Suite de la partie 1/3 d’hier que vous pouvez redécouvrir sur ce lien
Lorsque Jules César conquiert la Gaule, nos ancêtres pratiquaient toujours le culte druidique précité, et les légions romaines en persécutaient férocement les ministres. Ces druides et druidesses, gens de savoir vêtus de blanc, qui étaient en quelque sorte les éducateurs populaires, prédisaient le chaos mondial tout en soignant les malades à l’aide de rituels magiques, ne disaient rien qui vaille à l’occupant ! Pour la bonne raison qu’ils constituaient un puissant facteur de cohésion de la communauté celte.
Le druidisme se révèlera un obstacle difficile pour la christianisation naissante, et ne sera aboli qu’au VIème siècle, après l’invasion des Francs. Du moins en apparence, car il continuera d’être célébré clandestinement, surtout dans les campagnes.
On ne passe pas si facilement d’une culture ancestrale polythéiste, avec son cortège d’offrandes et d’invocations aux dieux habituels, qui se manifestent visuellement (le soleil, la lune, l’océan, le tonnerre, les éclairs, la tempête) … à l’adoration soudaine d’un seul dieu inconnu, caché, et partant imaginé bien plus menaçant !
Et durant tout le “Haut Moyen-Âge”, les paysans, – origine du mot “païen” – observeront donc leurs rites en secret. Notamment “les rites de fertilité” (destinés à conjurer entre autres la sécheresse, la famine, la maladie) que la jeune Eglise voyait d’un très mauvais oeil et qualifiait de scandaleuses orgies sexuelles.
Nous pouvons comprendre l’attitude réticente de ces païens – à qui les accouplements répétés lors des cérémonies rituelles assuraient la félicité dans l’autre monde – devant une nouvelle religion qui leur annonçait les plus terribles punitions post mortem suite à leur vie de débauche !
Ainsi paganisme et christianisme vont longtemps s’observer et se provoquer (on voit encore aujourd’hui quelques menhirs bretons “christianisés” et surmontés d’une croix de fer). Les deux protagonistes s’accusaient réciproquement de pratiques douteuses : l’un soupçonnant l’autre de conquérir ses fidèles par “possession de l’âme” et le second reprochant au premier de commercer avec des “divinités démoniaques”. L’Eglise installait ainsi l’idée du Mal, qui en prenant corps devint le Malin et plus communément le Diable, « prince des démons ». L’imaginaire collectif n’a pas tardé d’en faire une créature inquiétante aux oreilles pointues et à la queue fourchue. Et à lui trouver des noms sinistres, de Satan à Lucifer en passant par Azazel ou Belzebuth !
De cette rivalité entre les deux croyances est probablement née – par réaction des païens – ce qui a pu être appelé « une magie anti-cléricale – en fait une attitude défensive mais jugée opposante et sacrilège dans ses mots, gestes et rituels, qui furent assimilés à la sorcellerie. Un amalgame qui a conduit l’Eglise misogyne de ce temps à établir que toute femme exerçant dans l’occulte sous ses diverses formes était maudite, parce que d’évidence, pactisante avec le Diable. D’où la terrible Inquisition et son ignoble « chasse aux sorcières » qui aurait vu, à la suite de Jeanne d’Arc, plus d’un million de brûlées vives en Europe du XIIIème au XVème siècle !
Cette tragédie fut progressivement fatale au paganisme mais pas à la magie qui continua son bonhomme de chemin, certes toujours plus ou moins en catimini.
Il faut attendre la Renaissance pour voir s’installer dans la France quadrangulaire de l’époque (sans l’Artois, l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté ni la Savoie) une véritable rénovation culturelle et simultanément, un esprit d’ouverture. Une place importante est ainsi donnée au symbolisme et par là au mystère et à l’essence spirituelle des êtres et des choses. L’invention de l’imprimerie permet par ailleurs la publication des œuvres antiques notamment de la philosophie et de la médecine grecques, des textes hébraïques…et des premiers horoscopes !
La pensée magique se montre au grand jour avec des “médecins-devins”. Elle s’affirme grâce à l’astrologie mais encore par le biais de l’alchimie ou de la Kabbale, qui chacune revisitée et devenant “chose écrite”, palpable, démontre l’étroite parenté, pour ne pas dire la communion de l’homme avec le cosmos. La lecture lui permet de mieux s’interroger sur sa condition de “particule pensante de l’univers”.
Et du même coup, le livre intellectualise la magie !
Comment s’est traduite la pensée magique de la Renaissance à nos jours ?
Nous venons de le voir : au XVème et XVIème siècle, comme précédemment d’ailleurs, la magie forme avec la divination et la religion un trio qui s’avère indissociable.
Cette fascination pour le surnaturel, mêlée de curiosité pour l’environnement terrestre, est alors le puissant moteur de quelques fortes personnalités en quête de futur. N’est-ce pas à cette époque, que se manifestent deux “fabricants d’avenir” qui passeront à la postérité ?
Christophe COLOMB, navigateur et aventurier obstiné, traverse l’atlantique à quatre reprises. Homme du moyen-âge, imprégné de mysticisme, il croit aller à la rencontre du paradis terrestre – dont l’existence est affirmée par l’Eglise – en accostant aux îles Bahamas en 1492, puis sur le continent américain, dont il ouvre la route en 1498. Sa découverte du “nouveau monde” a fait de lui l’inventeur des temps modernes.
De son côté, le “médecin-astrologue-voyant-écrivain” Michel de Nostredame, dit NOSTRADAMUS, publie en 1550 ses célèbres prophéties, “les Centuries”, en 1200 quatrains. Non seulement, il donne la preuve de ses dons de voyance, en prédisant la date exacte de sa propre mort, mais ses prédictions, certes sibyllines, paraissent s’ajuster, siècle après siècle, aux grands évènements historiques.
Cette période de visionnaires marque en fait, avec l’avancée du rationnel, un début de codification des actes de magie et le recul des pratiques dites “sataniques”. Les prétendues hérétiques ou sorcières ne sont plus brûlées en place publique. Sauf, toutefois, celles et ceux qui s’adonnent à la vraie sorcellerie avec messes noires, empoisonnements et sacrifices humains (telles la Marquise de Brinvilliers, La Voisin ou l’abbé défroqué Guibourg). Ils sont traînés devant les tribunaux et condamnés, après une série de procès retentissants, à des châtiments exemplaires.
Au début du XVIIIème siècle, se développent les sociétés dites “secrètes” et écoles de pensée à visée philosophique, métaphysique ou ésotérique (les Illuminés, les Rose-Croix, la Franc-Maçonnerie) axées sur le développement personnel. Il s’agit, entre autres, d’étudier la Tradition, de rechercher le sens de la vie, et tout compte fait, de tenter d’entrer en contact, par d’autres voies que la magie primitive – l’introspection notamment – avec les forces supérieures de l’univers.
C’est en 1780, que MESMER, un médecin allemand propose une théorie sur le magnétisme animal qui constate notre réceptivité à l’influence des corps célestes et aux corps qui nous environnent. L’affaire fait grand bruit et divise aussitôt le corps scientifique qui voit surtout dans ces travaux, jugés sans fondement sérieux, une influence occulte !
Il faut vraiment parvenir au terme du XVIIIème siècle pour que l’occultisme améliore sa réputation et que l’on cesse de « diaboliser » les pratiques magiques. Les astrologues, cartomanciennes et professionnels des différentes mancies (ex : la caféomancie ou lecture dans le marc de café, la cristallomancie, ou vision dans une boule de cristal, la rhabdomancie ou sorcellerie à la baguette) ont pignon sur rue.
Au début du XIXème siècle, les appellations changent : finis les sorciers et sourciers, mages et devins. Les praticiens se nomment ouvertement médiums, radiesthésistes, voyants, ou encore “extra-lucides”. Même si le code pénal de 1810 peut éventuellement les punir pour ce que l’on qualifiait au moyen-âge de “crime de magie”, c’est-à-dire pour imposture ! Vers 1860, surgit un nouveau mode divinatoire, dont s’entiche les habitués des salons parisiens : le spiritisme. Venue d’Amérique cette pratique est popularisée par les livres d’un occultiste français Allan Kardec, qui enseigne comment faire parler les esprits, au moyen de tables tournantes ou de sujets en transes hypnotiques.
Tout naturellement, l’hypnotisme devient à son tour une nouvelle forme de magie. Un nouveau métier aussi, qui fait des hypnotiseurs de foire…de nouveaux diables, à même d’endormir les foules et d’inquiéter les autorités ! Vingt ans plus tard, l’hypnose obtiendra pourtant ses lettres de noblesse à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, où elle permettra au Professeur Charcot d’étudier le comportement des hystériques. Et au Docteur Freud d’inaugurer dans la foulée sa grande invention thérapeutique, la psychanalyse.
En cette fin de XIXème siècle, agitée par ces méthodes magico-médicales, reste toutefois discret dans son coin le magnétisme du Docteur Mesmer. C’est que la loi française n’hésite pas à poursuivre ses officiants, les « guérisseurs » pour exercice illégal de la médecine. Selon une coutume médiévale – toujours respectée de nos jours par les lois en vigueur – un thérapeute ne peut effectivement se « licencier lui-même – en clair s’autoriser à exercer. En cas de condamnation, l’issue du procès dépend du bon vouloir du juge concerné. Autrement dit s’il croit ou non au ”fluide magnétique”!
Y croire ou ne pas y croire, éternel problème de la magie !
Par bonds successifs, de pays en pays, de siècles en siècles, nous venons de boucler ce que nous avons appelé le “circuit magique” et qui constitue en même temps l’histoire de la magie, largement localisée autour du bassin méditerranéen.
Comment se présente la magie au XXème siècle, et précisément au début du XXIème ?
Le spiritisme en vogue à la fin du siècle passé, mais aussi les phénomènes de voyance ont incité plusieurs chercheurs à fonder une nouvelle science, la parapsychologie, se donnant pour vocation l’étude des capacités humaines paranormales.
A partir des années 1920, un physiologiste français, Charles RICHET, puis à sa suite un psychologue américain Joseph RHINE, ont pu soutenir la réalité de “perceptions extra-sensorielles” chez certains sujets (domaine ESP) telles que la disposition à la télépathie (transmission de pensée), la clairvoyance (voyance directe sans supports), la précognition (prémonition) et la psychokinésie (domaine PK : action de l’esprit sur la matière à type de déplacement ou de déformation d’objets).
Comme de juste ces expériences – non systématiquement reproductibles – ont donné lieu à controverse, mais elles ont eu aussi le mérite, en se démarquant des interprétations occultes, de donner aux faits “supranormaux” une nouvelle dimension. Actuellement, les recherches se poursuivent et le surnaturel, qui a pris en l’espèce la dénomination générique de “ facultés psi”, à bien entendu gagné en prestige.
Les fulgurantes avancées technologiques de ces dernières années auraient pu toutefois laisser supposer une perte d’intérêt pour “la chose magique”. Elle fait au contraire et à nouveau, une spectaculaire percée.
Si la psychokinésie n’intéresse quand même pas tout un chacun au quotidien, en revanche, la divination sous ses diverses formes (voyance directe, astrologie, radiesthésie, tarologie, numérologie, chiromancie et autres mantiques) n’a jamais connu un tel succès.
Il en est de même pour « les pratiques de guérison ». Référencé sous le vocable de « mesmérisme » dans la liste des méthodes thérapeutiques établie par l’Organisation Mondiale de la santé, le magnétisme (très largement en tête de toutes les techniques non médicales) ne déclenche plus les foudres de la justice. Il est vrai qu’aujourd’hui celle-ci aurait fort à faire si elle voulait savoir à l’encontre des guérisseurs en tous genres puisque un français sur deux a recours aux médecines parallèles, nous disent les enquêtes les plus sérieuses !
Il est intéressant de noter ici la remarquable plasticité de la magie.
Nous avons constaté que ses disciplines ont déjà su changer de nom, pour “coller” à l’époque traversée et à son vocabulaire. Au plan de la santé, les “magistes” du XXème siècle se sont eux aussi très vite ajusté au langage moderne. Comme le remarquent avec pertinence François LAPLANTINE et Paul-Louis RABEYRON dans leur ouvrage LES MÉDECINES PARALLÈLES (Collection Que sais-je? Editions PUF) …on n’impose plus les mains au malade, mais on lui prescrit une « cure magnétique ». Il n’est plus question de prières, mais de « fluides », plus question d’esprits bénéfiques ou maléfiques mais « d’ondes » ou d’énergies « positives » ou « négatives ». Le sorcier devient un radiesthésiste, un voyant, un parapsychologue et le rebouteux, un chiropracteur.
Ainsi, au moment où :
– les religions, à travers des discours irréalistes, se cherchent et veulent désespérément rattraper les nombreuses brebis égarées,
– la science malgré ses prouesses, déçoit et fait peur (manipulation des gènes, menace atomique),
– la médecine, en s’informatisant et s’acharnant sur le symptôme plus que sur la cause, se déshumanise et devient très agressive,
– la culture et le progrès social se révèlent incapables de créer des emplois pour les jeunes et entretiennent même le chômage de leurs parents, il est quasiment logique que les croyances magiques se fortifient jusqu’à devenir un recours, sinon un espoir.
Et ressurgissent, tant en campagne qu’en ville, aux côtés des praticiens de la divination et du « guérissage » (qui eux aussi utilisent l’ordinateur) les officines de mages et de désenvoûteurs. Sans parler des sectes, aux intentions le plus souvent peu avouables !
Incontestablement, avec la magie, réapparait en force “le sacré” qu’il convient de redéfinir dans son acception moderne.
N’a-t-on pas dit et redit que le XXIème siècle verrait le retour du mystique ?
2. SACRÉ, RELIGIONS, SUPERSTITIONS – AUTOUR DE LA MAGIE
Comment définir le sacré ?
Dès lors que les “primitifs” croient à l’existence dans l’univers de forces occultes – sur lesquelles ils auraient un pouvoir par “voie magique” – s’impose à eux avec la crainte, un respect absolu pour ce monde invisible.
Domaine à part, redouté et mystérieux, le surnaturel se traduit chez l’homme, presque d’évidence, par la notion d’intangibilité. En quelque sorte, “l’inatteignable” devient aussi…intouchable dans son esprit! Et s’installe alors en lui, vis-à-vis de ces forces inconnues, l’idée impérieuse de règles et de pratiques incantatoires à observer, qui ne supportent en aucun cas la transgression, sous peine de se trouver en faute. La notion de culpabilité, on le voit, est une très vieille affaire qui a de beaucoup précédé notre civilisation gréco-judéo-chrétienne!
Ainsi naissent progressivement rites et rituels à la gloire des puissances cachées, qui sont divinisées et vénérées avec ferveur. Ainsi le mystère entraine-t-il peu à peu le mysticisme. Ainsi peut-on avancer que la magie a sans nul doute engendré, après l’animisme, cette révérence profonde pour l’inconnaissable caractérisant le sacré, puis, par là-même, a donné naissance à la religion et aux cultes.
Qu’entend-on par “religion”?
On pourrait se contenter de définir la religion comme l’ensemble des croyances qui déterminent la relation de l’homme au sacré, si l’on s’en tient au mot latin “religio”, issu lui-même du verbe “religare”. Ce qui nous limiterait au concept, devenu courant, de lien au divin, quand on traduit religare par « qui relie ».
Les linguistes modernes s’accordent maintenant pour penser avec Cicéron que “religio” viendrait plus justement du verbe “relegere” – à traduire par “vénérer” – et qui s’oppose à “neglegere”, c’est-à-dire négliger, regarder avec détachement.
Si la première acception du mot “religion” n’est pas fausse dans la mesure où elle souligne la dépendance humaine à une entité supérieure, la seconde nous permet d’aller plus loin dans l’analyse. Précisément parce qu’elle indique bien que “le sentiment religieux est un attribut essentiel, une qualité inhérente à notre nature”, selon la pertinente formule de l’écrivain-politicien Benjamin CONSTANT (1767-1830)
Quelles différences y a-t-il entre magie et religion?
En se persuadant de l’existence d’une force surnaturelle et en l’interpellant, l’homme primitif a, en quelque sorte, inventé Dieu.
Qu’elles le nomment dans leur langue, Tout-Puissant, Allah, Yahvé ou Visnu, les principales religions – filles de la magie – se défendent pourtant de cette invention.
Elles affirment toutes, au contraire, avoir été inspirées par Dieu lui-même, qui s’est manifesté dans leurs textes sacrés : la Bible pour les juifs et les chrétiens, le Coran pour les musulmans, le Véda pour les hindouistes.
La tradition nous ne dit-elle que le Créateur a remis les Tables de la Loi à Moïse, le chef charismatique des Hébreux, sur les pentes du mont Sinaï?! N’est-il aussi attesté que le prophète Mahomet a reçu les versets du Coran par la voix de l’archange Gabriel, porte-parole de Dieu et les a dictées à des scribes, puisqu’il ne savait ni lire ni écrire ? Quant aux quatre livres sacrés de l’hindouisme, rédigés en sanskrit archaïque, ils sont sans conteste attribués à la révélation du Dieu Brahmà, et partant considérés comme fondamentaux.
Si elles sont issues de la magie “primordiale”, les religions en diffèrent toutefois dans leur pratique même. Alors que le “magiste” prétend agir sur les éléments cosmiques, et par là les asservir, l’authentique pratiquant religieux, lui, se soumet inconditionnellement à la volonté de Dieu, avec une grande dévotion et une totale humilité.
Autre différence entre magie et religion : à la fois, la forme et le fond de “l’acte de communication” avec la divinité.
Sur le plan de la forme, dans le premier cas, l’officiant s’adresse à elle à l’aide d’incantations. Dans le second, il lui récite des prières.
Il est intéressant, quant au fond, de comparer les finalités espérées des deux modes opératoires. L’incantation – précisément à l’aide de formules magiques – vise à séduire, à produire un sortilège, propre à influencer l’entité sollicitée. La prière, dans son vrai sens religieux, est avant tout un acte verbal de vénération, d’adoration de Dieu, qui ne veut pas le charmer et ne lui demande rien.
Autrement dit, comme l’indiquent très bien Denis HUISMAN et André VERGEZ dans leur ouvrage « Philosophie » (Editions Marabout) : “…tandis que la formule magique s’appuie sur un soi-disant déterminisme et se veut efficace par elle-même (comme une recette technique), la prière ne vaut que par les dispositions intimes du croyant : seuls les cœurs purs seront exaucés. Bien plus, la véritable prière est celle qui ne demande rien d’autre pour soi-même que le courage de supporter la volonté de Dieu : « Que Ta volonté soit faite.”
En vérité, lorsque le croyant prie son Dieu – ou ses saints – ne le fait-il afin de solliciter le plus souvent quelque chose pour lui ou ses proches, qu’il s’agisse de protection, de guérison, de gains, de biens matériels ou de réussites diverses? Et dès lors, avec cette “demande d’avantages particuliers” à l’instance divine, ne s’agit-il d’un retour pur et simple à la magie, comme le soulignent les auteurs précités dans leur livre?
Nous sommes renvoyés ici à une ou plutôt à des définitions de la foi religieuse : adhésion totale à une croyance, engagement à une promesse (baptême, par exemple) adoration déiste…pour obtenir! On le constate, du fait même de ses diverses interprétations possibles – qui déterminent les comportements individuels, il n’est pas si évident d’établir une nette distinction entre magie et religion !
Même si la seconde condamne la première et la juge sacrilège!
LA PENSÉE SOUS INFLUENCE
Quel rapport entre magie et superstition?
Il est facile, pour chacun d’entre nous, de citer de nombreux exemples de pratiques superstitieuses, mais beaucoup moins d’en expliquer l’origine! De la salière renversée à l’irruption d’un chat noir, du miroir brisé au pain retourné, du parapluie à ne pas ouvrir dans une maison à l’échelle sous laquelle il ne faut pas passer, la liste est longue des superstitions que, sans grands commentaires explicatifs, notre culture nous a transmises. Et que nous ne manquons pas… de retransmettre en l’état!
Qui peut nous dire sérieusement aujourd’hui, pourquoi il ne faut pas être treize à table, poser un chapeau sur un lit ou rouler dans une voiture verte?! Il est fort probable que “l’interdiction” desdits actes soit lié à des rituels sortis d’imaginations fertiles qu‘à des statistiques formelles établissant le mauvais sort des « transgresseurs » !
Au regard des exemples précités, nous pouvons définir la superstition comme une croyance à des influences irrationnelles. Et plus précisément même, comme la conviction de la survenue d’un évènement particulier – malheureux ou heureux – suite à un fait matériel fortuit.
Remarquons au passage que ces pratiques superstitieuses (dont plusieurs centaines ont été listées en France) ont surtout à voir avec le malheur. Quand elles ne sont pas “mixtes” (le vendredi 13 est jugé aussi bien maléfique que bénéfique) quelques-unes seulement annoncent le bonheur (par exemple trouver et garder chez soi un fer à cheval, découvrir une coccinelle ou un trèfle à quatre feuilles). Il y aurait là un équilibre à rétablir!
Quoi qu’il en soit, nous voyons bien que ces superstitions relèvent toutes d’un même processus : la pensée magique. Que nous le voulions ou non, lorsque nous croisons les doigts (pour appeler le succès d’une démarche) ou touchons du bois (pour pérenniser une bonne chose), nous sommes en plein dans la magie !
De tels gestes – qui interpellent le futur – illustreraient même ce que nous avons conservé de la magie primitive, selon certains ethnologues et chercheurs. Nous les suivons quand, au total, ils rapprochent intimement magie et superstition (travaux de J.G.FRAZER, M. MAUSS, S. FREUD, au début du siècle)
Superstition et religion sont-elles liées?
Si magie et superstition se rejoignent et ne constituent qu’un seul et même système de croyances, aux yeux des observateurs avertis, il est clair que nombre de pratiques cultuelles sont elles-mêmes empreintes de la pensée magique de leurs auteurs, aux antipodes d’une authentique religiosité.
La prière, quand elle est dite dans l’unique but d’obtenir une faveur, est certainement la première de ces pratiques à même de dénoter une attitude superstitieuse.
Il en est de même avec le cierge que l’on fait brûler à l’église dans l’espoir de la réussite à un examen, la médaille bénie portée sur soi comme protection permanente (exactement comme ces “croix magnétiques” achetées par correspondance et réputées porte-bonheur!). Ou la messe commandée au curé du village pour voir la victoire de l’équipe locale de foot-bal.
Ne demande-t-on traditionnellement aux prêtres la bénédiction d’un nouveau bateau (avec bouteille de champagne brisée sur la coque), quand ce n’est pas celle d’un rallye automobile ou d’une cordée au pied d’un mont inviolé.
Qu’est-il sollicité alors de la bonté divine, sinon dans l’ordre, que la mer, la route et la montagne soient clémentes pour les gens concernés?
Loin de nous l’idée de choquer ici tout pratiquant religieux mais force est de constater que lesdits rituels, relevant d’une “foi intéressée” (adorer Dieu afin qu’il soit efficace, c’est-à-dire garantisse réussite et sécurité!) sont bien de l’ordre de la croyance magique. Il y a ici total amalgame entre superstition et religion.
Les autorités religieuses sont d’ailleurs plutôt embarrassées, lorsqu’elles sont interrogées sur ces conduites (à vrai dire peu catholiques!) dans lesquelles elles sont entrainées, au prétexte des us et coutumes. De fait, en y regardant de plus près, ceux-ci n’évoquent-ils animisme et paganisme, plus haut abordés ?
L’Eglise est évidemment consciente qu’un effet magique est à tout moment attendu de la pratique cultuelle et ne souhaite pas cautionner ce que, au regard de ses règles, elle est en droit de considérer comme une dérive. Nous ne devons dons pas êtrre étonnés qu’elle montre la plus grande prudence, quand survient une guérison dite « miraculeuse » sur un lieu de pèlerinage(les mots « miracle » – de mirari, admirer et magie, différents pour l’Eglise, ne sont-ils pas susceptibles d’être con fondus?).
Il pourrait toutefois lui être reproché de contribuer à y entretenir une certaine ambiguïté, autour de la vente massive d’objets religieux de toutes sortes, des crucifix aux chapelets, des médailles aux images pieuses. Mais, il faut bien convenir que ce commerce correspond, en l’espèce, à la demande pressante d’un public considérable. Pour le plus grand profit des “marchands du temple”.
Dieu est amour, mais pour certains, il peut être aussi “argent”!
UNE CONDUITE ADAPTÉE
Qui sont les superstitieux?
A en juger par le nombre de porte-bonheur ou médailles de Saint-Christophe qui ornent les rétroviseurs et les tableaux de bord de voiture, il est déjà possible de déduire qu’une grande partie de la populations française est superstitieuse !
Cette impression se confirme quant on constate le succès médiatique (et maintenant informatique) de l’astrologie, de la voyance et du paranormal sous toutes leurs formes. Sans parler de l’indispensable horoscope par signe zodiacal que tout journal ou magazine, toute station de radio ou de télévision, se fait un devoir de publier et diffuser très ponctuellement.
Autant de paramètres qui démontrent que le hasard, la chance, le sort, le destin, ne sont pas des vains mots pour beaucoup. Et qui confirment à quel point est forte la croyance en une ou des puissances extérieures dont chacun se fait une représentation personnelle. Aucun pourcentage sérieux dénombrant les superstitieux (autrement dit ceux qui croient à des influences incontrôlables) et les non-superstitieux (ceux qui pensent être maîtres de leurs décisions et actes) ne peut évidemment être donné. Les instituts de sondage qui se sont risqués à ce type d’étude ces dernières années, ont toutefois pu établir des tendances que nous rapportons donc ici pour information mais au conditionnel :
– Les jeunes, quel que soit leur niveau d’études, auraient des croyances superstitieuses et parapsychologiques (notamment astrologie, voyance, télépathie, médiumnité, spiritisme, psychokinésie) davantage affirmées que les personnes plus âgées. Le phénomène s’expliquerait, entre autres hypothèses, par une éducation religieuse aujourd’hui beaucoup moins formelle.
– Les femmes montreraient une disposition plus importante que les hommes aux pratiques superstitieuses, parce qu’elles sont généralement, dit-on, plus crédules. Si l’on en croit les enquêtes, ces croyances leur permettraient aussi de la sorte, de s’affirmer socialement, après une éducation souvent plus stricte que celle des hommes.
– La superstition serait plus “active” en milieu urbain, sans que l’on puisse en donner une raison étayée. Ce fait est étonnant quand on sait la forte implantation persistante des praticiens du surnaturel dans le monde rural.
– Le penchant pour la superstition affecterait principalement les classes moyennes (catégorie floue qu’il conviendrait de définir). Le motif de cette inclination ici avançée serait le doute social de cette population qui trouverait une réassurance dans l’irrationnel. Mais, à de rares exceptions, quelle classe sociale ne s’interroge pas de nos jours sur l’avenir?
On le voit, la pensée magique a ses raisons… que le raisonnement peine à établir !
Ce qui est certain en revanche, c’est que de nombreux métiers ont leurs superstitions, mêlant les rites conjuratoires et les pratiques religieuses. Par exemple, ceux qui présentent un danger physique ou un risque d’échec :
– Les marins-pêcheurs qui s’interdisent de prononcer le mot “lapin” à bord de leur embarcation. Cette coutume viendrait du fait des dégâts, parfois dramatiques, que ce rongeur maudit en l’occurrence, pouvait commettre en s’attaquant subrepticement à la coque des bateaux, au temps de “la marine en bois”.
– Les acteurs de théâtre qui ne veulent pas entendre le mot “corde” sur le plateau. Cet usage viendrait aussi de la marine à voile, par le biais des machinistes, qui, au début du siècle, étaient souvent des marins reconvertis.
– Les toréros qui se recueillent longuement dans la chapelle attenant à l’arène avant d’affronter le taureau.
Citons encore parmi bien d’autres, les coureurs automobiles et motocyclistes, les pilotes d’avion, les parachutistes, les trapézistes de cirque qui portent sur eux un objet-fétiche, ou procèdent à un rituel connu d’eux seuls, avant d’exécuter leur prestation. A moins que, à l’instant de se lancer dans l’action, ils ne fassent un signe de croix en public, comme de juste retransmis par la télévision (tels certains joueurs de foot-ball ou de tennis célèbres)
Peut-être vous-même, amie lectrice, ami lecteur, êtes-vous sujet aux croyances superstitieuses ? N’oubliez pas dans ce cas, que les éventuels effets de tout acte jugé néfaste sont annulables avec un rite conjuratoire approprié ! Lorsqu’à table vous renversez le sel (geste prédictif d’un ennui) jetez-en trois pincées par dessus votre épaule pour éviter le “pépin” annoncé. Et si l’on vous offre un couteau ou tout autre objet tranchant (réputés couper les relations) remettez une pièce de monnaie à votre donateur pour conserver son amitié! Autant de situations, autant de coutumes superstitieuses. Tout respect gardé ici pour les « pratiquants ».
Pourquoi est-on superstitieux ?
Faire état de votre ou de vos superstitions peut directement vous exposer aux moqueries de votre entourage! Laissez dire et répondez par le sourire. Vous le savez, vous n’êtes pas le seul à être superstitieux. Et pour cause, puisque la superstition est une conduite adaptée, qui depuis l’origine de l’homme, répond à son besoin primordial de “gérer” son environnement.
Lorsque l’eau était nécessaire au primitif pour sa consommation, il allait la puiser dans le plus proche ruisseau. Quand les champs aussi venaient à en manquer, une inquiétude le saisissait car il se sentait impuissant à étancher leur soif et il était en “inhibition d’action”. Il invoquait alors les nuages pour faire pleuvoir.
Ainsi faisait-il appel à la magie quand il ne pouvait agir lui-même sur la nature. Non seulement, il apaisait sa tension grâce à ce stratagème, mais la foi mise dans la pluie attendue des nuages, lui donnait ce bien psychologique précieux qui est l’espoir. Nous n’avons pas changé au XXIème siècle. L’espoir nous fait toujours vivre !
Quand vous faites acte de superstition – par exemple en emportant une mèche de cheveux d’un être cher lors d’un voyage – vous procédez sans le vouloir à un rituel magique qui équivaut à vous sentir “accompagné” de cette personne, voire protégé par elle, et à optimiser votre déplacement. Vous espérez qu’il se passera bien et vous réduisez de la sorte l’inquiétude que vous donne éventuellement ce départ.
De la même manière, lorsque vous pensez fébrilement à votre enfant en regardant sa photo pendant qu’il est en train de passer les épreuves du baccalauréat, c’est bien une forme de soutien magique qui vous lui destinez…et qui finit par vous détendre!
Bien entendu, il peut vous être objecté que votre façon d’opérer est en soi puérile (c’est-à-dire vécue comme telle par autrui!) mais qu’importe. Ou même, si, vous multipliez les conduites superstitieuses, que vous faites preuve d’un comportement obsessionnel. Certes, point trop n’en faut, au risque de basculer dans la névrose !
Avec ces deux exemples, nous voulons surtout mettre en avant le rôle social de la superstition, et précisément – par le biais de ses divers rituels affectifs – son pouvoir anxiolytique, en situation d’attente, de doute, de frustration ou d’insécurité.
Nous pouvons donc véritablement parler ici de l’existence d’une fonction magique.