mar 29 juillet 2025 - 07:07

L’Europe sous l’Équerre et le Compas : une odyssée maçonnique depuis l’Italie

Aux confins de la péninsule italienne, où se croisent depuis des siècles les vents de l’Orient et les influences de l’Occident, la Franc-Maçonnerie s’est enracinée comme une graine portée par les Lumières.

Italie, pavillon d'État
Italie, pavillon d’État

Terre de cités-États, de cours fastueuses et de ports cosmopolites, l’Italie a vu naître des loges où s’entremêlaient la pensée rationnelle et la quête spirituelle, la rigueur symbolique et la ferveur des idéaux républicains. Mais ce chemin, jalonné de rencontres et de persécutions, d’élans humanistes et d’ombres scandaleuses, n’a jamais été linéaire.

Drapeau du Vatican
Drapeau du Vatican


Entre l’hostilité implacable de l’Église, les bouleversements du Risorgimento, les espoirs d’unification et les cicatrices laissées par la loge Propaganda Due, la Franc-Maçonnerie italienne reflète les contradictions et la richesse d’un pays toujours en tension entre tradition et modernitCe récit propose un voyage à travers trois siècles d’histoire : des premières loges florentines aux grandes obédiences contemporaines, des combats pour la liberté de conscience aux efforts récents de reconnaissance internationale. Il dévoile l’Italie comme un carrefour maçonnique où se rencontrent les influences anglaises, françaises et germaniques, tout en gardant une âme propre, vibrante et résiliente.

1. Les origines de la Franc-Maçonnerie en Italie : un creuset européen

La Franc-Maçonnerie italienne naît au XVIIIe siècle dans un contexte de fragmentation politique et d’effervescence intellectuelle. L’Italie, alors composée d’États indépendants sous influences étrangères (Autriche, France, Espagne), devient un carrefour où les idées maçonniques importées d’Angleterre, de France et d’Allemagne s’enracinent et se transforment.

L'Italie et ses régions à l'époque de l'Empire romain au Ier siècle av. J.-C.
L’Italie et ses régions à l’époque de l’Empire romain au Ier siècle av. J.-C.

– 1732 : La première loge à Florence 

  La Loge des Anglais, fondée en 1732 à Florence par des expatriés britanniques comme le baron Philipp von Stosch et le naturaliste Antonio Cocchi, marque l’introduction officielle de la Franc-Maçonnerie en Italie. Cette loge, initialement réservée aux Anglais, s’ouvre rapidement aux élites locales, attirées par les idéaux des Lumières. Elle devient un espace de dialogue philosophique, où se mêlent science, rationalité et spiritualité.

– Expansion dans la péninsule 

La Franc-Maçonnerie se propage rapidement dans les ports et les grandes villes : 

Rome
Rome

  – Rome (1735) : une loge jacobite, liée aux partisans exilés de la maison Stuart, est fondée mais fermée en 1737 par le pape Clément XII. Sa bulle In Eminenti Apostolatus (1738) interdit aux catholiques de rejoindre la Franc-Maçonnerie, sous peine d’excommunication, marquant le début d’une longue hostilité de l’Église. 

  – Livorno (1763, 1765, 1771) : ce port cosmopolite, fréquenté par des marchands européens, devient un foyer maçonnique important, avec des loges influencées par les rites anglais et français. 

  – Naples (1734) : une loge est établie par des commerçants étrangers, suivie en 1750 par la Grande Loge Nationale, inspirée par la Franc-Maçonnerie française. 

7 of The Most Iconic Landmarks and Places of Milan
7 of The Most Iconic Landmarks and Places of Milan

  – Milan (1756) : une loge éphémère est supprimée par les autorités autrichiennes, illustrant les tensions avec les pouvoirs locaux. 

  – Gênes, Crémone, Venise, Turin : des loges apparaissent, souvent sous la protection de puissances étrangères ou de militaires stationnés en Italie.

– Résistance face à l’opposition 

  L’Église catholique, pilier de l’ordre social italien, perçoit la Franc-Maçonnerie comme une menace à son autorité. La bulle Providas Romanorum Pontificum (1751) renforce l’interdiction, et des persécutions s’intensifient. Un cas emblématique est celui du comte Alessandro Cagliostro, qui en 1789 tente d’introduire un système maçonnique égyptien à Rome. Arrêté par l’Inquisition, il est condamné à la prison à vie, symbolisant la répression brutale de l’époque. Malgré cela, la Franc-Maçonnerie persiste, portée par des réseaux clandestins et des élites éclairées.

– Un creuset des Lumières 

  Les loges italiennes deviennent des laboratoires d’idées, où se discutent la tolérance, la laïcité et la réforme sociale. Elles attirent des intellectuels, des nobles et des artistes, contribuant à l’essor des idéaux des Lumières. Cette dynamique positionne l’Italie comme un point de départ pour la diffusion maçonnique en Europe méridionale.

2. Le XIXe siècle : la Franc-Maçonnerie et l’unification italienne

Le XIXe siècle marque un tournant décisif pour la Franc-Maçonnerie italienne, en lien avec le Risorgimento, mouvement d’unification de l’Italie (1859-1870).

– Répression post-napoléonienne 

Après la chute de Napoléon (1815), la Restauration entraîne une vague de répression contre la Franc-Maçonnerie dans les États italiens. Les loges, souvent associées aux idées révolutionnaires, sont interdites, mais des organisations secrètes comme la Carboneria, influencée par les idéaux maçonniques, maintiennent la flamme de la résistance.

– Le rôle du Grand Orient d’Italie (GOI) 

Fondé en 1859 à Turin, le GOI devient l’obédience centrale de la Franc-Maçonnerie italienne. Sous l’impulsion de figures comme Giuseppe Garibaldi, franc-maçon et héros du Risorgimento, les loges jouent un rôle clé dans la promotion de l’unité nationale et de la laïcité. Garibaldi, initié en 1844 à Montevideo, incarne l’idéal maçonnique d’un monde plus juste et fraternel, et son engagement renforce la légitimité du GOI.

– Influence culturelle et politique 

 Les maçons italiens, souvent républicains ou libéraux, soutiennent la création d’un État italien unifié, en opposition à l’influence du Vatican. Les loges deviennent des espaces où se forgent les idéaux d’une Italie moderne, laïque et progressiste. Le GOI adopte des rites variés, notamment le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) et le Rite Symbolique Italien, reflétant sa diversité.

3. Les obédiences maçonniques en Italie : une mosaïque contemporaine

L’Italie compte aujourd’hui environ 50 000 Francs-Maçons, répartis dans une multitude d’obédiences, chacune avec ses spécificités philosophiques et organisationnelles. Voici une analyse détaillée des principales obédiences :

– Grand Orient d’Italie (GOI) 

Fondé en 1859, le GOI est l’obédience la plus influente, avec des milliers de loges à travers l’Italie. Basé au Palazzo Giustiniani à Rome, il pratique une Franc-Maçonnerie libérale, autorisant les discussions sur des sujets politiques et sociaux, contrairement aux obédiences régulières. Le GOI est ouvert aux hommes et utilise principalement le Rite Écossais Ancien et Accepté, bien qu’il intègre d’autres rites comme le Rite Symbolique Italien. Historiquement lié aux idéaux du Risorgimento, il reste un acteur majeur de la Franc-Maçonnerie italienne.

Bisi - GOI
Bisi – GOI

Les effectifs

Le GOI, tel un phare dans la péninsule, réunit sous son égide environ 23 000 membres* en 2022, chacune portant l’aspiration à un monde plus juste et éclairé. Cette fraternité, tissée de diversité, reflète un kaléidoscope humain où se mêlent jeunesse ardente et sagesse mûrie par le temps.

Les âges s’entrelacent comme les fils d’une tapisserie : 6 % des initiés, entre 18 et 25 ans, apportent la fougue de leurs idéaux naissants, tandis que 22 %, âgés de 25 à 40 ans, insufflent dynamisme et audace. Les professions, telles des pierres d’un édifice commun, se diversifient : 2 % d’ouvriers, humble fondation du labeur ; 20 % d’enseignants, porteurs de la flamme du savoir ; 11 % d’employés, rouages discrets de la société ; 30 % d’indépendants, esprits libres forgeant leur propre chemin ; 15 % d’entrepreneurs, architectes d’ambitions ; et 22 % de retraités, gardiens d’une mémoire riche d’expériences.

Le savoir, pierre angulaire de cette communauté, se répartit ainsi : 25 % des membres détiennent un diplôme d’études secondaires, 70 % ont gravi les échelons des études supérieures, et 5 %, avec un niveau collège, rappellent l’universalité de la quête maçonnique.

Chaque année, entre 1 000 et 1 500 nouvelles âmes frappent à la porte du GOI, témoignant d’une croissance soutenue, comme un fleuve qui, loin de s’épuiser, s’enrichit de nouveaux affluents.

Cette vitalité, ancrée dans la tradition et tournée vers l’avenir, fait du Grand Orient d’Italie un pilier vivant de l’odyssée maçonnique, où chaque initié, guidé par l’équerre de la justice et le compas de la sagesse, contribue à bâtir l’édifice d’un monde plus lumineux.

Grande Loge Régulière d’Italie (GLRI) 
Grande Loge Régulière d’Italie (GLRI) 

– Grande Loge Régulière d’Italie (GLRI) 

La Grande Loge Régulière d’Italie (GLRI), née en 1993 d’une audacieuse scission avec le Grand Orient d’Italie, se dresse comme un phare discret sur les rivages de la Franc-Maçonnerie italienne.

Forte d’environ 2500 à 3000 membres*, selon les murmures des années 2021 et 2022, elle réunit une confrérie choisie, dévouée à une quête d’harmonie et d’ordre intemporel.

Fondée sous l’égide des critères de « régularité » de la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA) – croyance en un Être Suprême, exclusion des femmes, interdiction des débats politiques ou religieux en loge –, dont elle a obtenu la reconnaissance dès sa création en 1993, avant de la perdre par la suite, la GLRI tisse son œuvre dans une discipline austère et sacrée, fidèle à l’esprit d’un ordre intemporel.

Fidèle au Rite Anglais Style Émulation, chaque rituel, précis comme une enluminure, célèbre l’union de l’esprit et de l’universel, excluant les femmes, exigeant une foi en l’Être Suprême et bannissant les tumultes des débats politiques ou religieux pour se consacrer à la contemplation des vérités éternelles. En 2022, 42 % de ses membres, esprits indépendants, ont choisi de sculpter leur destin hors des sentiers communs, apportant à l’obédience une mosaïque d’expériences et de visions.

Moins nombreuse que le Grand Orient, la GLRI privilégie la qualité des cœurs initiés à la multitude, tel un jardin secret où chaque initié cultive la droiture de l’équerre et la mesure du compas. Si les chiffres exacts pour l’an 2025 restent voilés, comme des secrets confiés à l’ombre, cette obédience demeure un sanctuaire d’élégance sobre, attirant ceux qui aspirent à une maçonnerie traditionnelle, alignée sur les standards anglo-saxons. Ainsi, dans la pénombre des loges, la GLRI perpétue une quête de lumière, où chaque frère, guidé par les outils sacrés, œuvre à l’édification d’un temple intérieur, reflet d’un ordre cosmique et éternel.

– Grande Loge d’Italie des Anciens Francs-Maçons Acceptés (GLDI) 

Née en 1910 d’une rupture audacieuse avec le Grand Orient d’Italie, cette Grande Loge s’élève comme un jardin d’égalité où hommes et femmes, unis dans une quête commune, sculptent un avenir de liberté. Forte d’environ 9 000 membres* en 2022, elle incarne une franc-maçonnerie libérale, vibrant au rythme des idéaux du Droit Humain, où l’égalité et la liberté de conscience règnent en maîtres.

Grande Loge d’Italie des Anciens Francs-Maçons Acceptés (GLDI) 
Grande Loge d’Italie des Anciens Francs-Maçons Acceptés (GLDI) 

Fondée à Rome, dans l’ombre sacrée du Palazzo Vitelleschi, autrefois connu sous le nom de Piazza del Gesù, la GLDI a émergé d’un refus de l’anticléricalisme rigide du GOI, préférant une voie où le Rite Écossais Ancien et Accepté devient un chant d’unité, mêlant les voix masculines et féminines – 34 % de ses initiés étant des femmes, piliers d’une fraternité inclusive. Membre du CLIPSAS (Centre de liaison et d’information des puissances maçonniques signataires de l’appel de Strasbourg), ce cercle universel qui célèbre la liberté de pensée, la GLDI porte haut les flambeaux de la tolérance et du progrès, s’inscrivant dans des initiatives audacieuses comme l’Union Maçonnique de la Méditerranée, fondée en 2009, pour tisser des ponts entre les peuples.

Ses membres, tels des artisans d’un temple vivant, reflètent une mosaïque d’expériences : 45 % d’indépendants, esprits libres forgeant leur destin, aux côtés de lettrés et d’ouvriers du savoir – 25 % diplômés du secondaire, 70 % issus des cimes universitaires, et 5 % porteurs d’un savoir plus humble, celui du collège.

Moins nombreuse que le Grand Orient, la GLDI n’en demeure pas moins un phare dans la constellation maçonnique italienne, attirant les âmes progressistes qui aspirent à une Franc-Maçonnerie ouverte, vibrante et universelle. Dans la pénombre de ses loges, où résonnent les échos d’un idéal humaniste, elle perpétue une odyssée lumineuse, bâtissant un sanctuaire où la liberté de conscience et l’égalité s’entrelacent, reflet d’un ordre plus vaste et éternel.

– Ordre Maçonnique Mixte International du Droit Humain 

L’Ordre, apparu en Italie dès 1905, s’élève tel un phare d’universalité, guidant les âmes vers un horizon d’égalité et de justice.

Ses effectifs, voilés par la discrétion propre aux initiés, s’élèvent à quelques milliers de membres* – peut-être entre 1 000 et 3 000 en 2022 – réunissant hommes et femmes dans une fraternité sans frontières, où chaque cœur bat au rythme des droits humains et de la laïcité.

Ordre Maçonnique Mixte International du Droit Humain 
Ordre Maçonnique Mixte International du Droit Humain 

Porté par le souffle du Rite Écossais Ancien et Accepté, ce sanctuaire mixte tisse une tapisserie d’idéaux humanistes, où les voix féminines et masculines s’entrelacent pour chanter la liberté de conscience et l’égalité des genres.

Membre du CLIPSAS, cette alliance des esprits libres, le Droit Humain déploie ses ailes au-delà des rivages italiens, s’inscrivant dans une quête universelle qui transcende les nations. Ses loges, refuges d’âmes progressistes, attirent ceux qui, armés de l’équerre de la droiture et du compas de la sagesse, œuvrent à polir la pierre brute de l’humanité pour en faire un édifice d’amour et de justice.

Si ses effectifs précis en 2025 demeurent un mystère, enveloppés dans le voile de la discrétion, la présence du Droit Humain en Italie brille d’une lueur significative dans les cercles libéraux. Tel un courant intarissable, il irrigue la franc-maçonnerie italienne de son esprit inclusif, bâtissant un temple où chaque initié, guidé par les outils sacrés, contribue à une odyssée humaniste, reflet d’un monde où la lumière de la fraternité éclaire les ombres de la division.

– Gran Loggia Massonica Femminile d’Italia (GLMFI) 

Née en 1991, la GLMFI s’élève tel un sanctuaire dédié aux âmes féminines, sculptant un espace où la voix des femmes résonne avec force et grâce. Forte d’environ 500 à 1000 initiées*, cette obédience, modeste en nombre mais immense en ambition, porte haut l’étendard de l’émancipation et de l’égalité, polissant la pierre brute de l’humanité avec une sensibilité unique.

Sceau GLFF
Sceau GLFF

Fondée sous les auspices de la Grande Loge Féminine de France, dont elle a reçu ses patentes, la GLMFI déploie le Rite Écossais Ancien et Accepté dans ses quatorze loges, dont la plus récente, la loge Astarté à Cagliari, brille comme une étoile dans le firmament maçonnique depuis 2012.

Membre du CLIMAF depuis 1996, ce cercle qui unit les maçonneries féminines, la GLMFI tisse des liens au-delà des mers, organisant des conférences internationales où s’élèvent des voix unies pour la justice et l’élévation spirituelle. Chaque loge, abritant 20 à 50 sœurs, forme un creuset où la droiture de l’équerre et la mesure du compas se conjuguent pour façonner un temple d’émancipation, où les questions de genre et de liberté s’entrelacent dans une quête sacrée.

Bien que ses effectifs, enveloppés dans le voile de la discrétion – nous disposons toutefois de peu d’éléments chiffrés depuis 2013 –, restent ceux d’une obédience de niche, la GLMFI rayonne par son rôle pionnier dans la franc-maçonnerie italienne.

Tel un jardin où fleurissent les aspirations des femmes, elle cultive un espace où chaque initiée, guidée par les outils sacrés, bâtit un édifice de lumière et de sororité. Dans la pénombre de ses travaux, la GLMFI perpétue une odyssée vibrante, où la force féminine, portée par les idéaux d’égalité et de progrès, illumine l’horizon d’un monde plus juste, reflet d’un ordre universel et intemporel.

– Obédiences libérales et irrégulières 

De nombreuses loges indépendantes ou obédiences mineures, souvent non reconnues par la GLUA, opèrent en Italie. Ces structures, parfois éphémères, se distinguent par leur liberté philosophique et leur engagement dans des débats sociaux ou spirituels. Elles reflètent la vitalité et la diversité de la Franc-Maçonnerie italienne.

– Loges historiques et spécifiques 

Certaines loges, comme celles héritées de traditions locales ou influencées par des rites rares (par exemple, le Rite de Memphis-Misraïm), maintiennent des pratiques ésotériques ou symboliques uniques. Ces groupes, bien que marginaux, enrichissent le paysage maçonnique italien.

La Loge P2 – La Loge Maçonnique.fr
La Loge P2 – La Loge Maçonnique.fr

4. Loge Propaganda Due (P2) : des ténèbres qui ont souillé la lumière maçonnique

Le scandale de la loge Propaganda Due (P2) reste un épisode douloureux et controversé de l’histoire maçonnique italienne, ayant terni l’image du GOI et alimenté les théories du complot.

– Origines de la Propaganda Due (P2)

  Créée en 1877 comme une loge discrète pour des membres influents (politiciens, militaires, banquiers), la P2 évolue sous la direction de Licio Gelli, à partir des années 1960, en un réseau opaque. Gelli, homme d’affaires et ancien sympathisant fasciste, transforme la P2 en une organisation quasi-secrète, recrutant des personnalités de pouvoir pour influencer la politique italienne.

Licio Gelli
Licio Gelli

– Révélation du scandale (1981) 

  En 1981, une perquisition dans la villa de Gelli à Arezzo révèle une liste de 962 membres, incluant des figures comme Silvio Berlusconi (alors homme d’affaires), des généraux, des magistrats, des journalistes et des membres des services secrets. La P2 est accusée d’avoir orchestré des complots, notamment dans le cadre de la « stratégie de la tension » (attentats comme celui de la gare de Bologne en 1980) et de tentatives de déstabilisation de la démocratie italienne. Ces révélations provoquent un choc national.

– Conséquences 

  Le GOI dissout la P2 en 1982 et suspend Gelli, mais le scandale entache durablement sa réputation. Une commission d’enquête parlementaire, présidée par Tina Anselmi, met en lumière les liens troubles de la P2 avec des réseaux de pouvoir. Le scandale contribue à la méfiance du public envers la Franc-Maçonnerie, souvent accusée à tort de conspirations globales. Il entraîne également la perte de la reconnaissance du GOI par la GLUA (voir section suivante).

– Impact à long terme 

  Malgré le scandale, la Franc-Maçonnerie italienne se restructure dans les années 1980 et 1990, avec des efforts pour restaurer la transparence et la crédibilité. Le GOI, tout en restant une obédience libérale, renforce ses mécanismes internes pour éviter de nouvelles dérives.

5. La reconnaissance du GOI par la GLUA : une relation complexe

La relation entre le Grand Orient d’Italie (GOI) et la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), obédience de référence pour la régularité maçonnique mondiale, est marquée par des tensions historiques et idéologiques.

– Critères de régularité de la GLUA 

 La GLUA impose des principes stricts pour reconnaître une obédience : croyance en un Être Suprême, exclusion des femmes, interdiction des discussions politiques ou religieuses en loge, et respect des « landmarks » (règles fondamentales de la Franc-Maçonnerie). Le GOI, en raison de son caractère libéral et de son ouverture aux débats sociétaux, s’écarte de ces critères.

– Reconnaissance jusqu’en 1972 

Jusqu’en 1972, le GOI est reconnu par la GLUA, malgré des divergences sur sa pratique libérale. Cependant, les tensions s’intensifient dans les années 1960, notamment à cause des activités de la loge P2, perçues comme contraires aux principes maçonniques.

– Rupture en 1972 

En 1972, la GLUA retire sa reconnaissance au GOI, invoquant des irrégularités, notamment les liens présumés entre la P2 et des activités politiques controversées. Cette décision marginalise le GOI sur la scène maçonnique internationale, bien qu’il reste influent en Italie et dans les cercles libéraux.

– Scission et création de la GLRI (1993) 

En 1993, des membres du GOI, souhaitant restaurer la régularité, fondent la Grande Loge Régulière d’Italie (GLRI). Cette obédience adopte les critères de la GLUA et obtient immédiatement sa reconnaissance. La GLRI devient ainsi l’unique obédience italienne reconnue par la GLUA, au détriment du GOI.

– Situation actuelle (2025) 

Le GOI est, depuis 2023, reconnu par la GLUA, mais il maintient des relations étroites avec des obédiences libérales, comme le Grand Orient de France ou la Grande Loge Féminine de France. La GLRI reste moins influente en termes de membres et d’impact culturel. Cette division reflète une tension fondamentale entre la Franc-Maçonnerie libérale, qui valorise la liberté de pensée, et la Franc-Maçonnerie dite « régulière », attachée à la tradition.

– Perspectives 

  Le GOI, fort de son héritage historique et de son rôle dans la société italienne, continue d’affirmer sa légitimité, même sans la reconnaissance de la GLUA. Certains maçons, dont peut-être vous-même, Frère Ghernaouti, plaident pour un dialogue entre les deux visions, afin de renforcer l’unité maçonnique tout en respectant la diversité.

6. L’odyssée maçonnique européenne : l’Italie comme point de départ

L’Italie, par sa position géographique et son histoire, a joué un rôle déterminant dans l’expansion de la Franc-Maçonnerie en Europe, faisant de votre titre une métaphore puissante de cette influence.

Florence en 1493
Florence en 1493

– Carrefour culturel 

Au XVIIIe siècle, les ports italiens (Livorno, Naples, Gênes) et les cours princières (Florence, Turin) attirent des maçons étrangers, favorisant l’échange de rites et d’idées. Les loges italiennes deviennent des ponts entre les traditions maçonniques anglaise (symbolique), française (philosophique) et allemande (ésotérique).

– Influence des Lumières 

  Les loges italiennes, en propageant les idéaux des Lumières, influencent les mouvements réformateurs en Europe méridionale, notamment en Espagne, au Portugal et dans les Balkans. Des figures comme Garibaldi exportent ces idées lors de leurs campagnes, renforçant le rayonnement maçonnique.

Blason du Vatican

– Résilience face à l’opposition 

L’hostilité de l’Église catholique, apostolique et romaine particulièrement virulente en Italie, forge une Franc-Maçonnerie résiliente, capable de s’adapter aux persécutions. Cette capacité inspire d’autres obédiences européennes confrontées à des défis similaires, notamment en France et en Espagne.

– Diversité contemporaine 

La Franc-Maçonnerie italienne, tel un fleuve aux multiples affluents, réunit environ cinquante mille membres* en 2022, chacune portant en son cœur l’aspiration à un monde plus juste et plus sage.

Ces initiés, comme des étoiles dans une constellation fraternelle, se répartissent sous les bannières des grandes obédiences : le Grand Orient d’Italie (GOI), majestueux avec ses 46 %, guide la voie libérale ; la Grande Loge d’Italie des Anciens Francs-Maçons Acceptés (GLDI), avec 18 %, chante l’égalité ; la Grande Loge Régulière d’Italie (GLRI), forte de 5 à 6 %, incarne la discipline traditionnelle ; tandis que l’Ordre Maçonnique International du Droit Humain et la Gran Loggia Massonica Femminile d’Italia (GLMFI), ensemble 5 à 10 %, tissent des rêves d’inclusivité.

Le reste, éclats dispersés, brille dans des loges mineures ou indépendantes, perles rares d’un écrin sacré.

Ce fleuve maçonnique, loin de s’assécher, s’enrichit d’un courant modéré mais constant : chaque année, mille à mille cinq cents profanes frappent aux portes du Temple, principalement celui du GOI et de la GLDI, attirées par la promesse d’une quête spirituelle et fraternelle.

Les obédiences mixtes et féminines, telles la GLDI et la GLMFI, voient croître le chant des candidates, reflet d’une aube nouvelle où l’inclusivité éclaire les ombres d’antan. Pourtant, ce chemin n’a pas été sans orages.

Le scandale de la loge Propaganda Due (P2), en 1981, tel un ouragan, a secoué les fondations de la franc-maçonnerie italienne, freinant son essor dans les années sombres qui suivirent. Mais, tel un phénix, elle renaît dans les années 2000, forte d’une dynamique retrouvée, malgré les ombres persistantes de soupçons d’infiltrations mafieuses en 2017.

Vatican à Rome. Basilique Saint-Pierre

Un vent d’espoir souffle également depuis mars 2023, lorsque la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), gardienne des critères dits de « Régularité et de Tradition », a tendu désormais une main de reconnaissance au GOI, insufflant une légitimité nouvelle qui pourrait faire fleurir ses rangs.

Ainsi, l’odyssée maçonnique italienne, entre tradition et modernité, continue de se frayer un chemin, résiliente face aux tempêtes du passé, portée par l’équerre de la justice et le compas de la sagesse.

Une odyssée toujours vibrante

Dans le creuset de l’Italie maçonnique, où chaque obédience est une pierre polie d’un temple universel, les chiffres de 2025, bien qu’esquissés dans l’ombre, dessinent un paysage d’une vitalité éclatante : le GOI, avec ses 23 000 âmes, domine tel un phare libéral ; la GLDI, forte de 9 000 initiés, érige un sanctuaire d’égalité ; la GLRI, avec 2 500 à 3 000 frères, veille sur la tradition régulière ; le Droit Humain, entre 1 000 et 3 000 membres, porte l’étendard de l’humanisme ; et la GLMFI, avec 500 à 1 000 sœurs, fait éclore la lumière féminine. Ces nombres, bien que murmurés par le vent de l’incertitude, chantent l’odyssée d’une franc-maçonnerie italienne plurielle, où chaque initié, guidé par les outils sacrés, bâtit un édifice d’harmonie et de progrès.

Erasmo
Erasmo

Pour ceux qui souhaitent plonger plus avant dans cette quête, les parchemins numériques des obédiences – tels www.granloggiafemminile.it pour la GLMFI ou www.grandeoriente.it pour le GOI – et les pages de publications comme Erasmo, porteur des idéaux de fraternité et de progrès et disponible gratuitement en version numérique reste réservée, selon les murmures du web, aux initiés ou abonnés.

Dans la pénombre des loges, l’Italie maçonnique poursuit son voyage, unissant tradition et modernité, résilience et aspiration, sous l’égide intemporelle de l’équerre et du compas, pour illuminer un monde en perpétuelle transformation.

*Pour mémoire, les effectifs post-2015 sont estimés d’après les informations transmises par nos correspondants(es) italiens.

Drapeau de l'Italie
Drapeau de l’Italie
Blason de l’Italie

Illustrations : Wikimedia Commons

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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