dim 16 mars 2025 - 23:03

La recherche de la vérité est-elle une fin en soi ?

DECLARATION DES PRINCIPES

La Franc-Maçonnerie proclame, comme elle a proclamé dès son origine, l’existence d’un principe créateur, sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. Elle n’impose aucune limite à la recherche de la vérité, et c’est pour garantir à tous cette liberté qu’elle exige de tous la tolérance. Ainsi, le cadre est posé, toutes les voies sont possibles pour rechercher la vérité mais avec comme principe l’existence d’un principe créateur. Lors d’une initiation, il est pourtant dit :

« Ne profanez pas le mot de Vérité en l’accordant aux conceptions humaines.
La Vérité absolue est inaccessible à l’esprit humain, il s’en approche sans cesse, mais ne l’atteint jamais. »

Cette recherche selon les principes fondateurs est fastidieuse et nous informe que nous ne serons ni capables ni dignes d’accéder à la Vérité. Un espoir nous est tout de même donné : « La Vérité est la lumière placée à la portée de tout homme qui veut ouvrir les yeux et qui veut regarder»

Platon décrit la célèbre allégorie de la caverne. Des prisonniers sont enchaînés depuis leur naissance dans une grotte. Le dos tourné à l’ouverture, ils ne voient que des ombres. Un seul décide de se défaire de ses liens et de sortir. Il pénètre alors dans la lumière, et voit la réalité. Mais son oeil n’étant pas habitué à tant de clarté, il est aveuglé et il doit faire un effort pour s’accoutumer à ce qu’il voit. De retour dans la caverne, les autres ne le croient pas.

Cet homme représente le philosophe qui s’est libéré des chaînes des apparences au prix d’une conversion de l’âme difficile. Il a dû s’arracher au monde sensible pour atteindre le monde intelligible des Idées vraies. La recherche de la vérité se fait par un effort qui demande d’abord de dépasser les images trompeuses de la réalité (les ombres de la caverne). L’allégorie de la caverne donne l’espoir d’une libération. Mais pourquoi préférer le vrai à l’illusion ?

Atteindre la vérité n’est donc pas un acte spontané. Elle exige une discipline, une méthode.

La vérité se présente comme une exigence qui vient à l’encontre de nos affirmations et des apparences et nécessite un combat contre nous-même.

Alors, qu’est ce que la vérité maçonnique ?

Elle commence par la connaissance de soi qui n’est pas une simple méditation intérieure, comme on l’écrit souvent, auquel cas elle ne serait qu’un simple examen de sa propre psychologie et des ressorts de son comportement inspiré par le souci de sa propre personnalité.

Le maçon se doit de dépasser ses réactions intimes parce que la visée de cette connaissance est de découvrir en soi les sources profondes de notre engagement dans la démarche initiatique, et dont l’importance capitale échappe ordinairement à la conscience profane tournée plutôt vers le matérialisme et la science.

C’est là le premier tremplin dans la recherche de la vérité, en quoi consiste ce soi où se situent les forces profondes de l’esprit qui va animer la pensée et l’action de l’initié. L’autre vérité que nous avons le devoir de poursuivre est désignée à partir du 3ème degré sous le nom de « Parole perdue ».

Que signifie cette recherche ?

Elle semble impliquer que nos ancêtres ont possédé une connaissance authentique des mystères relatifs à l’ordre cosmique, à la naissance de la vie et de l’homme, à la nature de l’âme et à sa survie dans un autre monde, parce qu’ils avaient des relations plus étroites avec le monde invisible et ce que nous nommons le Sacré.

Claude Lévi-Strauss

Il existe pourtant bel et bien, un authentique savoir “primitif“, parfaitement adapté à l’environnement. Mais ce savoir n’intervient que comme médiation pour débloquer une situation vécue, surmonter l’insolite et reprendre le cours familier de l’existence. Il détermine le passage de l’immaîtrisable au maîtrisé, de l’anormal au régulier.

Claude Lévi-Strauss montre que les peuples, dits primitifs, ont constitué sur leur environnement naturel, un savoir parfaitement précis, rigoureux et systématique.

Ce savoir primordial qui a été à l’origine des plus grandes civilisations de l’antiquité, nous l’avons perdu parce que l’homme a progressivement rompu avec cette connaissance ésotérique pour se consacrer toujours plus à la connaissance de son environnement qui conditionnait la maîtrise de la nature.

De ce savoir il ne nous reste que la substitution des récits mythiques souvent contenus dans des écritures religieuses, un corpus de symboles véhiculés par de nombreuses cultures traditionnelles, que nous avons essayé de restituer dans nos rites maçonniques.

Si on nous demande constamment de retrouver la Parole perdue en la recomposant et en la réinterprétant sans cesse, à la lumière de la tradition, c’est qu’une certaine intelligence des mystères de la nature, de la vie, de la mort et de la présence même de l’homme dans le monde est une finalité essentielle de l’initiation et de la condition première de notre transformation intérieure.

Le terme même d’initiation désigne à la fois une marche en avant et une découverte qui illumine progressivement la conscience par la compréhension de mystères, c’est-à-dire de choses cachées qui changent radicalement la vision du monde de l’initié.

Découvrir que nous sommes des êtres spirituels animés par l’amour du bien, de la vérité et de la beauté, que nous possédons une âme immortelle dont le destin ne s’arrête pas aux frontières de la mort, que le sacré prend une dimension ontologique notamment à travers l’affirmation d’un  principe créateur que nous nommons Grand Architecte de l’Univers et à travers la notion de loi émanant de ce principe manifesté selon la maçonnerie dans l’ordre cosmique, est de nature à modifier radicalement le sens que nous donnons à notre vie.

Les idées métaphysiques contenues dans nos rites et nos enseignements donnent un fondement à l’impérativité du Devoir qui tient une si grande place au 4ème degré et d’une manière générale aux valeurs de fraternité, de justice, de courage, d’humilité qui constituent notre éthique. Elles changent nécessairement notre rapport aux autres et à l’existence.

L’esprit et la connaissance sont symbolisés par la Clef d’Ivoire qui nous ouvre le Saint des Saints : la profondeur des mystères et du Sacré.

Que cherchez-vous ? La Vérité et la Parole perdue. 

Il est nécessaire de distinguer Vérité et Parole perdue.

Livre tenu dans des mains
livre, lumiere, symbole,

Cette Parole perdue n’est-elle pas au fond de nous-même, au fond de notre inconscient ?

« …La vérité est une lumière que l’homme perçoit plus ou moins confusément. Elle peut pourtant se révéler dans tout son éclat à celui qui veut ouvrir les yeux et regarder.

« La route du devoir mène sûrement à la Vérité… »

La Vérité est donc abordable, de loin. Peut-être peut-elle se montrer mais il faut beaucoup de volonté et de détermination.

Tout l’intérêt de la Franc-maçonnerie est de nous aider dans la quête comme le dit le rituel lors de l’initiation au quatrième degré :

Vue de la Lumière du fond du puits
Vue de la Lumière du fond du puits

 « Mes frères la Franc-maçonnerie nous a fait sortir du monde de l’ignorance, des préjugés et des superstitions. Elle vous a tirés de la servitude de l’erreur. »

La vérité est donc en Maçonnerie une fin essentielle car sans les outils et les supports qu’elle nous offre, nous serions incapables d’accéder à une sagesse dont le nom même induit une certaine perception juste de la réalité.

Cependant, on ne peut affirmer qu’elle est une fin en soi dans la mesure où elle n’est pas « La fin suprême » de l’initiation qui est de convertir notre être à une vie tournée vers les valeurs de l’esprit.

Elle est la voie, le moyen d’accéder à la transformation de soi. C’est pourquoi j’ai indiqué qu’elle a effectivement le pouvoir de changer notre être à mesure que nous progressons dans la connaissance.

Nous retenons aussi que cette recherche est une lutte. Les choses ne vont pas de soi comme nous l’avons vu précédemment. Des parties cachées existent. Il faut faire un effort.

La méthode pour chercher la vérité consiste d’abord à éliminer les opinions, les idées reçues qui viendraient « obscurcir » la vision du vrai. Rechercher la vérité est donc une lutte contre le dogmatisme qui érige des dogmes, des « vérités » arrêtées qui ne renvoient plus à la réalité.

Il s’agit donc de « suspendre son jugement », c’est à-dire de douter de ce qui se prétend vrai. Dès lors comment ne pas douter de tout et ne pas être sceptique ? La définition et les critères de vérité n’étant pas unanimes, qu’est-ce qui garantit que la vérité soit prononcée par certains et pas par d’autres ?

Il est certain que l’initiation rencontre beaucoup d’obstacles à vaincre à commencer par les passions de l’ego, comme notre rituel ne cesse de nous le rappeler. L’ego peut-être maîtrisé par la volonté morale appuyée sur la connaissance initiatique.

Le défaut de persévérance et de spiritualité peuvent faire que la connaissance n’aboutisse pas à une mutation durable de notre conscience et de nos manières d’être. C’est en ce sens et en ce sens seulement qu’on peut affirmer qu’elle n’est pas une fin en soi.

Elle ne peut se suffire si elle n’a pas réussi à entraîner l’être tout entier en le soumettant aux exigences de l’esprit. Si un conflit se produit dans la démarche initiatique entre le savoir et l’être, le savoir devient un pouvoir inutile, voire dangereux car il a manqué la fin qui lui donnait sens et valeur : le perfectionnement de son être.

 La difficulté va résider dans notre capacité à rester sur le chemin sans s’égarer.

De nombreux pièges existent inhérents à notre nature humaine et à l’imperfection des systèmes dans lesquels nous vivons. Le danger principal est la difficulté d’appréhender la réalité sans se laisser prendre aux pièges des illusions.

Souvenons-nous de l’instruction du Troisième degré :

 « Envisagé sous l’angle moral, la légende d’Hiram peut aussi exprimer la lutte perpétuelle entre la Vérité immortelle mais toujours menacée, et ses trois ennemis : l’ignorance, le fanatisme et l’ambition déréglée. »

 « Les passions, les préjugés et l’erreur placent de nombreux obstacles entre l’homme et la vérité ».

 Ce qui peut s’interpréter par le constat que si nous échappons à l’erreur c’est que nous sommes mis sur le chemin de la Vérité par la conception du travail.

Notre rituel  parle de « la recherche de la Vérité. »

Souhaitons-nous découvrir une réalité quand nous parlons de cette recherche ?

Je ne suis pas sûr que la réponse soit une réalité concrète de notre monde profane mais plutôt un absolu.

Ne parlons-nous pas de la Lumière, de la Connaissance ? Nous voici donc dans une relative incapacité à définir de façon simple la Vérité. Le problème qui rend la recherche difficile c’est que l’être est voilé derrière le paraître. Tout notre travail consiste à devenir aptes à connaître l’être en nous-même, c’est à dire la Vérité dont on dit qu’elle est absolue mais inaccessible. Nous sommes dans une recherche métaphysique où le chercheur que nous sommes devient l’objet de la recherche.

Nous voici revenu à l’introspection évoquée plus haut. C’est pourquoi chacun est seul sur son propre chemin.

En résumé le Franc-maçon, homme libre, se doit d’éviter d’idolâtrer ni idéaux, qu’ils soient politiques, scientifiques, sociaux, spirituels, ni hommes, si valeureux soit-il. Le Franc- maçon ne peut pas admirer ce qui est à l’extérieur, mais se concentrer sur l’intérieur. Et c’est bien dans ces principes de vie que réside son Devoir qui mène sans nul doute à la Vérité, comme le dit le rituel.

    « La Vérité que cherche le Franc-maçon est contenue dans l’univers. Elle est à la fois son origine, sa nature et son milieu ambiant. Dans le spectacle grandiose de la manifestation de l’infiniment grand, la Vérité est là, présente, avec ses messages d’évidence et de contradiction. »

Ainsi la Vérité nous transcende. C’est bien ce que nous avions déjà pressenti et affirmé. Je pense qu’il apparaît maintenant nettement que la recherche de la Vérité ne souffre pas de renoncement. Elle est clairement affirmée comme objectif aux Francs-maçons dans le rituel. Elle imprègne notre discours.

Socrate en penseur vue de face
Statue de Socrate

Socrate disait : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. » Ce doute socratique nous invite à chercher la lumière par la raison et la compréhension des choses.

En conclusion, je pense que pour nous Maçons, la recherche de la vérité est bien une fin essentielle, un devoir envers nous-mêmes qui nous sommes mis sur le chemin et un devoir face à notre engagement. Pourtant, après ce travail, je pense que cette Vérité n’est pas une fin en soi car elle procède de la compréhension, de la connaissance de mystères qui dépassent la raison et se situent au-delà du monde sensible.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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