mer 08 mai 2024 - 07:05

L’Idée de Dieu et le Franc-Maçon

Nos lecteurs connaissent déjà Lucien Millo. Le 1er novembre 2022 nous présentions, ici-même, son ouvrage, chez LiberFaber, intitulé Petit manuel de symbolisme écossais dans les Hauts Grades du 4e au 30e degré, ainsi que, le 8 novembre 2022, L’Amour et le Franc-Maçon. Il nous avait aussi livré ses réflexions quant à l’engagement.

Rappelons que Lucien Millo est franc-maçon de la Grande Loge Nationale Française (GLNF) depuis plus de vingt-cinq ans où il a occupé plusieurs postes importants en sein, notamment comme Précepteur du Rite Écossais Ancien et Accepté, Grand Orateur, et Assistant Grand Maître Provincial de la Province Alpes-Méditerranée et a aussi été, un temps, membre du Conseil d’administration de l’obédience. À travers ses fonctions, il a acquis une compréhension approfondie des principes initiatiques enseignés dans l’art royal. Ses écrits reflètent son émerveillement et sa réflexion profonde sur les rituels maçonniques et leur signification, qu’il considère comme contenant la quintessence de la sagesse​​.

Blason de la Grande Loge Provinciale des Terres du Temple.

Permettez-nous aussi de présenter le préfacier de son dernier opus, le très respectable frère Jean Ouillac, grand maître provincial des Terres du Temple, une province fondée en décembre 2012 qui portait auparavant le nom d’ « Albi-Quercy-Rouergue », correspond aux quatre départements : Aveyron, Lot, Tarn et Tarn et Garonne.

Ancien chef d’entreprise, Jean Ouillac est maçon depuis plus de 28 ans et membre à vie du Souverain Grand Comité (SGC) de la GLNF,  un des organes de gouvernance de ladite obédience.

Terres du Temple, une belle et très dynamique province composée de plus de mille frères répartis en 52 loges. Elle s’inscrit définitivement entre tradition et modernité dans la dynamique de la GLNF.

Jean Ouillac nous confie qu’il s’agit d’un ouvrage très complet. Nous le croyons bien volontiers. Pour preuve, la richesse de la table des matières et ses quatre chapitres : « Tentative d’approche de l’idée de Dieu au risque des concepts philosophiques, métaphysiques et théosophiques » ; « Tentative d’approche de l’idée de Dieu au risque des concepts religieux » ; « Tentative d’approche de l’idée de Dieu au risque des concepts scientifiques » et « Tentative d’approche de l’idée de Dieu au risque des concepts initiatiques et maçonniques ».

Avant de les reprendre dans l’ordre, posons-nous la question de savoir ce qu’est l’idée de Dieu.

La Création des étoiles et des plantes (Michel-Ange), détail.

C’est ce que Lucien Millo, dans son chapitre liminaire, nous décrit avec « La naissance de l’idée de Dieu ».

En effet, pour les Hommes qu’est-ce que Dieu ? En vérité, la question de ce que Dieu représente pour les humains est profondément personnelle et varie largement en fonction des croyances individuelles, des traditions religieuses, des contextes culturels et des expériences personnelles. Elle est complexe et multidimensionnelle. Pour les croyants monothéistes (comme dans le judaïsme, le christianisme et l’islam), Dieu est souvent perçu comme le créateur de l’univers, un être suprême, tout-puissant, omniscient et bienveillant, qui guide et influence la vie de ses fidèles. Il en est tout autre dans le polythéisme (comme dans certaines formes de l’hindouisme, de la mythologie grecque, etc.), le panthéisme, ainsi que pour les agnostiques, et les athées, mais ceci est une autre histoire…

L’Urizen de Blake, détail.

L’auteur trace la voie entre philosophie et théologie. Dieu peut être abordé comme le fondement ultime de l’être, la première cause, ou l’explication ultime de l’existence et de la moralité. Pour le maçon, il sera Grand Architecte de l’Univers (GADLU).

L’auteur fait un tour d’horizon de la notion de Dieu dans le monde antique. Chez Platon, l’idée de Dieu, ou du divin, est intimement liée à sa théorie des Formes ou des Idées, qui sont les archétypes parfaits et immuables de toutes les choses existantes.

Tête en marbre blanc. Ostie, env. 436. Identification de Plotin plausible mais non prouvée.

Plotin, lui, offre une vision de Dieu qui s’éloigne de l’anthropomorphisme et s’approche d’une conception absolument transcendantale. Pour le philosophe néoplatonicien, Dieu est l’Un, ou le Bien, la source ultime de tout être et la réalité la plus haute. L’Un est au-delà de l’existence et de l’essence et n’est pas un être parmi d’autres, mais plutôt la condition préalable à l’existence de tout.

Chez Aristote, le concept de Dieu en tant que Premier Moteur Immobile et Cause Première est central à sa métaphysique. Dieu est conçu comme la réalité ultime qui cause le mouvement sans être lui-même en mouvement. En tant que Cause Première, Dieu est la raison d’être de tout ce qui existe dans l’univers. Il est immuable, éternel, et parfait. Pour Aristote, le Premier Moteur attire toutes choses en tant que l’objet ultime du désir et de l’aspiration, mais il le fait sans passion ni changement, étant pure actualité sans potentialité.

André Comte-Spontville – Source GLDF.

Lucien Millo couvre aussi la période moderne et aborde les points de vue de Descartes, Pascal, Spinoza, Leibnitz, Kant, Nietzche, Heidegger, Levinas, Comte-Sponville et chez le métaphysicien et écrivain René Guénon avec sa notion « Dieu “l’Unique sans second” ». Ce dernier a apporté une contribution significative à l’étude des traditions spirituelles et des doctrines ésotériques. Dans sa métaphysique, l’expression « l’Unique sans second » fait référence à l’absolue transcendance et unicité de la réalité suprême, qui est au-delà de toute manifestation et de toute multiplicité.

L’auteure, dans sa deuxième partie, englobe l’idée de Dieu en commençant par le pharaon de l’Égypte antique Akhénaton – célèbre pour avoir instauré le culte d’Aton, le disque solaire, et promu ce qui est souvent considéré comme l’une des premières formes de monothéisme. L’idée de Dieu chez Akhénaton était celle d’un être universel, omniprésent, et bienveillant qui se manifestait à travers le soleil, essentiel pour la vie et le bien-être de tout ce qui existe. Le chapitre s’achève avec

L’Urizen de Blake, détail.

La passionnante étude de Dieu sous le prisme de l’ésotérisme religieux. Il explore ainsi les enseignements cachés (kabbale juive, ésotérisme chrétien et soufisme). Cette approche ésotérique tend à se concentrer sur une compréhension intérieure et mystique de Dieu, distincte des interprétations exotériques ou populaires.

Plus délicate est l’interprétation par l’auteur de l’idée de Dieu aux risques des concepts scientifiques.

Cette question, complexe, a donné lieu à de nombreux débats. D’une part, il y a ceux qui soutiennent que les découvertes scientifiques, en expliquant les phénomènes naturels sans recourir à des explications surnaturelles, minent la croyance en Dieu. D’autre part, il y a ceux qui voient dans la science une manière d’approfondir leur compréhension de l’œuvre divine, la complexité et l’ordre de l’univers renforçant leur foi.

Lucien Millo aborde même les preuves scientifiques de l’existence de Dieu, une question généralement considérée comme relevant de la métaphysique, de la théologie ou de la philosophie, et non de la science empirique… Il s’appuie sur les écrits de Rivarol, Newton, Voltaire, Lord Kevin, Pasteur ou encore Einstein.

Mais c’est sans doute la quatrième et dernière partie, la plus importante puisque composée de 208 pages, s’intitulant « Tentative d’approche de l’idée de Dieu au risque des concepts initiatiques et maçonniques » qui aiguisera la sagacité du lecteur.

Un chapitre qui s’ouvre avec notamment la querelle entre Anciens et Modernes, analysant les deux courants de pensée maçonniques dans l’Angleterre du XVIIIe siècle… Une querelle finalement résolue par l’union des deux Grandes Loges en 1813 pour former la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), harmonisant ainsi les pratiques maçonniques.

L’auteur s’attache aussi à bien définir théisme et déisme, deux croyances concernant la nature de Dieu et sa relation avec l’univers. Les théistes croient en un Dieu personnel et impliqué dans le monde et la vie des individus, les déistes croyant, eux, en un Dieu qui a créé l’univers mais qui ne s’implique pas directement dans celui-ci ni dans la vie de ses créatures. Lucien Millo décrit ensuite els différentes perception de Dieu dans deux rites .

Le Rite Anglais Style Émulation permettant aux maçons de diverses croyances de se réunir sous un symbole commun de la divinité, sans spécifier une interprétation particulière.

Quant au Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), un des rites maçonniques le plus pratiqués en loge bleue, il en analyse le mystère divin. Utilisant symboles et allégories, le rituel invite à la réflexion sur la nature de Dieu, sans imposer de doctrine spécifique. Les frères sont encouragés à méditer sur les aspects insondables du divin et à poursuivre leur quête personnelle de la vérité spirituelle. Au REAA, l’existence d’un principe créateur suprême, souvent désigné sous le terme de Grand Architecte de l’Univers, symbolise l’ordre et l’intelligence à l’œuvre dans la création.

Lucine Millo ne peut faire l’impasse sur le Grand Architecte de l’Univers, qui est Dieu, pilier central de la franc-maçonnerie dite régulière et de tradition. Il sert de symbole au principe créateur et ordonnateur, permettant aux francs-maçons de différentes foi de se réunir sous un concept commun sans spécifier une interprétation théologique particulière. Cela reflète l’approche non dogmatique de la franc-maçonnerie en matière de spiritualité, où la recherche personnelle de la compréhension de la réalité spirituelle est encouragée dans un cadre de tolérance et de fraternité universelle.

Il nous détaille ensuite les différentes représentations symboliques de Dieu en loge : lumière principielle – métaphore de la connaissance, de la vérité et de la divinité –, delta rayonnant – l’œil tout-voit, symbole du GADLU et de sa nature omnisciente – et Volume de la Loi Sacrée (VLS),  élément essentiel présent dans chaque loge lors des tenues.

Après nous avoir instruit de la conception maçonnique de Dieu sous le prisme mystique – de la croyance à la Foi, de la transcendance et de l’immanence, des vertus théologales, etc. –, l’auteur s’intéresse à la représentation iconographique de dieu pour les francs-maçons. Elle est habituellement abstraite et symbolique plutôt que figurative. L’une des représentations les plus courantes est l’œil de la Providence, généralement entouré de rayons de lumière et situé à l’intérieur d’un triangle. Ce symbole est interprété comme le regard de Dieu sur l’humanité.

Mais Lucien Million nous décrit la célèbre aquarelle de l’artiste et poète britannique du XVIIIe siècle William Blake « The Ancient of Days », seule illustration couleur de l’ouvrage. Elle représente une figure divine, souvent interprétée comme le Dieu chrétien ou une représentation de l’Urizen de Blake, un être associé à la raison et à la loi. La figure est souvent vue en train d’étendre un compas sur les profondeurs du chaos, symbolisant l’ordre divin imposé à l’univers. C’est une image emblématique qui a été largement discutée dans les études de l’art romantique et de la symbolique religieuse.

En conclusion, nous pouvons affirmer que L’Idée de Dieu et le Franc-Maçon, sous-titré « Quand la Foi devient source de Spiritualité », est un livre à la fois pertinent et éclairant. Il offre une exploration approfondie de la thématique abordée, fournissant des réponses nuancées et des informations bien recherchées qui enrichissent la compréhension du lecteur. Cela témoigne de la qualité de la recherche et de l’expertise de l’auteur sur le sujet. Un beau cadeau en cette fin d’année 2023 ! Lucien Millo, un Frère précieux. Ainsi va la Franc-Maçonnerie !

L’Idée de Dieu et le Franc-MaçonQuand la Foi devient source de Spiritualité 

Lucien MilloLiberFaber, 2023, 556 pages, 25 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti est directeur de la rédaction de 450.fm. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans une grande banque ancrée dans nos territoires. Petit-fils du Compagnon de l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis (UC) Pierre Reynal, dit « Corrézien la Fraternité », il s’est engagé depuis fort longtemps sur le sentier des sciences traditionnelles et des sociétés initiatiques. Chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France (IMF) et médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France), il collabore à de nombreux ouvrages liés à l’Art Royal et rédige des notes de lecture pour plusieurs revues obédientielles dont « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France et « Perspectives » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain ou encore « Le Compagnonnage » de l’UC. Initiateur des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, il en a été le commissaire général. En 2023, il est fait membre d'honneur des Imaginales Maçonniques & Ésotériques d'Épinal (IM&EE).

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