sam 14 décembre 2024 - 01:12

Franc-maçonnerie, francs-maçons et cinéma

Écrire, réaliser, produire de l’écrit à l’écran

La franc-maçonnerie, avec son histoire plus ou moins accessible à tous, avec ses rituels secrets plus ou moins divulgués et ses influences plus ou moins attribuées, alimente l’imaginaire collectif. Quant aux francs-maçons, ils sont souvent perçus comme membres d’une société secrète empreinte de mystères, d’intrigues, et détenteurs de savoirs ancestraux qui leur confèrent pouvoir et puissance.

Et pour compléter ce portrait fantasmé il est indispensable de préciser que pour beaucoup, les francs-maçons entretiennent entre eux une fraternité et une solidarité qui agit en réseau et en démultiplie leur puissance individuelle.

Il est dès lors évident qu’une telle société secrète et ses membres solidaires et dotés de tels pouvoirs venus du fond des âges (sans bien sûr savoir lesquels) a toujours été source de sujets et de traitements dans des ouvrages cinématographiques.

Bon nombre de fictions qui s’appuient sur les mystères du monde (et de sa proche banlieue) se sont donc, logiquement, intéressé à mettre en scène franc-maçonnerie et/ou francs-maçons.

Dresser une liste des films dans lesquels on peut voir ouvertement, ou deviner de façon plus discrète, la présence de signes maçonniques sous quelques formes que ce soient n’apporte pas un éclairage significatif ou révélateur. Il est cependant possible de tirer une première analyse. La plupart des scénaristes et réalisateurs qui ont introduit du symbole, de l’identité maçonnique et/ou des personnages appartenant à cette société secrète ne sont parvenus qu’à entretenir mystères et poncifs. Les autres ont semé, ici ou là, des indices lisibles pour les initiés. Pour ces réalisateurs, les objectifs narratifs semblent entrer exclusivement dans le domaine du privé, confinant aux « références ésotériques».

Le scénario d’un film n’est pas une œuvre littéraire. Le scénario est un document écrit spécifique, une construction dramaturgique indispensable à la conception, la réalisation et, de façon plus générale, à la production d’un film.

Le scénario se doit de proposer un récit conforme au langage cinématographique. L’écriture d’un scénario a évolué et poursuit son évolution au même rythme, et de façon fusionnelle, avec l’évolution du langage cinématographique. Quant à la réalisation d’un film, à cette autre écriture, je me réfère à Alfred Hitchcock qui a déclaré : « Le travail d’un réalisateur consiste à diriger les comédiens et à diriger les spectateurs. »

Cette brève présentation a pour objectif de pointer les étapes majeures dans la conception et la fabrication d’une œuvre cinématographique. La particularité dans cet art, c’est qu’il ne peut se concevoir seul. Scénariste, réalisateur, producteur travaillent ensemble dès lors que le projet s’engage sur les voies de la concrétisation. Bien sûr, il existe des cas spécifiques où c’est la même personne qui occupe ces trois fonctions fondamentales. Mais comme le disait Jean Gabin (sur un tout autre sujet) dans le film « Le Président » : « Il existe aussi des poissons volants, mais ce n’est pas la majorité du genre. » 

De cet état de fait, de cette nécessaire collaboration, pour qu’un film puisse exister, il en résulte que si la franc-maçonnerie doit apparaître de façon lisible de quelque manière que ce soit dans une narration cinématographique, cela ne peut se concevoir que si les trois principaux artisans d’une production d’un film s’entendent, tant sur la forme que sur le fond et sans ambiguïté, pour qu’il en soit ainsi.

En revanche, et c’est là tout le propos de ce texte, la franc-maçonnerie peut être omniprésente dans un film dès lors que ce n’est plus dans ce qu’elle peut avoir de visible dans le récit, mais qu’elle fait partie de la matière première du film : La pensée maçonnique portée par au moins l’un des trois artisans fondateurs du film.

Caméraman tournant une scène extérieure
Caméraman tournant une scène extérieure

Ainsi, le lien ente franc-maçonnerie et cinéma se décline au même titre que se déclinent franc-maçonnerie et éducation, politique, entreprise, culture, et tous les autres domaines de l’existence. La pensée maçonnique qui habite et éclaire les francs-maçons rejaillit et devient déterminante dans ce qu’ils sont et dans ce qu’ils font.

Le cinéma maçonnique n’échappe pas à la règle. Il est donc celui qui est conçu et porté par des frères et sœurs et dont la vie maçonnique a développé et/ou accentué l’apprentissage continu à progresser dans leur compréhension des philosophies, des sciences, des arts et des cultures, qui poursuivent sans relâche leur réflexion sur l’éthique et la morale, qui encouragent la liberté de pensée et d’expression, qui défendent et mettent en pratique l’idée que tous les êtres humains sont frères et sœurs et méritent le même respect et la même considération, qui traitent tous les individus avec équité et justice, qui travaillent à promouvoir la justice sociale, pour lesquels la quête de la vérité est une valeur fondamentale et l’honnêteté valorisée tant dans les actions que dans les intention, qui célèbrent la diversité des opinions, des croyances et des cultures, qui développent au quotidien leur capacité à écouter et à comprendre les autres, qui s’engagent à travailler sur eux-mêmes.

Ce travail qui ne trouve pas de repos où se côtoient à chaque instant convictions et doutes dans un mouvement perpétuel et vivant fait de respirations et de pulsations vient nourrir la création cinématographique.

Ainsi, chaque franc-maçon cinéaste, au même titre que ses frères, sait qu’il se situe, comme tout individu, sur l’éventail de ce qui constitue l’humanité. Qu’à ce titre, il est fait des mêmes forces et faiblesses, des mêmes courages, peurs et lâchetés. Et que sa seule différence, laquelle paradoxalement le lie d’autant plus aux autres, est qu’il le sait et que ce savoir constitue et devient source de ses devoirs.

Le cinéma maçonnique aborde avec le même respect tous les genres de films. De la comédie au drame, du thriller au fantastique, quel que soit le sujet, le traitement, l’époque. Le cinéma maçonnique préconise la lucidité et ne cherche à aucun instant à instrumentaliser cet art pour en faire un outil de propagande.

Le cinéma maçonnique est celui qui est porté par des francs-maçons qui savent que le présent est constitué des actes qui doivent réparer le passé quand celui-ci doit l’être, des actions qui permettent de construire un futur aux valeurs maçonniques universelles et tout cela dans la fluidité et la bienveillance de l’instant, avec la force et le courage de ce qui est juste.

Le cinéma maçonnique est une source dont la spécificité et la nature de l’eau n’est pas réservée aux maçons, mais à tous, initiés ou non. 

Le cinéma maçonnique est celui qui est fait par des frères et des sœurs sans que les films ne contiennent obligatoirement une référence affichée (ou sous-entendue) à un rituel, un symbole et/ou un signe distinctif visible par un profane ou un initié.

Dans quelques semaines, le 28 août 2024 sort sur les écrans « La Prisonnière de Bordeaux », réalisé par Patricia Mazuy avec Isabelle Huppert et Hafsia Herzi. Ce film, dont je suis co-auteur du scénario, est né, il y a une quinzaine d’années.

Un jour que je me rendais en voiture dans une ville du Nord, pour une raison que j’ai oubliée, une déviation obligeait les automobilistes à quitter plus tôt que souhaité l’autoroute. Comme les autres, comme tous les autres, je suivais ce nouvel itinéraire qui m’a fait entrer dans cette ville par une large avenue qui longeait la Maison d’Arrêt. En passant devant l’entrée principale de l’établissement pénitencier, se trouvait une file d’attente constituée d’une quinzaine de femmes qui attendaient l’ouverture des portes pour se rendre aux parloirs. Il y en avait des jeunes et des moins jeunes. Certaines portaient de lourds sacs de toile.

Compte tenu de l’embouteillage consécutif à la déviation, je me suis retrouvé arrêté au niveau de cette file d’attente. J’étais gêné. J’avais à la fois envie de regarder ces femmes qui allaient rendre visite à un détenu et à la fois, je n’osais pas les fixer. Elles étaient bien sûr innocentes et leur lien avec un compagnon, un mari, un fils, un frère, un parent ou ami emprisonné ne faisait pas d’elles des coupables. Et pourtant, elles étaient à mes yeux bien différentes que si elles avaient toutes attendu l’ouverture d’un magasin, d’un bureau administratif ou la sortie d’une école. Il était évident qu’elles portaient une forme de culpabilité. Elles devenaient, par mon regard, complices du coupable simplement parce que solidaire par leur seule présence devant cette grande porte fermée.

Cet instant de vie aurait pu glisser sur moi. Et ce ressenti s’arrêter là. Mais voilà. Ma vie maçonnique avait amplifié ou développé en moi ce regard que je porte sur mon propre regard. Il y avait du jugement dans l’air et je m’interrogeais presque aussitôt sur cette forme de sentence. Et puis, très vite, j’ai compris et ressenti que si je les regardais ainsi, par ce regard entaché de moralité, beaucoup d’autres devaient les regarder comme moi, les juger comme moi, les condamner comme moi.

C’est de cet instant qu’est née l’idée du film. De l’importance de comprendre mon regard. De l’obligation d’avouer ce premier réflexe de jugement tout aussi injuste qu’intempestif, la nécessité de savoir.

Le reste, tout le reste, constitué du travail de recherche, de rencontres, d’écriture, d’espoir, de renoncement, de doute, de réécritures, d’enthousiasme, d’entêtement même parfois a trouvé son épanouissement dans ce film qui sort en salle dans quelques semaines. Tout est né du désir de remettre en question ce premier regard, ce regard commun, humain, mais commun.

C’est en cela que ce film est à mes yeux un exemple de film maçonnique. Et pourtant, le spectateur n’y trouvera aucun symbole, aucune référence, aucun lien à un rituel. Mais en proposant ce travail au plus grand nombre, par le récit et les points de vue exprimés, par la qualité des artistes interprètes, des artistes techniciens, par le talent de sa réalisatrice, l’investissement professionnel et personnel des producteurs, distributeurs, vendeurs à l’étranger, exploitant et diffuseurs, la pensée maçonnique trouvera le chemin des salles, des salons et autres lieux de visionnage.

C’est donc la manière d’être dans l’existence, que l’on soit auteur, réalisateur, ou producteur qui mène à un cinéma maçonnique.

Dans cette optique, avec un frère, nous avons créé en 2024 Sisma Films. La ligne éditoriale de cette société de productions de films est résolument tournée vers des productions qui répondent à cette exigence et à cette détermination de création de films maçonniques tels que définis plus haut.

Clap de la production du film
Main qui tient le clap de la production du film

Développer, financer, produire et diffuser des œuvres de différents formats (courts, moyens et longs métrages) et de tout genre, (comédies, drames, etc.) en revendiquant cette ligne éditoriale par une sélection minutieuse des projets, qu’ils soient portés par des profanes ou des initiés, par de jeunes talents ou des talents confirmés.

Notre deuxième production, un court-métrage, « Excusez-moi » écrit et réalisé par un jeune auteur réalisateur, Léopold Bellanger et dans lequel deux artistes confirmés, Dominique Pinon et Charlélie Couture ont accepté d’interpréter les rôles principaux, répond parfaitement à nos critères tant sur la liberté de ton dans son extravagance, sa poésie, et sur sa qualité de forme par la présence d’artistes interprètes et techniciens au savoir-être et savoir-faire de belles qualités. Pour ce film, nous avons lancé un financement participatif déductible des impôts à hauteur de 66 % des dons versés et nous vous invitons à aller découvrir ce projet sur le site Touscoprod/Proarti lien : https://www.proarti.fr/collect/project/excusez-moi-2/0

Afin de commencer à nous suivre et participer au développement de cette société, vous pouvez trouver sa présentation via : sismafilms.com

Vous y trouverez également le contact pour nous adresser vos éventuels projets.

(financement participatif, voir affiche ci-dessous)

Pour conclure et mettre autrement en lumière ce lien entre franc-maçonnerie et cinéma, je reprends une partie d’un texte que j’ai écrit pour la Fraternelle des écrivains en novembre 2023. Ce texte tend à montrer l’indissociabilité entre mon travail maçonnique et ma vie professionnelle, et pour illustrer mes propos, je vais me référer au Télos et au Skopos.

Le Skopos étant le but et le Télos la fin, en tant que finalité.

Caméra qui filme un studio
Caméra qui filme un studio

Dans mon cas, si mon but est de faire un film, dès que mon travail est achevé, j’ai atteint mon but. Je devrais donc être heureux ? Mais comme je n’ai plus de but, ce bonheur est bien éphémère. Il durera le temps d’avoir un autre but, de réaliser un autre film. Mais comme disait Camus : « Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. » Donc, en réalité, une fois le film terminé, j’attends de voir la proportion de reconnaissance que mon travail génèrera. Dans mon cas, en tant que cinéaste, cela aura une grande importance puisque cette reconnaissance conditionnera ma possibilité de réaliser ou écrire un autre film. Mais voilà ! Y’a un hic. Je n’ai aucune possibilité d’agir sur l’impact de mon travail achevé dans sa phase d’exploitation.

Je prends donc l’exemple de l’archer (que j’emprunte à André Comte Sponville) si mon but est que la flèche quitte l’arc, dès qu’elle est partie, j’ai atteint mon but. Mais si j’ai une cible en vue, si j’ai un but, je dois attendre de voir où la flèche se plantera. Mais une fois que la flèche est partie, je ne peux plus rien faire. Je ne peux agir sur le vent qui peut venir la dévier, sur la mouche qui peut se retrouver sur son trajet, sur la goutte de pluie qui viendra se déposer sur la flèche durant son parcours ni sur aucun des autres paramètres qui feront que le trajet de ma flèche sera le résultat de mon tir (évidemment), mais aussi de tout ce qui constituera son parcours.

Et c’est, pour ce qui me concerne, le travail en maçonnerie qui m’a permis de me concentrer sur le Telos, la finalité.

Il est possible que ma flèche ait subi sur son trajet des paramètres favorables ou défavorables qui lui est fait, ou pas, atteindre son but, mon but, la reconnaissance. Mais comme disait Flaubert, « le succès n’est pas un but, c’est une conséquence. » Et comme le dit le GODF dans son article premier : « La Franc-maçonnerie a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale et la pratique de la solidarité. »

Objet : recherche, étude et pratique. La franc-maçonnerie n’a pas de but, pas de skopos.

(Du moins ce n’est pas ce qu’elle exprime en premier.)

Et j’ai perçu dans la franc-maçonnerie, le télos, la finalité, ce qui dépend de moi, comment améliorer l’archer que je suis avant que parte la flèche : objet : recherche, étude et pratique. Comment améliorer le scénariste et réalisateur que je suis avant que le film ne soit terminé ?

Caméra en tournage au studio
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Bien sûr, le but a son importance (et la franc-maçonnerie a un but). Le Skopos détermine la direction, il permet de définir le trajet et d’avoir conscience du contexte. Il ne s’agit pas d’agir sans cap, sans orientation. Mais une fois le but précisé, ce qui doit être atteint ne doit pas être confondu avec ce que je peux atteindre.

Ce que je peux atteindre, c’est d’agir pleinement sur ce qui dépend de moi et, au fil des ans, apprécier de plus en plus cet état des choses, cet état d’être. Et être heureux qu’il en soit ainsi. Bien sûr, cela ne me prive pas ou ne me met pas à l’abri des souffrances, des peines, des difficultés, des joies et plaisirs de l’existence. Mais quand j’entre dans la solitude de mon travail, quelqu’en soient les difficultés, les doutes, les errements, je suis serein. Et si, une fois partie, la flèche atteint son but, que le film trouve son public et que la reconnaissance se lève au petit matin comme un soleil de printemps, je veux bien en être fier. Mais je ne confonds pas cette fierté passagère, résultat de mes actions et du hasard et cette sérénité quotidiennement renouvelée dans le travail qui est le mien. À l’ombre des artifices, éternel artisan, je reprends mon travail, celui sur lequel j’ai une réelle emprise et qui s’avère perpétuellement perfectible.

Pour comprendre un auteur en voici ma simple définition :

Un auteur est un individu qui ne prend pas de vacances. Il part écrire temporairement ailleurs.

1 COMMENTAIRE

  1. Article très inspirant MTCF Pierre.°.
    Modeste don fait 😉
    Tribises
    Claude

    PS : nous nous somme déjà rencontré à un déjeuner de la fraternelle des écrivains avec Pierre Santini (acteur principal sur mon film “643… et moi” sur le drame d’Oradour sur glane)

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Pierre Courrege
Pierre Courrege
Pierre Courrège est un réalisateur et scénariste français. Né à Auch (Gers, France) en 1959, ce réalisateur commence ses études de cinéma en Italie. Après une expérience d'assistant réalisateur, il se lance dans ses propres créations avec La Cible, une comédie d'action. Viendront ensuite des co-écritures pour le cinéma (Livraison à Domicile) et la télévision (Mer Calme mort agitée). En 2011 il signe avec François Bégaudeau le scénario d’Un Homme d'État dont il assure également la réalisation. Le film est en compétition officielle au "Festival des Films du Monde" de Montréal en 2014 ainsi qu'en présentation dans différents festivals en France. Sélectionné par Unifrance Films et Picturehouses (UK) le film participe à "Summer of French Films in UK" à Oxford, Cambridge et York en juillet et août 2015 et sort en France le 15 juin 2016.

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