jeu 28 mars 2024 - 23:03

À la découverte de… Pierre Mouzat, sculpteur et Franc-Maçon

450.fm a obtenu une interview exclusive de Pierre Mouzat, né en 1958 à Brive-la-Gaillarde (Corrèze), qui a rejoint, en 2013, les artistes labellisés Maecene Arts.

Dans les années 70 il découvre la sculpture dans l’atelier de Jean Loup Delaroche à Loudun et suit des cours de dessin à l’Académie de Jacques Gabriel Chevalier.

Blason de Brive-la-Gaillarde

Après un diplôme de l’école Boulle (École supérieure d’arts appliqués) à Paris, major de sa promotion en sculpture, il se consacre à la décoration d’intérieur pendant 15 ans. Revenu à sa première passion, en 1999 il est le lauréat d’un concours national pour la réalisation du buste de François Mitterrand (1916-1996) érigé Espace François Mitterrand à Château-Chinon (Nièvre), sur la Promenade.

Pierre Mouzat expose dans de nombreuses galeries et différents salons d’art contemporains en France, à Londres, à Stockholm, à Karlsruhe, à Beyrouth…

Pierre Mouzat est choisi en 2021 pour réaliser un bison monumental à Brive, surnommée « Le riant Portail du Midi », inauguré dans le Parc Simone Veil, le 25 juin 2022.

Le bison et sa symbolique

Le bison, animal à la fois mythique et mystique pour les Amérindiens, nous enseigne les lois de l’abondance universelle. Dans la Roue Médecine, le bison est le gardien de la porte du Nord. Cette dernière est celle des Ainés, de la Sagesse, des Enseignements Sacrés et finalement du bon et juste comportement que chacun devrait avoir avec tout et tous.

Le bison montre la voie de la générosité, du partage, de l’esprit communautaire, du respect de soi, des autres et des valeurs.

Insigne du 126e RI

Ici, c’est la Corrèze… Ici, c’est un bison pour Brive

Insigne de béret – infanterie

La sculpture monumentale a été inaugurée samedi 25 juin à 10h place Simone Veil, au cœur de l’ancienne caserne Brune, fief historique des Bisons du 126e régiment d’infanterie, présent à Brive depuis 116 ans et dont les missions sont la projection à l’étranger, l’intervention avec une spécialisation dans les déploiements d’urgence surtout amphibie et une contribution, sur le territoire national, à la sécurité de la population. Le bison est l’emblème du régiment.

Un colosse lourd d’une tonne

Cette sculpture en bronze a dû être moulée en pièces détachées. Un défi dû aux dimensions de ce colosse : 1,80 mètres au garrot et trois mètres de long. « Il y avait 22 morceaux de bronze qui ont été remontés. Cette patte par exemple a été entièrement remontée, et il ne faut pas qu’on voit les soudures », explique Pierre Mouzat.

5e drapeau du 126e RI

450.fm a obtenu une interview exclusive de Pierre Mouzat.

Sceau GODF

Frère à talent s’il en est, notre très cher et bien-aimé Pierre est le Vénérable Maître de la Loge La Fraternité, pratiquant le Rite Français, l’Orient de Brive. Une loge du Grand Orient de France, fondé en 1867.

450 : Pierre Mouzat, vous êtes un enfant de ce beau pays de Brive « riant portail du midi », en Corrèze. Pouvez-vous nous raconter votre parcours en tant que membre d’une famille d’artistes bien particulière : celle des sculpteurs.

Le Bison du 126e RI

Pierre Mouzat :Effectivement je suis né en Corrèze , plus précisément à Chanteix. 

Dans ma vie, une catastrophe a été déterminante, puisque j’ai perdu mon père d’un accident de voiture à l’âge de 11 ans. Jusque-là, j’étais un bon élève , et en 4e, suite à ce choc émotionnel, je n’ai rien foutu et je me suis fait viré. 

Ma mère, veuve m’a demandé ce que je voulais faire comme métier… je lui ai répondu, coiffeur ou ébéniste. Elle m’a répondu, le premier patron d’apprentissage que je trouve seras le bon. Et elle a trouvé un ébéniste qui faisait de la sculpture sur bois. 

450 : Comment avez-vous commencé ?

PM : Après cette première tentative où cet artisan qui faisait de la série ne m’a pas appris grand-chose , mais au moins j’ai découvert la sculpture. Je suis ensuite parti à Loudun dans la vienne chez Jean-Loup Delaroche qui m’a non seulement appris le b.a.-ba de ce métier mais qui m’as transmis sa formidable passion. En parallèle, je suivais des cours de dessin chez Jacques Chevalier, professeur à l’académie des beaux-arts à Brive. 

Et ses deux hommes, m’ont préparé pour le concours d’entrée à l’école Boulle à Paris. Et miracle j’ai été reçu . 

L’artiste à l’œuvre

Après mon diplôme de l’école Boulle, fin des années 70, la mode a changée et nous sommes passés du Louis XIV, Louis XV, Louis XVI (mobilier avec de la sculpture) au Louis Philippe (pas de sculpture).

Il ne me restait que deux solutions pour exercer ma sculpture : 

  1. professeur dans une école de sculpture ou 2.   à la restauration dans un musée. 

Aucune de ses hypothèses s’étant présentées, et avec mon diplôme de l’école Boulle, je suis rentré dans des magasins d’ameublement.

J’ai travaillé dans le mobilier en tant que décorateur/vendeur. 

C’est comme ça que j’ai travaillé pour Cinna , Roche Bobois, Musterring, Mobalpa, etc.

Sculpture Pierre Mouzat

450 : Quel a été votre déclic ?

PM : Début des années 1990, il y a 2 éléments qui vont faire que je vais revenir à la sculpture 

Monde du travail avec toujours plus de marge, de rentabilité, de pressions au chiffre 

Envie de répondre , le jour de ma mort à une question : aurai-je pu vivre de la sculpture ? 

Alors, j’ai tout laissé tomber et je suis revenu à mon premier métier . 

Inauguration Parc Simone Veil, le 25 juin 2022.

450 : Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

PM : Ma sculpture, par rapport à mon traumatisme parle de la fragilité de la vie…

Mort de mon père et de mon frère, ça marque forcément. Ma sculpture est l’être et non le paraître 

La construction d’un individu est faite par les vides et les manques beaucoup plus que par les pleins 

Toujours ces manques qui construisent . D’où ma sculpture décharnée et fragile. 

Mais à contrario, mes personnages, mes animaux tiennent en équilibre, sans socles. 

On dit de moi que je suis le sculpteur de l’équilibre… 

Cette sculpture peut être dérangeante, car elle nous met face à notre propre finitude, face à notre déchéance et face à la mort. 

Inauguration Parc Simone Veil, le 25 juin 2022.

450 : Quels sont les matériaux que vous préférez travailler ?

PM : Je travaille du plâtre, de la terre ou de la cire. Mais mes sculptures sont toutes en bronzes. Bronzes à la cire perdue.

450 : Pour vous, que représentent les enjeux d’une œuvre ?

PM : Une œuvre d’art doit avant tout véhiculée une émotion… Tout le reste c’est de la philosophie. 

450 : Quelle est la genèse de cette sculpture monumentale qu’est le bison du nouveau quartier Brune, à Brive-la-Gaillarde ?

PM : Le bison est l’emblème du 126e régiment d’infanterie de Brive. 

La caserne ayant déménagée , ce bison 🦬 marquera l’emplacement de ces anciennes casernes à Brive . 

450 : Artistiquement parlant, quels sont tes projets ?

PM : J’ai des projets d’exposition, Toulouse, Genève, etc. 

Quant à mes projets, certains sont encore secrets, c’est la raison pour laquelle je vais rester discret .

Plan de l’Atlas des routes levé à la demande de Daniel-Charles Trudaine, vers 1760. Sur ce plan, le nord est à gauche.

450 : Et la franc-maçonnerie dans tout cela ?

Quels sont, pour vous en votre qualité d’artiste, les principaux apports de l’Art Royal ?  A-t-il une influence sur vos œuvres ?

PM : La franc maçonnerie est pour moi le prolongement de la maçonnerie opérative. 

En effet , la plupart des maçons n’ont qu’une idée symbolique de nos outils, et ne s’en sont jamais servis☺️. La maçonnerie est une belle école de vie pour mettre en application les valeurs forte de notre humanité. 

Je suis actuellement le vénérable maître de ma loge : la fraternité . Et j’espère insuffler cette part d’opératif dans nos réflexions. 

Sculpture Pierre Mouzat

Car trop souvent dans la vie nous entendons des personnes expliquer comment faire ce qu’ils n’ont jamais fait. 

Pour mieux nous éclairer encore sur la carrière et les œuvres de notre Frère à talent Pierre Mouzat, nous vous laissons prendre connaissance de sa « démarche artistique ». On appelle « démarche artistique » un court texte qui explique le cheminement, les intentions, les objectifs de création et de production d’un artiste.

La démarche artistique de Pierre Mouzat

« Dans ma sculpture, c’est le corps qui fait matière, c’est ce qui est premier. Que ce soit des corps humains ou d’animaux.

Sculpture Pierre Mouzat

Des corps qui osent revendiquer un vécu.

Et de cette vie, apparaît une usure matérialisée par des vides, comme autant de manques. Ces manques qui nous construisent beaucoup plus que nos pleins.

Quelques drames liés à des pertes ont certainement contribues à faire naître une peur viscérale de la mort…

Or vieillir… c’est vivre.

Mes sculptures sont des espaces intimes car elles sont le reflet de nos blessures, de nos angoisses de mort, de notre finitude et de notre part d’animalité.

Sculpture Pierre Mouzat

Cette condition faite à l’homme que son sort a contraint à trébucher, tomber et se relever sans cesse, sans que la résignation ne l’emporte complètement.

Et c’est pour cette tragique condition humaine, que l’on ne peut avoir un peu de compassion.

Inauguration Parc Simone Veil, le 25 juin 2022.

Je sculpte à fleur de peau et c’est l’enveloppe corporelle qui fait sens.

Je sculpte des corps, des corps humains ou d’animaux, toujours des corps, ici aucune abstraction.

C’est le corps qui fait matière, c’est ce qui est premier. Des corps qui peuvent et osent revendiquer un vécu . Des corps ou la chair quitte les os. Des corps usés, décharnés.

Sculpture Pierre Mouzat

Et c’est de cette usure que naît le vide. Ce vide qui évoque le manque, les manques qui nous construisent. Et ce sont certainement ces manques beaucoup plus que les pleins qui construisent un individu.

Mes sculptures sont le reflet de nos blessures et de notre part d’animalité.

Cette absence et ce vide disent de notre difficulté d’aimer, de l’impossible partage et de notre solitude face à soi-même.

Sculpture Pierre Mouzat

Et c’est pourquoi nous nous reconnaissons dans nos angoisses de mort, au travers de notre souffrance et de notre condition humaine si tragique.

Ce qui explique que la première vision de ces corps provoque une mise à distance de l’observateur. Mise à distance par l’inexistence de rondeur.

Inauguration Parc Simone Veil, le 25 juin 2022.

Aucune familiarité, aucune esthétisation.

Car même si l’esthétisation reste subjective, je veux parler de celle qui est la norme de notre époque et par conséquent la norme sociale. Aujourd’hui le modèle se doit d’être jeune, beau, respirant la santé et la performance. En quelque sorte, surmonter les lois de la nature. Et de fait, il traduit de notre refus actuel de la finitude, de la temporalité et de la possibilité même de notre propre mort.

A contrario, avec ma sculpture, j’ai envie de dire,  acceptons le réel, regardons-nous en face et osons accepter notre part d’humanité ou du moins ce qu’il en reste.

Et même si mes corps ont vus l’impensable et qu’ils gardent, au plus profond, quelques secrets , ils traduisent la condition faite à l’homme que son sort a contraint à trébucher, tomber et se relever sans cesse, sans que la résignation ne l’emporte tout à fait.

Raison d’espérer ? Peut-être… peut-être pas…   mais affronter cette petite part d’humanité est l’unique façon de l’améliorer.

Caserne Brune, ancienne caserne de stationnement du 126e régiment d’infanterie, Brive-la-Gaillarde.

Mon violoncelliste usé tout comme son instrument dit quelque chose du corps pour produire du beau et atteindre le spirituel. Mais il dit surtout que c’est toujours la même musique… sous-entendu que nous répétons toujours les mêmes erreurs.

Sculpter est une façon de donner forme à l’informe, d’agréger cette alter matière afin d’essayer de capter cette lumière noire pour montrer ce qui s’enfuit, ce qui nous échappe inexorablement.

Sculpture Pierre Mouzat

Et s’il est une chose qui nous échappe , c’est bien le temps.  Lorsque j’étais enfant j’avais l’impression qu’il m’échappait, me semblait insaisissable et surtout plus court.

Et même si: « les hommes disent que le temps passe, le temps lui dit que ce sont les hommes qui passent ». Cette idée me paraît tellement juste qu’elle me réconcilie avec Cronos et son sablier.

Maintenant sur un plan plus technique dans l’acte de sculpter.

Tout d’abord, la sculpture est un art en 3 dimensions . Par rapport à la peinture, cette dimension met un sens en éveil et en fonction… le touché.

Le touché, et là encore, quand on est né prématuré, on va en couveuse… et le contact physique est restreint au minimum vital. Est-ce pour compenser que je pratique un art qui met le toucher en avant ? Est-ce encore la traduction d’un manque?

Sculpture Pierre Mouzat

Sur un plan moins philosophique et plus technique. Je pense que dans l’acte de sculpter se mélange deux choses : l’acquis et le ressenti.

L’acquis : j’ai fait un apprentissage de sculpteur complété par un diplôme de l’école Boulle . Ce qui sous-entend des compétences techniques auxquelles s’ajoutent une petite connaissance de l’art avec tout ce qui a pu se faire en matière de sculptures. Le mélange de toutes ces acquisitions fait que l’on est plus ou moins attiré par une forme de sculpture . Je suis plus attiré par Louise Bourgeois, Germaine Richier et Giacometti que par Botero.

Le ressenti : cette attirance complétée par ton vécu engendre des émotions pour un type de sculpture. Et c’est ce mélange qui crée une écriture graphique particulière et personnelle.

Quand on me demande quel est ce réel , je ne parle pas de vérité, mais de réalité. 

De cette réalité qui est que vivre c’est vieillir et mourir .  Notre société préfère se mouvoir dans le paraître plutôt que dans l’être . Ce paraitre qui est par essence faux , ou du moins édulcoré et superficiel .

Alors qu’être, intègre cette fragilité émouvante ou l’homme peut vaciller à tout moment et donne tout son sens à notre condition humaine, et pour laquelle on ne peut avoir qu’un peu de compassion. »

Sources : France 3 ; Le Bison – Ville de Brive http://www.brive.fr/

Pierre Mouzat, sculpteur briviste

Inauguration, ville de Brive-la-Gaillarde, le 25 juin 2022.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti est directeur de la rédaction de 450.fm. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans une grande banque ancrée dans nos territoires. Petit-fils du Compagnon de l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis (UC) Pierre Reynal, dit « Corrézien la Fraternité », il s’est engagé depuis fort longtemps sur le sentier des sciences traditionnelles et des sociétés initiatiques. Chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France (IMF) et médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France), il collabore à de nombreux ouvrages liés à l’Art Royal et rédige des notes de lecture pour plusieurs revues obédientielles dont « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France et « Perspectives » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain ou encore « Le Compagnonnage » de l’UC. Initiateur des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, il en a été le commissaire général. En 2023, il est fait membre d'honneur des Imaginales Maçonniques & Ésotériques d'Épinal (IM&EE).

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