mer 24 avril 2024 - 12:04

La méditation qu’en attendre ?

Je médite depuis un certain nombre d’années et suis des enseignements de différentes écoles bouddhiques (tradition tibétaine et tradition theravada d’Asie du sud-est) depuis plus d’une trentaine d’années. J’ai également suivi des cours sur l’histoire du bouddhisme, avec l’Institut d’Etudes Bouddhiques de Paris.

Je ne pense pas être une théoricienne de la méditation mais plutôt une pratiquante qui conceptualise à partir de sa pratique.

Mon intervention d’aujourd’hui est un « témoignage » de ce que la méditation m’a apportée et les leçons que j’en ai tirées.

La méditation s’appuie sur une connaissance du fonctionnement de l’esprit, des émotions et de la souffrance et c’est cela qui m’a intéressée, c’est une vision non dualiste du corps et de l’esprit.

« Dukkha » en pâli signifie « le mal-être », « la souffrance existentielle » si prégnante dans nos sociétés et qui l’était d’autant plus pour moi qui ai rencontré de graves problèmes de santé il y a quelques années. Ce sont les enseignements et la méditation, ainsi que d’autres techniques comme le yoga et la psychanalyse, qui m’ont aidée à m’en sortir.

Dans ma recherche pour comprendre la maladie et tenter une guérison, il était important que cette pratique ne me serve pas uniquement à sortir de la maladie mais qu’elle soit également une leçon de vie, et une pratique altruiste allant vers les autres. Je ne souhaitais pas uniquement m’enfermer dans un « bien-être personnel ».

La méditation m’a aidée à prendre conscience de mon fonctionnement mental, à prendre de la distance avec ce corps malade et à aller de l’avant plutôt que de me morfondre sur les conséquences de la maladie. La méditation m’a permis d’acquérir un état d’esprit, peut-être une forme de distance avec un corps qui ne répondait plus à mes attentes d’une jeune femme d’une trentaine d’années.

Elle m’a aidée au quotidien à « tenir le coup » même lorsque mon corps faiblissait, mais également à faire des projets pour l’avenir immédiat, alors qu’à certains moments, aller chez l’épicier d’en face me demandait un effort surhumain.

Aujourd’hui, que je suis « sortie » de cette maladie, non pas guérie, est-on jamais guérie d’un sillon que l’on a creusé à un moment donné, sans le

vouloir consciemment ? Aujourd’hui donc, la pratique de la méditation m’aide à voir le monde tel qu’il est et à assumer le mieux possible mon humanité, en tous cas je l’espère.

Comme le disait Swami Prajnanpad qui fut le maître d’Arnaud Desjardins :

« Vous ne vivez pas dans LE monde, vous vivez dans votre monde ».

Les enseignements du Bouddha abordent depuis plus de 2500 ans ces notions par le biais de deux de ses principes essentiels, complémentaires et indissociables : l’interdépendance des êtres et des phénomènes et l’impermanence : penser et vivre en prenant conscience que tout ce qui existe est en mutation et transformation constante. Cette attitude pragmatique, donne une grande adaptabilité à ce que nous ressentons, aux êtres et aux circonstances.

En ce qui me concerne, au bout de quelques années de « maladie », bien que mon état se fût amélioré, je restais fragile. J’avais perdu de vue que je pouvais guérir. Mais comme le disait Rainer Maria Rilke « il faut savoir que les choses sont sans espoir, et tout faire pour les changer ».

Je continuais ma vie en souhaitant seulement pouvoir prendre encore un peu de plaisir, pas uniquement le plaisir des sens qui est un plaisir égocentrique et superficiel, mais trouver en moi-même une certaine JOIE: le simple fait de vivre et de goûter les choses…. En fait le yoga m’a appris une chose importante : le dépassement de soi et j’avais et ai toujours une devise : trouver du plaisir dans la contrainte.

Nous ne pouvons pas prévoir ou changer les évènements qui arrivent dans notre vie, que ce soit personnel ou collectif, mais ce que nous pouvons changer, c’est notre façon de les percevoir, de les accueillir.

Ainsi, la manière dont nous appréhendons la réalité conditionne notre vision de nous mêmes, des autres, de l’existence. La voie bouddhiste apprend à s’en tenir aux faits, rien qu’aux faits et la méditation nous permet d’appréhender nos émotions, non pas de nous en détacher mais de ne pas les laisser nous envahir ni de « rester » sur leurs conséquences, voir d’être dans un mode répétitif voir obsessionnel.

Il ne s’agit pas de ne plus éprouver d’émotions mais de ne pas se laisser envahir par elles. Cette maîtrise induit au fur et à mesure des états intérieurs différents qui changent notre vision du monde. Nous avons moins de peur et de ce fait devenons plus ouverts aux autres, plus altruistes, plus coopératifs pour créer en commun.

Notre altruisme nous amène vers tout ce qui est VIVANT, humains et non humains, nous avons une plus grande conscience de notre environnement.

Nous sommes des êtres émotionnels, ces émotions venant des cinq sens nous permettent d’une certaine façon d’appréhender le monde, mais ces sensations peuvent nous amener dans une spirale qui ne nous permet pas toujours d’en sortir.

Méditer c’est aussi mettre fin à un flot incessant d’idées, à un assaut de jugement que l’on est toujours prompt à appliquer à ce que l’on observe, biaisant aussi notre capacité de perception en la soumettant à des préjugés, à des concepts dont on n’a même plus conscience et pour certains dont on n’a même pas vérifié l’authenticité.

La méditation change notre rapport au monde, nous permet d’appréhender et sentir notre place dans l’univers, de nous concentrer de manière plus intense, d’être plus lucide.

La seule vraie question qu’il faut se poser c’est : dans quel but ?

Est-ce uniquement pour moi personnellement ? ou est-ce aussi dans un but altruiste ?

Le danger aujourd’hui, dans la rapidité avec laquelle se diffuse « la méditation de pleine conscience » c’est qu’elle risque de perdre son sens car coupée de ses racines bouddhistes ce qui veut dire coupée de l’altruisme et de l’éthique.

« Le risque est qu’elle soit instrumentalisée de manière opportuniste ou utilisée comme un produit. Il est de la responsabilité de tous ceux qui sont impliqués dans ce mouvement de veiller à ce que l’intégration de la pleine conscience se fasse de manière éthique, afin qu’elle contribue pleinement à l’apaisement dont nos sociétés ont besoin ». Je cite ici Jon Kabat-Zinn, professeur émérite de médecine, à l’université du Massachussets et fondateur d’une méthode « la méditation de pleine conscience » destinée à la réduction du stress. Jon Kabat-Zinn a suivi des enseignements de maîtres zen ainsi que de moines de la tradition Theravada – moines de la forêt (bouddhisme du Sud-Est asiatique).

En effet, le danger est grand, de nos jours où le « tout, tout de suite » et le « prêt-à-porter » spirituel sont à la mode, que très peu de personnes comprennent ce qu’implique un travail intérieur en pratiquant régulièrement la méditation. C’est un long cheminement, parfois semé d’écueils et de difficultés à surmonter, qui tend vers un accomplissement transcendant notre vision ordinaire de l’existence. Vouloir mettre la méditation à la portée de tous participe d’une excellente motivation, mais cette bonne volonté doit aller de pair avec une réflexion de fond : se rappeler que cette technique est issue d’une spiritualité et que ce n’est pas saupoudrer la vie mondaine ou séculière de quelques outils spirituels en vue d’un développement personnel ou de l’optimisation de performances. L’enjeu véritable est celui d’un changement radical de notre vision de l’esprit, du monde et des autres.

Méditer, c’est mettre une certaine distance vis-à-vis de l’acte de consommer ou de l’idée de compétitivité, en cultivant l’empathie avec les êtres humains et je dirais même avec les êtres non humains.

Méditer c’est donc retrouver le sens du don, de l’échange, de l’écoute.

Pour parvenir à une certaine émancipation, le bouddhisme propose ainsi un grand nombre de méthodes ou de moyens appropriés, qui tous se regroupent au sein des trois entraînements :

  • la discipline éthique (sila) qui modifie le comportement du pratiquant à l’égard de lui-même et d’autrui,
  • le recueillement méditatif (samadhi) qui concerne la maîtrise de l’esprit et de ses fonctions,
  • et la connaissance éminente de la nature de la réalité qui en résulte.

On en est venu à parler de « méditation laïque », terme pour le moins étrange. Qu’y-a-t-il en effet de laïc ou de non laïc dans le fait de méditer ? La laïcité est un concept moderne occidental impliquant en principe l’existence d’un espace public neutre à l’égard des religions instituées, sans hostilité, ni phobie. Est-ce pour se démarquer de la tradition bouddhique que l’on a ajouté ce terme, comme pour s’assurer qu’il ne s’agit plus là d’une pratique spirituelle ou religieuse ? Et dans quel but ?

Il me semble qu’il faut se poser les vraies questions…. Comme je l’ai proposé plus haut : quelles sont mes réelles motivations ou mes réelles intentions pour pratiquer la méditation ? Car celle-ci n’est pas une technique de plus à « consommer » mais un véritable outil de travail

L’intention qui est un dessein délibéré d’accomplir un acte, par la volonté qui est très importante dans la démarche de méditer régulièrement.

Peut-être faudrait-il parler de méditation universelle comme le préconise Sofia Stril River, ce qui pourrait englober toute forme de méditation, qu’elle émane d’une religion, d’une spiritualité ou d’un monde athée ?

Alors pour en revenir à la question : la méditation qu’en attendre ?

Je serais tenter de dire de ne RIEN attendre, car être en attente n’est peut-être pas la meilleure posture dans la méditation.

Elle requiert du lâcher-prise. Il peut y avoir des méditations inspirantes qui laissent une trace dans les heures, voir les jours à venir. Mais il peut y avoir également des méditations qui n’apportent rien sur le moment, en tous les cas c’est l’impression que nous en avons. Rien n’est moins sûr car en fait un « travail » continue à se faire dans la persévérance de méditer régulièrement.

Cette régularité permet au mental parfois de lâcher prise et nous pouvons au fur et à mesure du temps comprendre que ces « petits lâchers prises » se cumulant nous amènent à plus de sérénité dans la vie au quotidien. Nous pouvons nous surprendre à être plus serein (e) dans certaines situations où auparavant nous aurions réagi très rapidement. AGIR et non REAGIR est préférable comme le spécifiait Ajahn Medhino – moine de la tradition theravada, moine de la forêt.

Ce « confort » personnel (le lâcher prise dans la vie quotidienne) se diffuse autour de nous et permet le plus souvent d’apaiser des situations où le conflit n’est jamais très loin. Nous vivons dans une époque où les rapports de force sont très présents. Nous n’avons pas toujours envie d’y entrer ou nous n’en avons pas toujours les moyens, nous trouvant débordés par l’émotionnel. La méditation au fur et à mesure de notre travail régulier instaure intérieurement un état plus calme qui permet de ne pas entrer systématiquement dans des rapports de force.

Ces rapports de force, peuvent exister également avec un corps malade, la dualité corps-esprit s’instaure alors qu’en dépassant cette dualité il semble possible de trouver une harmonie. C’est souvent la douleur à répétition qui soutient cette dualité, l’esprit pourrait-être plus calme s’il n’y avait pas cette douleur bien souvent répétitive. La douleur existe, bien évidemment mais si le mental est plus apaisé nous réagirons différemment.

Je tente au travers de ces lignes, de vous donner une approche différente de la méditation, il ne s’agit pas seulement de s’en servir comme un objet de consommation qui permet « d’être mieux dans sa peau » mais d’un véritable travail intérieur pour aller vers une autre dimension qui nous permet d’être plus lucide dans LE MONDE et de ce fait d’AGIR en conséquence.

Dans mon chemin de vie, J’avais perdu de vue depuis un bon moment l’idée de guérir, mais je souhaitais continuer encore un bout de ce chemin de vie, difficile certes mais si exaltant. Je dis bien souvent que la vie est bien plus créative que nous, qu’elle nous amène à vivre des évènements auxquels nous n’aurions même pas pensé. Des évènements bénéfiques et d’autres beaucoup moins, « l’art de cet amour de la vie » c’est de comprendre ce qui est en jeu et d’y plonger afin de vivre en pleine conscience ce qui se présente avec un regard bienveillant, envers soi mais aussi envers les autres. C’est une gymnastique un peu difficile mais qui permet bien souvent de mieux passer les épreuves.

Ce regard bienveillant permet la rencontre avec les autres, que ce soit dans le domaine familial, professionnel, également dans le domaine de la santé. J’ai été soignée, aidée, accompagnée pendant plusieurs années par un médecin et son équipe, et nous avions alors des rapports de bienveillance les uns par rapport aux autres. Ce n’était pourtant pas une époque qui les facilitaient. Il est toujours possible même lorsque nous sommes envahis par nos peurs, de tenter de changer de vision et par là-même de comportement.

Et pour terminer et clarifier mes propos, je voudrais citer un maître du bouddhisme tibétain : Chogyam Trungpa qui parle de la médiation en ces termes :

« La méditation ne consiste pas à essayer d’atteindre l’extase, la félicité spirituelle ou la tranquillité, ni à tenter de s’améliorer. Elle consiste simplement à créer un espace où il est possible de déployer et de défaire nos jeux névrotiques, nos auto-illusions, nos peurs et nos espoirs cachés. Nous produisons cet espace par le simple recours à la discipline consistant à ne rien faire »

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Ida Radogowski
Ida Radogowskihttps://forms.gle/jqqZUgXG4LN6vv9aA
Pratiquante bouddhiste depuis plus d’une trentaine d’années, continue de suivre régulièrement des enseignements auprès de maîtres du bouddhisme Theravada-moines de la forêt (bouddhisme de l’Asie du sud-est) et pratique la méditation régulièrement. Ida a pratiqué pendant longtemps le hatha-yoga, s’est imprégnée d’une certaine philosophie hindouiste moderne (Swami Prajnanpad et Krischnamurti). Je guide depuis plusieurs années des séances de yoga-nidra (yoga relaxation) auprès de différents groupes. Ses thèmes de réflexion sont : l’éthique – le travail sur soi, la cohérence et rassembler ce qui est épars. Elle travaille dans le milieu du spectacle vivant depuis de nombreuses années en qualité d’administratrice de compagnies de théâtre et d’ensembles musicaux (gestion-administration). Ida a crée avec d’autres personnes LA LETTRE DES DEUX VOIES pour favoriser des échanges et des liens entre Francs-Maçons(nes) qui sont déjà dans une démarche bouddhiste ou qui souhaite connaître un peu mieux le bouddhisme. La lettre est trimestrielle et gratuite, on peut s’y inscrire en précisant son Ob., sa L. et la Ville de résidence à ce mail : lesdeuxvoies@orange.fr

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