jeu 02 mai 2024 - 05:05

Petit tour de l’humain, grand retour à l’Homme !

(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)

Tous les comportements humains sont empreints d’humeurs, pas nécessairement d’humeurs de l’instant, mais aussi d’humeurs remontant à des pensées, à des émotions, à des situations ou à des expériences antérieures, parfois anciennes, soit continues, soit inopinées, soit rappelées par les circonstances. Vous vous demandez avec effarement pourquoi je claironne une telle banalité, d’entrée de jeu. Oh ! c’est bien simple : parce que ce qui doit nous interroger relève le plus souvent de réalités triviales et diffuses auxquelles nous ne prêtons plus guère attention et qui font de nous des otages invisibles traînant leurs chaînes.

N’y aurait-il pas quelque paradoxe à s’en étonner, quand l’initié serait lui-même à la recherche d’un ressenti ? C’est qu’il s’agit de tout autre chose, qui passe précisément par un dépouillement, celui de cette gangue de réactions qui, pour être sincères et avoir leurs causes, oppriment notre moi profond et nous empêchent d’accéder à une pleine conscience de notre état de sujet vivant, appartenant non seulement à son histoire et à sa société, mais aussi et principalement au vaste règne de la Nature qui régule sa condition, en première comme en dernière analyse.  

Dans cet étrange combat qui ne peut se livrer que par les voies de l’apaisement intime et de la réconciliation intérieure, l’humour, qui marque ce pouvoir de dissociation d’avec les redoutables ambiguïtés du silence, l’humour porte ainsi la signature d’une libération. Certes, il reste loin du langage de la totalité – langage qui, au fin mot, ne trouve son achèvement que dans un consentement ultime à l’ineffable –, mais il ouvre un chemin vers le ciel, laissant poliment à chacun le soin d’en tirer les conséquences. L’humour est la soupape de nos humeurs. Il vaque au service de notre réclamation perpétuelle de vérité, de justice et, en définitive, de pardon, car, sans capacité de pardon, aucun espoir ne peut durablement renaître. L’humour est le page de la résilience, même si, l’âge venant, il ressemble davantage à un vieux domestique se refusant à la mélancolie. Il offre toujours cette aide discrète et charmante pour l’esprit, qui l’encourage à poursuivre. Il est vrai qu’humour et humeur ont même origine et que ces mots se confondaient au début du XVIIe siècle, avant que l’usage anglais ne les distinguât, spécifiant le premier dans le recours à des « mots piquants à double entente[1] » ou à double détente, c’est selon, qui caractérise une « aptitude à voir ou à faire voir le comique[2] », le ridicule des choses, dévoilant gaîment la fausseté, la fourberie, l’imposture.  

C’est en cela que l’humour s’élève au-dessus de l’humus qui nous constitue, tant homme et humus ont racine commune dans la terre, le premier mot traduisant que l’homme prend son origine et sa forme dans le second. Même si cette étymologie n’a jamais été sérieusement contestée, elle offusquait jadis le rhéteur latin Quintilien qui ironisait : « Et dira-t-on que l’homme est nommé ainsi parce qu’il est né de la terre, comme si tous les êtres animés n’avaient pas la même origine[3] ? » Pour autant, façonné d’argile puis rendu à la poussière, l’homme gagnerait à se couler dans cet imaginaire car, à faire de plus en plus dangereusement offense à la Nature, il rompt avec l’originelle humilité[4] de sa fonction terrestre et risque de ne connaître bien longtemps ni  la consolation ni la sérénité ni moins encore la paix ou l’harmonie.


Humeur, humour, humus, humilité : petit tour de l’humain, grand retour à l’Homme !


[1] Trésor de la langue française, sub verbo Humour.

[2] Ibid.

[3] Marcus Fabius Quintilianus, De institutione oratoria (De l’institution oratoire, c’est-à-dire Au sujet de la formation de l’orateur – le terme d’institution s’entend ici au sens ancien que l’on emploie quand on parle, par exemple, d’instituteur ou d’institution privée d’enseignement, en renvoyant ainsi à l’action d’instruire ou d’éduquer), 1, 6, 34, soit en latin: Etiam ne hominem apellari, quia sit humo natus, quasi uero non omnibus animalibus eadem origo ?

[4] Inséparable de l’humus, l’humilité, cette disposition à se situer au ras du sol, « en réprimant tout mouvement d’orgueil par sentiment de sa propre faiblesse » (Trésor de la langue française, s.v. Humilité), résulte précisément de cette conscience de n’être qu’une humble poignée de terre, c’est-à-dire une moindre chose en ce monde, qui plus est, d’une nature remplie de défauts et de fragilités, quasiment négligeable à l’échelle du temps (car la vie de l’homme est si brève au regard de l’éternité). Ainsi, l’homme, être infime et infirme, en quelque sorte, ne saurait tirer vanité  d’une telle condition, d’autant plus qu’en renonçant aux grimaces de l’arrogance, il peut faire fond sur son intelligence et sa sensibilité pour assurer son salut dans l’harmonie du monde. Ainsi s’annoncent les vertus de l’humilité.

Sur le même thème, on peut se reporter avec profit aux deux articles suivants : Gilbert Garibal, “Homme, humus, humilité”, paru sur ce site quelques jours après le nôtre et Solange Sudarskis, “Humilité”, sur son blog.

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Christian Roblin
Christian Roblin
Christian Roblin est le directeur d'édition de 450.fm. Il a exercé, pendant trente ans, des fonctions de direction générale dans le secteur culturel (édition, presse, galerie d’art). Après avoir bénévolement dirigé la rédaction du Journal de la Grande Loge de France pendant, au total, une quinzaine d'années, il est aujourd'hui président du Collège maçonnique, association culturelle regroupant les Académies maçonniques et l’Université maçonnique. Son activité au sein de 450.fm est strictement personnelle et indépendante de ses autres engagements.

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