ven 12 septembre 2025 - 17:09

Renaissance Traditionnelle, n°209 : une pierre maîtresse de la quête maçonnique

Le numéro 209 de Renaissance Traditionnelle (RT) s’inscrit dans la continuité d’une œuvre éditoriale commencée il y a plus d’un demi-siècle par René Guilly et poursuivie aujourd’hui par Roger Dachez. Cette revue, véritable phare dans l’océan des publications maçonniques, a toujours eu pour vocation de susciter des études originales, de faire paraître des documents rares, de nourrir l’intelligence symbolique et d’éveiller la sensibilité spirituelle de ses lecteurs.

Elle ne se contente pas de rendre compte du passé : elle déploie une recherche vivante qui éclaire l’histoire et l’initiation. Ce nouvel opus de 128 pages confirme ce double souffle, savant et méditatif, érudit et initiatique.

Renaissance Traditionnelle 209 janvier juin 2025
Renaissance Traditionnelle 209 janvier juin 2025

Ce numéro porte aussi une valeur particulière : il inaugure une nouvelle étape matérielle de la revue, installée désormais dans ses locaux de Puteaux, au bord de la Seine. Ce déménagement, annoncé avec reconnaissance envers la patience des abonnés, devient bien plus qu’un simple fait logistique. Il symbolise un passage, une traversée, une translation qui n’est pas sans rappeler la démarche initiatique elle-même. Comme une loge qui change de Temple tout en gardant son flambeau allumé, Renaissance Traditionnelle poursuit son travail de transmission et d’élévation.

Renaissance Traditionnelle, diplôme
Renaissance Traditionnelle, diplôme

Dès la première de couverture, le lecteur est saisi par l’image d’un certificat de franc-maçon daté du 2 juin 1827, issu des collections du Royal Museums de Greenwich. Plus qu’une illustration, ce document agit comme une clef d’entrée, une porte symbolique qui rappelle que chaque signe, chaque sceau, chaque trace graphique du passé maçonnique peut être lu comme une pierre taillée dans le grand chantier de la mémoire. Sa reproduction soigneuse témoigne du soin extrême porté à la mise en page et à l’iconographie : la revue ne livre pas seulement du contenu, elle donne forme à une véritable expérience esthétique et symbolique.

Le sommaire de ce numéro se révèle d’une richesse rare, embrassant la diversité des approches qui font la force de la revue. L’ensemble compose une mosaïque de voix, de perspectives, de disciplines, mais toujours tendues vers une même finalité : mieux comprendre et mieux aimer la tradition maçonnique dans sa double dimension, historique et spirituelle.

Le dossier : « Colonnes, chandeliers et piliers »

Roger Dachez poursuit l’étude entamée dans le précédent numéro autour de cette triade familière à tous les initiés. Les colonnes, les chandeliers et les piliers sont souvent considérés comme des éléments de décor. L’auteur les réinscrit dans une histoire vivante, polymorphe, mouvante. Il montre que ces symboles, loin d’être immuables, se sont transformés selon les époques, les rituels et les sensibilités.

La colonne n’est pas seulement un support architectural : elle devient axe, signe de verticalité et d’élévation. Elle incarne la stabilité mais aussi la polarité, reliant le ciel et la terre, la tradition et l’innovation. Le chandelier n’est pas seulement un luminaire : il rythme la nuit, éclaire le travail, rappelle l’étoile de l’initié dans le silence du Temple. Les piliers ne sont pas de simples soutiens : ils incarnent les valeurs qui fondent l’Ordre et inscrivent l’homme dans l’harmonie cosmique. Cette étude nous révèle que la tradition ne se fige jamais. Elle se réinvente dans l’espace du rituel, offrant aux générations successives de nouvelles clefs d’interprétation.

Les Varia : mémoire et quête

L’histoire de la Loge de Joigny (1777-1880), étudiée par Christian L., nous transporte dans la respiration d’un atelier de province. Cette plongée dans les archives fait revivre non seulement des actes administratifs ou des statuts, mais surtout une manière d’habiter l’histoire locale. Chaque loge devient un microcosme, une réplique miniature du grand chantier universel. La fragilité des frères, leurs enthousiasmes, leurs épreuves, leurs engagements sociaux et politiques apparaissent comme autant de pierres posées dans le temple invisible de la fraternité.

L’article de Philippe Langlet, « Le chaînon manquant ? », est sans doute l’un des moments les plus puissants de ce numéro. En s’interrogeant sur le quatrième grade du REAA, Maître Secret, l’auteur met en lumière les strates rituelles, les filiations textuelles, les variantes doctrinales qui témoignent de la richesse d’une tradition souvent appauvrie dans sa pratique actuelle. Sa méthode philologique et comparative, mettant en regard les rituels de 1857 (Albert Pike) et de 1922 (Suprême Conseil de France), révèle une constellation de correspondances et de divergences.

De cette enquête minutieuse, il ressort une leçon initiatique majeure : le chaînon manquant n’est pas une pièce disparue qu’il faudrait reconstituer. Il est la fonction même de la tradition vivante, cet espace de tension et de fidélité où mémoire et recréation s’accordent. Vérité, Parole et Temple apparaissent comme les trois noyaux doctrinaux qui traversent les versions et donnent au grade sa sève intérieure. Langlet ne nous enferme pas dans une reconstruction figée : il ouvre un passage, il invite à lire entre les lignes, à percevoir le mouvement de la tradition comme une musique qui se transmet d’oreille en oreille.

Jan A. M. Snoek, avec sa rectification érudite sur le développement précoce du degré de Maître Écossais, rappelle l’importance des errata. Corriger n’est pas un acte secondaire. C’est une preuve que la recherche est vivante, perfectible, fidèle à l’exigence maçonnique d’amélioration continue.

Retour aux classiques : le Secret des francs-maçons (1744)

Roger Dachez consacre une étude magistrale à cette première grande divulgation française. Loin de la considérer comme une simple trahison, il la replace dans son contexte et montre qu’elle a paradoxalement sauvé des formes rituelles qui auraient pu disparaître. Les éditions successives de 1744 ne livrent pas un texte figé mais un kaléidoscope de variantes. Leur impression a fixé dans l’encre des gestes et des paroles qui, autrement, se seraient perdus.

La leçon est capitale : le secret initiatique ne réside jamais dans la lettre imprimée. Il demeure dans l’expérience intérieure, dans le silence, dans la transformation vécue au Temple. La divulgation dévoile et voile tout à la fois. Elle rend plus précieuse encore la recherche de ce qui ne peut être dit.

Mémoire et compagnonnage

La rubrique « Francs-maçons du passé » met en lumière une figure oubliée : Pierre-Jacques Willermoz, frère du plus connu Jean-Baptiste. En redonnant à cet homme de l’ombre la place qu’il mérite, Roger Dachez rappelle que l’histoire de la Franc-Maçonnerie ne s’écrit pas seulement avec des héros auréolés mais aussi avec des artisans discrets qui ont œuvré pour la continuité de l’Ordre.

Dans « Emblemata Latomorum », Jean-Paul Le Buhan explore la frontière subtile entre signes de métier et emblèmes de confrérie. Les marques gravées par les compagnons ou les maçons deviennent emblèmes dès lors qu’elles dépassent la fonction pour se charger d’une valeur symbolique. Cette interrogation ouvre sur une méditation profonde : à quel moment le geste se transfigure-t-il en rite, l’outil en emblème, l’inscription en symbole ?

Jean-Michel Mathonière, dans la rubrique « Côté compagnonnages », interroge la symbolique des colonnes et des ordres d’architecture chez les compagnons du Tour de France. Il montre combien compagnonnage et Franc-Maçonnerie partagent une langue commune, faite de pierre, de règle et de compas, où l’art de bâtir devient science de l’âme. Ce détour par la tradition compagnonnique éclaire la Franc-Maçonnerie comme un vaste chantier humain et spirituel.

Les lumières de conclusion

Comme toujours, la revue se termine par les comptes rendus de livres, ouvrant la réflexion vers d’autres horizons, et par la rubrique RT numérique, qui montre que la tradition sait aussi emprunter les voies de la modernité.

Alors, ce numéro de RT, juste un recueil d’articles savants ? Non, il est une œuvre collective où rigueur et méditation, mémoire et quête spirituelle, érudition et contemplation se rejoignent. Fidèle au vœu de René Guilly, il nous aide à mieux comprendre et à aimer plus encore la tradition maçonnique.

Chaque article y est une pierre. Chaque étude une colonne. Chaque illustration une lumière. Ensemble, ils composent un Temple de papier où le lecteur est invité à entrer, à méditer, à poursuivre la chaîne ininterrompue de la recherche et de l’initiation.

Le numéro est disponible au prix de 30 € pour 128 pages. L’abonnement annuel, pour 2025, donne droit à deux numéros, de janvier à décembre. Informations et commandes sur le site officiel : https://rt.fmtl.fr/.

Renaissance Traditionnelle
Revue d’études maçonniques et symboliques
Renaissance Traditionnelle, Numéro 209, Janvier-Juin 2025, 128 pages, 30 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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