Un vieux complet-veston sur un corps d’Apollon.
Un vieux chemisier sur un corps de Minerve
L’écriture de cet article est surprenante. Elle s’inspire de l’existentialisme. Elle a deux visées : transmettre comme tout texte en prose, et faire ressentir comme les poèmes. Mais ici, avec des alliances de mots déroutantes. Elles cherchent à faire naître des émotions inattendues. Comme pour les symboles : il y a la lecture culturelle, érudite, bref de premier degré et l’embrasement éventuel de l’esprit vers les profondeurs et les hauteurs.
La fraternité est un étendard battu et rebattu par les millénaires. Devant la violence terrible à craquer de l’humanimal, brandie dès les nouvelles masures du croissant fertile, les humains cherchent à compenser leur fourmillement destructeur en pleins saccages. Des ébauches : la démocratie qui vrille si souvent en pyramide de pouvoir, la longévité de l’individu dans une prolifération ahanée. Et la spiritualité. Ah bon ?
Gémissons mais espérons. Des bourgeonnements de fraternisation se sont exaucés dans l’espoir. La Franc-maçonnerie en est un. Et elle en fait un écusson brodé sur toutes ses déclarations. A une époque en attentisme de renouveau ou/et d’horreurs, la fraternité risque l’évanouissement. Nous, initié(es) maçonniques, bravons les vieilles serinades et derechef, reprenons nos pratiques, consciemment, pour que la fraternité s’incruste dans nos Loges et qu’elles en dégorgent. Adoubons le bonheur sourd de la palpitation rituelle pour atteindre le fuseau de l’égrégore. Si nous le voulons, nous le pouvons. Vite, il est temps car notre fraternité maçonnique saute de plus en plus à cloche-pied. Elle fuit le salmigondis cru des échanges colonnards, la raideur des règles raides et roides. Osons ! Plus haut dans cette organisation pyramidale machiste, que le delta triangulaire symbolise, c’est le même toutim : dans le sautillement effréné des obédiences, la fraternité est un coupe-vent qui ne retient pas l’envol des feuilles de l’indifférence.
Trop souvent ça piaille dans les Loges et les obédiences : Les gloussements pitoyables, des marionnettes des fraternités fallacieuses et révérées partout, toujours révèlent la même chose : de grandes réponses de ritournelles de vêtures falsifiées. En outre, nos rites broient, en toute méconnaissance des données sur le psychisme humain. James et Théophile étaient de leur temps. Aujourd’hui, ça ne colle plus. L’envol des têtes dénudées en hauteur de la calvitie humaine peut nous coincer dans un tiroir d’oublis. Il est grand temps de se perfectionner, à créer parfois, développer toujours, les pliures indispensables de notre étendard fraternel. Adieu les bavardages et répétitions de la carminade de grésillements diserts de nos tenues.
Nous tous, Maçons, ne tergiversons point, avons un devoir pesant comme de l’or, dans le déshabillage de la fraternité. Causons, oui causons de son complet-veston mais embrassons, en frénésie de sauvetage de l’humanité, le corps d’Apollon ou celui de Minerve, la chair de la fraternité. Oui je sais la ritournelle : la fraternité, ça ne s’apprend surtout pas ; cela briserait en éclats minables notre spontanéité. Alors observons de nos yeux inquisiteurs et avec nos oreilles déployées en observance des échanges, ce que gestent, taisent, disent celles et ceux qui coincent la parole, en tour venu ; parfois de la fraternité, celle des échanges entre amis(es), sans rien de plus. Bien souvent une accalmie. Mais, en fréquence acidulée, un manque de fraternité. Ça cause sans mauvaise intention, et la fraternité pointe son nez, sans fragrance particulière. Au fond, cela dépend des individus et de leur propension à aimer, sans rechigner. La spontanéité oui ! Mais c’est beaucoup trop juste pour accoucher d’un égrégore fraternel. Apprendre à se modifier dans le sens ouvert de diffusion de ses élans fraternels sera de plus en plus une obligation. Sous peine que l’Ordre tombe sous le couperet des banalités associatives, sans chair humaniste. Sous le complet veston, le chemisier de la fraternité bavardée, le corps. Il m’émeut, des neurones au sexe, en trois délivrances, dont voici une chanson possible :
- L’affection – Mon désir de partager, dans nos cœurs parés de rite, des éclairs de tendresse, en épousailles de douceurs.
- L’empathie – Allongés l’un à côté de l’autre, nous nous tenons la main et nous résonnons en tendres boomerangs de découverte alternée.
- La gratitude – Tu m’as engrossé de ta pensée féconde, de tes hélages tendres et j’en accouche mille mercis.
Mais attention à la psychagogie proposée ! Ce mot, sans fard et bien sonnant, c’est celui de toute instruction initiatique. Un coup de poing : Les trouvailles méthodiques qui accroissent ces trois délivrances de fraternité, s’appuient sans jamais coup férir, sur les émotions. Ne sont-elles pas le terreau et les fleurs de nos assertions bibliques, cosmiques et, en carénage somptueux, initiatique ? Les experts se sont gratté la barbe et conclurent, il y a 20 ans : les émotions sont la base fleurissante et inévitable de tous les comportements, embrasés dans nos errances intellectuelles.
Ainsi tous les conseils de la glose suivante ne sont que poussière de rire, s’ils ne sont fœtus de la matrice utérine émotionnelle. Si tu n’as pas envie de faire tienne telle méthode qui grince entre tes dents, ne force pas l’estampe. Pose-là de côté. Mais si tu couines de joie avec une autre, avale et déglutis, ta relation fraternelle sera bonifiée.
Avant de commencer les errances psychagogiques, limitons la fraternité en gestation à celle de la Loge et des liens entre les membres. Une autre fois, la fraternité avec les autres Loges ; a fortiori, avec celle, éperdue dans les caractéristiques un brin poisseuses des différentiels obédientiels. De côté aussi, la fraternité humanitaire.
Maintenant, il est temps que je chausse les lunettes du prof. Je vais donc dégoiser, en charpente souterraine du détenteur du savoir, avec le langage français ordinaire. De premiers exemples et recommandations pour vivre les trois délivrances de fraternité. Un article suivant « Vivre vraiment la fraternité. Des expériences pour demain » rapportera plusieurs pratiques bien réelles qui annoncent le cocon fraternel qui, parfois, se tisse dès aujourd’hui ci et là.
1 – L’affection – Je connais des Frères, des Sœurs qui récusent la nécessité de l’affection entre Maçons. Ils préfèrent des réalités moins « intimes », telles que les portent les mots « attachement », « attention », « solidarité »… Quant à moi j’assume la nécessité de l’affection. Elle émane spontanément de nos rencontres régulières, les tenues. Elle repose sur l’émotion que l’échange avec l’autre procure. On ne peut créer des émotions d’affection, comme cela, en le décidant froidement. Mais on peut mettre en place les dispositifs qui vont permettre leur éclosion. Le rite y pourvoit bien. D’abord, sur les parvis avec les triples baisers vrais et non simulés ; puis pendant la tenue, pas de jugements sur un autre, juste des réflexions pour présenter son point de vue qui est différent.
Mais en abusant des « j’ai aimé ce que tu as présenté, ma Sœur » et surtout en ajoutant « Et voici pourquoi tu m’as touché » et non « j’ai été touché(e) », pas plus que la déclaration : « Je t’aime, mon Frère parce que je pense la même chose… ». Cette intimité, en tenue, me semble abusive et cauteleuse.
2 – L’empathie – Une tarte à la crème, en France, depuis l’arrivée du concept de la psychologie humaniste américaine[1]. Nous nous en gavons depuis 10, 15 ans. Et je trouve que c’est vraiment utile, descriptif, et incitatif. Et je ne crains pas notre indigestion. La prise de parole en tenue favorise fort bien la relation empathique. On l’observe parfois mais pas assez, pour le futur.
En deux mots qui résument quelques milliers de pages et quelques centaines de milliers d’entretiens où elle fait bonne figure. En voici la définition la plus simple et claire et très réductrice : « L’empathie est la capacité de comprendre et de partager les émotions d’autrui comme si on était cet autrui ». Les émotions sont là, bien entendu. Mais remarquons l’expression discrète « comme si », car c’est de ces deux mots qu’éclate la différence avec la sympathie ou l’antipathie. S’efforcer d’être empathique, c’est se mettre à la place de l’autre en se rappelant que nous ne sommes pas cet autre ; avec la liberté d’attention à ce qu’il(elle) profère, et avec, en sus, notre distance minimale pour ne pas nous noyer dans nos émotions et garder notre quant-à-soi. Il est le garant de nos tentatives de compréhension.
Deux exemples de phrases empathiques que l’on pourrait entendre sur les colonnes. J’en ai entendu régulièrement de telles dans plusieurs Loges. Pour plusieurs d’entre nous, elles sont spontanées. Le Frère Jordan vient de plancher sur les sens du tableau de Loge. Irma, une Sœur demande la parole et déclare : « Si j’ai bien compris notre Frère Jordan, pour lui le tableau de Loge résume, quand on le lit de bas en haut un cheminement initiatique, du moins le sien ». Tu as remarqué qu’Irma a évité de dire « Si je t’ai bien compris… », puisque les échanges directs sont, en principe, bannis, de nos tenues. Mais ce « t » aurait été indispensable dans un échange hors tenue.
Le Frère François-Xavier a pris la parole, un peu trop longtemps d’ailleurs, sur sa conception de la déambulation. Un Frère commente : « Moi si j’ai bien compris notre Frère, pour lui, la déambulation est le symbole de la recherche incessante de l’initié qu’il est. Je suis du même avis et je dirai, en outre… » Cet ajout est le fruit du « comme si… ». Ce Frère ne s’est pas égaré dans des jugements de valeur, il a dit ce qu’il avait compris. Point ! Un autre Frère, à son tour, se lève : » Notre Frère François-Xavier a paru, à mes yeux, être gêné par l’obligation de recommencer sans cesse le travail initiatique ; il l’a fait comprendre deux fois… » Là nous frôlons l’empathie dans sa puissance, la reformulation de ce que semble avoir éprouvé l’autre. Mais le rite le permet-il ? Je n’en suis pas sûr dans la mesure, rappel plus haut, que les échanges directs sont proscrits dans notre méthode de travail ; sauf quand il s’agit de s’adresser à celle, celui qui vient de plancher.
L’empathie devrait être une pratique employée sans cesse par les Vénérables, voire les Surveillants. Non point pour une intervention mais pour résumer quelques prises de parole. C’est un des grands secrets de l’animation de groupe. Par exemple, la Vénérable, après quatre interventions des colonnes, reprend : « Au fond, au point où nous en sommes, la circumambulation semble vécue comme une contrainte heureuse car exigeante, mais une contrainte tout de même ». Et les colonnes de repartir dans ce sens, qui est, effectivement fondamental. Ne serait-il pas nécessaire que les responsables d’atelier apprennent à manier l’empathie groupale ? Les obédiences ne pourraient-elles pas proposer des journées de formation sur cette pratique si fondamentale pour comprendre l’autre, et l’amener à se sentir gratifié d’avoir été compris ? Évidemment l’Orateur est aux manettes de l’empathie de synthèse quand il résume la tenue. La troisième composante de la fraternité, selon moi, est souvent oubliée parce qu’en fait elle est d’étude récente ; Il s’agit de la gratitude, sous la loupe depuis 2000 environ.
3 – La gratitude – D’abord, université oblige, la définition de la gratitude. Je me reporte à un livre complet sur le sujet[2] : « État d’esprit ou un sentiment de reconnaissance envers une personne dont on a reçu un bienfait ou un service, incitant à donner quelque chose en retour ». En tenue, nous recevons sans cesse, du moins en théorie, les apports des autres dont le but avoué, dans notre chemin, est d’apporter le meilleur de soi. Chacun(e) est donc apporteur et receveur, tout à la fois. La gratitude est donc plus qu’une émotion, elle suppose la volonté de reconnaître que les Frères, les Sœurs ont intentionnellement procuré du bien-être aux autres. Le livre cite la phrase claire d’un certain Emmons : « Nos sentiments positifs augmentent quand nous considérons leur source comme un cadeau offert dans l’intention de nous faire du bien ». Développer la gratitude entre nous est une occasion très riche pour notre égrégore. Comment peut-elle s’entendre sur les colonnes ? Toujours par des phrases dans le genre : « je viens, grâce à toi, de m’enrichir d’une nouvelle façon de voir les choses et je suis content(e) », « Je n’avais aucune idée intéressante sur ce thème et, maintenant, avec ce que tu as dit, des idées fourmillent dans ma tête. Comme je te remercie » ; ou bien encore « Tu es d’une tout autre opinions que moi là-dessus ; et tu m’as ouvert les yeux ; grâce à toi je suis plus tolérante ! ».
Plusieurs études ont été faite sur le mot magique de la gratitude : « Merci ! ». Ce n’est pas un hasard si, spontanément les parents disent à leur petit(e) : « Tu dis merci, maintenant ». Car nous sentons bien que ce mot minuscule retient des trésors de reconnaissance, d’attention à l’autre, et de joies partagées. Loin de cette imbécillité sortie par un Grand Maître, il y a quinze, vingt ans environ : « On ne remercie pas en Franc-maçonnerie ». Aveu d’un besoin de soins urgent ! J’ai écrit d’ailleurs un article sur le sujet. Ne cessons dans la vie, et en Maçonnerie en particulier de dire « merci » ; surtout pendant les tenues car tout le monde l’entend clairement. Vénérable Orateur… s’il vous plaît, débordez de « merci ». J’ai rencontré une coutume de Loge que je ne saurais trop recommander tant elle met en œuvre, simplement et fortement la gratitude. Au début des agapes, chacun(e), à tour de rôle, prend la parole une minute pour exprimer une émotion qu’il(elle) a ressentie pendant la tenue. Quelle qu’elle soit , même négative! Et termine obligatoirement par « merci ». J’ai été très impressionné.
Retour à la prosodie expressionniste – Dans les antichambres des idées originales, grosses de fraternité, on glane, de-ci de-là, dans les traversées des tenues, des trouvailles bénies. Qui fera donc un jour, un bouquet de ces belles entraîneuses de fraternité ? Il est temps de battre le fer. Les lendemains ne chanteront plus comme avant. Risque est grand et déjà dénoncé l’appauvrissement sec des relations humaines. Désarroi de fraternité. Notre grande Maçonnerie peut s’entrecoincer, avec quelques autres groupements, pour tenir au chaud cœurs et palpitations émotives. Dans l’embarras des sourires aux espérances de baisers. En un article prochain, un brave collecteur de concrètes fraternitudes. Titre à trouver…
[1] Années 60
[2] Rebecca Shankland. Introduction à la psychologie positive. 2014