrow/Endel continuent avec la section « L’Ordre des Rose-Croix de Moscou » où ils écrivent que la Kabbale est très importante (voir p. 53). Les membres les plus importants de cet ordre en Russie à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle comprenaient Johann Schwarz, Nikolai Novikov, Semion Gamaleja (1743-1822), Nikolai Troubezkoi, Joseph A. Pozdejev (1743-1822), Ruf S. Stepanow ( 1745-1828). Ces personnalités possédaient des diplômes appelés « le diplôme théorique des sciences salomoniennes et les diplômes rosicruciens », cf. p.

Mikhaïl Tcheraskov

Les rosicruciens russes comprenaient d’importants militants sociaux et des personnalités de haut rang telles que le conservateur de l’Université de Moscou, le poète Mikhaïl Cheraskow (1733-1807) et le sénateur Ivan Lopukhin (1756-1816). Leurs activités étaient concentrées dans l’Université de Moscou, les plus grandes maisons d’édition et imprimeries de Moscou, ainsi que les journaux. Il s’agissait de personnalités différentes, mais unies par le rite d’initiation rosicrucien (voir p. 54)… L’ Ordre de la Rosicrucienne d’Or avait neuf degrés. Le 1er degré, sorte de diplôme « junior », immédiatement suivi du 4e degré de la franc-maçonnerie écossaise régulière, c’est-à-dire le « Maître écossais ». Puis le 2e degré de « Theoreticus » (« Degré théorique des sciences salomoniennes »), qui faisait un rosicrucien. Les sept autres diplômes étaient appelés « diplômes supérieurs ». En Russie, ils n’avaient qu’une vingtaine d’initiés, dont les plus avancés étaient J. Schwarz, G. Schröder, N. Novikov et N. Troubezkoi (voir p. 54). Burmistrow/Endel déclarent que chaque diplôme comprend l’étude des sciences occultes et quelques activités pratiques dans le domaine de la magie, de la théurgie, de l’alchimie, etc. Au 7ème degré on se familiarise avec la Kabbale et la magie naturelle… Au 9ème et dernier degré (« Mage ») le Rosicrucien d’Or sait tout, contrôle tout, a le pouvoir de Moïse, Aaron et Hermès (voir p. 54). ) …Les Frères de la Rose-Croix d’Or ont subi de nouvelles sélections. Seuls ceux des degrés supérieurs avaient pénétré plus profondément dans les sciences occultes en théorie et en pratique : la recherche d’expériences extatiques ou surhumaines, parler avec « Dieu », invoquer les esprits et leur commander, la connaissance de tous les secrets de la nature (cf. .p.55)…

Malgré le décret anti-maçonnique de 1794, les loges poursuivirent leurs activités en secret et, en 1798, la loge « Neptune » fut même fondée à Moscou, dont les membres poursuivirent les activités rosicruciennes. Au début du XIXe siècle, les francs-maçons « théoriques » de la Croix d’Or poursuivent leurs études kabbalistiques (voir p. 57). Malgré une autre interdiction gouvernementale en 1822, l’activité maçonnique au niveau théorique s’est poursuivie pendant environ un siècle. L’un des francs-maçons russes les plus respectés et les plus haut placés, Ruf Stepanov, enseignait lors de réunions maçonniques secrètes, dans des loges « internes », bien que celles-ci soient fermées au monde extérieur. Il y avait environ 80 francs-maçons qui participaient secrètement à cette activité. En outre, certains francs-maçons du degré « théorique » appartenaient également à l’ Ordre Intérieur de la Croix-Rose d’Or (voir p. 58f). Ils continuèrent à étudier et à traduire des ouvrages sur le mysticisme, l’alchimie et la Kabbale (voir p. 59).

2.8.1 Les Rose-Croix russes en secret entre politique, culture, réformisme et clergé

Stefan D. Nechayev

En 1822, les francs-maçons « théoriques » rosicruciens russes purent reprendre leurs activités, notamment publiques et sociales. Vers le milieu du XIXème siècle, leurs bases sont l’ Université de Moscou, la Chancellerie du Gouverneur général de Moscou, les « Clubs de Toula » de la noblesse, le Sénat de Moscou… L’influence maçonnique sur l’Église orthodoxe et ecclésiastique la censure est également très forte ( p. 59). Dans les années 1840-1850, l’un des chefs spirituels des francs-maçons du degré « théorique » est le père Siméon I. Sokolov (1772-1860), l’influence sur le « théorique » Stefan D. Nechayev (avocat général du Saint Synode de l’Église russe) et le père Fiodor A. Golubinsky, philosophe et maître de conférences à l’Académie spirituelle de Moscou. Un certain nombre de prêtres et d’abbés étaient également des frères « théoriques ». Les francs-maçons russes entretenaient des relations avec le monastère de la Trinité et Saint-Serge de Sergiev Posad et avec certains monastères de Moscou (voir p. 59, note 134).

Un autre centre d’activité maçonnique était la Société impériale d’agriculture de Moscou, qui comprenait des francs-maçons du degré « théorique » ; Le président était le rosicrucien SP Gagarine, le vice-président était le franc-maçon SP Shipov. Cette société était un bastion des francs-maçons russes et des nobles libéraux qui prônaient la réforme sociale. C’est grâce à eux que le servage fut aboli en 1861. L’un des principaux partisans de cette réforme fut Sergueï S. Lanskoi (1787-1862), l’un des dirigeants de la franc-maçonnerie russe et ministre de l’Intérieur de l’Empire tsariste, qui entretenait des relations étroites avec les francs-maçons membres de cette organisation agricole impériale. Société, dont le secrétaire était SA Maslow (1793 –1879), un des idéologues de la franc-maçonnerie du degré « théorique », rosicrucien d’initiation supérieure et fondateur d’une revue agricole (voir p. 59f). En 1861, Maslow traduisit le livre « Philosophie de l’histoire ou de la tradition » de l’ Allemand Franz Joseph Molitor (1779-1861), kabbaliste chrétien, historiographe de l’Ordre des Frères d’Asie, un autre ordre maçonnique-kabbalistique également inspiré par la idées de Jacob Franks, en russe (voir p. 60f).

Des réunions régulières de francs-maçons du degré « théorique » ont lieu jusque dans les années 1870, et la dernière initiation aurait eu lieu dans les premières années du XXe siècle, lorsque VS Arseniev (1829-1915), « le chef suprême du ordre maçonnique et gardien du patrimoine maçonnique », a initié son fils et son petit-fils à l’Ordre maçonnique-rosicrucien. Le dernier représentant de cette tradition maçonnique est le père Johann Arsenjew (voir p. 61), sur lequel Burmistrow/Endel ne fournissent cependant aucune autre information biographique.

2.9 Les conclusions de Burmistrow/Endel (2004)

Le kabbaliste ashkénaze Jacob Frank

Les deux scientifiques réitèrent le profond intérêt des francs-maçons russes pour la Kabbale en tant que tradition qui a préservé la sagesse originelle et la vraie connaissance. De plus, la Kabbale, la magie et l’alchimie font partie intégrante de la doctrine maçonnique russe de l’époque (« De plus, la Kabbale, pari passu avec la Magie et l’Alchimie, faisait partie intégrante de la doctrine maçonnique ») et les enseignements kabbalistiques d’Adam. Kadmon et Tikkun sont la base et l’impulsion (initiatique-ésotérique) de l’engagement des francs-maçons russes en faveur de réformes sociales, politiques, morales et religieuses (voir p. 61). L’enseignement maçonnique et en particulier ses éléments kabbalistiques (« l’enseignement maçonnique, en général, et ses éléments kabbalistiques, en particulier ») ont joué un rôle important dans la littérature russe, par exemple chez des écrivains comme Mikhaïl Cheraskow, Sergei Brobov, Vladimir Odoyevsky, Nikolai Gogol, Alexandre Stepanov, Dmitri. Begichev, etc. (voir p. 61) et encore plus importante (« Encore plus importante ») était l’influence maçonnique-rosicrucienne (kabbalistique) sur la conscience publique russe (« sur la conscience publique russe », p. 62). À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, les idées religieuses, sociales et politiques des Rose-Croix constituent la base du conservatisme russe puis, dans la première moitié du XIXe siècle, favorisent le développement du romantisme russe et du réformisme social ou utopisme (cf. p. . 62). À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les idées du mysticisme maçonnique et rosicrucien ont conservé leur importance dans la philosophie religieuse d’écrivains russes tels que « W. Soloviev, S. Boulgakov, P. Florensky, N. Berdiaev ». Burmistrow/Endel écrivent :

« En tant que composante de la vision maçonnique du monde, la Kabbale est devenue un facteur important dans l’histoire et la culture russes » (p. 62).

2.10 Kabbale et Église : Coniunctio oppositorum pour les francs-maçons russes

Dans l’essai « Kabbale et sociétés secrètes en Russie (du XVIIIe au XXe siècle) » (dans B. Huss – M. Pasi – K. von Stuckrad : Kabbale et modernité. Interprétations, transformations, adaptations, Brill, Leiden-Boston 2010, p. . 79-105), Konstantin Burmostrov écrit que les écrits kabbalistiques du Grand Maître Ivan Yelagin (par exemple dans son ouvrage « Doctrine de la philosophie ancienne et de la connaissance divine, ou La connaissance des francs-maçons » ) sont probablement l’interprétation kabbalistique la plus développée du christianisme. dogmes dans la littérature maçonnique russe (« probablement l’interprétation kabbalistique la plus développée des dogmes chrétiens dans la littérature maçonnique russe », p. 82). Yelagin connaît bien les enseignements kabbalistiques : les dix Sephirot, les quatre mondes (Atziluth, Beriah, Yetzirah, Assiyah), la transmigration des âmes, la pratique kabbalistique des noms divins, la magie hermétique et kabbalistique (cf. p. 82f). … Burmistrov répète que les francs-maçons russes des XVIIIe et XIXe siècles considéraient la Kabbale comme « un enseignement ésotérique important » (p. 83).

Les francs-maçons russes du degré « théorique » (« francs-maçons théoriques ») ne voient aucune contradiction entre l’étude/pratique des sciences occultes (« étudier les sciences occultes et les « pratiquer ») et l’appartenance à l’Église orthodoxe. Ils considèrent les sciences occultes et la Kabbale comme un trésor inestimable de sagesse ancienne et lisent donc la Bible et les Pères de l’Église à la lumière de la Kabbale, tout comme Pic de la Mirandole et les kabbalistes chrétiens. Cela s’applique également au franc-maçon mentionné ci-dessus, Ivan Jelagin (voir p. 83f).

Parmi les kabbalistes auxquels s’intéressent les francs-maçons russes les plus érudits se trouve Isaac Luria (1534-1572), en particulier ses concepts d’Adam Kadmon et de Tikkun ha-olam (voir pp. 81, 86f). Dans la Kabbale lurianique, il y a aussi le concept de transmigration des âmes : les âmes des personnes maléfiques ne vont pas en enfer, mais peuvent se réincarner en pierres, plantes, animaux ou personnes (voir Jody Myers : Mariage et comportement sexuel dans les enseignements de le Centre de la Kabbale, dans Kabbale et modernité , dans : Boaz Huss : Kabbale et modernité, série de livres Aries Vol. 10, 2010, p. De plus, selon la Kabbale lurianique, le mal est immanent à la création, à l’homme et à Dieu… Le mal est en Dieu (cf. G. Scholem : The Mystical Figure of the Godhead. Studies on the Basic Concepts of Kabbalah, Adelphi Edizioni, Milan 2010 , pp. 67-72).

Le Père Paolo Maria Siano appartient à l’Ordre des Franciscains de l’Immaculée (FFI) ; Le docteur en historien de l’Église est considéré comme l’un des meilleurs experts catholiques en matière de franc-maçonnerie, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages de référence et de nombreux essais. A travers ses publications, il apporte la preuve que la franc-maçonnerie, depuis le début et jusqu’à nos jours, contenait des éléments ésotériques et gnostiques, qui justifient son incompatibilité avec la doctrine de l’Église.

Traduction : Giuseppe Nardi
Image : Wikicommons/MiL (captures d’écran)

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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