dim 09 mars 2025 - 16:03

Pouvoirs cachés, mafia et État : le système invisible qui gouverne l’Italie – Entretien avec Luigi de Magistris

De notre confrère italien agenparl.eu – Floriana Cutini

Luigi de Magistris est l’une des figures les plus représentatives de la lutte contre les pouvoirs occultes et le crime organisé en Italie. Ancien magistrat et homme politique, il a mené des enquêtes et des batailles qui ont révélé des liens entre la mafia, la franc-maçonnerie déviante et les institutions, soulignant comment ces liens ont influencé le paysage politique et économique du pays.

Licio Gelli

Dans cet entretien, nous discutons avec lui de questions cruciales, à partir du rôle de P2 et de Licio Gelli dans la réorganisation de la ‘ndrangheta et dans les plans géopolitiques liés à la Sicile, jusqu’à l’enracinement actuel de la criminalité institutionnelle. Nous discuterons de l’influence omniprésente des réseaux occultes dans la politique italienne, des difficultés à les contrer et du silence institutionnel sur des questions telles que la franc-maçonnerie et l’infiltration de la mafia dans les appareils d’État.

Grâce à son expérience, de Magistris nous aidera à comprendre comment ces phénomènes ont évolué au fil du temps, quelles stratégies de pouvoir sont adoptées par les groupes occultes aujourd’hui et quels outils pourraient encore être efficaces pour contrer leur influence.

QUESTION : Dans le cadre du débat, elle a illustré comment P2 est né d’un projet visant à asservir l’Italie, avec des éléments tels que la collaboration entre la mafia et la franc-maçonnerie. Quels sont, selon vous, les facteurs clés qui ont permis la naissance de ce « centre occulte » et comment son rôle a-t-il évolué au fil du temps, notamment par rapport à la ‘Ndrangheta et à Cosa Nostra ? Plus précisément, quel a été le rôle de Gelli dans la réorganisation de la ‘Ndrangheta et quelle importance a-t-il eu par rapport au projet de séparation de la Sicile de l’Italie et de quelle manière les États-Unis ont-ils changé leur intérêt pour le projet de contrôle de la Méditerranée à travers la Sicile ?

    Louis de Magistris : Le piduisme a commencé à se développer avec le débarquement des Américains en Sicile avec le mariage de la mafia et de la franc-maçonnerie et la disponibilité aux alliés. Les Américains ont toujours considéré notre pays comme stratégique pour leur influence en Europe du Sud, en Méditerranée, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La Sicile fut le premier avant-poste de la stratégie du Pacte atlantique en Italie, au point d’émettre des hypothèses sur des projets séparatistes afin de ne jamais perdre le contrôle de l’île. Gelli a toujours été une référence solide pour les néofascistes, les partis clés de l’ordre établi et les Américains. Il fut le marionnettiste au service du Pacte Atlantique pour les opérations nécessaires pour empêcher un changement du cadre politique qui serait indésirable pour les Américains, l’OTAN et leurs associés en Italie. Pour accroître leur force, Gelli et P2 ont toujours eu des relations non occasionnelles avec Cosa Nostra et encore plus avec la ‘ndrangheta qui est historiquement plus proche, surtout dans sa composante de Reggio de Calabre, de la droite néofasciste. Il reste encore beaucoup à découvrir sur la relation entre les massacres du P2 et les mafias siciliennes et calabraises, sans oublier le rôle de la Camorra, notamment entre l’affaire Cirillo, l’assassinat du chef de la brigade mobile de Naples Antonio Ammaturo et le massacre de l’express 904.

    QUESTION : Elle a décrit la Calabre comme le théâtre d’un véritable laboratoire criminel, où le flux d’argent public a favorisé les infiltrations et les accords entre la politique, les entreprises et les organisations mafieuses. Quel était l’impact de ce système il y a vingt ans et comment se manifeste-t-il encore aujourd’hui, contribuant à la persistance de la criminalité institutionnelle dans la région ?

    Licio Gelli
    Licio Gelli

      Louis de Magistris : Au cours de mes activités d’enquête en tant que procureur en Calabre, nous avons identifié un système criminel puissant et ramifié qui contrôlait l’ensemble des flux énormes d’argent public destinés à cette région. L’accaparement des ressources publiques a permis à un système criminel corrompu, de type mafieux, de prendre le contrôle de secteurs entiers de la politique et de l’administration publique. Avec une capacité de collusion sans précédent, même avec les appareils fondamentaux de contrôle de l’État, y compris le pouvoir judiciaire. Sur cette terre s’est consolidé le laboratoire de naissance de la criminalité institutionnelle, un système criminel qui a pour objectif la conquête du pouvoir et de l’État. Un mouvement P2 de dernière génération qui représente l’évolution la plus raffinée et la plus stratégique des organisations mafieuses, en premier lieu la ‘ndrangheta. Aujourd’hui la situation s’est consolidée car avec le camouflage jusqu’au cœur de l’État, avec une opération capillaire de pénétration progressive, ils parviennent également à neutraliser les honnêtes serviteurs de la République avec l’utilisation de balles institutionnelles. Un système criminel invisible et occulte qui se pare des habits de la légalité formelle et de l’ordre établi.

      QUESTION : Dans son discours, il parle de « pouvoirs occultes » qui, à travers des réseaux transpartisanes, ont progressivement pris le contrôle des institutions. Dans quelle mesure pensez-vous que ce modèle de pouvoir, fondé sur des liens commerciaux et, dans certains cas, criminels, continue d’influencer le paysage politique et économique italien actuel ?

        Louis de Magistris : Cela l’influence de manière décisive. Aux niveaux institutionnel, politique, économique, professionnel, informationnel et des cols blancs. L’évolution de la criminalité institutionnelle a été si forte et omniprésente qu’aujourd’hui, par exemple, on n’a de plus en plus besoin de nettoyer et de blanchir l’argent sale, car on le crée déjà « propre », avec des activités économiques formellement régulières et avec tous les droits de timbre. De plus, les dernières générations de membres de ce système criminel ont étudié dans les meilleures universités italiennes.

        QUESTION : Elle a dénoncé l’adoption de lois d’entrave qui limitent le travail de la police et du système judiciaire, rendant difficile la lutte contre l’infiltration de la mafia. Quelles réformes structurelles et quels outils opérationnels estiment-ils nécessaires pour renforcer le rôle du pouvoir judiciaire et assurer une lutte efficace contre le crime organisé ? Pourquoi la politique d’aujourd’hui ne veut-elle pas s’occuper de la franc-maçonnerie et pourquoi la Commission anti-mafia n’a-t-elle pas encore écouté les Grands Maîtres des plus grandes obédiences maçonniques d’Italie ?

          Louis de Magistris : La majorité des forces politiques n’ont ni la volonté ni l’intérêt de s’opposer à ce système criminel, de combattre la corruption et les mafias, car elles sont dépassées par la question morale. Plutôt que de prévoir de nouvelles lois pour renforcer la lutte contre le système criminel, un sujet qui est aujourd’hui utopique, il serait déjà révolutionnaire de ne pas approuver des lois qui affaiblissent le travail du système judiciaire et des forces de police. Et modifier ceux déjà approuvés. Le ministère public doit rester autonome et indépendant, contrairement à ce que souhaitent les membres du P2 d’hier et d’aujourd’hui et la majorité du pouvoir politique, inféodé au gouvernement. La commission parlementaire antimafia de cette législature n’a aucune envie d’aborder la question des mafias de masse et de la subversion institutionnelle, car elle risquerait de se retrouver dans de nombreux et embarrassants conflits d’intérêts.

          QUESTION : Il a souligné comment le contrôle des médias et le conformisme journalistique peuvent contribuer au maintien de pouvoirs occultes. Les critiques de Di Bernardo à l’égard du Grand Maître du Grand Orient concernant le manque de clarté sur P2 et quels effets pense-t-il qu’elles pourraient avoir sur l’histoire italienne, malgré la documentation récemment publiée par Agenparl ?

            Louis de Magistris : La Franc-Maçonnerie n’a pas contribué efficacement à dénoncer les déviations ramifiées et constantes au point qu’aujourd’hui il est de moins en moins crédible de parler de déviations individuelles, de pommes pourries, car nous sommes de plus en plus confrontés à des vergers contaminés. Le contrôle des médias publics et privés a toujours été l’un des objectifs de Gelli et du mouvement P2, qui se diversifie aujourd’hui de plus en plus dans la politique et les institutions. Gelli est mort, mais son projet subversif est plus vivant que jamais.

            1 COMMENTAIRE

            1. Très intéressant. Mais pourquoi ne parle-t-il pas des Super loges européennes qui viennent de faire l’objet d’une grosse étude publiée en italien et malheureusement non traduite en français. En particulier, la loge parisienne Montesquieu ?

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            Pierre d’Allergida
            Pierre d’Allergida
            Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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