Dans le monde discret mais vibrant de la Franc-maçonnerie, une association se distingue par son engagement envers les plus vulnérables de ses membres : Mathusalem. Fondée en 1987, cette association loi 1901, pluri-obédientielle, s’est donnée une mission aussi noble qu’essentielle : « recréer du lien avec nos Sœurs et Frères qui, avec l’âge, ont dû s’éloigner de nos colonnes en raison de problèmes de santé, de dépendance ou de mobilité réduite ».
À une époque où le vieillissement de la population et l’isolement des aîné(es) sont des enjeux majeurs, Mathusalem incarne un modèle de solidarité maçonnique, tout en lançant un appel vibrant à l’engagement fraternel. Plongeons dans l’histoire, les actions et les défis de cette association qui, depuis près de quatre décennies, tend la main aux aîné(es)s de la Franc-maçonnerie.
Une Genèse Ancrée dans la Solidarité
Mathusalem voit le jour le 6 octobre 1987 à Paris, sous l’impulsion de deux figures emblématiques de la Franc-maçonnerie française : Jacques Siou, membre du Grand Orient de France (GODF), et Raymond Richardson, de la Grande Loge de France (GLDF). L’association tire son nom du personnage biblique Mathusalem, fils d’Hénoch et grand-père de Noé, connu pour avoir vécu 969 ans selon la Genèse – un symbole de longévité qui invite à réfléchir sur le temps qui passe et la manière de vieillir. Comme le souligne un de nos articles :
« Mathusalem, ce vénérable vieillard, nous amène à réfléchir sur la meilleure manière de vieillir ».
L’élément déclencheur de la création de Mathusalem est aussi poignant que révélateur. En 1987, Siou et Richardson apprennent qu’un frère ancien, sans famille ni ressources, a été inhumé dans le quartier des indigents, sans personne pour l’accompagner dans son dernier voyage. Cet événement tragique met en lumière une réalité douloureuse : trop de Sœurs et de Frères, en raison de leur âge ou de leur perte d’autonomie, disparaissent des tableaux de loge et, par extension, de la mémoire collective de leurs obédiences. « Loin des yeux, loin du cœur n’est pas maçonnique », citant un adage que Mathusalem s’efforce de contredire.
Dès sa fondation, Mathusalem se veut pluri-obédientielle, c’est-à-dire ouverte aux membres de toutes les obédiences maçonniques, qu’il s’agisse du GODF, de la GLDF, de la Grande Loge Féminine de France (GLFF), du DROIT Humain (DH) ou d’autres encore. Cette approche inclusive est un pilier de son identité :
« Mathusalem agit au-delà des Rites ou des Obédiences »
En 1992, une première antenne régionale voit le jour en Alpes Méditerranée, suivie par d’autres implantations dans 20 régions,
Une Mission au Cœur de la Fraternité
La mission de Mathusalem est claire : venir en aide aux Sœurs et Frères âgés qui, pour des raisons de santé, de mobilité réduite ou de dépendance, ont dû quitter leurs loges et se retrouvent isolés. « Renouer le lien avec les frères et sœurs coupés de leur attache maçonnique. Cette mission s’étend également aux veuves et veufs des membres, renforçant l’idée d’une chaîne d’union qui transcende les vicissitudes de la vie.
Aujourd’hui, Mathusalem regroupe 21 associations régionales, dont 4 en Outre-Mer, réunissant des bénévoles dévoué(es)s qui apportent un soutien précieux dans de nombreux aspects de la vie quotidienne : assistance administrative (démarches, formulaires), sociale (accès aux droits, aides), juridique (conseils, accompagnement), financière (gestion des difficultés), médicale (accompagnement aux rendez-vous) et culturelle (organisation de sorties, déjeuners-débats)., ainsi que des événements festifs, comme à Noël avec échange de cadeaux pour les aîné(es) isolé(es).
L’association met également en place des actions concrètes pour rompre la solitude. Les bénévoles effectuent des visites à domicile, passent des appels téléphoniques réguliers, et organisent des activités, des lotos pour renforcer les liens. « Le plus important est sans nul doute les visites rendues par les adhérents bénévoles à des Frères et des Sœurs à la santé fragile », notant que ces aîné(es)s, trop souvent, n’ont pour seuls contacts que leur médecin ou leur livreur de repas.
Une Organisation Pluri-obédientielle et Autonome
En 2019, une nouvelle entité, Mathusalem France, est créée pour jouer un rôle de « facilitateur » et de « lien » entre les 21 associations régionales. Mathusalem France, soutient les Associations Mathusalem en difficulté, aide à la création de nouvelles associations, et met en commun l’expérience de ses membres ».
Mathusalem France fonctionne selon un modèle décentralisé, chaque association régionale œuvrant dans le cadre d’un Charte commun, conserve son autonomie dans sa gestion administrative, financière et opérationnelle, conformément à la loi de 1901 (ou à la loi de 1908 en Alsace-Moselle). Elle met à la disposition des 21 associations régionales un site national : www.mathusalem-france.fr, redynamisé en 2024 sous la présidence de Jean-Claude Levy (GODF), et offrant un espace d’information et de coordination.
Les ressources de Mathusalem proviennent exclusivement des cotisations de ses membres (15 à 20 euros par an selon les régions), des dons des Sœurs, des Frères et des loges, ainsi que de legs éventuels via les fondations obédientielles. Aucune subvention obédientielle n’est perçue, ce qui garantit l’indépendance de l’association, mais limite aussi ses moyens. Les aîné(es)s soutenues, eux, n’ont aucune cotisation à payer, un choix qui reflète l’esprit de solidarité de l’association.
Un Combat pour la Reconnaissance
Le chemin de Mathusalem n’a pas été sans obstacles. Longue a été la route depuis la création pour que les obédiences reconnaissent l’utilité de Mathusalem. Pendant des années, l’association a dû batailler pour sensibiliser les loges et les obédiences à l’importance d’identifier les aîné(es)s en perte d’autonomie. Trop souvent, ces derniers étaient « fraternellement démissionnés ».
Cette prise de conscience a porté ses fruits. Depuis les années 2010, plusieurs obédiences ont mis en place des initiatives pour maintenir le lien avec leurs aînés. La GLDF, par exemple, a créé une loge virtuelle gratuite pour les Frères empêchés, leur permettant de conserver leur statut d’initié. D’autres obédiences, comme la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (GLTSO) et la Grande Loge Nationale Française (GLNF), ont suivi cet exemple, tandis que certaines réfléchissent encore à des dispositifs similaires.
Les Enjeux d’un Monde en Mutation
Mathusalem s’inscrit dans un contexte social et démographique marqué par des défis majeurs. L’évolution de la pyramide des âges due au ‘Papy-boom’ et l’allongement continu de la durée de vie (79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes) créent une nouvelle problématique à laquelle sont confrontées toutes les obédiences ». Si les avancées médicales permettent de vivre plus longtemps, elles n’épargnent pas les aîné(es)s des affaiblissements physiques ou mentaux, ni des détresses morales et financières qui accompagnent souvent la vieillesse.
Dans ce contexte, Mathusalem se positionne comme un « pont » entre les générations maçonniques, un lien entre la tradition incarnée par les aîné(es)s et la transmission portée par les plus jeunes. « Soyons ce pont qui nous relie à nos anciens, car sans eux nous ne serions pas ce que nous sommes », insiste l’association. Mais cette mission ne peut réussir sans un engagement collectif. Mathusalem lance un appel pressant aux bénévoles :
« Nous avons besoin de volontaires pour renforcer nos associations existantes, accompagner nos aîné(e)s et assurer une présence active dans toutes nos loges »
L’association recherche également des volontaires pour créer de nouvelles antennes régionales et étendre son action, notamment dans des départements encore non couverts.
Une Analyse Critique
Mathusalem est un exemple remarquable de ce que la Franc-maçonnerie peut offrir en termes de solidarité, mais la dépendance aux bénévoles pose un défi structurel. Si l’engagement des Sœurs et des Frères est admirable, il repose sur une ressource finie : le temps. Dans un monde où les obligations profanes – travail, famille – accaparent les membres actifs des loges, comment garantir un vivier suffisant de bénévoles ?
Enfin, la question de l’isolement des aîné(es)dans la Franc-maçonnerie interroge les obédiences elles-mêmes. Si Mathusalem doit exister pour pallier l’absence de suivi des membres âgés, cela ne révèle-t-il pas une faille dans la fraternité maçonnique ? La création de loges virtuelles est un pas en avant, mais elle ne remplace pas une présence physique, un contact humain. Le monde profane est chronophage, et les hospitaliers n’ont pas toujours la possibilité de consacrer du temps aux aîné(es)s.
Un Appel à l’Engagement
En 2025, Mathusalem continue de grandir, portée par des figures comme Jean-Claude Levy, président de Mathusalem France depuis avril 2024.J.C Levy, membre du GODF, est salué pour son engagement de longue date dans les actions de bienfaisance, notamment via l’Association de Solidarité Emploi. Sous sa présidence, l’association entend renforcer son maillage territorial et sa visibilité, tout en poursuivant sa mission de fraternité.
L’appel de Mathusalem France résonne avec force : en offrant un peu de votre temps, vous pouvez « apporter réconfort et chaleur à nos aîné(e)s, tout en brisant l’isolement qui, trop souvent, accompagne le grand âge.
Chaque geste compte comme le souligne la devise de MATHUSALEM :
« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis »
Dans une société marquée par le repli sur soi et le culte du jeunisme, l’Association nous invite à un retour aux fondamentaux de la Franc-maçonnerie : la solidarité, l’écoute, et le respect des anciens, qui ont tant à nous transmettre.
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