ven 26 avril 2024 - 02:04

Mot du mois : Hospitalité

Certains assemblages étymologiques ne lassent pas de déconcerter, tant ils semblent mal assortis, voire antithétiques. Il en va ainsi du couple que forment les deux mots latins *hostis et *hospes. Tous deux issus d’un sémantisme, strictement européen, qui désigne l’étranger, avec la même dualité que prend *xénos en grec. Celui qui vient de l’extérieur, hostile au risque de devenir un ennemi public, ou bien celui que l’on accueille, l’hôte.

Un *hostis n’est pas un étranger en général, – différent en cela de *peregrinus le pèlerin -, c’est un étranger en tant qu’on lui reconnaît des droits égaux à ceux des citoyens romains. Ce qui suppose une réciprocité, une convention, donc en relation de compensation, même dans l’affrontement.

Un rééquilibrage que l’on retrouve dans l’hostie, qui est la victime offerte en sacrifice expiatoire, qui sert à compenser la colère des dieux. Comme une offrande de rachat.

Le terme médiéval d’ost, qui désigne l’armée des vassaux levée par le suzerain en cas d’appel à la guerre, la croisade, la défense des domaines seigneuriaux, témoigne conjointement de la réciprocité des devoirs féodaux et de l’hostilité contre l’ennemi commun. La guerre s’y assortira de la prise d’otage considérée comme gage, comme un répondant d’équilibre des conflits. Otagier, au Moyen Âge, c’est prendre en sa demeure. Et la distance n’est pas si grande avec l’hôtel et l’hôtelier. La coloration violente en moins, évidemment.

L’hôte porte une double acception, celui qui reçoit, l’hospice et l’hôpital, et celui qui est reçu. On y accueille, dans un univers qui se veut hospitalier. Deux verbes connotent l’hospitalité, on héberge avec tous les égards qu’elle comporte, mais on loge quelqu’un parce qu’il est démuni.

Hostilité, à tout le moins circonspection et méfiance, vont aussi colorer l’idée de frontière, au sens médiéval de limite entre deux territoires, comme un espace de potentiel affrontement, une zone de contact facilement inflammatoire, dans laquelle se revendique un « droit d’inhospitalité ».

L’hospitalité n’est pas une évidence sans préambules. Elle requiert des rituels rigoureux. Que la rencontre prélude à une paix durable ou à une guerre inévitable, la délimitation passe par le moment de fumer le calumet, en usage chez les Indiens, en catlinite rouge pour la paix, en pierre blanche ou grise pour la guerre, dans les derniers instants qui précèdent les hostilités.

Xénos, hostis, hospes supposent des relations réciproques d’accueil avec dons, quelles qu’en soient l’ampleur ou la valeur. Parce que l’hôte en visite hors de son domaine propre se voit privé de tout droit, protection et moyen d’existence. Il ne trouve gîte, accueil, garantie, que chez celui avec qui il est en rapport de philotês, d’amitié, un rapport que matérialise le symbolon, objet concret de reconnaissance, engagement de réciprocité avec serments et sacrifices. L’hospitalité ne consiste pas à alléger sa mauvaise conscience de quelques dons en espèces, légers ou conséquents. Repas, aumônes, banquets, fêtes à grand spectacle, par exemple.

Une hospitalité sujette à caution parfois, tel cet « hôtel de la première faute », dit encore « hôtel Marie-Madeleine », où l’on accueille les fauteuses de la naissance célibataire, sur lesquelles on ne se prive pas de jeter l’opprobre.

L’hospitalité est la force contraignante de l’amour véritable.

C’est l’agapè par laquelle on témoigne son affection à un enfant, à un hôte, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne. Dans la pureté de la sincérité et de la gratuité.

Annick DROGOU

Quel verbe accompagne ce mot « hospitalité » ? C’est toujours donner ou offrir l’hospitalité, ou bien la recevoir. L’hospitalité est synonyme de rencontre, mais une rencontre qu’on accepte chez soi, un accueil au risque de l’inconnu car, même si on accueille un proche ou un ami déjà rencontré, l’hospitalité suppose de lui faire de la place, de lui permettre de prendre séance dans notre intimité. Courage et espérance joints, contre toutes les peurs de repliement, l’hospitalité appelle forcément la confiance. Entre l’hôte qui accueille et l’hôte qui est reçu, un seul et même mot pour signifier la relation.

L’hospitalité ne connaît pas les demi-mesures car on ne peut pas être hospitalier à moitié. Une hospitalité restreinte ne mériterait plus ce nom. Avant d’être une qualité ou une vertu, l’hospitalité est une attitude. Quand les bras s’ouvrent, c’est complètement. L’hospitalité est ouverture absolue.

« Suis-je le gardien de mon Frère ? ».

Dans l’hospitalité, aucun contre-sens n’est possible, je ne suis pas le garde-chiourme de ce frère. Libre, je le veux libre. Mes bras restent ouverts pour ne pas enfermer et aliéner. Hospitalier, je me contente de sauvegarder, de mettre à l’abri, de prendre soin et de partager… mon toit, mon repas, nos espoirs communs. Je te reçois chez moi, tu as tant à me donner, à m’offrir. Reconnaissance.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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