jeu 25 avril 2024 - 04:04

La pensée magique : Magie, Sorcellerie, Alchimie – Les formes de magie (Partie 3/3)

Suite de la partie 2/3 d’hier que vous pouvez redécouvrir sur ce lien

Comment les primitifs concevaient-ils leur rapport au monde ?

Selon les théories du philosophe James George FRAZER (1854-1941) – à la fin du siècle dernier – les premiers hommes pensèrent le monde en deux temps. D’abord ils crurent que leur environnement était commandé par des entités personnalisées et invisibles, à l’humeur changeante, qu’il fallait respecter. Puis ils comprirent la nature comme une succession d’évènements “programmés” se déroulant, jour après jour, dans un ordre invariable, sans influence aucune d’agents personnifiés.

 Cette dernière conception – encore existante dans certaines tribus océaniques – a permis aux « primitifs » (ne pas donner à ce mot un sens péjoratif !) de déduire qu’il leur suffisait de s’unir par « sympathie » avec les éléments constitutifs de ces faits pour les reproduire. Elle a ainsi donné lieu à deux types de magies, basées sur les lois fondamentales de la pensée (la similarité et la contiguïté) :

– La magie homéopathique (ou imitative) résultant de l’association d’idées similaires. Exemple : L’homme préhistorique décorait les grottes avec des représentations d’aurochs et de bisons dans l’intention d’attirer ces animaux et les tuer (posséder l’image revenait à posséder la chose)

– La magie contagieuse s’appuyant sur l’association d’idées contiguës. Exemple : Notre lointain ancêtre exposait au ciel une petite quantité d’eau avec l’espoir de faire tomber la pluie, en fait pour que l’eau du ciel rejoigne celle de la terre (posséder une partie de la chose équivalait à obtenir le tout).

Ces deux approches conceptuelles réunies par FRAZER sous le nom de “magie sympathique », certes basée sur un associationnisme erroné, ont toutefois le mérite d’ouvrir la route à la science, dont nous profitons aujourd’hui.

Quelles sont les principales formes de magie actuelles ?

La magie, “tentative concrète de dominer la nature en imitant ou en secondant ses propres lois”, telle que nous venons de l’appréhender, a ainsi traversé le temps pour se scinder en deux branches distinctes, la magie blanche et la magie noire.

Elles sont aussi qualifiées respectivement de magie bénéfique et magie maléfique.

A) LA MAGIE BLANCHE

La magie blanche est qualifiée de bénéfique parce qu’elle est pratiquée pour le bien même d’une personne ou d’un groupe, pour modifier leur destin, l’activer ou en changer le cours, si besoin est.

Elle se subdivise elle-même en deux pratiques :

1. La haute-magie (ou théurgie). Il s’agit pour le mage, qui ne peut être qu’un spécialiste entraîné (généralement un médium) d’entrer en contact avec des « entités supra-physiques » ou des esprits, pour obtenir d’eux à l’aide de rituels et d’offrandes, le bénéfice désiré à son profit ou celui d’un tiers.

2. La basse-magie (ou magie naturelle). Le praticien met ici à exécution les deux principes de base très simples de la magie primitive, à savoir les techniques homéopathiques et contagieuses. Il “travaille” à distance en faveur d’un individu, par exemple avec sa photographie, une sécrétion, un fragment d’ongle ou de vêtement.

B) LA MAGIE NOIRE (ou goétie – du grec goé, cri, image de démons, et de goès, sorcier)

Au contraire de la magie blanche qui veut le bien, la magie noire, elle, cherche à nuire. Pour ce faire, le “mage noir”, quand il est en service commandé, invoque les “forces démoniaques” qu’il dirige contre une personne désignée ou quelque chose.

Les rituels noirs sont voisins des rituels blancs, sauf qu’ils s’adressent aux entités négatives. A ce titrer ils sont souvent malheureusement accompagnés de sacrifices d’animaux, tels des chats noirs, des chèvres noires…et beaucoup de coqs et de poulets (des milliers de gallinacés sont ainsi égorgés chaque jour de par le monde !)

La magie noire est parfois pratiquée à l’encontre d’une ou plusieurs personnes malfaisantes, dont la victime veut stopper les agissements et la punir, en demandant le concours d’un “spécialiste”. Il y a donc un problème de conscience pour l’opérateur, quand il décide d’appeler le mal contre le mal.

La magie noire est aussi utilisée pour exorciser les cas de possession.

Elle est appelée “noire” comme la couleur des décors de ses rituels, en opposition à ceux, d’un blanc pur, de la magie blanche.

Existe-t-il d’autres formes particulières de magie ?

Nous citerons pour mémoire quatre formes de magie qui ne demandent aucun matériel ni décors particuliers, pour la bonne raison que nous les possédons sur nous en permanence. Nous voulons tout simplement parler du regard, de la voix, du toucher et de la pensée, dont les mages connaissent bien et mettent à l’épreuve toute la puissance.

1. Le regard. Vous l’avez constaté : dans le métro ou dans la rue, il vous arrive de vous retourner inconsciemment et de rencontrer des yeux qui vous fixent. Preuve s’il en est de l’attirance du regard ! Il vous est donc loisible, les yeux dans les yeux, et l’habitude aidant, non seulement d’établir un contact mais de formuler des sollicitations conscientes par la “magie du langage visuel”. Qu’il s’agisse, avec un regard expressif et volontaire, d’obtenir un avancement ou de demander un rendez-vous galant !

2. La voix. La radio et la télévision nous le démontre tous les jours : le meilleur des discours passe mal, s’il n’est pas porté par une voix bien timbrée. Que celle-ci soit posée, paisible, sûre d’elle et assortie d’une bonne articulation, tout change ! Notre oreille est plus attentive, nous devenons sur le champ disponible. Vous voulez être écouté mieux qu’entendu ? Parlez à votre interlocuteur d’une voix calme, modulée, souriante, et le charme –- pour ne pas dire la magie !- opère immédiatement !

3. Le toucher. Autre constat quotidien : nous échangeons beaucoup de poignées de main qui ne sont pas agréables. De la main moite à celle qui vous enserre dans un étau. De la “patte” molle à la main baguée qui vous blesse ! A tel point que nous apprécions une main “franche” dans la nôtre, qui nous indique aussitôt les sentiments

de son propriétaire. Veillez en retour à votre gestuelle. Ce contact très parlant, magique lui aussi – qui peut être une simple tape sur l’épaule – est porteur de vos vibrations !

4. La pensée. Nous le savons, nous sommes à la merci de notre pensée ! Négative, pessimiste, elle nous transmet des idées noires. Positive, optimiste, elle nous donne un enthousiasme communicatif …et magique ! Pour entretenir ce sentiment d’allégresse, nous disposons d’un remarquable outil : l’imagination, qui contient précisément le mot magie ! A la fois camera et magnétoscope mental, elle nous permet de tourner et de nous projeter tous les films joyeux et en couleurs de notre invention. Pensez-y !

 Magie du regard, de la voix, du toucher, de la pensée ! En valorisant leurs pouvoirs extraordinaires, il n’est pas question dans notre esprit de vous encourager à la manipulation d’autrui, encore moins à la vôtre. Nous souhaitons surtout, au passage, vous suggérer la possibilité de mieux communiquer avec vous-même et les autres. L’authentique communication a quelque part à voir avec le mystérieux et le merveilleux. Et en cela, ne peut-on aussi parler de magie sociale ?

SOUS LE SIGNE DE SATAN

Quelle est l’origine de la sorcellerie ?

Il n’existe pas de religion qui n’oppose à l’oeuvre de ses divinités bienveillantes, les basses besognes de démons et autres génies mal intentionnés. D’un côté le Bien, de l’autre le Mal : Ainsi l’Homme voit-il le monde depuis l’origine. Ainsi a-t-il créé Dieu, et en même temps, le Diable !

Pour la culture méditerranéenne, les textes anciens veulent que ce Diable soit un ange insoumis qui se révolta contre Yahvé, le Dieu des juifs. Cet insurgé se nommait Satan (qui peut être traduit par ennemi, adversaire). Il forma alors sa cour, composée également d’anges rebelles, et devint le “prince des démons” !

Dieu les chassa de son royaume et les précipita dans la “géhenne”, ce vaste et sinistre territoire des ténèbres. Ils s’y transformèrent en ignobles créatures, couvertes d’écailles, cornues et à queues fourchues. Satan, leur chef, devint ainsi l’incarnation du Mal attisant brasiers et fourneaux, où l’on jetait les pécheurs terrestres pour être brûlés à petit feu, dans les plus horribles souffrances ! L’Enfer était né !

Il faudra plus de mille ans à l’Eglise pour réussir sa mission de christianisation dans la vaste Europe. C’est-à-dire, en luttant souvent par la force contre le paganisme, pour faire admettre la venue de Jésus-Christ, fils de Dieu, sur la terre. Puis installer cette idée du Paradis et de l’Enfer, soit la vie éternelle après la mort promise aux sages et la damnation réservée aux fauteurs. Croire, c’est aussi imaginer !

Le petit peuple de la France moyenâgeuse, désespéré par les guerres et la pauvreté, oppressé par les seigneurs, accepte mal cette Eglise qui, précisément, a pris sans vergogne le parti des puissants. A côté de la magie druidique décimée qui fonctionne clandestinement, surgit soudain en réaction contre le clergé tout puissant, un mouvement subversif : la sorcellerie et ses officiantes. On sait la cruelle chasse dont les sorcières seront l’objet pendant plus de deux siècles ! D’une croyance, une autre !

Qu’est-ce que la sorcellerie ? Elle peut être définie comme une “contre-église” secrète qui va s’ingénier à singer et profaner les rituels de l’institution religieuse officielle. Celle-ci condamne le Diable ? Qu’à celà ne tienne, la sorcellerie le réhabilite en lui vouant une adoration fervente ! Puisqu’il est le “grand tentateur”, pour sûr il va mériter son nom ! Les sorcières en font un véritable symbole sexuel, aux multiples apparences, mi-homme mi-bête lubrique, qui inspire désir et terreur mêlés. Elles invitent les adoratrices et adorateurs recrutés à célébrer son culte lors de cérémonies orgiaques, dans des lieux cachés.

A côté de son anticléricalisme basique, il faut aussi mentionner les crimes dont la sorcellerie rurale est couramment accusée, des meurtres d’êtres humains et d’animaux, à la destruction à distance du bétail et des cultures.

Pourquoi des sorcières et presque pas de sorciers ? Parce que, au fond des campagnes, la femme est une malheureuse, souvent rudoyée, humiliée, qui fait les travaux les plus pénibles, et peine, souvent davantage que les hommes, pour nourrir et élever ses nombreux enfants.

Que veulent exprimer ces paysannes en se jetant dans la sorcellerie et sa malfaisance ? C’est clair : leur profonde révolte ! A la fois contre la religion, mais aussi contre la société… et leurs maris !

Quels sont les principaux rituels de la sorcellerie ?

Ces femmes revanchardes, vieilles édentées ou jeunes et superbes provocatrices, ne sont pas pour autant ignorantes. Habituées à prodiguer des soins, donc à observer, à écouter, elles connaissent le corps et l’âme de leurs concitoyens. Souvent accoucheuses (et avorteuses !), elles sont aussi guérisseuses et même voyantes. Quant aux rares sorciers, ils sont parfois rebouteux, quand ils ne sont pas prêtres défroqués.

Ce petit monde occulte qui prend plaisir de commercer avec le Diable réunit des assemblées de fidèles à l’occasion de cérémonies diverses et, à tout le moins, spéciales. Voyons les principales :

1. Le sabbat. Comme son nom l’indique, cette réunion a lieu dans la nuit du vendredi au samedi. Il s’agit d’abord d’y blasphémer Dieu et bafouer la religion avec toutes sortes de pratiques horribles. Ne dit-on que l’on y dépèce corbeaux et crapauds et “savoure” la chair de pendus ?! Les autres raisons avancées des rituels sabbatiques sont la libération des interdits à caractère sexuel (inceste, adultère) et partant, une réactivation de l’énergie vitale ! Le sabbat n’est pas d’origine méditerranéenne comme on a pu le dire, mais semble-t-il, nord-européenne.

2. La messe noire. La parodie des rites chrétiens est son objet essentiel. Profaner signifie ici dire des messes parsemées de textes obscènes et faire communier les participants avec des hosties noires ! Le prêtre défroqué en tenue noire y est à son affaire, entourées de sa ou ses maîtresses nues qui font office d’autels. Bien entendu, Satan est de la fête, imaginé en bouc pour la circonstance, symbole de la sexualité débridée. Cette « réjouissance » ne saurait avoir lieu sans accouplements frénétiques et sacrifice d’un animal. C’est une chèvre qui fait généralement les frais de l’orgie !

3. La nécromancie. Nous atteignons, en l’occurrence, le sommet de l’abject. Cette forme de sorcellerie postule que les morts fraîchement ensevelis, sont susceptibles de prédire l’avenir. A cette fin, la sorcière et ses acolytes, vêtus de noir et portant des cierges, se rendent la nuit dans les cimetières pour ouvrir les tombeaux, déterrer les morts et tenter de les faire parler, à l’aide de formules magiques ! Les “cérémonies” d’exhumation sont préparées plusieurs semaines à l’avance : avant le grand soir, les officiants se conditionnent en mangeant de la viande de chiens nourris de cadavres !

Bien entendu, qui pourrait prétendre de si nombreux siècles après, que ces faits sont rigoureusement exacts. Ils ont été rapportés, d’abord par la tradition orale, ensuite les livres, et ont d’évidence pu être déformés voire “enjolivés”. Chose certaine, tous les pays d’Europe se sont faits l’écho de rituels semblables ou approchants au fil du temps, pour en constater aujourd’hui la résurgence. La sorcellerie du Moyen-Âge a donc bien existé dans les grandes lignes précitées et a su transmettre ses pratiques.

A preuve le sortilège – arme redoutée, familière des sorcières et sorciers d’hier et d’aujourd’hui – que l’on peut expliquer comme un maléfice adressé à quelqu’un ou à quelque chose. Il est question, dans le même sens, du sort qui est jeté pour nuire. Qui n’a entendu parler de la fameuse poupée de cire, symbolisant une personne ? L’opérateur la transperce d’aiguilles, la plonge dans l’eau, ou la fait brûler suivant le type de mort projeté pour la victime ! En cela, la sorcellerie rejoint la magie imitative, quand celle-ci prétend qu’en possédant le symbole, elle possède la chose.

Symboles alchimiques
Symboles alchimiques, bougie, crane, élixirs

LES FAISEURS D’OR

Qu’est-ce que l’alchimie ?

Il peut paraître surprenant de citer l’alchimie dans cet historique de la magie.

Que vient y faire “l’art” de fabriquer de l’or, ou plutôt “le rêve”, au sens ou l’on entend généralement la technique alchimique, née à la fin de l’empire romain et qui prend son essor au Moyen-Âge ?

Si l’on s’en tenait seulement à son objectif de « transmutation des métaux », l’alchimie n’aurait bien entendu pas sa place ici. Mais contrairement à une idée courante qui la limite à cette ambition chimérique, elle recouvre bien d’autres domaines ! L’alchimie, dont les racines étymologiques sont diverses (de l’arabe al kymia, lui-même de Khemit, “le pays noir” qui désigne l’Égypte antique – ou du grec chuméia, « qui coule »), concerne également – entre autres ! – l’art, la médecine, la philosophie, la religion et la spiritualité.

De l’approche de ces grands thèmes, on peut remarquer que l’alchimie dégage quatre principes pratiques – mélange pittoresque de réel et d’imaginaire – qui entretiennent à leur manière la pensée magique.

1. Une technique. Les alchimistes postulent que les métaux sont bel et bien vivants – du plus vil au plus noble – et qu’ils peuvent précisément être transformés en or, à leurs yeux le premier d’entre eux et modèle de la plus parfaite santé. Partant, ils créent dans l’oeuf philosophique (cornue) à partir du mélange de matières minérales, la Pierre philosophale. Cet amalgame permet ensuite, par fusion dans l’athanor (four) avec des “métaux imparfaits” comme le mercure, le plomb ou de l’étain…de fabriquer de l’or!

2. Un remède. Forts de leur théorie, “les faiseurs d’or” pensent que la Pierre philosophale dissoute dans l’eau mercurielle devient de l’or potable. Absorbé, celui-ci guérit toutes les maladies, active le coeur, facilite la circulation et la respiration, comme il rajeunit les vieillards ! C’est l’élixir de longue vie, et en soi, la Panacée qui rend à tous la santé. Quand on sait que la Pierre, tenue dans la main, confère l’invisibilité, permet la divination et le contact avec les forces célestes, on peut aussi parler d’objet magique !

3. Une doctrine. Les alchimistes se veulent philosophes en ce que par leurs travaux même, ils expliquent l’Univers, l’homme et sa destinée comme les raisons de toutes choses. Ils affirment travailler sous le patronage d’une divinité égyptienne, Hermès Trismégiste (trois fois grand), inventeur, pour eux, des sciences, de l’alphabet et des arts (d’où le nom de philosophie hermétique). Ce dieu est tellement présent dans leur monde, que beaucoup d’entre eux assimilent Hermès à un être humain.

4. Une symbolique. Selon plusieurs écoles de pensée, notamment certaines obédiences maçonniques, il conviendrait de percevoir dans l’alchimie, non pas une transmutation des vils métaux en hypothétique “or matériel” mais en véritable “or symbolique”. Ces métaux représentent en effet les passions et les faiblesses de l’Homme, qu’il doit éliminer pour devenir lui-même Pierre philosophale, pure et parfaite. Cette transmutation représente donc, ni plus ni moins que son propre chemin initiatique.

Ainsi, à première vue, l’alchimie peut apparaître aujourd’hui comme une entreprise délirante et pour le moins utopique, prêtant évidemment à sourire. Il convient pourtant, au-delà des clichés habituels – de professeurs Nimbus à chapeaux pointus devant leurs cornues – d’accorder un autre regard à cette “discipline”. On peut croire ou non à la dimension spirituelle qu’elle suggère, mais on ne peut nier qu’un beau jour, de cornues en alambics, d’éprouvettes en molécules, l’alchimie est devenue…la chimie !

En quoi la magie et l’alchimie sont-elles comparables ?

Au moment même où l’église médiévale réprime les pratiques de magie, l’alchimie de son côté doit aussi conduire ses recherches en secret. D’une part, parce qu’elle estime que les profanes pourraient la discréditer en la manipulant indûment. D’autre part, nombre de ses pratiquants sont conduits au bûcher par les inquisiteurs qui redoutent son pouvoir grandissant.

Comme la magie qui comprend toujours deux “opérations” conjointes – matérielle (rituels magiques) et intellectuelle (association d’idées) – l’alchimie joue sur deux claviers : la partie technique (expérimentation) et la partie réflexive (philosophie).

Notons-le, l’une et l’autre s’appuient sur le surnaturel !

Il est frappant de constater qu’avec la philosophie hermétique, nous revenons aux croyances de l’antique magie animiste. « La nature est un vaste organisme », dit Paracelse, alchimiste et médecin suisse (1493-1541) : Suivant cette théorie vitaliste tout sur terre et dans l’Univers est donc animé et vivant. Et tout possède une âme ! Pour les alchimistes, qui croient en Dieu, le soleil comme la lune sont des divinités et tout est peuplé d’esprits, sur la terre comme au ciel, où ils ont d’ailleurs leur royaume (l’Empyrée). Pour l’alchimie, considérer l’Homme, c’est considérer l’Univers, puisque l’Homme est un Univers en miniature. L’âme humaine est un fragment de l’âme divine. N’est-ce pas là le principe même de la magie contagieuse. Un est le Tout ! dit l’Alchimie. Une simple partie de la chose correspond au Tout, répond la magie !

Un dernier rapprochement – anecdotique – peut être fait entre la magie noire et l’alchimie, même s’il n’est pas à la gloire de l’une et l’autre. Il est rapporté par Serge HUTIN dans son ouvrage L’ALCHIMIE (Collection QUE SAIS-JE ? < Editions P.U.F.) :

« L’hermétisme perverti s’est allié avec la basse sorcellerie. L’exemple le plus significatif de l’alchimiste “noir” serait le maréchal Gilles de RAYS, qui aurait – s’il faut en croire les témoignages (mais furent-ils exacts ?) de son procès – sacrifié plusieurs centaines d’enfants à ses pratiques magiques. Les “alchimistes” de cette sorte ont développé toute une série de pratiques que nous nous contenterons de mentionner : “la messe noire”, les débordements érotiques destinés à capter le “fluide magique” qui se dégage des accouplements, le meurtre rituel qui permet de recueillir le sang humain nécessaire à l’accomplissement du Grand Œuvre…Mélange confus de magie, d’illuminisme grossier, ces aberrations n’ont rien de commun avec l’alchimie vraie »

Oublions cet accident de parcours pour retenir de cet art si particulier ce qui en fait l’originalité : sa faculté de réunir l’esprit et la matière. En somme, une forme de magie !

4. TECHNIQUE, SCIENCE, ARTLA ROUTE DU FEU

Comment la magie a-t-elle donné naissance à la technique ?

Il est classique de dire que les grandes découvertes se font par hasard.

Ne saura-t-on jamais comment la première étincelle, mère du feu, a jailli des mains de l’homme, voilà cinq cent mille ans ? Était-ce, tel qu’on le pense, par le frottement accidentel de deux silex ? Puis par celui d’un bâton dans un trou rempli de feuilles séchées ? Ou simplement par la réverbération du soleil sur des pierres et brindilles ?

Quoi qu’il en soit, on peut imaginer la stupéfaction, l’émerveillement, la peur aussi de nos ancêtres, accroupies, serrés devant la lumière dansante des flammes et la chaleur du brasier, par mystère survenu !

Sans doute aucun, ils ont interprété le feu comme un acte magique ordonné par une force suprême. Ont alors surgi les questions. Comment conserver ce don du ciel ? Comment le reproduire s’il disparaît ? Saurons-nous refaire “les gestes sacrés” nécessaires ? Se sont demandé les antiques “pyromanes”, fascinés par leur trouvaille qui bouleversera l’humanité.

Et, d’instinct en apprentissage, en Europe, mais aussi en Afrique et en Asie, nous indiquent les préhistoriens, s’est imposée la “façon de faire”, en un mot la méthode.

Ainsi sont vraisemblablement nées de la pensée magique primitive, la technique, et dans la foulée, la technicité. Car qui dit magie, dit, dans un prodigieux enchainement, enthousiasme, passion, créativité, savoir-faire, progrès, sans lesquels nous ne connaîtrions ni la science ni les arts d’aujourd’hui !

Comment la pensée magique a-t-elle influencé la civilisation ?

L’homme est un imitateur impénitent !

C’est bien d’une observation minutieuse de la nature qu’est née la magie – aussi bien homéopathique (dite précisément “imitative”) que contagieuse. N’a-t-elle d’abord “copié” ses réactions, pour tenter ensuite de les dominer, voire les dépasser grâce à l’action attendue de ses rituels ?

La pensée magique – en soi un désir “fou” et puissant de transformer le monde et d’en devenir le grand ordonnateur – franchit un pas décisif quand après l’âge de pierre elle parvient à celui des métaux. Cette rencontre entre l’illusion, le feu et le fer permet à l’Homme de forger de nouveaux et multiples outils. Et d’avoir une nouvelle conception de son environnement.

Je retourne la terre, je l’ensemence, je l’arrose avec l’eau de la rivière, je récolte des grains et je cultive des plantes. Je n’attends plus que la nature me nourrisse, je peux me nourrir moi-même. Je peux imiter et remplacer le processus naturel, donc je détiens bien le pouvoir ! »

Avec la maîtrise du feu, qui permet cuisson, éclairage et chauffage, puis la domestication des animaux, l’homme quitte sa grotte pour bâtir cabanes et maisons. Avec l’invention de la roue qui entraîne celle de la charrette, révolutionne le transport et induit la création des routes, il élargit son périmètre d’action. Et partant, une nouvelle vie s’offre à lui.

La mobilité sur terre puis sur l’eau, grâce au bateau – en attendant la conquête du ciel – entraine la migration des groupes, favorise l’implantation des villages et des villes. De pays en pays, se fondent les familles qui deviennent autant de “foyers”, sur la route du feu. La technique en marche, sans cesse améliorée par l’intelligence, engendre des successions de métiers, et apparaissent enfin les machines, annonciatrices de l’ère industrielle. Des machines qui se sont aujourd’hui quelque peu “emballées” sous la forme de robots, concurrents directs de l’homme et trop souvent créateurs de chômage !

Souhaitons qu’il garde la maîtrise de ces « doublures » et que sa “pensée magique moderne” ne les personnalise ni le déifie outre mesure !

Livre tenu dans des mains
livre, lumiere, symbole,

LA MAGIE DU SAVOIR

Comment s’est imposée la science à l’homme ?

“Les plus vieux outils de pierre taillée du monde ont plus de trois millions d’années et sont africains ; les plus vieux outils de pierre taillée symétrique, plus d’un million et demi d’années ; les premiers feux maîtrisés, aux alentours du demi-million d’années, les premières sépultures aux alentours de cent mille ans, le premiers signes gravés ou peints sur des objets ou des parois, aux alentours de quarante mille ans…”

On voit bien dans cette progression datée, rapportée par le paléontologue Yves COPPENS que, dès qu’il s’est redressé sur le pas de sa caverne, notre ancêtre s’est aussi mis en marche pour être “acteur du monde”.

Si la magie est son moteur instinctif, elle n’est d’évidence pas suffisante en l’état. L’être humain a besoin, non seulement de théories (que fournissent la magie comme les religions) et de pratiques (apportées par la technique) mais il lui apparaît nécessaire que toutes deux soient réunies dans un même concept. L’alchimie – bien qu’imparfaite – qu’il crée en chemin est déjà bien une preuve de cette exigence.

De fait, son cerveau conçu pour préjuger, “sentir” mais aussi pour raisonner, réclame, à côté de la pensée magique, une pensée logique. Cette demande, totalement en prise sur le réel, c’est la science qui va la satisfaire.

“On peut voir dans la science un nouvel effort pour rapprocher et unifier le deux exigences, théorique et pratique de l’esprit humain. En ce sens, la science serait une magie réussie (la magie étant une science rêvée, imaginaire)” nous disent HUISMAN et VERGEZ dans leur livre PHILOSOPHIE (tome 1- L’ACTION – Editions MARABOUT).

Qu’a apporté la magie à la science ?

L’envie “de savoir” et “d’un savoir est en germe dans la magie.

L’idée de lois existantes dans la nature existe bien chez le « primitif » quand il est persuadé que les phénomènes visibles autour de lui se succèdent dans un ordre invariable. Tout comme il est convaincu que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il est également sûr, suivant le système “sympathie-antipathie” – d’après lui retrouvé en toutes choses – qu’il existe un déterminisme de l’univers. Il affirme ainsi sa prescience…de la science.

Par ailleurs, les protocoles et les rituels magiques ont indirectement servi de modèle à la science – à travers l’alchimie – tant sur le plan de la méthodologie de recherche, que de la répétition des expériences. Et par là, ils leur ont appris la ténacité et la patience nécessaires pour obtenir des résultats !

Grâce à la magie enfin, « l’esprit scientifique » d’abord balbutiant a compris, par différence, l’importance de s’expliquer et d’expliquer rationnellement les choses. C’est bien cette volonté de clarté et cette rigueur qui ont donné le jour à l’astronomie et à la géométrie dans l’antique Chaldée.

Aujourd’hui, en s’appuyant, entre autres, sur les mathématiques, la science – qu’elle se nomme physique, chimie, biologie, pharmacie, ou plus récemment astrophysique – a adopté comme règle stricte de ne valider que des réalisations vérifiables et reproductibles à la demande.

LA MAGIE CRÉATRICE

Peut-on considérer que la magie est à l’origine de l’art ?

“L’art est une disposition susceptible de faire faire à l’homme une création, accompagnée de raison vraie” dit le philosophe ARISTOTE.

En ce sens, tel qu’il était pratiqué par les « primitifs », l’art (du latin ars, exercice d’un métier, d’une technique, synonyme du grec teckné) n’a d’abord pas distingué l’artisan de l’artiste. Les premières haches de pierre taillée étaient à la fois des outils et des armes de la vie quotidienne. Les menhirs et les dolmens éparpillés en Bretagne, à la période néolithique, eurent certainement pour leur part une fonction initiale d’objets cultuels (dont l’érection, par exemple, de la pierre de la Fée” à Locmariaquer, de 20 mètres de haut – a exigé un incontestable savoir-faire). Avant qu’un souci que l’on peut penser esthétique, ne vienne accompagner la dévotion aux dieux solaire et lunaire, en incitant les celtes à disposer ces monuments en files (alignements de Carnac, sur la baie de Quiberon) ou en doubles cercles (cromlechs d’Er Lanic, également dans le Morbihan et de Stonehenge en Angleterre).

Un nouveau site français décoré, la grotte Chauvet (du nom de son “inventeur”) découverte tel un cadeau de noël, le 24 décembre 1994 à Vallon Pont-d’Arc, en Ardèche, vient renforcer la thèse de la “fonction magique” des peintures rupestres. En l’occurrence, une fresque en couleurs de quelques trois cents hyènes, hiboux panthères, rhinocéros – jamais vus jusqu’alors dans l’art préhistorique – entourés d’empreintes de mains et de mystérieux cercles assortis de points rouges, laisse supposer que le lieu était sacralisé, selon le préhistorien Jean Clottes.

On sait aujourd’hui, grâce à la transmission orale, que la plupart des ornements rupestres préhistoriques retrouvés dans de nombreux sites du monde entier, avaient une signification magico-religieuse. En Australie notamment, où vivent encore des « primitifs » au cœur des régions désertiques, une peinture de serpent sur la paroi rocheuse d’une grotte est censée – pense-t-on, interpeller le dieu de la pluie.

Les représentations ardéchoises du lieu-dit “la Combe d’Arc” – qui plus est de l’avis des experts – remarquables par le grand talent des artistes en cause, relèvent sans nul doute également d’un système de croyances. Tout comme celles d’Altamira (Espagne) de Lascaux ou de Marseille.

Ainsi que l’a précisé notre ministère de la Culture dans un récent communiqué, cette nouvelle découverte et sa datation établie aux alentours de plus de trente mille ans avant notre ère “bouleversent les notions admises jusqu’à présent sur l’apparition de l’art et son développement : elles sont la preuve qu’Homo Sapiens a acquis très tôt la maîtrise du dessin »

Statut de Platon en marbre blanc
Statut de Platon assis en marbre blanc devant un chapiteau de Temple

A travers l’art, la magie apparait-elle comme une philosophie ?

Nous pouvons remarquer que la magie se donne pour cadre, en quelque sorte, “d’opérer” sur le Vrai, le Bien, le Beau.

– Le Vrai. Sous forme de croyance – antique forme de la réflexion humaine – le mage pense de bonne foi être en mesure d’expliquer et transformer le fonctionnement du monde, à l’aide de pratiques magiques.

Dans son ouvrage “La volonté de puissance”, NIETZSCHE affirme que < » La vérité est un genre d’erreur sans laquelle une espèce déterminée d’êtres vivants ne saurait vivre”. Et il précise, à propos de la croyance, que celle-ci “est le fait primitif, même dans toute impression des sens. La toute première activité intellectuelle est une sorte d’affirmation. Dès l’origine, « on tient pour vrai ».

Ainsi, il est important de retenir le caractère sincère, honnête, de la “vraie magie” à distinguer du charlatanisme, tout-à-fait conscient, lui, de ses agissements parodiques et trompeurs, échangés contre des avantages financiers.

– Le Bien. Le mage, appelant les “énergies cosmiques”, veut les utiliser à des fins bénéfiques au profit d’êtres ou de choses, dans le sens d’une amélioration amenant un changement positif (la guérison, la réussite, le bonheur, la clémence des éléments atmosphériques, etc).

Le Bien n’est-il, comme l’affirme PLATON, « L’objectif suprême vers lequel se dirige le Sage et à l’égard duquel les autres objectifs sont subordonnés”? Ou encore, selon KANT, “ Le but final théorique imposé par la loi morale, que tout homme possède au fond de son cœur »

Pour le célèbre occultiste Gérard d’ENCAUSSE, dit Papus (1865-1916), cette vision du Bien s’exprime en magie par l’Amour. Il le dit fort poétiquement dans son “Traité méthodique de magie pratique” (Editions DANGLES) : << L’Amour, depuis l’affinité mystérieuse qui pousse l’atome vers l’atome, depuis l’impulsion insensée qui porte l’homme vers la femme aimée à travers tous les obstacles, jusqu’à l’entrainement mystérieux qui jette l’intelligence, affolée d’inconnu, aux pieds de la Beauté et de la Vérité, l’Amour est le grand mobile de tout être crée en mode d’immortalité…Voilà pourquoi la Magie, considéré synthétiquement, est la science de l’Amour. >>

A l’évidence, nous sommes ici aux antipodes de la magie noire, forme dévoyée de la magie, quand sous la forme des pratiques de sorcellerie, elle s’assigne le Mal et toutes les formes de nuisance à autrui comme raison d’être 

-Le Beau. Les peintures préhistoriques nous le confirment : la magie aime plaire à l’oeil! Pour cela, elle a le souci de la présentation de ses “œuvres incantatoires”, tant aux plans de l’occupation de l’espace, de la forme, de la couleur. Dans le cas des récentes découvertes de Combe d’Arc précitées, on y remarque l’art des peintres primitifs qui excellent dans l’expression de la perspective, du relief et du mouvement des animaux représentés.

Il est visible même que le primitif cherche dans ses réalisations, à enjoliver ses sujets, montrant par là son désir de transformer le réel à sa façon – c’est-à-dire magiquement – et d’exercer sur lui une forme de pouvoir.

Ce mécanisme de la pensée ne serait-il pas à l’origine des mythes et de leurs représentations graphiques, qui vont s’installer au fil des millénaires dans l’inconscient collectif et que le psychiatre-psychanalyste Carl Gustav JUNG (1875 -1961) appelle les archétypes (grands thèmes véhiculant l’histoire de l’humanité, transmis notamment par les contes, les cosmogonies et le rêves)

On ne manque pas de voir dans cette trilogie du Vrai, du Bien, du Beau, l’importance de l’imaginaire en magie. Ce qui peut apparaître comme la “folie primitive” à l’homme moderne n’est-elle pas, en réalité, la disposition prodigieuse du cerveau humain à s’échapper de ses limites physiques, pour embellir et élargir son vécu, pour imaginer sans cesse de nouveaux horizons.

N’est-ce pas là le véritable pouvoir de l’homme, que de sortir de lui-même et de s’inventer – si l’on peut dire…comme par magie – des espaces de liberté ?

 Nous venons de constater, tout au long de cette histoire de la magie, à quel point la conjugaison du verbe « croire » a été et continue d’être créative pour l’Homme.

Depuis son origine, fasciné par la mystérieuse immensité du ciel, il n’a cessé de lever les yeux et de l’interpeller. D’abord, par l’invocation des divinités, les bras tendus et les mains offertes, puis en envoyant dans l’azur des machines volantes sans cesse perfectionnées. Toujours plus haut, toujours plus loin, comme pour aller à la rencontre du Créateur, qui ne peut exister ailleurs qu’au-dessus de sa tête !

Il est fort probable que sans cette disposition constante à l’utopie (du nom de la lointaine étoile UTOPIA), c’est-à-dire à l’effort, à la curiosité, mais aussi au rêve, les astronautes américains n’auraient précisément jamais été sur la lune, première étape de la conquête de l’univers !

Ainsi, sommes-nous constitués. D’un cerveau gauche, siège de notre logique, de notre esprit d’analyse et technicité. Et d’un cerveau droit, écrin de nos émotions, de notre inventivité, de nos espoirs. Deux instances, deux exigences.

C’est heureux, il ne devrait donc jamais y avoir de science sans poésie. Et sans magie !

 Gilbert GARIBAL (Extraits du livre LE GUIDE DES SCIENCES PARALLÈLES – Editions NUMERILIVRE)

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).
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