L’humilité[1] est l’une de ces valeurs essentielles qui, dès sa définition, nous renvoie à nous-mêmes : Elle n’est autre, en effet, que la conscience de soi et de notre petitesse, aussi bien devant la masse des autres humains que dans l’univers. Partant, il s’agit d’avoir la lucidité d’admettre que nous sommes des êtres fragiles, provisoires, en un mot : mortels. La conscience de la mort physique rend humble immédiatement ! L’humilité, qui vient de “humus”, du latin terre, sol) nous incite certes à lever la tête vers le ciel pour admirer modestement la création et pour mesurer notre petitesse, mais aussi à baisser la tête vers cette même terre, pour ne pas la perdre de vue : nous en venons et nous y retournerons…
L’humilité renvoie aussi d’évidence à la durée, à ce minuscule temps de passage, qu’est une vie humaine. La pâte humaine est de fait une pâte de verre. Et en tant qu’êtres de verre, c’est notre fragilité même qui nous rend transparents et laisse entrer en nous la lumière!
Rester simple
Au plan maçonnique, notre échelle de degrés, trop souvent assimilée à des grades, en soi « militarisants » ne facilite certes pas l’humilité, c’est à dire la modestie, son synonyme, en tant que « modération de soi-même ». Il faut le plus vite possible (avant d’être atteint de boursouflures de l’ego !) comprendre que notre progression est une ascension personnelle qui ne doit pas être comparée, avec…le tablier du voisin.
C’est en fait, soyons francs, un combat à mener à chaque tenue, dès lors que notre progression s’y mesure précisément, à coups de décors ! Rester simple et…se parer d’enluminures n’est pas évident! Là est si l’on peut, dire, l’une des « faiblesses » des Hauts Grades, conçus à l’époque des Lumières…pour éblouir l’autre et le dominer. Transformer les éclats extérieurs trompeurs en lumière intérieure, pour s’autoéclairer, se connaître, s’accepter en fait : oui, c’est tout le travail d’une vie maçonnique…
Dès lors, l’humilité implique que l’on ne se mire pas dans le regard de l’autre, comme Narcisse dans l’eau de la fontaine ! Il y a là toute la différence entre voir et regarder. Voir, c’est entrevoir seulement le contour des choses, bien souvent. Regarder, c’est observer, entrer dans le détail, c’est apprécier, goûter, peser, évaluer, découvrir, pour au final agir le mieux possible, sans prétention.
Un effet pervers
En tant qu’êtres sociaux, nous avons besoin de l’autre pour nous construire, en “frottant” notre intellect à ses pensées, à ses idées, à ses paroles. “Qu’est-ce qui est plus brillant que l’or? La parole échangée!” dit notre Frère Goethe! Autre problème en loge, difficile à résoudre : nous n’échangeons pas vraiment, puisque nous prenons la parole à tour de rôle et communiquons avec des monologues croisés, discipline oblige. Il ne s’agit donc pas de pérorer en se mettant à l’ordre pour s’entendre parler, mais de s’écouter (écouter notre voix intérieure et non notre voix de bouche) avant de décider de prendre la parole et d’écouter les autres. C’est d’ailleurs à force de s’écouter …que l’on finit par s’entendre ! L’humilité sera ici de ne pas chercher à avoir raison, mais de raisonner.
N’oublions pas que l’humilité en maçonnerie est une notion d’origine chrétienne. Elle renvoie ici à l’obéissance : l’Eglise, à travers ses papes et ses princes, a trouvé sa puissance et l’a sans cesse entretenue à travers les siècles, en intimant à ses serviteurs de se mettre à genoux devant elle ! Nous sommes dès lors dans l’hypocrisie et l’effet pervers. On ne peut ignorer cette contradiction en évoquant l’humilité!
La franc-maçonnerie qui est, ne nous le cachons pas, une forme de “copier-coller” de l’église, (ou l’envers de la carte à jouer, comme on veut !) est tombée aussi dans ce travers. Le symbolisme des Hauts Grades présente de la sorte une incohérence (par rapport aux trois premiers degrés, où l’humilité est tout à fait applicable), une « incohérence » dont il faut être conscient : en effet, comment être un puissant Chevalier tout en étant humble ?! Lorsque le Chevalier s’agenouille pour recevoir l’adoubement, il se soumet devant un autre homme dont il reconnaît et avalise la supériorité. Cette humilité est plus sentimentale que rationnelle !!
Enfin, on ne peut évacuer d’un revers de main, le temps des Croisades où les soi-disant “humbles Chevaliers” sont allés en Orient “casser de l’arabe” (horrible expression) au nom du Christ ! Mais cela n’excuse pas pour autant les islamistes criminels d’aujourd’hui qui, de fait, sont à même de prendre leur revanche en Occident ! Tout meurtrier relève de la justice des hommes. La croyance, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne, n’excuse en rien le méfait, dès qu’il est nuisible à autrui. Comme quoi l’humilité mal comprise par des esprits faibles, c’est à dire mise au service d’une puissance supérieure supposée, fut-elle divine, peut conduire au fanatisme. Elle est tout simplement inacceptable !
Dépasser la hiérarchie de dominance
En conclusion pour ma part et maçonniquement parlant, je pense que l’humilité n’est pas un sujet facile à traiter en maçonnerie. On ne peut vraiment l’aborder que par le symbole et la métaphore, pour absolument dépasser la notion de “hiérarchie de dominance” qui caractérise la société des hommes. Il est possible d’être humble par rapport à soi-même en ayant conscience de ses compétences et de sa finitude. Il est plus difficile, surtout dans la société d’aujourd’hui (où il convient souvent d’écraser l’autre !) d’être humble, c’est à dire de prendre le risque de cet écrasement par autrui. L’humilité peut être prise pour de la faiblesse, notamment sur le marché de l’emploi, où l’on cherche surtout des êtres « gagnants » ! Ne parle-t-on pas de « tueurs » pour désigner des « conquérants professionnels » ?
La marge est donc étroite, subtile : l’affirmation de soi (l’assertivité, pour employer un mot moderne) consiste donc à trouver sa place, son passage, entre l’agressive mégalomanie et la plate servilité. Etre ni hérisson ni paillasson. Comment être reconnu et considéré, tout en restant humble ? En toute humilité… il s’agit de passer entre toutes les contradictions qu’implique cette qualité.
Au vrai, une invention humaine qui fait de cette humilité une vertu et non un don divin.
[1] En complément du présent article, les lecteurs peuvent lire l’édito de Christian Roblin paru, dans ce Journal, le 15 août 2023, sous le titre : “Petit tour de l’humain, grand retour à l’Homme !”, ainsi que la contribution de Solange Sudarski à son propre blog, sous le mot : “Humilité”. (N.d.l.R.)
Quelle difficulté mon BAF Gilbert que de savoir redescendre d’un piédestal que lui confère un rôle dans le monde profane et surtout en Franc maçonnerie; Celle du VM qui descend de sa chaire pour ne pas réussir à redevenir de Frère Maitre maçon qui cherche , se cherche regardant cette humus qui lui rappelle d’où il vient. Il suffit de regarder souvent cette souffrance nécessaire du “Jeune Couvreur ” avant qu’il comprenne le véritable sens de cette Tradition
Les Hauts Grades n’aident pas la faiblesse de l’Ego combien sont ils ces 33ème qui ne portent plus de gants de façon très symbolique oubliant pourquoi ils en ont longtemps porté.
Quel plaisir à chaque fois de te revoir sur ce média que j’affectionne
A bientôt mon Grand Frère Gilbert
je t’embrasse
Je me permets de mettre ici un lien vers une approche de ce sujet, àla fois semblable et complémentaire : http://solange-sudarskis.over-blog.com/article-650923.html
Une philoamie.
Mon TCF Gilbert
On peut tout à fait être humble (vraiment et faussement humble!) dans les HG ! Mais c’est plus difficile que dans les trois premiers degrés : c’est pour ça que s’appelle “Perfectionnement” !