mer 04 décembre 2024 - 06:12

Notre TCS Andrée Buisine a rejoint l’Orient Éternel à l’âge de 102 ans

C’est avec une grande tristesse que nous annonçons le passage à l’Orient Éternel d’Andrée Buisine, une éminente auteure et une figure respectée de la franc-maçonnerie féminine.

Andrée Buisine était née le 29 janvier 1922. Elle a consacré sa vie à la recherche, à l’écriture et à la transmission des valeurs maçonniques. Ses nombreux ouvrages ont été une source d’inspiration et de réflexion pour de nombreux frères et sœurs dans le monde entier. Elle a su, par son engagement et son érudition, éclairer les chemins de la connaissance et de la spiritualité.

Andrée Buisine, chez elle 7 août 2020

Sa contribution à la franc-maçonnerie est inestimable. Elle a participé activement à la vie maçonnique, toujours prête à partager son savoir et à accueillir avec bienveillance ceux qui cherchaient à comprendre les mystères de l’Ordre.

Aux côtés de Gisèle Faivre, elle est allée chercher les hauts Grades du REAA en Angleterre et les a traduits car elle était angliciste. Elle était la dernière de nos pionnières encore de ce monde.

Avec Gilberte Colanéri, elle a participé très activement à l’animation de la Fraternelle des Écrivains maçonnique (voir photo avec l’ancien Président Jacques Fontaine et Gilberte Colanéri)

En ce moment de deuil, nous rendons hommage à une femme exceptionnelle, dont la sagesse, la générosité et l’humanisme continueront de guider et d’inspirer les générations futures.

Andrée Buisine restera dans nos cœurs et nos mémoires, une étoile brillante à l’Orient Éternel.

Membre fondateur du Suprême Conseil Féminin de France, elle a reçu la lumière en 1952.

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Andrée Buisine était secrétaire de la loge « La nouvelle Jérusalem » de la Grande Loge Féminine de France, lorsque Joséphine Baker a été initiée le 6 mars 1960 à Paris 17.

Forte d’une thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Daniel Ligou – historien, universitaire spécialiste de l’histoire de la franc-maçonnerie et du protestantisme et professeur à l’université de Bourgogne de 1963 à 1989 –, soutenue en 1990 à Dijon, notre sœur Andrée Buisine est bien connue pour être une inlassable combattante et défenseuse de la franc-maçonnerie féminine en France, en Europe et dans le monde.

Personnellement, j’en garde un excellent souvenir du temps où nous pouvions venir écouter les conférences ouvertes à toutes et à tous, données en son temps au sein de l’Académie maçonnique en l’Hôtel de la Grande Loge de France le samedi matin.

Auteure de plusieurs ouvrages, dont La Grande Loge Féminine de France – Autoportrait (Groupe Guy Trédaniel, 1995) un livre collectif animé par elle-même, La Franc-Maçonnerie anglo-saxonne et les femmes (Dervy, 1998), elle avait coécrit, avec notre frère Michaël Segall (OE), Un Panorama de l’Ordre maçonnique (Dervy, 1998). Dans cet opus, elle offrait un guide complet sur l’essence de la Franc-maçonnerie. Grâce à la participation des plus hautes autorités en la matière et à une surprenante iconographie, elle donnait, avec son compère Michaël Segall, une explication sur les multiples actions menées l’Ordre dans différents domaines aussi bien sociaux qu’historiques et artistiques sur notre temps et leurs répercussions. Retenons surtout Les hauts grades écossais au féminin – Le Suprême Conseil Féminin de France (Conform édition, éd. augmentée 2021), dont la première édition recevait, en 2007 à Paris, le prix littéraire de l’Institut Maçonnique de France (IMF), catégorie « Histoire ».

 Elle était chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur et commandeur des Palmes académiques.

Nous publions l’hommage rendu par Marie-Dominique Massoni, Présidente de la Fraternelle des écrivains.

Andrée Buisine (1922-2024) : De la loi et de la joie

« Les meilleurs » : le sens antique du mot aristoi s’est plus tard confondu avec le terme de noblesse, la noblesse d’âme étant confondue avec le sang bleu. Le « désir de se sacrifier à quelque chose ressenti comme plus grand que soi » que formulait simplement Annie Besant caractérisa aussi celle qui fut une exceptionnelle Grande Oratrice du Suprême Conseil féminin de France : Andrée Buisine. Toutes deux comme quelques autres méprisèrent, leur vie durant, les assignations sociales comme les revendications corporatistes, les attachements dérisoires et les soumissions à une quelconque fonctionnalité.

« La fille de ma mère et le fils de mon père »

Celle qui naquit en 1922 aimait à dire que sa mère l’avait éduquée comme il se devait pour une fille de l’entre-deux guerres. Habile couturière, elle avait acquis l’art de la coupe, du patron et des finitions. Elle complétait en disant que son père l’avait élevée comme un garçon l’emmenant très tôt dans des réunions de la Ligue des droits de l’homme ou l’impliquant plus tard dans ses activités de résistant. Fille de chti, d’origine wallonne, et de ritale, elle aimait la saveur des parlers populaires, de leurs expressions imagées, de leurs narrations à la fois simples et capables de transformer le trivial en geste héroïque comme en cocasserie. Rebelle et provocatrice, indomptable, elle était le soldat au service d’un idéal où il n’était pas question de sa propre gloire. S’y trompèrent ceux qui ne virent que son jeu de séduction-exécution. Elle associait la patience des graines et l’art de l’escrime. L’assentiment du plus grand nombre ? Elle s’en souciait comme d’une guigne. Aucun changement n’a jamais pu se faire sans transgression. Encore faut-il avoir l’intelligence de ne pas confondre transgression et contestation. Tout était dans l’art de l’attente et la parfaite exécution.

Son père avait été chef d’entretien d’une teinturerie. Institutrice, professeur d’anglais puis principale de collège elle considérait l’enseignement et la Maçonnerie comme deux sacerdoces. Elle portait haut le souci du devenir des enfants et l’autorité nécessaire à toute transmission. Longtemps secrétaire d’une association d’anciens résistants, elle organisait chaque année un concours en direction d’élèves de l’enseignement secondaire. Transmettre était chez elle un souci majeur mais nul ne le peut qui n’a d’abord été désireux de recevoir et de travailler. De la grammaire et de la loi : ainsi des bons pédagogues, ainsi aussi en Maçonnerie.

Andrée Buisine, en 2000

Gisèle Faivre : « Il faut que notre maison soit complète jusqu’en haut »

Domptée ? Jamais. Semper fidelis, dès lors qu’elle a prêté sa foi. La rebelle à mater quand elle entre en Maçonnerie, au Rite d’Adoption, en 1952, se fait mousquetaire au service de son Roi, tel un personnage de Dumas ou tel un chevalier de Walter Scott. Aussi lorsque Gisèle Faivre qui après avoir permis à l’Union Maçonnique Féminine de France de se constituer en Grande Loge et l’avoir convaincue d’adopter le REAA, mais qui a échoué à trouver en France la transmission des hauts-grades de ce rite, lui demande d’aller les « chercher » en Angleterre, Andrée Buisine se précipite. Joannis Corneloup et Marius Lepage ont facilité les contacts. Vient une première et vaine tentative avec The Women Freemasons puis advient sa rencontre quasi mystique avec Marjory C. Debenham, Grand Commandeur de l’AFAM (The Order of Ancient Free and Accepted Masonry).

Angliciste, Andrée organise les déplacements et hébergements des week-ends anglais du petit groupe de Françaises. Elle conserve sa vie durant une extrême reconnaissance aux Frères du Grand Orient et de la Grande Loge de France qui les ont aidées dans leurs démarches et qui, transgressifs eux aussi, leur ont prêté des rituels. C’est ainsi qu’en 1964 a lieu la première cérémonie d’initiation du petit groupe, le matin pour les anglophones, l’après-midi pour celles qui ne le sont pas. Elles reviennent en France chevaliers Rose-Croix et Andrée Buisine en est à jamais transformée. Elle qui n’a eu aucune formation religieuse qui déteste aussi bien les bigotes que l’institution catholique a rencontré charité, foi et espérance ainsi qu’elle les entend dans une cérémonie grandiose où le terme d’élection prend enfin un sens pour la boule d’exigence et de devoir qu’elle est. La consécration du Chapitre Rose-Croix est suivie de l’installation de la première loge de Perfection en France. Attelée à la traduction en français des rituels anglais, elle échange épistolairement avec Marjory C. Debenham.

Car Loi assone avec Joie

Et puis, le Suprême Conseil féminin de France constitué en 1970 et guidé par Gisèle Faivre, Andrée Buisine qui n’avait pu, comme tant d’autres jeunes femmes poursuivre ses études au lendemain de la guerre, et qui est devenue successivement institutrice, professeur d’anglais puis principale de collège, reprend ses études universitaires et s’adonne à la recherche. Sa thèse sur « La Franc-Maçonnerie anglaise et les femmes », est éditée en 1995 chez Trédaniel. Cette année anniversaire de la Grande Loge féminine de France, elle publie aussi La Grande Loge féminine de France, Autoportrait. Elle aime collaborer avec d’autres Sœurs ou Frères : avec la Commission nationale d’histoire pour cet ouvrage aussi bien qu’avec Michaël Segall pour Un Panorama de l’ordre maçonnique (1998) ou avec le Jamaïcain Terry Allen, qui l’aimait tant, pour l’édition de certains livres. Elle a aussi été l’un des membres fondateurs de l’Académie maçonnique.

Elle trouve les premiers locaux de la Juridiction, rue du Rendez-vous à Paris. Elle en surveille les travaux. Modeste et orgueilleuse, elle aime celles qui bâtissent en toute discrétion mais, par-dessus tout, ses deux figures tutélaires et inspirées : Gisèle Faivre et Marjory C. Debenham. Lorsque le Suprême Conseil Féminin de France décide de l’introniser Grand Commandeur d’honneur à titre exceptionnel, marquant ainsi tout ce qu’il lui doit, son émotion est immense.   

Hétérodoxe peut-être mais orthodoxe sûrement, elle vécut intensément toutes les alliances de contraires chères aux initiés, toutes les exigences de son Rite et de la Loi maçonnique. Savoir sortir du rang au nom d’une haute exigence et être sans pitié pour ceux dont elle considérait qu’ils n’obéissaient qu’à de piètres ambitions individuelles, telle était cette boule de détermination. Aimant les mots d’esprit, l’ironie française et l’humour anglais, elle avait l’art de la chiquenaude verbale pour les autres comme pour elle. Son caractère à l’emporte-pièce lui valut bien des rancœurs, et pourtant… Je fis sa connaissance à la Fraternelle des écrivains et elle eut tôt fait de saisir mon côté « service actif » aussi bien que mes recherches sur le fonctionnement réel de l’esprit. Que de questions sur le surréalisme et « l’entrée des médiums » ne me posa-t-elle pas après une réflexion sur le « surréalisme et l’hermétisme » donnée à la Fraternelle. Nous prîmes l’habitude de nous retrouver pour travailler ensemble et c’est ainsi que je découvris son art des petites attentions maternelles. Quand elle présida la Fraternelle des écrivains elle me demanda, d’être sa secrétaire. C’était dans l’ordre des choses, et ce fut tout simplement joyeux.

Sa tolérance religieuse s’arrêtait face à tous les sectarismes religieux et aux chapelles occultistes. Elle avait toutefois une passion certaine pour Annie Besant qui sut se bâtir par elle-même. Andrée avait entrepris d’écrire un livre sur cette femme passée de l’athéisme à la théosophie, qui fut à la fois féministe, franc-maçon du Droit Humain international, députée du Labour, favorable à l’indépendance de l’Inde, mère spirituelle de Krishnamurti, alors que son époux, un pasteur, lui avait fait souffrir mille tortures avant qu’elle ne conquière son indépendance et ne s’autorise à étudier. Elle avait plus largement un intérêt pour des femmes visionnaires qui avaient bravé les diktats sociaux de leur temps, ainsi Flora Tristan ou George Sand. Renverser les idoles et s’en tenir à l’essentiel : l’art de bâtir. Hélas, fatiguée par l’âge, elle ne put mener à bien son projet. Elle souhaita néanmoins voir paraître une seconde édition augmentée de son livre Les Hauts-grades écossais au féminin, faisant toute confiance à Monique Rigal, qui avait succédé à sa chère Gilberte Colaneri, pour actualiser et parachever l’œuvre en mettant en lumière le développement et les réalisations de la Juridiction.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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