J’étais en Loge hier soir, mais ce n’est pas ce que je vais partager avec vous aujourd’hui. Je vais plutôt vous parler de L. Qui est L ? Une initiale, pour préserver son anonymat, mais ce n’est pas le plus important. L est comme moi, fonctionnaire, mais travaille dans un service déconcentré de l’État. L travaille dans le corps des secrétaires administratifs. Contrairement à d’autres, L n’occupe pas un « bullshit job » et sa plus-value est non seulement réelle, mais mesurable. L a toujours eu de très bonnes évaluations. Sa hiérarchie s’en est toujours remise à L pour régler les nombreux problèmes que connaissent son service et ses usagers. L étant en poste depuis très longtemps, les procédures n’ont plus aucun secret. Et comme L est une personne très joviale, L est très appréciée de l’ensemble des agents du service. En fait, chacun d’entre eux a pu un jour être secouru par L. Le service fonctionnait bien. Et puis le drame est arrivé.
Il y a moins de deux ans, un nouvel encadrement a été désigné. Appelons X le représentant de ces nouveaux cadres, qui est le supérieur direct de L. X a souhaité marquer son autorité par un coup de force : les agents allaient désormais devoir pointer sur une badgeuse (version high tech et connectée de la pointeuse). Nouvelle liberté ? Que non point ! Un moyen de les forcer à ne pas générer d’heures supplémentaires convertibles en journées de RTT. Nouvel usage : heures supplémentaires interdites. Et la qualité du service (qui requiert selon les périodes quelques efforts) ? On s’en fout. On doit trouver des solutions pendant les heures de bureau, pas après l’heure officielle de sortie. L, connaissant son métier et refusant de transiger avec sa mission de service public, n’a pas accepté de jouer ce jeu. L a toutefois badgé, faisant monter son compteur de jours de RTT. Car pour L, on ne laisse pas un usager ou un agent en plan. Jamais. L a toutefois pu s’accommoder des mesquineries. Alors, a commencé un ballet infernal. Ainsi, impossible de dialoguer d’un bureau à l’autre, on passe par des mails. Pour faire son travail, L devait répondre (immédiatement) aux sollicitations écrites de X, dont le poste était dans le bureau d’en face. Puis ça a continué : les dossiers de L lui ont été retirés pour être répartis ailleurs, et L a dû passer du temps sans activité, alors que les besoins du service et des usagers étaient toujours là.
Cette répartition rationnellement inexplicable a engendré une baisse de la qualité de service. X a multiplié les rapports contre L, heureusement toujours sans effet. Par contre, la santé de L a commencé à dangereusement décliner : L a perdu du poids, a perdu le sommeil et selon ses propres termes, a vu sa vitalité se faire siphonner. L a consulté un médecin qui l’a orienté vers un psychiatre. L a donc basculé dans la spirale des antidépresseurs, somnifères et anxiolytiques.
Récemment, X et son encadrement ont convoqué L pour lui administrer une sanction. Heureusement, L a pu démontrer son innocence et sa bonne foi et s’en sortir honorablement, mais du mal a été fait.
Dernier coup en date : X a refusé les congés de L, estimant que ces jours de congés et de RTT étaient indus. L a craqué. L a ravagé le bureau de X, et X ne doit sa survie qu’à l’intervention d’un collègue. L a dû rentrer à l’hôpital, et n’en sortira pas avant un moment. L est désormais en longue maladie, sous médicaments et avec un suivi médical lourd. L ne reviendra pas travailler. Plus jamais.
Il est arrivé à L un processus terrible : L a décompensé après deux années de harcèlement. Le harcèlement est une chose terrible : on est réduit à un état d’objet, et la subjectivité est annulée. On est pour ainsi dire coupé de sa propre humanité. En termes cliniques, on appelle ça la dépersonnalisation. Et ce phénomène de dépersonnalisation peut mener à la violence physique, voire à la mort. Même une personne supérieurement entraînée peut tomber sous le poids de la dépersonnalisation. Même un Maître Franc-maçon.
L, c’est n’importe lequel d’entre nous : compagnon, compagne, époux, épouse, parent, enfant, ami, vous, moi… L, comme trop de monde est victime de ces cheffaillons de malheur, ces pervers minables qui confondent pouvoir et domination, et dont la vie est tellement vide qu’il leur faut détruire leur entourage. Ces gens là sont sous la coupe des tristement célèbres Mauvais Compagnons, l’Ignorance, le Fanatisme et l’Ambition. X ignorant tout du service a tenté d’imposer sa loi par la force, ce qui n’est jamais une bonne idée. X n’a jamais voulu admettre ses erreurs, et s’est enferré dans son comportement. Plus grave encore, X nourrit une certaine ambition professionnelle et n’hésitera pas à écraser les personnes sous ses ordres pour arriver à ses fins. Le problème qui se pose, c’est que les gens comme X sont de plus en plus nombreux : petits chefs zélés, prêts à appliquer une politique manageriale par la terreur dans un service public sans jamais faire preuve de discernement. Ces gens là n’ont rien à faire en Loge. Rien. Nous ne serons jamais sûrs d’être à l’abri de gens comme X. D’où l’importance des enquêtes et du bandeau, pour éviter de faire entrer le loup dans la bergerie. De toute façon, des gens comme X ne sont pas dans une démarche de perfectionnement spirituel ou intellectuel. Mais restons vigilants.
Nous autres Francs-maçons avons pour devoir d’élever des temples et creuser de sombres prisons au vice. J’ai pris mes outils pour préparer celle de X et ses semblables.
Alors, L, bats-toi ! Je suis avec toi, en toute fraternité. Ce qui s’est passé n’est pas ta faute, mais bien celle de ton encadrement malveillant.
J’ai dit.