De notre confrère béninois banouto.bj
À Cotonou, au Bénin, un fait divers troublant a récemment secoué la communauté locale et ravivé les tensions autour des perceptions de la franc-maçonnerie. Le 8 juin 2025, le site Banouto, premier média d’investigation du pays, a rapporté l’arrestation d’un jeune homme accusé d’avoir escroqué un vieil homme d’affaires souffrant en se faisant passer pour un grand maître franc-maçon. Cette affaire, qui mêle escroquerie, manipulation et exploitation de la vulnérabilité, met en lumière les dérives liées à la cybercriminalité et les stéréotypes entourant la franc-maçonnerie dans la société béninoise.
Les faits : une arnaque soigneusement orchestrée

Selon les informations publiées par Banouto, l’escroquerie a débuté lorsque le jeune suspect, dont l’identité n’a pas été divulguée pour des raisons légales, a ciblé un homme d’affaires âgé et malade, résidant à Cotonou. Profitant de l’état de santé fragile de sa victime, présumée atteinte d’une maladie grave, le jeune homme s’est présenté comme un haut dignitaire d’une loge maçonnique, prétendant détenir des pouvoirs mystiques ou des connexions influentes capables de guérir ou d’améliorer sa condition. Cette approche s’appuie sur une stratégie classique des escrocs béninois, souvent surnommés « gaymen » ou « brouteurs », qui exploitent les croyances populaires et les espoirs des victimes.
Le suspect aurait convaincu l’homme d’affaires de lui verser des sommes d’argent importantes, sous prétexte de financer des rituels maçonniques ou d’obtenir des faveurs surnaturelles. L’article indique que l’escroquerie a impliqué des transactions financières substantielles, bien que le montant exact n’ait pas été précisé. La victime, manipulée par la promesse d’une guérison miraculeuse, aurait transféré ces fonds via des canaux numériques ou des intermédiaires, une méthode courante dans les arnaques en ligne au Bénin. L’affaire a été découverte lorsque la famille de l’homme d’affaires, alertée par son état de santé déclinant et des mouvements financiers suspects, a signalé les faits aux autorités.
Une arrestation et une enquête en cours

Suite à la plainte déposée, la police béninoise a procédé à l’arrestation du jeune homme, dont l’âge n’est pas mentionné mais qui serait dans la tranche des 20-30 ans, un profil typique des cybercriminels actifs dans la région. L’enquête, confiée à la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), vise à établir l’ampleur de l’escroquerie et à identifier d’éventuels complices. Banouto rapporte que le suspect a été interrogé et qu’il aurait reconnu une partie des faits, arguant qu’il agissait sous la pression financière et que son prétendu statut maçonnique était une façade pour gagner la confiance de sa victime.
Les autorités explorent également la piste d’un réseau organisé, une hypothèse plausible étant donné la sophistication de l’arnaque. Au Bénin, les « brouteurs » opèrent souvent en groupes structurés, avec des chefs qui orchestrent les stratagèmes et des subalternes qui exécutent les contacts avec les victimes. Cette affaire pourrait ainsi révéler une nouvelle variante de ces pratiques, exploitant les symboles maçonniques pour légitimer les demandes d’argent.
Contexte : la cybercriminalité et les stéréotypes maçonniques

Cette escroquerie s’inscrit dans un contexte de montée de la cybercriminalité au Bénin, un pays devenu une plaque tournante de l’arnaque en ligne en Afrique de l’Ouest. Depuis les années 2000, le phénomène des « gaymen » – un terme dérivé des premières arnaques ciblant des personnes homosexuelles occidentales – s’est diversifié, touchant des victimes locales et internationales avec des techniques allant du « love chat » au chantage pornographique. Selon des experts comme Pierre Dovonou Lokossou, gestionnaire de projets technologiques cité dans des rapports antérieurs, ce type d’escroquerie prospère dans un pays où le chômage des jeunes est élevé et où l’accès à internet offre une opportunité d’argent facile.
L’utilisation de la franc-maçonnerie comme couverture dans cette affaire reflète aussi les perceptions ambivalentes de l’ordre au Bénin. Bien que la franc-maçonnerie existe officiellement dans le pays, avec des loges affiliées à des obédiences internationales, elle reste entourée de mystères et de soupçons. Dans les cultures ouest-africaines, où les croyances traditionnelles et religieuses dominent, les rituels maçonniques sont parfois associés à des pratiques occultes ou à des réseaux de pouvoir influents. Cette image, amplifiée par des rumeurs et des stéréotypes, est exploitée par des escrocs pour manipuler des victimes crédules, comme ce vieil homme d’affaires.
Réactions et implications
La communauté maçonnique béninoise, bien que discrète, a réagi avec indignation à cette affaire. Des sources proches des loges locales, citées par Banouto, ont dénoncé une instrumentalisation malveillante de leurs symboles, soulignant que la franc-maçonnerie n’a aucun lien avec des pratiques de guérison ou d’escroquerie. Cette affaire risque toutefois d’alimenter les discours antimaçonniques, déjà présents dans certains milieux conservateurs ou religieux au Bénin, qui accusent les maçons de manipuler les affaires économiques et politiques.
Pour les autorités, ce cas illustre la nécessité de renforcer la lutte contre la cybercriminalité. En 2025, le gouvernement béninois, sous la présidence de Patrice Talon, a intensifié les efforts pour démanteler les réseaux d’escrocs, avec des arrestations régulières et des campagnes de sensibilisation. Cependant, la porosité des frontières et l’absence de coordination régionale efficace avec des pays comme le Nigeria, berceau historique de ces pratiques, limitent les résultats. Cette affaire pourrait pousser à une coopération accrue avec des organisations internationales, comme Interpol, pour traquer les fonds détournés.
Une victime vulnérable au cœur du drame
Le profil de la victime – un vieil homme d’affaires malade – ajoute une dimension tragique à cette histoire. Dans un pays où les systèmes de santé sont sous pression, les personnes âgées ou malades sont souvent des cibles privilégiées pour les escrocs promettant des solutions miracles. L’exploitation de cette vulnérabilité soulève des questions éthiques et sociales, notamment sur la protection des citoyens face aux arnaques en ligne. La famille de la victime, qui a joué un rôle clé dans la détection de l’escroquerie, pourrait envisager des poursuites civiles pour récupérer les fonds perdus, bien que les chances de restitution soient minces dans ce type d’affaires.
Perspective et enseignements
Ce fait divers, survenu à une date aussi symbolique que le 8 juin 2025, jour où ces lignes sont écrites, illustre les dangers croissants de la cybercriminalité au Bénin et les risques liés à la manipulation des symboles maçonniques. Il met en lumière la nécessité d’une éducation accrue des citoyens aux techniques d’escroquerie et d’une régulation plus stricte de l’utilisation des plateformes numériques. Pour la franc-maçonnerie, cet incident est une opportunité de clarifier son image et de rappeler que ses valeurs – fraternité, tolérance, vérité – sont aux antipodes de telles pratiques.
Alors que l’enquête se poursuit, cette affaire restera un rappel poignant des failles sociales et technologiques qui permettent à de jeunes escrocs de prospérer, au détriment des plus vulnérables. À Cotonou, comme ailleurs, la lutte contre ces abus nécessitera une mobilisation collective, alliant sensibilisation, répression et coopération internationale.