dim 24 novembre 2024 - 01:11

Peut-on tailler la pierre de l’écologie ?

Les outils maçonniques n’ont jamais été prévus pour ça. Il faudrait peut-être aller en chercher d’autres, chez les jardiniers ?  Pour autant, ce sont les nôtres, ces outils et nous sommes habitués à travailler  avec. Peuvent-ils nous aider à comprendre quelque chose à l’écologie ? 

Apprentis, ils nous ont servi à dégrossir la pierre. A enlever la gangue, toute la matière sédimentée, incrustée qui entoure la pierre brute et empêche d’y accéder. De même, il va falloir se débarrasser de tout ce qu’on a entendu sur l’écologie et qui nous en éloigne :  les critiques de bonne ou de mauvaise foi, les préjugés, les idées fausses, les délires, les bêtises, tout ce qui a pu être dit sur l’écologie depuis des décennies, tout ce qui a formé  chez nous une vision assez négative d’elle. Peut-on réellement comprendre une pensée en se basant uniquement sur ceux qui la critiquent ? C’est comme si on essayait de connaître la franc-maçonnerie en consultant des sites conspirationnistes. Donc, se débarrasser de cela : les idées négatives qui viennent de ses détracteurs. Mais aussi celles qui viennent de son propre camp. Tout ce que les écologistes eux-mêmes ont produit et qui joue le rôle d’un formidable repoussoir : les discours moralisateurs, les mises en accusation permanentes,  les procès en tous genres, les inquisitions contre ceux qui ne sont jamais assez verts, jamais assez purs, jamais assez écolos. Laisser tomber cette gangue et se retrouver enfin devant ce qu’est peut-être l’écologie au point de départ comme science de la nature. Nous la verrons comme  une pierre nue, sans forme particulière, une matière brute, prima matera

Toujours avec le ciseau et le maillet, mais déjà avec l’équerre aussi, lui donner une forme. Elle sera carrée, bien sûr. Car il s’agit de la Terre. La Terre est bleue comme une orange, mais symboliquement,  c’est la forme carrée qui la représente. La pensée, la connaissance à propos de la Terre sont carrées, il leur faut de la rigueur et aussi de la rectitude. Un carré au cube, en trois dimensions, douze arêtes et six faces. Si nous taillons bien cette pierre, elle aura une forme volumétrique parfaitement équilibrée, aucune partie ne dominera les autres, le centre de gravité se trouvera au centre exact de la figure. Alors que va-t-on trouver sur chacune des faces ? Ici on aurait pu reprendre ce que dit la tradition à propos de pierre cubique et de ce qui est censé y être gravé. Mais on a entrepris de faire autre chose, de parler d’écologie, de tailler une autre pierre que la pierre traditionnelle, il ne s’agit pas de (re)construire le temple de Salomon. Si on taille la pierre de l’écologie,elle va nous dire des choses que peut-être on connaît déjà et d’autres auxquelles on ne s’attend pas. 

Sur la première des faces latérales on gravera : les 5 sens. Parce que ce sont nos sens qui nous permettent d’entrer en contact avec le réel, avec la matière, et donc avec la nature. Et d’abord : les mains. Du moins, c’était le cas chez les tailleurs de pierre dont nous nous réclamons, c’était le cas chez les jardiniers et chez les paysans. Nos grands-pères étaient des fils de paysans, pas nous. Nous avons perdu ce contact. Dans la France du début du XXème siècle, la moitié de la population française était rurale, au milieu du XIXème c’était trois sur quatre, aujourd’hui moins d’un quart (18,5%). L’urbanisation qui s’est accentuée entre les deux guerres nous a fait perdre le contact avec la nature, avec la terre, les végétaux, les animaux, avec le rythme des saisons, avec la vie des autres espèces vivantes. Nous habitons dans des espaces urbains artificialisés. Dans nos villes l’essentiel de nos activités relève du tertiaire, nous ne travaillons plus directement la matière. Nous regardons le monde à travers les écrans. Les écrans représentent le monde mais également ils le masquent, ils font écran. Nous finissons par confondre le monde avec les images que nous nous en faisons. Sur nos écrans il n’y a que de l’image, pas d’odorat, pas de goût, pas de toucher. C’est du sans contact. Or, c’est par les sens que nous retrouvons le contact avec la nature, et par là même avec notre propre nature biologique. C’est par la vue, le toucher, l’écoute, l’odorat, et le goût. La première face est celle de la perception.

La deuxième face sera gravée au nom de la Science. Car pour comprendre l’écologie, il va falloir trier ce qui relève de sa juridiction. Et pas du dogme, ni de  l’idéologie, et pas non plus des batailles d’arguments que s’envoient à la tête les Pour et les Contre, pris dans des luttes d’influences. Comme Montaigne, on va se demander : Que sais-je ?  A propos du réchauffement climatique, à propos de l’effondrement du vivant, à propos des pollutions diverses et des bouleversements des conditions de vie sur terre? Qu’est-ce qu’on peut tenir pour vrai ? Ce n’est pas si difficile que ça de faire le tri, encore faut-il s’en tenir à une approche rigoureuse, basée sur la Raison et sur la méthode scientifique. Nos ancêtres avaient commencé par là : la science, pour construire l’humanisme du XVIè siècle.  La science nous dit, depuis James Lovelock et l’Hypothèse Gaïa, que les conditions de vie sur Terre, la salinité de l’eau, la composition de l’air que nous respirons, ne sont pas des données constantes composant l’environnement dans lequel nous évoluons, mais qu’elles sont produites et régulées depuis 3,8 milliards d’années par les êtres vivants qui ont émergé. Régulées..et dérégulées depuis les débuts de l’ère industrielle et l’entrée dans l’Anthropocène. Sur la deuxième face, donc : la Science, gouvernée par la Raison. Les francs maçons connaissent bien ce principe : avant de commencer à réfléchir à une question, il faut commencer par l’étudier. 

La troisième face sera gravée au nom des Arts. Notamment les Arts Mécaniques qui relèvent à la fois de l’artisan et de l’artiste. Dans notre tradition, l’architecte n’est pas seulement celui qui imagine et conçoit l’édifice mais aussi celui qui le bâtit, dessinateur et maître de chantier. Or les défis que nous lancent l’écologie nous poussent à construire un monde différent de celui-ci, nous aurons besoin d’ouvriers et d’architectes. Mais nous ferons aussi appel aux Arts Libéraux, ceux du Langage et ceux des Nombres, pour imaginer ce monde autrement, nous aurons besoin de poètes, de plasticiens, de musiciens…. Les artistes voient plus vite et plus loin que les ingénieurs. C’est l’imagination qui nous sortira le de la peur de Réel,  de l’éco-anxiété et nous permettra de nous projeter vers un nouvel avenir possible. La troisième face est celle du génie créateur. 

La quatrième face sera dédiée à l’Humanité, mais une humanité renouvelée. Une qui aura compris, grâce à sa perception du Réel, grâce à la Science, grâce aux Arts, que le monde n’est pas composé d’objets qui lui sont extérieurs, qu’elle n’est pas un cas à part du Vivant, mais que toutes choses se tiennent et qu’elle est prise dans un continuum, dans un réseau de dépendances dont il lui est impossible de s‘extraire comme le pense Bruno Latour dans Où Atterrir ?  Elle doit s’interroger sur le rôle qu’elle joue. L’Humanité produit ses propres conditions d’existence…ou les détruit. Et ces conditions sont les mêmes que pour les autres espèces. Ce qui lui donne de nouvelles responsabilités et appelle de nouvelles pratiques : “Tu es responsable de ta rose”  comme on dit :  “Tu es responsable de ton frère”. Au XVIè siècle l’Humanité a pris conscience d’elle-même, au XXIè elle étend cette conscience au reste du Vivant. La quatrième face est celle d’une Humanité consciente, celle d’un nouvel humanisme.

Reste la face supérieure du cube. On la verra en forme de pointe, de pyramidon. Le pyramidon posé sur le cube permet de reprendre la thématique de chacune des faces et de les porter vers le haut : Les 5 sens, La Science, Les Arts, L’Humanité. Selon qu’on retiendra l’hypothèse d’un Grand Architecte, alors, dans la tradition Kabbalistique on pourra considérer que la pointe de la pyramide est celle par laquelle passe le souffle initial, le souffle vient du haut vers le bas, il inspire l’existence des Hommes. On bien au contraire on pourra considérer qu’il remonte du bas vers le haut, toujours sur le pilier de la conscience, que c’est par cette voie que passent les aspirations des humains vers quelque chose de plus grand qu’eux, un idéal qui les dépasse, une étoile plus loin que leur regard, un point, un minuscule point au regard de l’immensité de l’Univers, mais qui donne du sens à l’aventure humaine.

Qu’y a-t-il  sur la face cachée du cube, la sixième ? Par définition, on ne le saura pas puisqu’elle est cachée. C’est sur cette face, sur la base,  que toutes les autres peuvent se projeter, toutes les paroles qui concernent l’écologie et qui  auront été obtenues en utilisant une méthode maçonnique : celle de tailler la pierre.  Bien sûr, d’une personne à l’autre, les résultats seront très différents. Chacun n’aura pas la même approche ni le même regard. Mais l’intérêt de l’exercice est uniquement de montrer que nos outils et symboles sont suffisamment souples et ouverts pour qu’on puisse aussi les interroger sur l’écologie.

2 Commentaires

  1. Juste une petite question. Ne manque-t-il pas une partie de la conclusion … “Mais l’intérêt de l’exercice est uniquement de montrer que …” Que quoi ?
    Autrement un article très intéressant. L’écologie est certainement désormais le chantier essentiel des FM car c’est la construction de notre temple extérieur de la Nature qu’il s’agit… La technologie ne doit pas nous séparer de la Nature, “notre Nature” dans laquelle nous vivons et notre “propre nature” que nous devons rechercher et trouver comme la sentence VITRIOL nous y invite …

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Pierre Gandonniere
Pierre Gandonniere
Membre du Grand Orient de France et du Grand Chapitre Général. Journaliste, consultant, enseignant Auteur d’une thèse sur l’Ecologie de l’Information Auteur de : "L'Humanisme en Tablier Vert -L'Ecologie est-elle une question maçonnique ?" Detrad, 2023

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