Le roman graphique Coven, publié en 2023 par les Éditions Dupuis, est une œuvre captivante qui mêle habilement les préoccupations écologiques contemporaines avec des éléments de mysticisme et de surnaturel. Sous la plume de Taous Merakchi et le crayon de Da Coffee Time, sans oublier les couleurs de Christo, l’histoire nous plonge dans la vie de quatre adolescentes qui, en tentant de sauver un arbre vénérable, déclenchent des forces bien plus puissantes qu’elles ne pouvaient l’imaginer. Le récit s’adresse tant aux jeunes adultes qu’aux lecteurs plus mûrs, offrant une réflexion sur la responsabilité environnementale et les dangers de l’invocation des forces occultes.
Un coven késako ?
C’est un terme anglais qui désigne une assemblée de sorcières ou, plus généralement, un groupe de personnes qui pratiquent ensemble la magie, souvent dans le cadre de la Wicca ou d’autres traditions néopaïennes. Le terme est également utilisé pour décrire le lieu où se réunit habituellement ce groupe. Coven provient probablement de l’ancien français « covine » qui signifie accord ou conspiration et du latin convenire signifiant se rassembler. Au Moyen Âge, le terme a pris une connotation négative, souvent associé à des réunions secrètes de sorcières supposées comploter contre la société chrétienne dominante.
Les réunions de coven sont souvent secrètes et se déroulent dans des lieux isolés, à l’abri des regards, ce qui renforce le mystère et la sacralité de ces rassemblements. Les rituels peuvent inclure des incantations, des invocations, la création de cercles magiques, et l’utilisation d’outils symboliques tels que le pentagramme, l’athamé (un couteau rituel), et le calice.
Les choses étant dites, passons aux personnages principaux
Les quatre héroïnes, Ève, Diane, Lily, et Morgane, sont autant de figures modernes incarnant des archétypes à la fois traditionnels et résolument ancrés dans le XXIe siècle. Chacune d’elles apporte une dynamique différente au groupe, formant ensemble un coven où les forces complémentaires se rejoignent pour un but commun : sauver un orme millénaire menacé d’abattage.
– Ève, par son nom, évoque la première femme, celle qui a goûté au fruit de la connaissance, symbolisant ici la curiosité et le désir de comprendre le monde qui l’entoure. Elle est souvent la figure de proue du groupe, celle qui pousse les autres à aller au-delà de leurs peurs et de leurs doutes pour explorer de nouvelles possibilités, même si cela signifie franchir des limites dangereuses.
– Diane représente la déesse de la chasse et de la nature, une figure profondément connectée à l’environnement. Sa passion pour la nature et sa détermination à protéger l’orme font d’elle la plus fervente défenseuse des causes écologiques au sein du groupe. Diane incarne la conscience verte du coven, celle qui motive les autres à utiliser leurs pouvoirs pour une cause juste et nécessaire.
– Lily, douce et discrète, incarne une pureté qui contraste avec l’intensité des autres membres du groupe. Son prénom, souvent associé à des symboles de paix et de régénération, cache une profondeur insoupçonnée. Lily se révèle être le cœur émotionnel du groupe, celle qui canalise les énergies en s’assurant que les actions du coven ne dérivent pas vers des excès dangereux.
– Morgane, avec son prénom évoquant la fée des légendes arthuriennes, est l’incarnation du mysticisme et de la puissance féminine. Son lien avec la magie est plus fort, et elle apporte au groupe une compréhension plus profonde des forces qu’elles manipulent. Cependant, cette connaissance la place aussi à la frontière du danger, car elle est la plus sensible aux influences extérieures et aux tentations d’un pouvoir incontrôlé.
Et l’intrigue dans tout cela ?
L’intrigue de Coven s’articule autour de la tentative des quatre amies de sauver un orme millénaire dans le parc municipal George Sand. Cet arbre, symbole de sagesse et de continuité, est menacé par un projet d’aménagement urbain visant à le remplacer par une aire de pique-nique. Pour les quatre adolescentes, l’orme représente bien plus qu’un simple arbre ; c’est le témoin silencieux de leurs souvenirs et de leur amitié, et sa disparition serait pour elles une perte irréparable. Côté symbolique, celle de l’orme s’enracine dans diverses traditions culturelles et mythologiques. Comme d’autres arbres, il est souvent associé à l’idée de l’arbre de vie, un symbole universel de croissance, de force, et de lien entre le ciel et la terre. En tant qu’arbre imposant et majestueux, l’orme représente la sagesse accumulée au fil des siècles. Ses racines profondes ancrent l’arbre dans la terre, tandis que ses branches s’élancent vers le ciel, symbolisant le lien entre le matériel et le spirituel, entre le monde des hommes et celui des dieux ou des esprits. C’est ainsi que dans de nombreuses cultures, l’orme est considéré comme un arbre protecteur et est aussi associé à la justice et à lé vérité.
Paradoxalement, l’orme est aussi un arbre lié à la mort et aux transitions. Dans certaines traditions européennes, il était planté dans les cimetières et associé aux passages de l’âme vers l’au-delà. Cette association avec la mort peut être interprétée dans Coven comme un présage de la libération du Démon du Chaos, un moment où l’équilibre naturel est perturbé, entraînant la libération d’énergies destructrices.
La décision de le sauver n’est donc pas seulement une démarche écolo, mais aussi une quête profondément personnelle. Leur action est un écho des mouvements contemporains en faveur de la préservation de l’environnement, où la jeunesse joue souvent un rôle de premier plan. Elles incarnent cette nouvelle génération qui ne se contente plus de protester, mais qui cherche activement des solutions, quitte à se tourner vers des moyens non conventionnels, comme la magie.
Leur rituel, exécuté dans l’espoir de préserver l’orme, est un succès apparent. Elles parviennent à détourner le projet d’abattage en invoquant une espèce rare d’oiseaux nichant dans l’arbre, ce qui conduit les autorités à le protéger. Cependant, leur victoire est entachée d’une ombre grandissante : celle du Démon du Chaos qu’elles ont involontairement libéré.
Vous avez dit Démon du Chaos ?
La figure du Démon du Chaos dans Coven représente les conséquences inattendues de manipulations occultes mal maîtrisées. En cherchant à imposer leur volonté sur la nature et à utiliser la magie pour servir leurs objectifs, les jeunes filles réveillent une force bien plus ancienne et malveillante. Ce démon, symbole du désordre primordial, commence à semer la confusion et la destruction dans leur petite ville, plongeant ce havre de paix dans un véritable cauchemar.
Le Démon du Chaos est l’antithèse des intentions initiales des filles. Alors qu’elles cherchaient à protéger et à préserver, cette entité incarne la destruction et la perversion des forces naturelles. Leur lutte contre ce démon devient ainsi une quête pour rétablir l’équilibre qu’elles ont involontairement perturbé, un combat pour reprendre le contrôle des forces qu’elles ont déchaînées.
Symbolisme et rituel… Notre analyse
Le parc George Sand, en tant que lieu de l’action, n’est pas non plus choisi au hasard. George Sand, une des plus grandes romancières françaises du XIXe siècle, est connue pour son indépendance d’esprit et son engagement en faveur des droits des femmes. Elle renforce le thème de la sororité et de la lutte pour la justice, non seulement sociale, mais aussi environnementale. Cependant, au-delà de ses écrits et de sa vie publique, certains aspects moins connus de ses intérêts et de son œuvre la relient à des thématiques ésotériques et occultes. Le choix de ce lieu pour le rituel ajoute une dimension féministe à leur combat, où la nature est perçue comme un domaine à protéger, tout comme les droits et les libertés pour lesquels George Sand s’est battue.
Le rituel dans Coven
Le rituel utilisé est un élément central de l’intrigue, marqué par des symboles ésotériques qui suggèrent à la fois un hommage aux traditions occultes et une relecture moderne de celles-ci. Cette scène du rituel est fondamentale, car elle marque le moment où les quatre adolescentes tentent d’utiliser la magie pour atteindre leur objectif, en l’occurrence sauver l’orme millénaire du parc George Sand.
Le décryptage des symboles du rituel mis en œuvre
Le pentagramme est sans doute l’un des symboles les plus reconnaissables dans l’ésotérisme occidental. Traditionnellement, il est associé à la protection, à l’équilibre entre les cinq éléments (terre, eau, feu, air, esprit) et à la connexion entre le monde matériel et spirituel. Dans le contexte du rituel des jeunes filles, le pentagramme semble être utilisé pour canaliser les forces qu’elles tentent d’invoquer. Sa présence souligne leur volonté de se protéger tout en invoquant des pouvoirs surnaturels pour sauver l’arbre.
La page du rituel – page 117 du livre – est parsemée de ce qui semble être des runes ou des glyphes. Ces symboles ont une signification mystérieuse, mais dans la tradition occulte, chaque rune ou glyphe possède une énergie ou une intention spécifique. Ici, ils pourraient représenter des incantations ou des protections supplémentaires, assurant que le rituel soit efficace et sécurisé. Les glyphes en haut à gauche sont disposés en une sorte de phrase magique, probablement une invocation ou un appel aux forces naturelles pour intervenir en faveur de leur cause.
À droite du pentagramme, on voit un symbole représentant une tête cornue. Ce symbole est typiquement associé aux figures démoniaques ou aux entités païennes comme Baphomet ou Pan. Dans ce rituel, ce symbole pourrait être une invocation directe au Démon du Chaos, que les jeunes filles invoquent inconsciemment. Ce détail visuel est un présage de la force destructrice qu’elles libèrent par inadvertance, pensant au départ que leur rituel n’avait que des conséquences positives.
En bas à droite, on observe des motifs de quadrillages et de vagues. Les quadrillages pourraient symboliser l’ordre ou la structure, tentant d’imposer un contrôle sur les forces chaotiques qu’elles appellent. Les vagues, quant à elles, sont souvent associées au mouvement, à l’énergie fluide ou aux émotions. Dans ce contexte, elles pourraient représenter le flux des énergies occultes, une invitation à ce que celles-ci répondent à l’appel des jeunes sorcières.
La symbolique du rituel
Le rituel que les adolescentes exécutent est un mélange d’éléments traditionnels et modernes. Elles utilisent des objets et des symboles hérités de traditions anciennes, mais avec une approche contemporaine, souvent naïve. Elles abordent la magie avec une certaine innocence, sans réaliser que chaque symbole, chaque geste, a une signification et une conséquence bien plus profonde.
Le fait qu’elles réussissent à sauver l’arbre au début semble valider leur méthode, mais c’est en réalité un leurre, une fausse impression de contrôle. Le pentagramme, les runes et le symbole cornu suggèrent que leur rituel a en réalité éveillé une force bien plus ancienne et destructrice : le Démon du Chaos. Ce dernier représente l’incontrôlable, la nature indomptée qui, une fois réveillée, ne peut plus être contenue.
Interprétation du rituel dans le contexte de l’intrigue
Le rituel, bien qu’apparemment un succès initial, est en réalité le point de bascule dans l’histoire. En tentant d’utiliser des forces surnaturelles pour une cause écologique, les jeunes filles réveillent une entité chaotique qui va bien au-delà de leur compréhension et de leur capacité à maîtriser. Ce démon est une métaphore puissante des dangers liés à l’usage irresponsable de la magie, mais aussi des conséquences imprévisibles que peuvent avoir nos actions, même lorsque celles-ci sont motivées par les meilleures intentions.
Cette scène symbolise également l’idée que le chaos est inhérent à toute tentative de manipulation des forces naturelles. Les adolescentes, en cherchant à sauver l’arbre, se heurtent à l’ordre naturel des choses, et leur intervention magique bouleverse cet équilibre, déclenchant une réaction en chaîne qu’elles n’avaient pas anticipée.
Le rituel dans Coven est riche en symboles et en significations. Il incarne à la fois l’espoir des jeunes filles de pouvoir changer les choses et l’avertissement que toute manipulation des forces occultes a un prix. Leur rituel, censé être une simple intervention écologique, se transforme en une invocation dangereuse qui libère le Démon du Chaos, soulignant la complexité des interactions entre l’humain et le surnaturel. Ce passage illustre de manière frappante la frontière ténue entre l’ordre et le chaos, une thématique centrale dans l’œuvre, où chaque action peut avoir des répercussions inattendues.
La biographie des auteurs
Taous Merakchi, née le 24 août 1987 à Paris, est une autrice française qui s’est d’abord illustrée en tant que rédactrice web sous le pseudonyme de Jack Parker. Connue pour son travail sur la vulgarisation des tabous autour des menstruations avec Le Grand Mystère des Règles, elle est également l’auteure de podcasts sur la mort et les histoires d’épouvante. Ses écrits, souvent centrés sur des thématiques sociétales et féministes, se retrouvent dans Coven où elle continue d’explorer la sororité et la puissance féminine.
Da Coffee Time, illustrateur autodidacte, puise son inspiration dans la culture urbaine et le monde du skate. Ses œuvres graphiques, marquées par une vivacité et une expressivité singulières, enrichissent l’univers de Coven en donnant vie aux émotions complexes des personnages et à l’atmosphère surnaturelle de l’histoire.
Quel regard un franc-maçon porte sur cette magnifique BD
Du point de vue franc-maçonnique, Coven peut être interprété comme une allégorie de la quête de la connaissance et du pouvoir. Les jeunes filles, à travers leur coven, cherchent à comprendre et à maîtriser des forces qui les dépassent, rappelant les initiations ésotériques où le néophyte est confronté à des mystères qu’il doit progressivement déchiffrer. L’idée de libérer une entité démoniaque peut être vue comme une métaphore du danger de poursuivre un savoir sans en comprendre les implications éthiques et morales. De plus, le symbole de l’arbre, souvent présent dans la tradition maçonnique, évoque la sagesse et la croissance spirituelle, mais aussi les dangers d’une puissance non maîtrisée.
Présentation de l’éditeur Dupuis
Les Éditions Dupuis, fondées en 1922 en Belgique, sont l’une des maisons d’édition les plus emblématiques dans le domaine de la bande dessinée européenne. Connue pour avoir publié des séries légendaires comme Spirou et Fantasio, Les Schtroumpfs ou Lucky Luke, Dupuis s’est progressivement ouverte à des œuvres plus modernes et engagées, tout en conservant un fort attachement à la qualité narrative et graphique. Avec Coven, Dupuis continue d’explorer des territoires nouveaux, en s’adressant à une génération plus jeune, tout en intégrant des thèmes contemporains et une esthétique résolument moderne.
Coven est une œuvre qui résonne profondément avec les enjeux actuels, en particulier ceux liés à l’écologie et aux responsabilités qui accompagnent l’usage de pouvoirs, qu’ils soient surnaturels ou technologiques. En dépeignant des héroïnes qui se battent pour une cause juste, mais qui doivent aussi faire face aux conséquences de leurs actes, Taous Merakchi et Da Coffee Time offrent une réflexion sur la complexité du monde moderne. Le récit questionne non seulement sur la place de l’individu face aux forces naturelles, mais aussi sur les dangers de l’ambition et de la volonté de contrôle. Ce roman graphique, à travers sa fusion de thématiques écologiques, mystiques et sociétales, devient un miroir des préoccupations de notre époque, tout en invitant ses lecteurs à méditer sur le pouvoir, la responsabilité et les liens qui nous unissent à la nature et à autrui.
Coven
Taous Merakchi (Auteur), Da Coffee Time (Illustrations)
Dupuis, 2023, 256 pages, 26 € – Format Kindle 9,99 €
Les Éditions Dupuis, le site.