lun 06 mai 2024 - 13:05

La solitude et la connaissance de soi

La solitude et la connaissance de soi, un conte philosophico-initiatique

Et si ce que nous donne le monde n’était qu’un reflet de ce que nous donnons au monde ?

C’était un rivage inhabité, sans limite où, dans la solitude commençait ce qui lui parut un désert. Émat avait justement voulu venir là, dans un renoncement aux distractions citadines, pour une solitude nécessaire au dépouillement mondain. Seule son ombre le suivait. Sa marche, les yeux fixés sur ses pensées, ne s’y laissait plus appréhender selon des coordonnées horizontales de distance parcourue, mais selon celles de la profondeur. Il ne s’identifiait plus au touriste assuré de ses trajets, ni à l’errant désorienté qui fuit, mais au pèlerin dans la quête de cet ailleurs dont on lui avait parlé. L’intérieur de l’homme est un désert, un vide pour Cioran, un abîme pour Victor Hugo, Hermann Hesse, Gérard de Nerval, Blaise Pascal, Paul Valéry et tant d’autres. L’invitation à se connaître de toutes les initiations n’est rien d’autre qu’un appel à prendre conscience de son propre désert. C’est une vision à la fois de sa misère et de sa grandeur.

Lorsque la lumière du grand bleu du ciel, dans l’alternance cosmique, laissa la place à l’obscurité de la nuit, «son mouvement s’évanouit au seul nommer de l’Infini[1]» devant cette immensité sans autre décor qu’elle-même. S’allongeant, avec une pierre pour oreiller, Émat s’endormit et rêva.

Il était devant l’architrave du frontispice du temple de Delphes dédié à la Pythie. Apollon lui désignait les mots gravés dans la pierre ; «connais-toi toi-même» qui s’y détachaient. Il n’avait pas besoin d’épeler les mots, il les connaissait ; Socrate les revendiquait, tandis que Pline l’Ancien les attribuait à Chilon de Sparte. Platon, qui chercha à en trouver le sens, montrant le ciel et la terre, ouvrait tous ses livres où il avait mentionné cette phrase. Comme des abeilles qui vont polléniser la pensée, des feuilles de son Charmide, de Philèbe, de Protagoras, d’Alcibiade et de ses Lois s’envolaient et lui laissait entrevoir l’importance de cet impératif : «Connais-toi toi-même et comprends, comme une injonction initiatique, que c’est une clef pour comprendre le monde et la vie».

À son réveil dans l’aurore naissante, se souvenant de son rêve, il s’interrogea : comment faire pour se connaître ?

Tournant son regard, Émat examina ce qu’il pouvait constater sur lui. Évidemment, il ne pouvait voir de son corps que ses bras, ses jambes, son torse, rien de son dos, rien de sa face.

Comme un aveugle, il effleura de ses mains la forme de son visage. Que suis-je ? Le questionnement, le quoi, était déjà inscrit dans son patrimoine d’humanité parce que la somme des lettres hébreux du nom de l’idée de l’humain biblique «Adam»[2], 45, correspond à ma, qui vaut aussi 45, le «quoi», le questionnement3. D’ailleurs c’est avec le questionnement que les Hébreux furent nourris dans le désert de l’Exode, avec la manne, en araméen, mahanou, «qu’est-ce que c’est ?».

Émat se sentit comme le reflet du monde, microcosme, image fractale d’une création qui inscrit dans son être les proportions mystérieuses et universelles que les nombres révèlent et qui furent chantés par Pythagore. Est-ce cela connaître l’Univers ? L’univers est en moi essaya-t-il de se persuader. Ce qui lui avait paru étranger devint étrangement lui-même. Il en fut heureux et eut envie de voir si son visage en avait changé. Il lui fallait un miroir, un corps suffisamment poli, une surface de réflectance, une pierre polie comme l’obsidienne, ou un morceau de verre, ou un bout de métal ou encore tout plan d’eau avec une onde calme qui lui renverrait son image.

Il chercha, et trouva un tesson de bouteille et s’en servit comme d’une psyché. L’objet, concave d’un côté, lui fit songer à ces miroirs ardents, capables de concentrer l’énergie solaire au point que Lavoisier l’utilisa pour fondre l’or. Il songea, aussi, à ces calices qui, suivant leurs formes et leurs angles de réfraction retiennent ou renvoient la lumière après l’avoir reçue. Il sourit en retournant ce miroir de sorcière. Il voyait s’y refléter, dans sa courbe convexe, ce qui l’entourait. La forme captait des images au-delà de son champ de vision, devant lui, derrière, en haut, en bas, mais sa propre image était déformée.

Émat se souvint d’une pratique du Rite Français : «Le Vénérable présente à l’aspirant une autre face du miroir qui lui défigure entièrement les traits, en les allongeant outre mesure sous un aspect, les adoucissant sous un autre, et les montrant sous un troisième très oblique. C’est, lui dit-il, l’emblème du vice, du mensonge et de l’erreur qui altéraient la beauté de votre âme et obscurcirait votre entendement si vous n’étiez sur vos gardes…»[3]

Alors, en dévoilant, le miroir déforme-t-il aussi ?

Devant l’évidence, Émat constata que le miroir ne donne à voir qu’une image en deux dimensions, une apparence diminuée ? L’être, son histoire, ses potentialités, sa raison ou sa spiritualité, en un mot sa phénoménalité ne se trouve pas dans ce qui est reflété. Tout être est gonflé de changements et de potentiel. C’est aussi ce que Plutarque fait dire à Ammonios : «L’homme d’hier est mort dans l’homme d’aujourd’hui, l’homme d’aujourd’hui est en train de mourir dans l’homme de demain ; personne ne demeure et personne n’est un, mais nous devenons plusieurs, tandis que la matière circule et glisse autour d’une image unique et d’un moule commun5[4]». Les degrés et fonctions maçonniques n’assignent–ils pas qu’une identité provisoire au franc-maçon ?

Mais oui, mais c’est bien sûr pensa Émat, cela veut dire que ni soi, ni l’autre ne sont qu’une apparence et que le corps porte davantage que son extérieur ; il est le lieu où sa vie exprime le mouvant et émouvant grand Tout. Ce bout de verre lui renvoyait la question de l’existence, de l’être au monde, par le dévoilement des forces secrètes et invisibles qui animent et dirigent l’ordre des choses visibles et là, dans son séjour dans son reflet, Émat comprit que le vrai est le négatif des apparences[5].

Un vol d’oiseaux sauvages griffa le ciel. Cela lui fit penser à ce livre de conte, La conférence des oiseaux, qu’il avait trouvé abandonné sur un quai de gare et qu’il avait ramassé comme si cet ouvrage lui était destiné pour lui délivrer un message.

La conférence des oiseaux[6] est une épopée mystique soufie qui retrace la quête d’oiseaux pèlerins partant, sous la conduite d’une huppe[7], à la recherche de leur roi, la Sîmorgh. Partis par milliers, à la fin de l’épopée, seuls trente oiseaux parviennent au terme de leur quête et peuvent contempler l’oiseau sublime. À ce moment précis et par un subtil jeu de mots, la Sîmorgh devient le miroir de ces sî-morgh («trente oiseaux» en persan) qui découvrent, en l’oiseau qu’ils cherchaient, le secret profond de leur être.

Comme cela a été analysé, «lorsqu’ils tournent le regard vers Sîmorgh, c’est bien Sîmorgh qu’ils voient. Lorsqu’ils se contemplent eux-mêmes, c’est encore Sî-morgh, trente oiseaux, qu’ils contemplent, identité dans la différence, différence dans l’identité ». On retrouve ici le concept d’âme du monde identique à tous les êtres, se mirant en chacun d’eux, tout en se manifestant de façon différente. « Ce cantique des oiseaux est le reflet des âmes humaines »[8].

Maître Eckhart, dans le même sens, affirmait que «le regard par lequel je Le connais, est le regard par lequel Il me connaît». Le motif central du miroir est de nouveau présent ; la contemplation du reflet de la divinité dans sa propre âme, livrerait le secret et donnerait l’ultime clé d’accès à la cité intérieure de l’être.

Dans le fond, il ne se connaissait pas vraiment pensa-t-il.

Ce que nous percevons finalement en notre personne, conclut-il, au stade de sa réflexion devant le miroir, c’est un «autre» mis au-devant de nous. Nous sommes, sans le savoir incomplets, inachevés. Il y a une habitude à se voir ; une telle habitude que c’est à mon image inversée que je crois ressembler. Mais qui scrute qui dans le miroir ? Si j’étais de l’autre côté du miroir, est-ce que je me verrai aussi inversé? Nous sommes souvent surpris de nous voir tel que les autres nous perçoivent. Il faut un jeu de doubles miroirs pour annuler l’effet d’optique et remettre le reflet à l’endroit, il faut le regard de l’autre pour compléter la vérité de notre être.

La réponse à la question «êtes-vous franc–maçon» le dit d’une certaine façon : «mes frères me reconnaissent comme tel».

Que verrais–je si le support du reflet était un plan d’eau se demanda-t-il ? Alors, Émat voulut en faire l’expérience, chercha, et trouva une mare sombre et claire à la fois. Il s’assit, se pencha.

Une métamorphose ! Il était, à la fois, au bord de l’eau et tout entier dans l’onde calme, il se trouvait à deux endroits à la fois, il était dans un état superposé, à la fois ici et là-bas dans un état fluidique.

Si près de son reflet aqueux, comment ne pas se rappeler Ovide ? Liriopé, la nymphe bleue, eut un fils du dieu du fleuve, Céphise, qui la viola. Narcisse fut le nom de l’enfant qui naquit11[9]. Le divin Tirésias prédit que Narcisse vivrait très vieux à condition qu’il ne se voie pas. Et Narcisse grandit, et Narcisse devint beau.

Parmi ses amoureuses, la nymphe Écho fut repoussée et en réclama vengeance. Ce fut Némésis qui, dans l’eau claire d’une source, fit voir à Narcisse son reflet dont il en tomba amoureux. Se rendant compte que l’amour pour soi-même est vain, Narcisse dit adieu… adieu lui répondit Écho. Et, posant sa tête fatiguée sur l’herbe verte, Narcisse ne fut plus.

Que de légendes autour de ce psychodrame ! Que l’eau dans laquelle Narcisse se noie soit en fait celle de l’image de son père Céphise, le dieu fleuve, qui abusa sa mère, ou que son reflet soit celui d’une sœur jumelle morte qu’on lui prêtait et que son amour pour elle l’ait conduit à la rejoindre, ou que ce soit la punition d’un amour de soi-même, ce sont toujours des interprétations psychanalytiques dans lesquelles ce sont les traumatismes qui triomphent.

Quel terrible destin de mourir parce que nous aurions entrevu ce que nous sommes ! s’exclama Émat intérieurement.

L’inconscient serait-il notre pire ennemi comme les freudiens veulent le laisser croire[10] ?

L’approche de la vérité de soi se fait dans le champ de la conscience personnelle en fut persuadé Émat. Au Rite écossais rectifié, une épreuve du miroir voilé se passe au cours du quatrième voyage de la réception du compagnon. Lorsqu’il lui est présenté, le récipiendaire peut y lire sur un phylactère : «Si tu as un vrai désir, du courage et de l’intelligence, écarte ce voile et tu apprendras à te connaître». Le miroir donne à réfléchir sur soi et sur le monde. Il vaut mieux réfléchir et ne pas regarder se réfléchir.

C’est ce que me propose le Gnothi seauton, le «connais-toi toi-même» du Temple de Delphes. C’est une connaissance pour vivre et non pour mourir, pour vivre, non seulement avec soi-même, mais avec les autres, pensa Émat.

Il s’agit bien de connaître ses limites ; cela se fait par un état de conscience, pas d’inconscience. C’est un rapport aux autres, une indication de juste mesure, celle qui fait se courber pour passer une porte basse, par exemple.

La phronésis, la sagesse grecque pratique, est une incitation à la réserve par le savoir, une modération dans le plaisir[11]. Pour Socrate, la vocation morale de l’être est dans la tempérance et la mesure, dans la connaissance de notre portée. Socrate est explicite : «Celui qui ignore ses capacités ne se connaît pas lui-même… Ceux qui se connaissent eux-mêmes savent ce qui leur convient et, distinguant ce qu’ils savent, ils se procurent ce dont ils ont besoin et ils sont heureux…».

Émat savait que, sur le marbre de ce même fronton, s’offrait aux yeux du pèlerin l’inscription é Mèden agan[12], «et rien de trop». Pour ce qui concerne le contenu de sa vertu éthique, Aristote le définit comme le juste milieu (mêsotès) entre deux extrêmes condamnables nommés ellipse et hyperbole. C’est une exigence morale qui s’accompagne de 147 commandements qui auraient été écrits par sept sages[13]. «La vertu fait viser le milieu[14]. Ainsi, quiconque se connaît fuit alors l’excès et le défaut. Il cherche au contraire le milieu et c’est lui qu’il prend pour objectif. Et ce milieu n’est pas celui de la chose, mais celui qui se détermine relativement à nous». C’est bien la tempérance maçonnique.

Émat sourit en pensant à cette bévue, communément répandue, que «et tu connaitras l’univers et les dieux» serait la suite de la phrase Cette conclusion, ajoutée plus tardivement, n’a jamais été gravée sur le temple de Delphes ! Connaître les dieux serait d’ailleurs antinomique avec ce que disait Socrate : ce qui est au-dessus de nous est sans rapport avec nous. Pour Socrate, «Connais-toi toi-même» signifiait qu’il faut atteindre la connaissance et la maîtrise de soi et s’affranchir des spéculations idéologiques et des explications théologiques (à une époque où la vénération des dieux était telle que l’on s’en remettait à eux pour tous les grands choix et évènements de la vie). Le «toi-même» du précepte invite à l’éveil de soi-même, à ne plus s’en remettre aux dieux pour tous les choix à faire et, par conséquent, à ne pas faire porter aux dieux la responsabilité de toutes nos erreurs.

Le miroir n’est pas seulement un appel à une introspection, c’est surtout à une mise en relation de l’être avec ses limites. Se regarder pour se connaître, c’est ne pas rester médusé par son propre reflet, rester figé dans une dimension achevée, mais c’est ouvrir son visage sur l’altérité, avec l’humilité qui fait place à l’autre en l’acceptant dans la lumière nécessaire pour le voir. C’est pourquoi le miroir, en fait, est aussi l’instrument de la ligne de mire qui doit révéler l’angle secret de ce qui n’apparaît pas encore, mais qui est en gestation, l’être en devenir avec les autres. Ce n’est pas la complaisance que le miroir propose, c’est un «autre», des autres, mis au-devant de nous. Le regard des autres va devenir le miroir où nous allons retrouver ce double que nous avons perdu[15].

Le mot visage, en hébreu panim, n’est-il pas un pluriel ? N’y a-t-il pas sur une seule goutte de pluie tout le reflet du monde ?

Il faut de l’expérience pour se connaître, il faut nous voir réagir à nos épreuves en ajustant nos actions éthiques.

Il faudrait mesurer nos convictions à la force de nos engagements en expérimentant le possible de nos vies entre désirs, rêves, attentes et réalités. La sagesse de Salomon n’est-elle pas de considérer comme vain tout ce qui ne dépend pas de nous-mêmes ?

Le «connais-toi toi-même» demande de tracer le cercle avec un compas ouvert sur la mesure de notre potentiel. Dans la Tradition, la Prudence n’est-elle pas représentée par un miroir entouré d’un serpent[16]. Ce cercle ne fait pas de nous un centre, car c’est à sa périphérie nous avons à le parcourir dans le contact avec les autres ?

Émat glissa doucement vers un état proche de la catoptromancie, cet art antique basé sur un phénomène d’autohypnose où la conscience flottante s’abandonne à ses visions intérieures, via le miroir.

Le miroir ne me flatte pas, se dit Émat, il ne me montre que ce qui s’y reflète, à savoir mon visage, pas l’être que l’on ne montre jamais au monde car on le cache par le personnage, le masque de l’acteur. Le masque, c’est à la fois l’écran et l’exhibition de la personne elle-même. Persona est en latin le masque de l’artiste qui cache son visage. Le masque est ainsi le support d’une dialectique du visible et de l’invisible, du dévoilement et du retrait. L’être en sa profondeur est secret et se doit malgré tout de faire des apparitions. Le masque dit la nécessité d’un écran, d’une caisse de résonance pour l’existence de l’homme comme altérité nécessaire de soi.

Comme le bandeau, comme la colonne des apprentis, le miroir, ce désert personnel, est une invitation à descendre dans les tréfonds de la conscience de soi, mesurant la pesanteur de ses pensées, de ses actes et de ses propos, puis à s’élever, libéré, régénéré, apaisé et confiant, ayant accédé à un nouveau niveau d’intelligence cognitive. L’être n’est pas un Néant, il est un étant qui participe à la Création en l’actualisant dans son impermanence, il en est un de ses flots de conscience.

Dans l’onde se reflétait aussi le ciel au milieu duquel il semblait maintenant se trouver. Émat comprit que le speculum, autre nom latin du miroir, génère le verbe «spéculer», que le visage, dans lequel il se reconnaissait plus ou moins, importait peu. Son continent de complexité, et de celui qui l’entoure, lui avaient donné à réfléchir pour en connaître son être. Ce fut une évidence : ce sont ses actes qui en dessineraient les contours et que l’amour qu’il pouvait donner et recevoir en reculerait les frontières[17].

Émat ramassa une pierre qu’il jeta tendrement dans la mare, son image disparut dans les molécules de l’eau qui en seraient dorénavant les gardiennes. Se relevant du bord de la rive, il pénétra dans la lumière de l’air et, de cette matière à voir, il en fit du vent, retenu par la voile de son être, pour amorcer le mouvement de ses pas et quitter son désert. Sa quête ne devait pas s’y achever.

Viendra le temps de la reliance, de la médiation après celui de la méditation. Là se lieront les informations extérieures aux ressentis intérieurs, là s’effectuera la coïncidence des opposés dans le mouvement et l’équilibre, en cessant de se regarder dans l’immobilité, avec ce qu’il avait connu de luimême. En ce sens, le désert est un lieu de passage : se quitter soi-même, abandonner son moi superficiel pour trouver son Soi. Dans le désert, le pèlerin des sables se meut au contact de l’infini. Il s’immerge dans l’alliance de la terre et du ciel, dont le cœur en est le foyer de convergence. La contemplation ne peut qu’être expérience, un moyen de connaître des faits que l’on ne voit pas, de trouver une condition humaine autre.

En initiation, comme en hébreu, le désert n’est qu’un passage. En hébreu le mot désert s’écrit « midbar », avec comme racines les lettres daleth beth et reich. Avec ces mêmes racines, l’hébreu écrit, entre autres, les mots : dabar qui signifient la parole, mais aussi la peste ; débora, l’abeille et doberot, les radeaux sur lequel furent amenés les bois de cèdre depuis le Liban pour construire le Temple de Salomon[18].

Leur point commun ? C’est le mouvement, le passage d’un point à un autre, le fait de transmettre.

La pensée de l’accomplissement de soi, héritée d’une tradition immémoriale, est celle de l’épreuve.

Cette pensée de l’épreuve est la pensée de l’effort en tant qu’il construit le moi, mais en tant que le moi trouve, par son intermédiaire, une finalité plus haute que lui qui est sa place dans le réel naturel ou social. Une pensée s’imposa à Émat : « autrui fonde l’essence du moi ; je ne suis que ce que tu es ; si tu n’étais pas, dans ma solitude je ne serais plus[19].» Ma relation à l’autre «n’est pas qu’un échange de droits pour régler des libertés rivales», il est son visage qui me fertilise et qui m’assigne à la responsabilité[20].

En mettant ses pas les uns devant les autres, Émat se dirigea vers l’horizon pour le faire reculer. Il murmura à cet instant : «Que je sois le veilleur de tous les horizons / Permets à mon regard plus hardi et plus vaste / d’embrasser soudain l’étendue des mers[21] ».

En s’entendant, il comprit que son horizon des eaux avait renversé son reflet du paraître et que son questionnement «que suis-je ?» était devenu la joie de la question existentielle «qui suis-je ?»[22].

Restera la question : son désir d’être sera-t-il être un autre ou être encore plus lui-même[23] ?


[1]Milosz Lubicz, Épitre à Storge, p.21 :

[2]  On ne rencontre l’écriture Adam (םָ דָ א) qu’aux versets Gen ; 1, 26 et 3,21. Son nom Aadam (הָאָדָם) est expliqué au chapitre 2 de la Genèse, verset 7: au moment où il devint «un animal avec une âme» par le rajout du Hé, le souffle divin. Cela fait passer la somme des lettres du mot Adam, 45 (א דָ םָ ), correspondant au mot «quoi» (מה), à la somme des lettres d’Aadam 50, donnant «qui» (מי) ; comme s’il était passé de l’état d’objet, d’idéation. “Faisons l’homme (adam) à notre image” devient sujet dans sa corporéité, “Dieu créa l’homme (Aadam)”. Cela nous invite à réfléchir sur la préexistence des âmes avant leur descente dans des corps produit par la chute et au thème de la réintégration des êtres bien connu du Régime Écossais Rectifié .

[3] Dupontes, Cours Pratique de Franc-maçonnerie, p.145.

[4] Plutarque, Œuvres morales, p. 246.

[5] Compléter par la lecture du texte au paragraphe II. La détermination au négatif est inscrite dans l’Être.

[6] La conférence des oiseaux de Farid ûd-Dîn Attâr.

[7]  La Huppe ou la Simorgh serait l’oiseau qui aurait permis à Salomon de s’emparer du shamir (La légende de Soliman, note 26, p. 15).

[8] La contemplation comme voie spirituelle.

[9]  À Thespies, en Béotie.

[10]  L’épreuve du miroir apparaît en 1778 dans la Maçonnerie lyonnaise où naquit le RER. Alors, la cérémonie de réception de l’apprenti ne mettait pas en œuvre le miroir. C’était «au 2ème grade, que le candidat les yeux bandés était conduit devant un miroir caché par un rideau. Après que le vénérable l’ait incité à rentrer en lui-même pour y passer en revue ses erreurs et ses préjugés, le bandeau lui est enlevé et il contemple son, visage dans le miroir éclairé par un réverbère.» Ce n’est qu’en 1782, au Convent de Willemsbad, qu’elle fut adoptée par le RER au 1er degré et perdure dans les autres Rites qui pratiquent cette épreuve.

Dans le rituel d’initiation au REAA et au Rite Français Groussier, le miroir présenté à l’impétrant a pour signification que son reflet est son plus grand ennemi avec lequel il faut se réconcilier.

[11]  Dans la tradition, la Prudence, tenant ou écrasant un serpent, est représentée avec un miroir.

[12] Μηδὲν ἄγαν : Sénèque explore les « trop » qui empêchent la vie heureuse dans ses Consolations.

Et rien de trop au cœur de la pensée grecque.

[13]  Les sages par Platon, dans Protagoras p.46 : Thalès de Milet et Bias de Priène, tous deux de l’Ionie ; Pittacos, Éolien, de Mytilène dans l’île de Lesbos ; Cléobule de Lindos, ville Dorienne de l’Asie ; Solon d’Athènes et Chilon de Sparte ; quant au septième, au lieu de Périandre, fils de Cypsélos, Platon, fils d’Ariston, mentionne Myson de Chénées (il y avait autrefois sur le mont Oeta un bourg de ce nom).

[14] Les Commandements ou Ordres de Delphes.

[15] Gaston Bachelard, Une enfance parmi les eaux.

[16] Œuvres de Phillibert de l’Orme, Livre III, De l’Architecture 1626, p. 50v.

[17] Les miroirs en étain poli, que les femmes des hébreux apportèrent (ainsi que leurs bijoux) pour être fondus afin de fabriquer les ustensile servant aux ablutions des prêtres du Tabernacle, furent refusés dans un premier temps, sous prétexte d’être des objets de frivolité. Cependant, D.ieu ordonna de les prendre parce qu’ils servaient aux femmes pour se faire belles afin d’adoucir la souffrance de l’esclavage de leurs époux (Échanges avec Haïm Korsia à la GNLF).

[18]  I Rois ; 5,23.

[19]  A. Neher, Amos, Contribution à l’étude du prophétisme, p.263, J. Vrin, 1950.

[20] Corine Pelluchon, Introduction à Levinas

[21] Rainer Maria Rilke, Le Livre de la pauvreté et de la mort, traduit de l’Allemand par Adamov

[22]En hébreu eau se dit «Mayim» (Mèm, Yod, Mèm). «Mah» (Mém, Hé) veut dire Quoi ? Le reflet de im est mi (Mém, yod) qui veut dire «Qui». Une fois cette étape du questionnement franchie, l’homme peut alors pénétrer dans la Sagesse créatrice et devient «Tsadik», un Juste, dont la lettre initiale, le «Tsadé»,  a pour valeur 90, soit précisément la valeur guématrique de «Mayim» les eaux !

[23] Le désir d’être pour Schopenhauer, c’est être un autre, pour Spinoza, c’est être encore plus le même.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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