ven 22 novembre 2024 - 22:11

Le cœur ou la raison, de quel côté penche l’écologie ?

Science de la nature, discours scientifiques sur le changement climatique ou sur l’effondrement du vivant d’un côté : rationalité. Prise de conscience, inspiration religieuse, démarche philosophique d’un autre côté : spiritualité.  On oppose souvent spiritualité et raison, comme si les deux dispositions ne pouvaient pas exister l’une avec l’autre. Sont-elles deux tensions contradictoires ? Ou les deux faces d’une même médaille ? Petite promenade à travers les grandes spiritualités. 

Le Pape François a publié deux textes fondamentaux en rapport avec l’écologie. Laudato Si, en 2015 qui pose les bases de ce qu’il peut être la pensée catholique sur la question, où il parle de la Terre comme de la “Maison Commune” et il appelle à préserver la “Création”. Le dernier texte date de 2023, il s’intitule Laudate Deum. Il s’appuie sur le Synode (assemblée ecclesiastique) de 2020 en Amazonie. Sa particularité est qu’il se réfère explicitement à la science et à la raison. “On ne peut plus douter de l’origine humaine du changement climatique”. Il fait sien le consensus scientifique, au point de fustiger ceux qui le remettent en cause, les accusant d’obscurantisme : “des opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Eglise”. Ce qui n’empêche pas une critique féroce de la science dans sa version technologique, quand elle vire au culte de la technologie pour elle-même, quand elle développe une idéologie arrogante. C’est vers une nouvelle éthique qu’il appelle à se tourner. Une éthique inspirée par la foi, citant le message de la Bible donné comme une parole de Dieu : “la Terre m’appartient et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes” . Dans la pensée de François, l’ensemble de l’univers étant une création divine, il est fait globalement de la même essence. Dans cette nouvelle éthique,  la raison ne s’oppose pas à la spiritualité, mais la spiritualité inspire la raison. On pourrait la résumer dans cette formule qu’il donne : “qu’est-ce que ma vie, quel est le sens de mon passage sur cette terre, quel est le sens de mon travail et de mes efforts ? “

Les Protestants se penchent depuis assez longtemps sur ces questions. Notamment parce que les débuts d’écologie sont issus de pays protestants : Ernst Haeckel (Allemand), Arthur Tansley (Britannique), Arne Naess (Norvégien). Récemment, un réseau s’est constitué au sein de l’Eglise Protestante de France : Espérer pour le vivant. Il s’agit de travailler les questions d’écologie en s’appuyant sur les textes sacrés. Le texte d’orientation issu des travaux du Synode 2021 à Sète s’appuie sur trois piliers:

1 La création comme promesse. On y constate que l’homme n’a pas le contrôle du vivant. On y proclame que désormais il faut accorder à la nature le statut de sujet et non plus d’objet. On y affirme que la création n’est pas achevée mais qu’elle est un processus toujours à l’œuvre dans lequel l’homme doit trouver sa place avec une manière différente d’habiter le monde. Ce qui est presque exactement la définition étymologique du mot “écologie”. 

2. Le cri de la création Il s’agit de se faire le relai de la souffrance que l’homme a fait subir à la nature, se repentir de la passivité et du laisser faire, “demander pardon à Dieu”.  Puis d’affirmer sa confiance dans les capacités de l’homme et ouvrir sur l’espérance. 

3 Le service de la création. Ce dernier point est un appel au travail. Tout d’abord repenser les fondamentaux ‘reconnaître une autonomie et une légitimité au monde naturel et sauvage”. Et surtout, ce qui intéresse particulièrement les francs- maçons, instaure une “relation triangulaire entre dieu, lui (l’Homme) et le monde sauvage et naturel”. 

Ce texte d’orientation se termine donc par l’appel à un engagement intellectuel et matériel s’appuyant sur l’évangile de Marc (9,35) “être serviteurs de tous” et proclame l’espérance en “un monde plus juste et plus équilibré”

Ici non plus, la raison et la foi ne sont pas opposées, la spiritualité est au contraire ce qui nourrit la pensée et l’action.

Une branche du monde judaÏque (libéral) “Judaïsme en mouvement” vient de créer  un laboratoire d’idées nommé La Manne. Il se propose de faire le lien entre le judaïsme, l’écologie et la biodiversité. Il organise des réunions de travail mensuelles. Certaines sont filmées et disponibles en replay, comme celle sur l’eau. Elles portent sur des thèmes comme : l’énergie, la biodiversité, l’entreprenariat responsable, le financement de la transition. La première avait pour thématique “Suis-je le gardien de mon frère ? “ A chaque fois, la démarche s’appuie à la fois sur des textes sacrés, sur des ouvrages “savants” et des témoins-experts. Là encore, il n’y a pas de contradiction entre la référence à une spiritualité et le travail sous l’égide de la raison. 

En ce qui concerne l’islam, on trouve un  réseau parrainé par Greenpeace MENA (Middle East and North Africa) et qui s’appelle l’Ummah for Earth. Il se donne cette mission : “engager les communautés de la diaspora musulmane dans la justice climatique”. Enviromuslims, en est la branche canadienne. Sa cofondatrice Saba Khan explique la démarche : “Les groupes confessionnels sont souvent tenus à l’écart des conversations importantes sur la politique climatique et les initiatives d’engagement communautaire liées aux enjeux environnementaux. Mais sachez que nos diverses perspectives peuvent avoir un impact, car notre esprit est animé par quelque chose de divin (littéralement) : notre relation avec notre Créateur.” Parmi les actions qu’ils ont développées, on note un Bootcamp (“camp d’entrainement), une plateforme de coaching chargée de développer des pratiques écoresponsables à l’occasion du ramadan 2024 ou encore dans la gestion des mosquées, avec Greening Canadian Mosques. Là encore, la pratique est nourrie par la spiritualité religieuse. Elle y trouve sa source, son point de départ. Même si elle se traduit par des actions extrêmement concrètes et rationnelles. 

On pourrait continuer sur le bouddhisme, qui n’est pas une religion, mais qui est une religion quand même. La particularité de son approche est que dans cette culture, la nature n’a jamais été séparée de l’homme. D’ailleurs c’est surtout la conception de l’homme qui diffère de celle qu’ont développée les humanistes en occident. Il n’est pas séparé corps et esprit, il est esprit incarné. La spiritualité est ce qui lui permet de s’unir à la nature par la méditation. Comme le dit Maha Ghosananda, ex-patriarche de l’église bouddhiste cambodgienne  : “Si nous respectons l’environnement, la nature sera bonne avec nous. Quand nos cœurs seront bons, le ciel sera bon avec nous. Les arbres sont comme notre mère et notre père, ils nous nourrissent et nous fournissent tout. Ils nous donnent à manger et satisfont beaucoup de nos besoins.” Respecter la nature est indissociable de respecter l’homme 

Le Dalaï Lama, chef de l’Eglise Bouddhiste tibétaine, s’est exprimé de nombreuses fois sur la nécessité d’une relation harmonieuse avec la nature. En 2019, il  engage des “Conversations sur l’Écologie, l’éthique et l’interdépendance”,  rassemblées dans un livre d’entretiens. On y  retrouve comme interlocuteurs : le karmapa (3è personnage de la hiérarchie religieuse) et aussi “des scientifiques environnementaux, des penseurs spécialisés en philosophie éthique et des militants écologistes”.  La spiritualité, la connaissance scientifique et la philosophe se croisent. Le Dalaï Lama n’en est pas à son coup d’essai. En 2021, un échange épistolaire qu’il a eu avec la militante écologiste Greta Thunberg a donné lieu à un livre : “Le Sage et l’activiste”. Là encore, la “connaissance intime” de la nature que permet la méditation n’est pas en opposition avec la connaissance rationnelle que propose la science. Et toutes les deux peuvent être tournées vers l’action

Existe-t-il une pensée maçonnique sur les questions d’écologie, qui pourrait allier science et spiritualité ? Pas encore, mais elle aurait presque pu exister depuis longtemps. On pense évidemment à l’œuvre d’Elisée Reclus, géographe, anarchiste et franc-maçon, qui posa en pleine révolution industrielle, les bases de ce qui serait plus tard l’écologie. Elisée Reclus, tellement libre maçon qu’il l’était très peu, initié mais fréquentant les loges avec parcimonie. Comme géographe, on lui doit une œuvre monumentale, “la Nouvelle Géographie Universelle”, en dix-neuf volumes, “l’Homme et la Terre”, en six volumes, etc. Il défend une approche de l’étude de la Terre qui inclut l’homme dans la nature. Il introduit une dimension humaine et sociale dans la géographie et tente de penser les phénomènes dans leur globalité. Mais surtout, en tant qu’anarcho-communiste, il arrive à penser contre son époque. Il développe une pensée très critique sur l’industrialisation, l’exploitation des ressources et des humains. Il insiste sur le fait que tout progrès s’accompagne d’un “régrès”, c’est-à-dire d’effets secondaires négatifs, régressifs. Faut-il pour autant y voir une dimension spirituelle ? Et bien pourquoi pas. Car Elisée Reclus était initialement destiné à la profession de pasteur, comme son père. Malheureusement la religion parvint très vite à le dégoûter de la religion et il perdit la foi. Mais pourtant jusqu’à la fin de ses jours en 1905 il sera animé par une attachement indéfectible à un idéal qui le porte à rêver d’une République universelle et l’espoir d’une humanité meilleure et plus fraternelle. N’est-ce pas une forme de spiritualité laïque ? Tout y invite dans la pensée d’Elisée Reclus, et notamment cette formule “L’Homme est la nature prenant conscience d’elle-même.  D’ailleurs, nos FF:. et SS:. de Belgique ont choisi son patronage pour créer un Triangle interobédientiel qui travaille sur les questions d’écologie : le Triangle Elisée Reclus

2 Commentaires

  1. Certes, mais on n’est pas obligé, pendant les agapes, de se “goinfrer” de viandes diverses, en particulier de viande de boeuf, la viande dont la production (industrielle) est la plus nocive pour l’écologie, et la plus dangereuse pour notre santé (pro-inflammatoire, et pro-cancérigène)…
    Un F. médecin-nutritionniste, Jérôme Lefrançois

  2. Les agapes ne sont pas un exemple écologique pour la préservation de la nature et la diminution de la souffrance animale

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Pierre Gandonniere
Pierre Gandonniere
Membre du Grand Orient de France et du Grand Chapitre Général. Journaliste, consultant, enseignant Auteur d’une thèse sur l’Ecologie de l’Information Auteur de : "L'Humanisme en Tablier Vert -L'Ecologie est-elle une question maçonnique ?" Detrad, 2023

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