En Franc-maçonnerie, de Narcisse en Alice, grâce au symbole du Miroir, certains Rites et Rituels nous proposent une quête de nos profondeurs afin d’opérer en nous la promesse de l’aube proposée par la Voie de l’Art Royal. C’est en plongeant à travers sa symbolique proposée par la démarche initiatique que nous pourrons, de spirale en spirale, tenter de résoudre l’éternelle question la plus intime qui soit : qui suis-je ?
Nous nous trouvons tous, un jour ou l’autre, confrontée à notre image. La façon dont nous agissons ou réagissons face à cette image fait aussi de nous ce que nous sommes. Si, en société, notre image nous est renvoyée tronquée par notre ego et le regard de l’Autre, au cœur de notre solitude matinale c’est à une fine et fragile couche de sable chauffée, doublée d’une couche réfléchissante d’aluminium ou d’argent et d’un tain fait de plomb ou de cuivre que nous confions la responsabilité de notre image lors de nos ablutions hygiéniques journalières. Ce n’est qu’après cette première étape de l’intime que nous confions à l’Autre notre image illusoirement maîtrisée. Certains l’expose au monde par l’intercession réflexive de leur téléphone portable afin de se réaliser dans la réalité au silicium anthropocène de nos réalités augmentées. Ce reflet de Narcisse devient alors accessible à tous dans l’espérance d’une universalité que l’on voudrait pourtant unique…. Cathédrales de sable érigées sur le sable comptant les heures bleues avec la fragilité annoncée d’un verre à peine refroidit… mais… sans moi… sans l’autre… qui suis-je? En soi, avec l’autre, serions-nous “nous” tout en étant “je” ?
Le Miroir de Narcisse : Connais-toi toi-même…
Je n’ai pas de réponse définitive à ces si vastes sujets toujours en mouvement. L’image que j’ai de moi me renvoie plus au Mercure qu’au Soufre ou au Sel. De ce fait, je ne peux que partager ici les intuitions que j’ai reçues, par l’Initiation que j’ai vécue, au Rite Écossais Ancien et Accepté de la Grande Loge de France et la Connaissance que j’ai tirée de mon Chemin de vie et artistique.
En Franc-maçonnerie, le Miroir m’a présenté une première porte possible dès le Cabinet de Réflexion(s), la seconde m’est apparue dans la Chaîne d’Union. Si j’ai franchi allègrement la surface de la seconde Porte-Miroir en jouant les Alice j’avais oublié la première! Les épreuves m’ont vite fait comprendre que dans un premier temps, il serait au plan initiatique, plus question de Narcisse que d’Alice ! Il s’est opéré lors de l’ouverture de ce premier rideau initiatique une diffraction optique de l’image que j’avais de moi-même. Elle a retrouvé son unité lors de mon troisième acte. « À nos actes manqués ! » nous disent les ménestrels et les alchimistes de l’âme. Freud parlait lui d’Unheimlich.
Dans ma quête artistique, j’ai pu conter mes explorations dans un travail, présenté sur table au jury de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Ce projet d’installation artistique, initiatique et surréaliste avait pour nom Unheimlich. Il m’a permis de valider le Master 2 de cette école consacrée à la photographie plasticienne. A l’origine, ce travail était une Planche s’appuyant sur l’image et la langue des oiseaux et présentée en vidéo-projection en Loge sous le nom “Le testament de Narcisse”.
Dans cette quête des profondeurs nous invitant à explorer notre Nadir, il convient de rencontrer des nautoniers avisés. Dans son œuvre, Carl Gustav Jung prévient, des risques encourus, l’explorateur imprudent qui se laisserait griser par la narcose, tout en attestant de la qualité du minerai rencontré lors de ses plongées. C’est aux Sœurs et Frères entourant l’Apprenti de veiller, autant que faire ce peu à ce que par l’ivresse des profondeurs, il ne devienne pas lui-même la part des anges de son exploration. Cependant le juste équilibre individuel est à trouver car de ce minerai récolté dépend le Grand Œuvre de ce énième apprenti “Capitaine Nemo” parfois imprudent. Si en latin “Nemo” signifie “personne” on lui trouve d’autres sens dans d’autres langues : livre, rectangle, homme, distribuer, partager…
« Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi. »
Aphorisme 146 – Par delà le bien et le mal – Friedrich Nietzsche
Le Miroir au Rite Écossais Ancien et Accepté
Au Rite Écossais Ancien et Accepté de la Grande Loge de France, le Miroir fait sa première apparition dans le Cabinet de Réflexion. C’est dans ce premier reflet rencontré, dans l’intime pénombre de la lueur d’une bougie que se déroule l’épreuve de la Terre. Cette plongée dans son reflet invite le Profane à se percevoir Narcisse au bord de l’étang, plongé dans les reflets multiples de ses réflexions philosophico-testamentaires. Il pense coucher là sur le papier, ce qui compte le plus pour lui, ce qu’il a de meilleur… et c’est ce meilleur de lui-même qu’il pensait léguer à la postérité qui sera brûlé et plongé dans l’eau de l’oubli. Il ne le sait pas encore mais tout ce qu’il n’a pas écrit, ce qu’il a gardé en lui donc, deviendra ce Plomb qu’il devra transmuter.
Si le « Tout » est le Miroir et l’image s’y reflétant, ce “Tout” est aussi tout ce qui entoure l’objet de verre, d’argent et de plomb. C’est la première phase de la mise en abîme initiatique, lorsque le “un” trouve une place dans l’équation métaphysique prescrivant au cœur de l’Ouroboros : “Un, le Tout” .
Il en est aussi ainsi du Miroir tendu au Néophyte par son Présentateur dans la Chaîne d’Union. Après lui avoir expliqué que l’ennemi le plus à craindre se trouve le plus souvent derrière soi, il lui est demandé de se retourner. Il se retrouve alors face à sa propre image dans le Miroir tendu devant lui par le Frère présentateur qui est le plus souvent celui qui a pris l’engagement rituel d’être son Parrain, son tout premier nautonier. C’est la seconde apparition du Miroir au R.E.A.A. Là aussi c’est l’Univers Symbolique tout entier qui est à embrasser et embraser. Ce Miroir n’est qu’une « Fenêtre sur cour » où l’initié encore prisonnier de sa Loge ne peut confronter sa vision qu’aux ombres passant devant les Fenêtres grillagées de sa caverne. C’est le second Miroir, celui permettant la mise en abîme de la démarche Initiatique.
C’est par son assiduité, son engagement au Travail, sa Fraternité sans-cesse en révélation et, au besoin, au secours de ses Frères que l’initié franchira les “étapes-reflets” uniques de son Voyage dans sa nuit, guidé par la lumière flamboyante de sa bonne étoile. Mais, à chaque étape il retournera au Miroir et dans le Secret Sacré de son Intime peut-être percevra-t-il de plus en plus le vaste Univers dont il n’est qu’une infime partie tout en en étant le Tout. Se connaître soi-même commence par visiter son royaume intérieur. C’est l’inventaire dans les “prés verts” du poète, du philosophe et de l’alchimiste.
Le ternaire Miroir-image-celui qui le tient :
Je me suis toujours naïvement demandé comment, dans le Tarot de Marseille, l’ermite pouvait aller de l’avant tout en regardant en arrière. Peut-être se sert-il d’un miroir comme un rétroviseur permet de faire une marche arrière en voiture. Dans le cas de l’ermite, ce rétroviseur lui permettrait-il de percevoir un futur possible dans la trajectoire inversée de son chemin dépassé?
De plus, l’occidental que je suis, lit et écrit des de gauche à droite. Si par convention on peut dire que le Passé est symboliquement à gauche et l’Avenir symboliquement à droite, le Miroir, par l’inversion de cette latéralité, peut-il permettre de percevoir l’avenir par la supposée simple exploration du Passé? L’exploration de l’Avenir et du Passé varient-ils selon le sens de lecture et d’écriture? Sont-ils justes de simples déductions? Quid alors de la symbolique de la courbe du Temps dans les textes de la Tradition écrits en araméen, hébreux, arabe et autres langues du moyen-orient et traduits en grec, latin, français et autres langues occidentales? Et je n’ouvre pas ici le débat sur la symbolique de la verticalité/latéralité des textes d’extrême-orient!
Nous sommes notre plus grand inconnu
Le mot important ici est “inversé”. Le miroir nous propose une image de nous telle qu’elle est perçue par l’autre. Il nous propose une image où sa droite est à ma gauche et ma gauche à sa droite. De même, lorsque nous prenons un “selfie” de nous-mêmes ou que nous sommes filmés pour un “Zoom” via la caméra frontale de nos téléphones ou tablettes, nous regardons une image miroir, donc inversée, de nous-mêmes. Seul le photographe peut prendre une image justement coordonnée de nous… sauf que lorsque nous la regarderons sur le papier ou l’écran, notre gauche sera à droite et notre droite à gauche. Nous nous percevons donc toujours tel que l’autre nous perçoit lorsque nous sommes face à cet huis de vert argenté.
Petit exercice : amusez-vous à annuler l’effet “miroir” de votre caméra et rencontrez l’étrange étranger qui s’y trouve. Vous reconnaîtrez-vous comme tel?
Heureusement, la nature est bien faite et vient compenser cela. Observez-vous attentivement dans un miroir… vous ne verrez de vous qu’un seul côté. Il est impossible d’observer en même temps et nettement nos deux yeux. Nous pouvons jouer avec l’arête du nez tout au plus mais même dans ce cas le reste de notre visage est flou. Rappelez-vous l’épisode du borgne avec Louis De Funès dans La Folie des Grandeurs !
Une réponse possible à l’énigme de l’ermite et celle de l’inversion de la latéralité-polarité-temporalité (droite-gauche) de l’image, nous est donnée par le Rituel du R.E.A.A : “… Ce sont les lumières du passé que l’on dirige dans l’obscurité de l’avenir!”. Ainsi si l’image perçue n’est pas la Réalité, elle peut cependant être une lumière éclairant le Chemin qui y mène.
Pourquoi observer et questionner en conscience tout cela ?
Parce que même si “l’ennemi” vient parfois de derrière soi, le vaste monde n’est pas le Miroir. Le Miroir n’est que la fenêtre d’une image tranchante, friable et fragile comme le cristal dans lequel se reflète notre ego. Comme nous, le Miroir est partie du Tout mais il n’est pas le Tout, et comme nous dépendons aussi de celui qui tient le Miroir il convient de prendre soin de l’autre comme nous prenons soin de nous car nous ne formons qu’un à ce moment sans oublier que nous ne sommes pas que notre image ou notre reflet.
Faisant partie d’une Loge de St Jean, je vais citer son Évangile [appréhendé comme texte de la tradition], lorsque Jésus dit lors de son dernier repas:
« Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres »
(Jean 13, 34-35)
Je citerai aussi Victor Hugo :
Victor Hugo , juin 1875… persistons, nous qui voulions qu’on promette et non qu’on menace, nous qui voulons qu’on guérisse et non qu’on mutile, nous qui voulons qu’on vive et non qu’on meure.
Ces grandes lois d’en haut sont avec nous. Il y a un profond parallélisme entre la lumière qui nous vient du soleil et de la clémence qui nous vient de Dieu.
Il y aura une heure de pleine fraternité, comme il y a a une heure de plein midi. Ne perds pas courage, ô pitié! Quant à moi, je ne me lasserai pas, et ce que j’ai écrit dans tous mes livres, ce que j’ai attesté par tous mes actes, ce que j’ai dit à tous mes auditoires, à la tribune des pairs comme le cimetière des proscrits, à l’assemblée nationale de France comme à la fenêtre lapidée de la place des Barricades de Bruxelles, je l’attesterai, je l’écrirai, et je le dirai sans cesse : il faut s’aimer, s’aimer, s’aimer !
Le Miroir d’Alice : la Loge et l’univers initiatique où se tisse le fil de Soi[e] par la quête de l’Autre
Donc toute image est contenue dans un volume, lui-même rattaché à son cadre de référence. Ainsi, le Miroir initiatique, lorsqu’il est présent matériellement dans un Rite et dans un Rituel, ne peut pas être détaché de celui-ci. Pour autant, son absence matérielle ne signifie pas pour autant son absence spirituelle. Ne pourraient-on pas convenir que le Tout formé par la Loge, dans sa globalité humaine, spirituelle et matérielle est un Miroir qu’il nous faut traverser?
Dans “La traversée du miroir”, suite “d’Alice au pays des Merveilles”, écrit en 1871 par Lewis Carrol, c’est en traversant le miroir que le pion symbolisé par Alice devient Reine à l’issue des épreuves traversées, comme l’Apprenti devient Compagnon puis Maître et au-delà si la Voie Initiatique, son Travail et l’envie lui rendent cela possible. Peut-être est-ce cela la seconde partie, plus récente, de la citation : “…et tu connaîtras l’univers et les dieux!”. Le Miroir est un univers asymétrique clos, une enceinte à l’intérieur de laquelle s’écoule l’amniotique voie qui mène de soi à la Soie.
Même si nous sommes inlassablement tentés par la symétrie, humainement elle n’est pas l’équilibre et l’image qu’elle renvoie donne naissance à des monstres. Ainsi, peut-être que l’image que nous nous faisons de la Loge est conforme à celle que nous nous faisons de nous-mêmes, de notre Chemin, de nos représentations intérieures… peut-être que la Loge est un autre Miroir contenant une image particulière à chacun, commune à tous dont nous ne percevons qu’un côté.
Le Miroir du pair : « reconnu comme tel »
Enfin, si je suis la logique du Miroir, si “mes pairs me reconnaissent comme tel” c’est que “Je” devrais me reconnaître comme “Tel”, dans mes majuscules et mes minuscules. Je ne parle pas ici d’une certitude “egotique” de soi conférée par une initiation “rituellique” sans âme où “je” serait un “jeu” mais bien d’un processus lent et mystérieux où le “Je” est [l’enjeu – lent jeu – l’ange – lange] lorsque l’obscur lumineux se fragmente et devient numineux, ou lorsque les antagonismes se transcendent en oxymore.
Tel serait “l’en-je” de la traversée?
L’Initiation, dans ses injonctions Nietzschéennes nous dit “Va et deviens!”. Elle finit même par nous chasser du Temple pour nous forcer à emprunter notre seul Chemin, celui de notre confrontation au monde et sa réalité brute; non celui de notre conformation à celui-ci et ses normes de papiers, par delà nos illusions calcinées et nos incohérences mortifères. Le Chemin de l’expérience réalisée est le Chemin de la véritable reconnaissance spirituelle de soi, d’un état d’être au monde, lorsque l’initié rencontre son Feu spirituel intérieur et s’embrase en “Ignitié”.
Quel que soit notre genre humain, cette ignition est un état que nous atteignons parfois lorsque nous oublions le Miroir, l’image, les sens et leurs représentations ; lorsque nous cessons de vouloir à tout prix féconder le monde de notre empreinte revêtue du sceau d’une illusoire supériorité misogyne ou misandre. C’est en réalisant pleinement notre “Soufre solaire” et notre “Mercure Lunaire” que leur union dans la danse du “Sel vivant” traversera le verre, l’argent et le plomb du Miroir dans l’espoir assumé de l’Unité retrouvée.
Parmi les questions restées sans réponses, celles-ci me tracassent : comment sortir de l’illusion du Miroir? En brisant sa “mal-diction”, en le transcendant ou bien encore en le laissant baigner dans une lumière d’indifférence?
Vivre le symbole du Miroir c’est [perce-voir] l’unité du monde qui nous entoure et que nous traversons pour mieux y renaître. [Perce-voir] c’est quitter la persistance rétinienne laissée par le feu des ombres de la caverne qui nous enferme à l’intérieur de ce [vert] que l’on voulait [di-amant]; c’est accepter d’Être sans [ça-voir]; c’est accueillir [l’évide-danse]; c’est vivre le sable en [ça-bleu] dans lequel volent les alouettes d’un miroir oublié par la [pleine].
“Prends place, fais Silence et vis l’instant!” me murmure encore mon nautonier depuis [l’Or-Riant] [éther-né-Elle]…
A lire aussi sur 450.FM :
“Miroirs dites-moi qui je suis” de Solange Sudarskis
“La vitre et le miroir” de Franck Fouqueray
A lire aussi sur www.lesyeuxducyclope.fr :
En complément, et pour les plus téméraires, lire aussi “La complainte du miroir” dans les encadrés de l’article La [transe-en-danse] du miroir initiatique, Unheimlich et Le testament de Narcisse.
En latin le miroir se dit : SPECULUM .: ce simple mot, contient tout !