jeu 28 mars 2024 - 17:03

Glaive ou épée ?

Sur cette tapisserie du XIVe siècle de Hennequin de Bruges (en illustration de l’article), Jésus-Christ apparaît à Saint Jean dans une vision si extraordinaire, que l’apôtre se serait évanoui (tombé comme mort) à ses pieds (ici il semble prosterné à ses pieds). Jésus tient dans sa bouche une “épée” acérée, symbole de la puissance de la parole divine (comme il est dit dans Apocalypse; 1-16,17 : “Il avait dans sa main droite sept étoiles. De sa bouche sortait une épée aiguë, à deux tranchants”). Il est de face, puissant, assis sur un trône qui le montre dans sa gloire éternelle, avec en arrière-plan les sept candélabres comme cela est mentionné dans le texte de l’Apocalypse. Ce Christ au “glaive” à double tranchant symbolise l’outil intellectuel ou de l’esprit favorisant le passage de l’état «fermé à l’état ouvert».

Épée ou glaive ? On trouve tantôt le mot épée, tantôt le mot glaive comme pour Mathieu; 10,34 (supposé avoir été écrit en hébreu avant le grec) « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée. Cela signifierait que ces deux mots sont synonymes. Cependant si on retient comme définition que “épée” est arme offensive et défensive composée d’une longue lame affilée et d’une poignée et que les guerriers portaient au côté dans un fourreau tandis que “glaive” est Épée tranchante et courte que les Romains utilisaient, il s’agit bien ici d’une épée !

On trouve également cette idée avec Mañjuśrī, un célèbre bodhisattva, considéré aussi comme une divinité tutélaire du bouddhisme . Il est représenté,en général, avec une épée (khadga) de feu symbolisant l’intelligence dans la main droite, et dans la gauche un livre/rouleau représentant la sagesse transcendante. D’un coup d’épée, Manjusri aurait ouvert le passage à la rivière Baghmati, asséchant la vallée et permettant l’accès au sanctuaire de Katmandou.

La dénomination de glaive plutôt qu’épée trouve son explication au grade de Chevalier dans cette conférence : Sources et histoire du grade de Chevalier Kadosh (Part 1) :

Le glaive est devenu au fil des siècles un objet honorifique comme récompense d’une distinction ; il était offert aux gladiateurs célèbres lorsqu’ils étaient affranchis.

On voit qu’à partir de 1840, statistiquement, dans les 84 rituels étudiés du degré de Kadosh , le vocabulaire utilisé dans les rituels de ce degré donne la préférence au mot glaive plutôt qu’au mot épée.

 

L’épée symbolique ne pourfend pas dans le sens d’une irréparable division.

Faite d’un fer céleste, elle tranche les imperfections, neutralise les associations mentales inharmonieuses, et permet de rester cohérent dans le combat. Ainsi, la prendre en main revient-il à empoigner un rayon de lumière, harmoniser les faisceaux de lumière dispersés, faire croître les potentialités. L’utilisation de l’épée introduirait donc dans la conscience un axe de lumière, une rectitude indispensable pour vivre l’initiation. «L’épée qui blesse», dit Fulcanelli, «la spatule chargée d’appliquer le baume guérisseur, ne sont en vérité qu’un seul et même agent doué du double pouvoir de tuer et de ressusciter, de mortifier et de régénérer, de détruire et d’organiser.» Spatule, en grec, se dit spatoula, σπάτουλα; or, ce mot se rapproche des mots glaive ou épée (σπαθί), tirant leur origine de spao (σπάω), arracher, extirper, rompre.

Les premières épées étaient courtes et épaisses avec une lame en forme de glaïeul, d’où le nom de glaive. Le glaive serait l’attribut du soldat (arme guerrière destructrice) mais aussi celui du législatif, de la Justice (symbole de la puissance positive), l’épée serait réservée au chevalier avec le rite principal de l’adoubement. À partir du règne de Louis XV, tous les frères portèrent l’épée du côté gauche dans un fourreau. Elle symbolisait alors, en loge, l’égalité sociale des maçons de l’époque qu’ils soient nobles ou roturiers. Mais dès qu’ils retournaient dans le monde profane cette égalité, évidemment, cessait.

Aujourd’hui, elle est portée collectivement dans les loges au Rite écossais Rectifié. Hors de son fourreau, pointe basse en position de repos ou autrement sur ordre du Vénérable Maître, elle est tenue en main par tous les maçons travaillant à ce rite. C’est de la main gauche également que le Vénérable Maître, lorsqu’il siège à l’Orient, tient son épée pointe en haut.

Aux autres rites, il ne reste du passé que deux choses : une rosette à l’extrémité du baudrier de maître, souvenir de l’entrée du fourreau et une épée à la disposition des maçons des colonnes près de leur siège. Dans les rituels après 1843, on la nomme le plus souvent glaive.

Le glaive, tenu par les membres, est tout à la fois :

une arme dont les cliquetis, lorsqu’on les entrechoque, symbolisent le combat des hommes pour vaincre et triompher de ses passions,

une transmission de l’énergie bénéfique de tous les membres de la Loge à l’impétrant au moment où le bandeau lui est retiré lors de son initiation,

un avertissement du châtiment qui menacerait le parjure,

un honneur rendu aux dignitaires visiteurs en formant, pour leur passage, la voûte d’acier.

L’épée du couvreur est un instrument qui interdit l’accès au temple aux non initiés ; de ce rôle de gardien d’un lieu sacré, elle tire sa fonction de protection du temple intérieurement et extérieurement.

L’épée de l’expert est le symbole du respect des valeurs : elle est le gardien du rituel et l’acteur de sa mise en œuvre. Elle est l’arme morale et spirituelle du maçon lui rappelant ses devoirs et ses obligations.

L’épée flamboyante, maniée par le Vénérable, placée à l’Orient sur son plateau, domine les autres épées. Elle est faite d’une lame d’acier pointue à deux tranchants, fixée à une  poignée munie d’une garde, cette épée à lame sinusoïdale représente le symbole du pouvoir initiatique du vénérable. Elle est utilisée lors des initiations, passages ou élévations.

Le mot traduit de l’hébreu, qui qualifie la lame de l’épée flamboyante est le verbe «se tourner, changer». Il s’agit donc d’une épée qui tourne toujours, qui s’agite, d’où son caractère flamboyant. En effet, cette racine hébraïque montre aussi que l’épée flamboie parce qu’elle est feu elle-même et parce qu’elle réfléchit la lumière solaire. Le double tranchant de la lame a une double fonction : celle de porter le feu de la création pour donner vie à l’initié, celle aussi de trancher entre plusieurs choix possibles lorsque la vie de la Loge est impliquée.

Arme de Lumière, l’épée flamboyante est en rapport avec la foudre, l’éclair. Cette arme de feu, symbolise le combat pour la conquête de la Connaissance en tranchant l’obscurité de l’ignorance.

Elle est aussi la représentation du Soleil par le rayon brillant de sa lame ondulée ; on peut alors parler de glaive enflammé. Cette Lumière est une mise en relation avec les Grands Mystères : par la pensée rituelle, elle tue, dans l’impétrant, la partie non initiable pour que naisse en lui une nouvelle vie à travers l’accès à la vision et à l’entendement, au-delà des apparences.

L’épée flamboyante est celle du chérubin qui dispense la vie et la mort, qui balaye l’orgueil, qui dissout l’ego. Elle garde la porte de l’autre monde, celui de la source de la Lumière. Pour entrer dans ce monde, il faut passer au fil de cette épée-là. Avec son épée flamboyante, le Vénérable montre sa fonction de gardien du symbole, celui de la régénération de l’Homme par le travail de dissolution du moi, de l’enfantement de la lumière dans la douleur, loi immuable et nécessaire des initiations et des épreuves.

Lorsque le vénérable pose l’épée flamboyante sur la  tête du novice, en prononçant les paroles rituelles, «je te crée, constitue et reçois franc-maçon», la lumière, alors dispensée, est une double énergie : feu créateur et protecteur qui installe le nouveau mythe dans le cosmos de la loge. C’est à ce moment que le récipiendaire devient néophyte. Ceci est en analogie avec l’éclair de la création de l’arbre des séphiroth.

 L’épée Flamboyante est précisément là pour rappeler que c’est la fonction et la parole édictive du vénérable qui transmettent, non un quelconque individu.

Le glaive est toujours tenu de la main gauche par le franc-maçon à l’ordre, sauf par le couvreur et les experts qui le tiennent de la main droite.

Au 7e degré du REAA, on ne parle plus d’épée, mais de sabre et aux trois degrés suivants, de poignard. Par exemple, au 10e les glaives sont devenus des poignards, rappelant le nom du bijou porté à ces degrés : un poignard d’or à lame d’argent, suspendu au bas du cordon. Au 11e degré, le poignard prend le nom d’«épée de Justice» achevant les grades de vengeance.

Aux rites chevaleresques, durant toute la durée de la tenue, le maniement de l’épée est extrêmement codifié et celle-ci ne doit, en aucun cas, être sortie de son fourreau sans raison; en voici un exemple.

Maniement de l’épée dans l’Ordre du Temple [1]

Les injonctions sont mises en évidence en violet

Le maniement de l’épée devant être exécuté comme ci-dessous, cette gestuelle est très “militarisée”. Réalisée synchroniquement par les frères, à ne pas douter, elle doit créer un corps d’unanimité.

Dégainer

1-Saisir le fourreau de la main gauche. En même temps, passer vivement la main droite devant la poitrine et saisir la poignée de l’épée. Sortir la lame jusqu’à ce que l’avant-bras soit horizontal en travers de la poitrine, tout en maintenant fermement le fourreau avec la main gauche.

2- Retirer doucement l’épée jusqu’à ce que la pointe soit libérée du fourreau, puis l’amener rapidement au « Présenter » ! Tout en ramenant la main gauche au côté.

3- Descendre l’épée au « Porter » ! Lorsque le Maréchal n’a pas à dégainer son épée et que l’on ne peut donc pas se régler sur lui, on se réglera sur le Chev\ de la colonne sud le plus proche de l’est.

Présenter

 Tenir la lame verticale, le dos de la main en avant, le coude au corps, la garde cruciforme de l’épée à la hauteur de la bouche, à environ 3 centimètres. Il ne convient pas d’embrasser la garde ou de l’effleurer des lèvres, quand on est dans cette position.

Porter

 Tenir l’avant-bras horizontal, la main à la hauteur du coude, le coude collé au corps, la lame verticale, la croix de la garde reposant dans le creux situé entre le pouce et la première jointure de l’index (on peut laisser le petit doigt de la main droite derrière la poignée de l’épée).

Repos

 1. Déplacer le pied gauche d’environ 30 centimètres sur la gauche.

 2. Laisser retomber l’épée sur l’épaule, à mi-chemin entre le cou et l’extrémité de l’épaule droite, en desserrant légèrement les doigts.

Rengainer

 l. Amener l’épée au « Présenter » !

 2. Saisir, des trois derniers doigts de la main gauche, le fourreau au-dessous de l’ouverture, en laissant libres le pouce et l’index. Glisser la pointe de l’épée dans l’ouverture du fourreau en la guidant avec le pouce et l’index de la main gauche (ne pas suivre des yeux, le mouvement s’exécutant beaucoup plus facilement sans regarder). Laisser descendre l’épée dans le fourreau jusqu’à ce que l’avant-bras droit soit horizontal en travers de la poitrine.

 3. Faire glisser vivement l’épée dans le fourreau, si possible synchrone avec les autres chevaliers, puis ramener les mains sur les côtés.

À l’ordre

« Chevaliers, mes Frères ! »

 1. Tous se lèvent et se tiennent bien droit ou se redressent s’ils sont déjà debout.

« À l’ordre ! »

 2. Amener l’épée à la position 1 du « Dégainer » et regarder le Maréchal de Camp ou le Chevalier le plus proche de l’orient, côté sud.

 3. Tirer l’épée et venir au « Présenter ».

 4. Descendre l’épée au « Porter ».

Prendre Place

« Chevaliers, mes Frères ! »

Regarder le Maréchal de Camp ou le Chevalier le plus proche de l’orient, côté sud.

« Prenez Place ! »

1. Rengainer position 1.

2.Rengainer position 2.

3.Rengainer position 3.

4. S’asseoir.

Engager

« Engagez ! » (en partant du « Porter »)

 1. Amener l’épée au « Présenter ».

 2. Élever le bras droit en extension maximum, à 45° devant soi, l’épée dans le prolongement du bras, et engager la lame avec celle du Chevalier face à face, tranchant contre tranchant.

« Portez ! » (en partant du « Engager »)

 1. Amener l’épée au « Présenter ».

 2. Descendre l’épée au « Porter ».

Retourner

« Retournez vos épées ! » (en partant du « Porter »).

 1. Incliner la lame vers la gauche jusqu’à ce qu’elle soit horizontale, saisir la lame en son milieu, de la main gauche.

 2. Continuer à faire pivoter la lame jusqu’à la verticale, dans l’axe du milieu du corps, la garde vers le haut. Laisser retomber la main droite au côté.

 3. Incliner la tête vers l’avant, en gardant les yeux fixés sur la garde de l’épée.

« Portez vos Épées ! » (en partant du « Retourner »)

 1. Relever la tête.

 2. Faire pivoter l’épée vers la droite, jusqu’à ce qu’elle soit horizontale ; saisir alors la garde de la main droite.

 3. Ramener l’épée au « Porter » puis laisser retomber la main gauche au côté.

Remise de l’épée

 Quand l’épée est remise à un chevalier de rang supérieur (par exemple par le Maréchal de Camp à l’Éminent Précepteur ou par un officier à l’Éminent Précepteur lors de l’investiture), elle est présentée sur l’avant-bras gauche, la poignée tournée vers l’officier supérieur.

 Quand l’épée est rendue à un chevalier de rang inférieur (par exemple par 1’Éminent Précepteur au Maréchal de Camp ou à un officier lors de son investiture, l’épée est tenue verticalement, par la garde, entre le pouce et l’index de la main droite, puis placée dans la main droite du chevalier.

Lire également l’article du 25 août 2021 L’interdiction du fer dans ce Journal


[1]. Le nom complet de cet ordre est : Les Ordres religieux, militaires et maçonniques unis du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem, de la Palestine, de Rhodes et de Malte.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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