lun 06 mai 2024 - 10:05

Le mot du mois : « Réserve »

Droit ou devoir de réserve ?

Il s’agit toujours de faire attention. Le très ancien sémantisme *wer-/*swer- signifie diriger sa vue sur, surveiller. Les aléas phonétiques, très complexes, offrent une palette variée de mots grecs ou latins. Panorama, pylore. Et surtout le vaste champ latin de la vérité, crainte religieuse, respect. Tout ce qui est avéré, véridique, vérifiable, vrai, et leurs avatars lexicaux.

L’espace en est d’autant plus développé qu’il se combine avec un autre sémantisme proche, peut-être issu des Etrusques, *servus, initialement le gardien de troupeau, puis l’esclave serf auquel est confiée une telle tâche. Gardien de la porte qui voit tout, donc concierge. Esclave, donc asservi.

Une alliance lexicale aussi avec *servare,garder, diversement préfixé.

On conserve, observe, préserve, réserve.

Les divers parlers germaniques utilisent le même sémantisme sous la forme *war-/ward-. D’où sont issus la garantie, la garde,la gare, le lapin de garenne, la garnison. Et aussi tout ce qui relève de la guérison, des égards envers autrui.

En somme, le regard sur le monde alentour, l’attention soutenue.

La phonétique historique réserve toujours bien des surprises pour le lecteur contemporain !

Alors droit ou devoir de réserve ?

La question mérite d’être posée, surtout dans nos sociétés de délitement démocratique et d’individualisme forcené, où chacun y va de son commentaire, de sa dénonciation, de sa hargne physique et verbale. Sociétés du tac-au-tac, sans attention ni prévention.

Qui, en privé ou en public, prend vraiment le temps de la réserve avant de s’emparer de la parole ? “Je réserve mon commentaire, mon jugement “, c’est-à-dire je reste sur mon quant-à-moi, je revendique le droit de ne pas savoir, le droit de me taire, de ne pas me prononcer sur un sujet qui n’est pas de mon ressort, dont je ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants.

Ce droit à la discrétion s’assortit du devoir de réserve imposé déontologiquement aux fonctionnaires, aux commis de l’Etat, qui suppose le respect, de l’intimité, de la chose publique, des décisions confidentielles utiles au bien commun, en refusant le déballage et l’indécence médiatiques.

C’est ainsi que se constitue une salutaire réserve, de réflexions, d’arguments, de nourritures du corps comme de l’esprit.

De souffle et de respiration, comme cette outre en vessie animale à réserve d’air, ancêtre de la cornemuse.

Au chapitre des étranges réserves, on ne saurait se priver du plaisir d’évoquer Saparmyrat Niyazov (1940-2006), éminent despote au panthéon des délirants de tout poil, qui promulguait sans frein les interdits qui frappaient le Turkménistan : interdit de porter des dents en or, de doubler les films étrangers, de fréquenter toute bibliothèque, entre nombre d’autres aussi excentriques. Il allait jusqu’à proscrire l’emploi du mot « vieux », puisque selon lui, dès 61 ans, on entre dans « l’âge prophétique » et, à 73 ans, dans l’âge « inspiré ». Mais il manqua sûrement d’air puisqu’il mourut à 66 ans, non sans avoir résolu d’installer une réserve de pingouins dans le désert du Karakum…

Annick DROGOU

Avec ou sans réserve ? Sous toute réserve en attendant d’apporter sa réponse définitive. Sur la réserve, en arrêt avant d’oser agir. Tout cela pourrait bien n’être qu’habileté, prudence de chat ou pusillanimité. Mais c’est toujours un empêchement provisoire qui porte en lui la méfiance, le soupçon.

Alors agissons sans réserve. Pourquoi toujours mettre des conditions, fixer des clauses restrictives ? Qu’avons-nous à perdre ? Tout à gagner, sans exclusion, ni exclusive. Sortez-moi des réserves, dit l’œuvre d’art oubliée par le conservateur du musée. Bannissez les enfermements et les réserves d’Indiens, clament ceux qu’on exclut pour mieux les protéger.

Soyons définitivement courageux, sans le prétexte du devoir de réserve.

Mais pensons avec réserve. Comme avec crainte. La crainte, qui n’est pas la peur mais seulement la pudeur et le respect, la circonspection et la retenue. Avec réserve, pour ne pas être indiscret, pour ne pas être l’éléphant dans le magasin de porcelaine. C’est ce qu’on appelle le tact, toucher sans maltraiter. Et puis toujours réserver le meilleur, non pour le cacher mais pour bien le montrer, tant de réserves de bonté dont nous sommes les réservataires. Plus abondantes que les réserves de la Banque de France qu’il ne tient qu’à nous de partager.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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