ven 26 avril 2024 - 12:04

Les origines de l’ordre de la Jarretière

De notre confrère belge rtbf.be

Il y a quelques jours était le jubilé de platine pour la reine Elizabeth II, Un Jour dans l’Histoire s’est penché sur l’un des principaux emblèmes de la monarchie britannique : l’Ordre de la Jarretière, le plus élevé des ordres de chevalerie au Royaume-Uni. Avec Jean-Marie Moeglin, historien du Moyen Âge, nous partons à la découverte de cet ordre au nom si cocasse, qui rassemble l’élite de l’aristocratie d’outre-Manche.

Remontons au milieu du XIVe siècle, au début de la guerre de Cent Ans qui oppose la France et l’Angleterre. Jean Le Bel, chroniqueur liégeois et chanoine de Saint-Lambert, rédige un ouvrage consacré à cette guerre qui ne porte pas encore son nom actuel. Dans ses écrits, l’ecclésiastique prétend que le roi d’Angleterre Édouard III est coupable du viol de la comtesse de Salisbury, pourtant épouse de son ami proche William Montagu, 1er comte de Salisbury.

En réalité, cette histoire est une invention du chroniqueur, pourtant admirateur du souverain anglais. Fortement inspiré des récits de la Table ronde, et du triangle amoureux entre le roi Arthur, la reine Guenièvre et Lancelot du Lac, le récit se veut en réalité un parallèle avec l’actualité de l’époque : Edouard III a renoncé à conquérir la couronne de France, il n’est pas le grand roi conquérant qu’était le légendaire Arthur. Avant de tomber dans l’oubli, l’histoire connaît une série de modifications qui en font un récit chevaleresque emprunt d’amour courtois, ôtant toute notion de viol.  Comment ce crime inventé est-il devenu une amourette à l’eau de rose ? Qu’en est-il de l’enchevêtrement entre la fiction et la réalité ?

Ce sont à ces questions que Jean-Marie Moeglin, qui a publié l’ouvrage Édouard III, le viol de la comtesse de Salisbury et la fondation de l’ordre de la Jarretière aux Presses Universitaires de France, répond pour nous.

“Honi soit qui mal y pense”

L’Ordre de la Jarretière est instauré par Edouard III lui-même, vers 1348. Il choisit comme devise, en français dans le texte : “Honi soit qui mal y pense“. Son sens est encore aujourd’hui énigmatique. On entend souvent qu’elle doit, tout comme le nom de l’ordre, son origine à une anecdote cocasse. Lors d’un bal, la jarretière d’une dame tombe au sol, le roi la ramasse, et pour faire taire les moqueries déclare cette phrase qui signifie à pu près “que ceux qui s’en moquent soient détestés”.

Mais là encore, l’histoire est erronée. Car au XIVe siècle, la jarretière est un attribut vestimentaire masculin, les femmes n’en porteront que plus tard. C’est au 15e siècle, lorsque l’on tente de trouver une signification à ce nom étrange et à cette devise qu’on ne comprend pas, que le mythe du bal prend forme. Bien entendu, cette dame d’abord inconnue, fini par prendre l’identité de la comtesse de Salisbury, qui est devenue au fil des récits successifs non plus la victime d’un viol, mais la maîtresse passionnée du roi, pour qui il est même allé jusqu’à créer l’ordre le plus prestigieux d’Angleterre et le plus anciens ordres de chevalerie encore en activité au monde.

La fiction a donc pris le pas sur les faits historiques au cours des siècles, jusqu’à ce qu’au XVIIe, des historiens tentent de remettre de l’ordre dans cette vérité alternative, et vont souligner les incohérences entre les différents récits. Actuellement, on sait donc que les origines de la création de l’ordre de la Jarretière sont floues. On ne connaît pas la date de création avec précision, et on ignore les raisons qui ont poussé Édouard III a le fonder et à le baptiser de la sorte.

Chevaliers et dames de la Jarretière, en 2019

Chevaliers et dames de la Jarretière, en 2019 © Patrick van Katwijk

La reine Elizabeth II est, comme l’ensemble des monarques anglais qui l’ont précédée, à la tête de l’Ordre qui se réunit annuellement dans la chapelle Saint-Georges de Windsor. Elle est seule habilitée à y adouber un nouveau membre. Parmi ses chevaliers et dames compagnons, on compte les membres éminents de la famille royale, comme le prince Charles et son épouse Camilla, ou le prince William. Mais également de hauts dignitaires de la noblesse, ainsi que des personnalités politiques ou culturelles anoblies. Récemment, c’est l’ancien Premier ministre Tony Blair qui recevait cet honneur. Quelques souverains étrangers ont également été introduits, comme le roi d’Espagne, la reine du Danemark, l’ancien empereur du Japon ou le roi des Pays-Bas. Chez nous, le dernier souverain à y avoir été adoubé est Baudouin. Ni Albert II ni Philippe n’ont eu les honneurs de la Jarretière.

La reine Margrethe de Danemark
Le roi Willem-Alexander des Pays-Bas et sa femme la reine Maxima
Le roi Felipe d’Espagne et le Prince William

Le très noble ordre de la Jarretière (Most Noble Order of the Garter) est le plus élevé des ordres de chevalerie britanniques, fondé le 23 avril 1348 le jour de la Saint-Georges, en pleine guerre de Cent Ans, par le roi Édouard III.

Selon la légende, la création de cet ordre aurait été décidée par le roi Édouard III lors d’un bal à Calais, où il dansait avec sa maîtresse, la comtesse de Salisbury. Celle-ci ayant, en dansant, fait tomber sa jarretière, le roi, galamment, la ramassa sous les quolibets des danseurs, la mit à son genou et coupa court aux railleries par ces mots : « Messieurs, honi soit qui mal y pense. Ceux qui rient maintenant seront très honorés d’en porter une semblable, car ce ruban sera mis en tel honneur que les railleurs eux-mêmes le chercheront avec empressement. »

Cet ordre de chevalerie, le plus ancien qui subsiste encore au xxie siècle, rassemblait en plus du souverain vingt-quatre chevaliers, membres à part entière. Les hommes sont appelés « chevaliers compagnons ».

Des femmes ont été associées à l’ordre, mais n’ont jamais été membres avant le règne d’Édouard VII au tournant du XXe siècle. Elles sont alors nommées « dames de la Jarretière ». Depuis 1987, les femmes peuvent être reçues à un grade équivalent à celui de chevalier, et peuvent faire partie des 25 membres. Elles sont nommées « dames compagnons ».

L’ordre inclut aussi des membres supplémentaires (de la famille royale ou des souverains étrangers) depuis 1813, appelés « chevaliers et dames surnuméraires ».

La devise de l’ordre est : « Honi soit qui mal y pense », avec un seul « n », selon l’orthographe de l’époque.

Les chevaliers et dames de l’ordre sont nommés par la reine sans consultation du Premier ministre. Il s’agit du plus grand honneur du Royaume-Uni, à l’exception de l’ordre du Chardon en Écosse.

Le roi Édouard III fonda l’ordre comme « une société, une communauté et un collège de chevaliers ». On présume généralement que l’ordre a été fondé en 1348, même si les dates de 1344 et 1352 ont aussi été évoquées. La garde-robe du roi fait état des premiers changements dus à la Jarretière, à l’automne 1348. En tout état de cause, l’ordre n’a probablement pas été établi avant 1346. Ses statuts d’origine exigeaient que chaque membre soit préalablement chevalier (ce qu’on assimilerait aujourd’hui à un « knight bachelor ») or quelques-uns de ses membres initiaux ne furent faits chevaliers que cette année-là.

Plusieurs légendes entourent les origines de l’ordre. La plus populaire implique la comtesse de Salisbury (probablement Jeanne de Kent). Alors qu’elle dansait avec ou à proximité du roi Édouard III, à Eltham Palace, on raconte que sa jarretière aurait glissé de sa jambe. Quand la foule de courtisans se mit à ricaner, le roi la ramassa et la noua à sa propre jambe en s’exclamant « Honi soit qui mal y pense », phrase qui est devenue la devise de l’ordre.
Selon une autre légende, le roi Richard Ier a été inspiré au xiie siècle lors des croisades, par saint Georges, patron des chevaliers. En effet, Richard avait pris l’habitude d’attacher une jarretière aux couleurs de la bannière du saint (blanc et rouge) autour de la jambe de ses chevaliers pour leur porter chance dans les batailles. Le roi Édouard III aurait alors décidé de faire référence à cet événement quand il fonda l’ordre au XIVe siècle, et de placer celui-ci sous la protection de saint Georges.

Charles Ier s’est attaché à rendre tout son lustre à l’ordre, qui s’était un peu terni depuis la mort d’Élisabeth Ire. Antoine van Dyck l’a représenté dans l’habit en 1637.

Peu après la fondation de l’ordre, des femmes furent désignées Dames de la Jarretière, mais ne furent pas faites compagnons. Le roi Henri VII interrompit cette pratique en 1488. Sa mère, Margaret Beaufort, fut la dernière dame de la Jarretière jusqu’à la reine Alexandra (en 1901). À l’exception des souveraines, Alexandra de Danemark fut la première nommée par la suite, par son mari Édouard VII. Le roi George V fit de même pour sa reine consort, la reine Mary, puis George VI pour sa femme, la reine Élisabeth. À travers le xxe siècle, les femmes sont ainsi intimement liées à l’ordre, mais à l’exception des reines, aucune ne fut faite compagnon. Cependant, en 1987, il devint possible de nommer une « dame Compagnon de la Jarretière » depuis la modification des statuts par la reine Élisabeth II.

L’adhésion à l’ordre est extrêmement limitée et comprend le monarque du Royaume-Uni, le prince de Galles, pas plus de 24 membres compagnons et quelques membres surnuméraires. L’appartenance à l’ordre est du seul fait du monarque9. Celui-ci est connu comme le « souverain de la Jarretière ». Quant au prince de Galles, il est connu comme le « chevalier compagnon de la Jarretière ». Les membres masculins de l’ordre sont des « chevaliers compagnons », alors que les membres féminins sont des « dames compagnons ».

Chevaliers compagnons lors de la procession annuelle de l’ordre.
Précédemment, lorsqu’une vacance se présentait, le souverain y remédiait en choisissant un nouveau membre parmi ceux proposés par les membres. Un système de proposition avait ainsi été mis en place à cette fin. Chacun des membres pouvait proposer neuf candidats, parmi lesquels trois devaient avoir un rang équivalent ou supérieur à celui de comte, trois à celui de baron et trois à celui de chevalier. Le souverain choisissait alors dans cette liste autant de personnes qu’il y avait de places disponibles. Il n’était cependant pas obligé de choisir ceux qui avaient obtenu le plus de propositions. Les derniers candidats à avoir été proposés datent de 1860. Depuis lors, les membres sont désignés par le seul souverain. Cependant, les statuts formulant cette procédure n’ont pas été modifiés avant 1853.

Depuis le XVIIIe siècle, le souverain faisait ses propres choix sur les conseils du gouvernement. Cependant, le roi George VI pensait que l’ordre de la Jarretière et l’ordre du Chardon étaient devenus trop liés aux parrainages politiques. En 1946, avec l’accord du Premier ministre et du chef de l’opposition, l’appartenance à ces deux ordres est devenue un don personnel du souverain. Ainsi, le souverain sélectionnait personnellement les chevaliers et les dames compagnons de la Jarretière, sans avoir à tenir compte des conseils du gouvernement.

L’ordre se compose également de membres surnuméraires qui ne sont pas décomptés de la limitation à 25 compagnons. Plusieurs de ces membres appartiennent à la famille royale britannique et sont connus sous le nom de « chevaliers et dames royaux de la Jarretière ». Ces titres ont été introduits par le roi George III, en 1786, afin que ses nombreux fils ne perturbent pas la limite en nombre de compagnons. Il créa le statut de membre surnuméraire, en 1805, pour qu’aucun descendant du roi George II ne soit décompté comme membre (c’est-à-dire extension aux frères et sœurs de George III). En 1831, ce statut fut étendu à nouveau pour inclure les descendants de George Ier (c’est-à-dire extension aux frères et sœurs de George II). Avec l’entrée de l’empereur Alexandre Ier de Russie dans l’ordre, en 1813, la catégorie des membres surnuméraires fut étendue aux monarques étrangers, qui sont connus sous le nom de « Chevaliers et Dames étrangers de la Jarretière ». Chacune de ces initiations exigeait la promulgation d’une loi. Cependant, à partir de 1954, l’admission régulière de chevaliers et de dames étrangers fut possible sans avoir recours à des dispositions particulières.

Le souverain peut dégrader les membres qui ont commis des crimes graves, tels que la trahison. Pendant la Première Guerre mondiale, plusieurs chevaliers étrangers qui étaient les monarques de nations ennemies virent leur adhésion révoquée. Celles de l’empereur Guillaume II d’Allemagne et de François-Joseph Ier d’Autriche ont ainsi été annulées en 1915. L’adhésion de l’empereur Hirohito fut également annulée après l’entrée en guerre du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale, mais il fut renommé après la fin de la guerre par Elizabeth II. Il est ainsi le seul chevalier à avoir été nommé par deux souverains différents.

Les descendants de chevaliers de la Jarretière ont la possibilité de rejoindre la « Société des amis de Saint George et des descendants des Chevaliers de la Jarretière ».

L’ordre comporte six officiers : le prélat, le chancelier, le greffier, le roi d’armes principal, l’huissier et le secrétaire. Les offices du prélat, du greffier et de l’huissier ont été créés lors de la création de l’ordre, ceux de roi d’armes et de chancelier au XVe siècle, et enfin celui de secrétaire au XXe siècle.

Officiers de l’ordre, lors de la procession annuelle. De gauche à droite : l’huissier, le roi d’armes principal, le greffier, le prélat et le chancelier.
L’office du prélat est tenu par l’évêque de Winchester, qui est traditionnellement un des dignitaires de l’Église d’Angleterre. L’office de chancelier est désormais occupé par un des compagnons de l’ordre. Depuis les débuts de l’ordre, cet office a été généralement exercé par l’évêque de Salisbury, il a cependant été tenu par des laïcs de 1553 à 1671. En 1837, après une modification du découpage des diocèses, le château de Windsor fut transféré dans le diocèse d’Oxford. La charge de chancelier fut dès lors transférée à l’évêque d’Oxford. Un siècle plus tard, l’évêque de Salisbury remit en question ce transfert, se fondant sur le fait que cette charge n’était en aucune façon liée au diocèse auquel était rattaché la chapelle de l’ordre et que, en tout état de cause, la chapelle Saint-Georges, en tant que possession royale, n’était pas sous juridiction diocésaine. L’office de chancelier fut alors retiré à l’évêque d’Oxford et a depuis été tenu par l’un des chevaliers compagnons. Depuis 1937, les membres qui ont exercé la fonction de chancelier sont :

  • William Cavendish-Bentinck, duc de Portland (1937–1943) ;
  • Edward Wood, comte d’Halifax (1943–1959) ;
  • Robert Gascoyne-Cecil, marquis de Salisbury (1960–1972) ;
  • Charles Lyttelton, vicomte Cobham (1972–1977) ;
  • John Neville, marquis d’Abergavenny (1977–1994) ;
  • Peter Carington, baron Carrington (1994-2012) ;
  • James Hamilton, duc d’Abercorn (depuis 2012).

L’office de greffier est tenu par le doyen de Windsor depuis 1558. Le roi d’armes principal de la Jarretière est d’office le membre le plus gradé du College of Arms (ou Collège des Hérauts ; autorité héraldique compétente pour l’Angleterre) et est généralement nommé parmi les officiers d’armes du Collège. Comme le titre l’indique, le roi d’armes principal a le devoir d’accomplir certaines tâches spécifiques, notamment celle de s’occuper des cimiers et des bannières des compagnons, qui sont exposées dans la chapelle. Depuis 1992, le secrétaire, qui agit en tant qu’assistant lors des cérémonies de l’ordre, est également choisi parmi les autres membres du Collège des armes. Enfin, le poste d’huissier est tenu par le gentilhomme huissier de la verge noire, qui est également le sergent d’armes de la Chambre des lords (même si, en pratique, ses fonctions sont le plus souvent déléguées par son adjoint, le Yeoman Usher).

Les chevaliers militaires de Windsor
Lors de la fondation de l’ordre de la Jarretière, vingt-six « pauvres » chevaliers ont été nommés et assignés au service de l’ordre et de sa chapelle. L’effectif de ce groupe a fluctué au cours du temps. Ainsi au XVIIe siècle, il n’y avait que treize de ces chevaliers. Le roi Charles II porta l’effectif à dix-huit après son couronnement, en 1660. Les chevaliers ayant manifesté leur opposition à ce qu’on les qualifiât de « pauvres », le roi Guillaume IV les rebaptisa « chevaliers militaires de Windsor », au XIXe siècle.

Les pauvres chevaliers étaient des vétérans ruinés à qui il était demandé de prier tous les jours pour les chevaliers compagnons de l’ordre. En échange, ils recevaient un salaire et bénéficiaient d’un logement au sein du château de Windsor. De nos jours, les chevaliers ne sont plus nécessairement pauvres, mais il s’agit toujours de militaires à la retraite. Ils escortent les processions de l’ordre et participent aux services religieux de la chapelle. Ils ne sont, toutefois, pas considérés comme des chevaliers ou des membres de l’ordre.

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