ven 22 novembre 2024 - 14:11

07/08/1940 : Arthur Groussier, grand maître du GODF, s’adresse à Pétain. Quelle était donc son intention ?

Portrait officiel de Philippe Pétain (c. 1941) (photographie de propagande, imprimerie Draeger)

Chef de l’État français, Philippe Pétain — à peine colonel, à la veille de la Première Guerre mondiale, et maréchal quatre ans plus tard — doit une partie de la lenteur de sa carrière à sa fiche qui dénonce ses idées nationalistes et cléricales.

Arthur Groussier (1863-1957) ne pouvait l’ignorer – compte tenu de ses divers mandats à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des députés – député de la Seine de 1893 à 1902 et de 1906 à 1924 – et/ou fonctions au sein de l’ordreen 1907, il est élu au conseil de l’ordre qu’il ne quitta pour ainsi dire pas jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ! Il reconnaît la nouvelle autorité de Philippe Pétain. Mais le 13 août 1940, son mandat est interrompu par la promulgation par le régime de Vichy de la loi interdisant les sociétés secrètes.

Arthur Groussier © Assemblée nationale

Retour sur une affaire…

Le 28 octobre 1904, le scandale de I’« affaire des fiches » éclate à la Chambre des députés, révélant un pacte secret conclu par le ministre de la Guerre avec les loges maçonniques du Grand Orient de France pour épurer et républicaniser l’armée. En effet, depuis 1901, un système de délation des opinions politiques et religieuses des officiers, pour décider de leur avancement ou non, a existé au niveau national, aboutissant à la rédaction de près de 20 000 fiches.

Sur cette affaire, nous lirons utilement de François Vindé L’Affaire des fiches (1900-1904) : chronique d’un scandale (Éd. universitaires, coll. « Documents », 1989) ou encore d’Emmanuel Thiébot Scandale au Grand Orient (Larousse, 2008) qui combine passages romancés et documents d’archives du GODF ;

plus récemment, nous lui devons Le scandale oublié de la Troisième République (Dunod, Coll. EKHO, 2021).

Selon la formule maçonnique « Afin que nul ne l’ignore », nous portons cette lettre à votre connaissance.

La lettre du Grand Maître Groussier à Pétain :

« Monsieur le Maréchal,

Devant les malheurs de la Patrie, tous les Français doivent consentir les plus grands sacrifices : mais en est-il un plus douloureux que celui de détruire l’œuvre à laquelle on a donné le meilleur de sa pensée et de son cœur ? Si pénible que cela nous soit, nous croyons accomplir notre devoir présent en nous soumettant à la décision du Gouvernement français concernant la Franc-Maçonnerie du Grand Orient de France, tout en vous présentant, en raison des mensonges répandus sur cet ordre philosophique, une déclaration aussi solennelle que respectueuse.

Dans l’impossibilité absolue de réunir l’Assemblée ou le Conseil qui détiennent les pouvoirs statutaires de décider en cette matière, mais nous appuyant sur la confiance qui nous a été maintes fois accordée et prenant l’entière responsabilité de notre charge, nous déclarons que le Grand Orient de France cesse son fonctionnement et que toutes les Loges qui en relèvent doivent immédiatement renoncer à poursuivre leurs travaux si elles ne l’ont déjà fait.

Sans doute, comme dans toutes les institutions humaines, la Franc-Maçonnerie du Grand Orient de France a eu ses faiblesses, mais durant ses deux siècles d’existence elle compte à son actif de belles pages d’histoire, depuis les Encyclopédistes jusqu’au maréchal Joffre, vainqueur de la Marne. Elle a brillé par sa grandeur morale et elle ne peut rougir ni de son idéal ni de ses Principes. Elle succombe victime d’erreurs à son endroit et de mensonges car, dans son essence, elle a le respect de la pensée libre, des convictions et des croyances sincères. Elle a toujours honoré le travail. Son but suprême est l’amélioration morale et matérielle des hommes, dont elle voudrait poursuivre l’Union par la Fraternité. Elle a conscience, dans les évènements que la France vient de traverser, de n’avoir failli ni à sa tradition ni au devoir national. À de nombreuses reprises, elle a fait appel aux bons offices du Président Roosevelt dans le but de maintenir la paix entre les peuples, et c’est le coeur saignant qu’elle a vu se déchaîner l’effroyable conflit.

Combien d’hommes politiques et autres a-t-on prétendu être Francs-Maçons qui ne l’ont jamais été ? Et comme l’on se trompe en affirmant que le Grand Orient de France, dans ces vingt dernières années, a été le maître du pouvoir ou son serviteur.

Il n’a non plus jamais subi une direction étrangère, notamment celle de la Grande Loge d’Angleterre, avec laquelle il n’a aucun rapport ni officiel, ni officieux, depuis 1877. En sens contraire, il n’a jamais cherché à influencer aucune puissance maçonnique d’autres pays qui, toutes, ont toujours eu le haut souci de leur indépendance nationale.

Si, actuellement, nous ne pouvons administrer personnellement la preuve de nos affirmations – puisque nos archives ont été saisies au siège et à nos domiciles par les autorités d’occupation –, il doit rester encore, en France non occupée, une documentation qui peut, sans contestes, en démontrer la véracité.

On insinue aussi que nous sommes aux ordres de la Finance internationale. Les signataires de cette lettre, qui figurent parmi les plus hauts dignitaires de l’ordre maçonnique, sont restés de situation modeste : la simplicité et la dignité de leur vie, facile à contrôler, leur permettent de dédaigner une si déshonorante imputation. La Banque de France est le seul établissement bancaire, avec les Chèques Postaux, où le Grand Orient de France possède un compte courant. Ses titres, au reste bien modestes, sont des titres français : rentes sur l’État ou Bons de la Défense Nationale.

Enfin, le principal grief qui nous est fait, c’est d’être une société secrète, ce qui est encore inexact au sens légal du mot. Le 3 janvier 1913, le Grand Orient de France devenait une association déclarée, ayant personnalité civile, en déposant ses statuts et en renouvelant, tous les ans, à la Préfecture, le dépôt des noms de ses 33 Administrateurs. Au reste, il suffit de consulter l’Annuaire Universel Didot-Bottin, Tome Paris, pour trouver aux Professions, à la rubrique « Franc-Maçonnerie », toutes indications sur le Grand Orient de France avec les noms et professions des membres du Bureau.

Le Grand Orient de France comptait parmi les forces spirituelles qui composaient notre nation. Sa fermeture suffira-t-elle à apaiser certaines haines ? Puisse-t-elle, au moins, aider au rapprochement de tous les Français qui, avec des tempéraments différents, ont l’intention de travailler loyalement au redressement moral et à la prospérité de la France.

Nous vous prions, Monsieur le Maréchal, de bien vouloir agréer l’assurance de notre profond respect.

Pour le Grand Orient de France . . .

Le Président,

Arthur Groussier

Le Secrétaire,

Louis Villard »

Deux textes relatent et analysent cet événement.

Celui de Charles Goldstein intitulé « Le cas Arthur Groussier : Arthur Groussier mérite-t-il son temple ? » (Chroniques d’histoire maçonnique, 2013/1, N° 71, p. 84 à 92) et celui d’André Combes, professeur agrégé d’histoire et auteur de nombreux ouvrages sur la franc-maçonnerie, « La lettre à Pétain pèse sur sa mémoire » (La Chaîne d’Union, 2006/1, N° 38, p. 34 à 45).

Les écrits de Charles Goldstein « … Et, le 7 août, il écrit sa controversée adresse au

Maréchal Pétain […] sensée protéger les francs-maçons… »

André Combes nous apprend que le Comité d’Action Maçonnique (C.A.M.) « coordonne, jusqu’à la Libération, l’activité maçonnique et organise la réouverture clandestine des ateliers du Grand Orient ou l’ouverture de loges fondées conjointement par des Frères du Grand Orient et de la Grande Loge ».

Une fois le Grand Orient de France rétabli dans la légalité en 1944, « le 6 septembre 1944, le Conseil de l’Ordre, réuni dans l’immeuble de la rue Cadet juste libéré, restitue ses pouvoirs à Groussier. Les 13 et 14 janvier 1945, en son absence, le Conseil annexe la lettre à son p.v., et celui-ci est approuvé à l’unanimité ».

Arthur Groussier en 1914

Pour en savoir plus sur Arthur Groussier, nous vous recommandons la lecture du Arthur Groussier, Le franc-maçon réformiste (Conform édition, Coll. Pollen maçonnique, 2016) de Denis Lefebvre.

Relevons aussi que l’œuvre en qualité de Maçon d’Arthur Groussier a été considérable. C’est lui qui dans l’Entre-deux-guerres plaidera pour un retour aux sources symboliques du Rite Français. Le texte établi sous la direction d’Arthur Groussier et adopté en 1938, puis 1955 marque un début de retour du symbolisme dans le rituel de référence du Grand Orient sous le nom de « Rite Français dit Groussier ».

Édition Plon – non daté

Arthur Groussier, père du Code du Travail, un nom passé à la postérité

Le plus grand des temples du Grand Orient de France installés au siège de l’obédience, rue Cadet, à Paris porte son nom. Il sert en particulier aux conférences publiques et aux tenues exceptionnelles.

Temple Arthur Groussier

Une rue du 10e arrondissement de Paris, à proximité de l’hôpital Saint-Louis, porte son nom. Une rue ouverte avant 1878, sous le nom de « passage Parmentier », prenant ensuite le nom de « rue Parmentier » avant de prendre sa dénomination actuelle le 18 mars 1965, nommée en l’honneur d’Arthur Groussier, député socialiste, syndicaliste et Grand Maître du Grand Orient de France.

Ainsi qu’une autre rue à proximité de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy. Par ailleurs, la salle de réunion du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris porte aussi son nom.

Sources : Wikipédia, Le Maitron, cairn.info, Assemblée nationale

Columbarium du Père-Lachaise

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