mar 22 juillet 2025 - 23:07

Fais ce que dois, advienne que pourra

En préambule, je me dois de préciser que le sujet de ce travail n’est pas uniquement propre au 18ème degré, mais la notion de Devoir est rappelée sans cesse dans nos rituels, dès le degré d’Apprenti et en suivant, jusqu’à ce degré du 18 où en qualité de CRC, il prend de plus en plus de hauteur car il concerne notre relation à nous-mêmes et aussi surtout notre relation au Monde.

Cette maxime qui fait l’intitulé de ce travail, remonte aux temps lointains de l’époque médiévale et elle était le socle de l’engagement des Chevaliers qui pratiquaient ainsi, dans la plus stricte observance, leur code d’honneur. C’est donc pour nous, Chevalier Rose Croix,  une invitation très sérieuse à nous interroger sur le sens profond de cette affirmation, qui avec une grande connotation morale, nous édicte en fait une règle de comportement.

Cette sentence s’articule en deux parties;

  • l’une, consacrée à la notion de Devoir, tel que nous pouvons le concevoir en Maçonnerie;
  • l’autre, sur l’idée d’agir sans se préoccuper des résultats de l’action, dans un esprit de

lâcher-prise en faisant confiance, avec la conscience tranquille et ainsi libérée. Mais s’agit-il il vraiment d’un désintérêt.

Développement :

Depuis que je suis entré en maçonnerie, mes oreilles n’ont cessé d’entendre le mot : « Devoir ». Ce mot est sans cesse martelé dans nos rituels. A différents degrés, il nous est rappelé comme condition de fond de notre engagement. Mais de quel devoir s’agit-il ?

Envers soi- même, envers la société, envers ses Soeurs et Frères, envers l’humanité ?

Le livre de la connaissance
Le livre de la connaissance

Comme notre rituel nous le souligne dans une formule énigmatique : « il est plus facile de faire son devoir que de le connaître ». La question posée, et peut-être aussi la difficulté qui en découle, concerne bien la connaissance de ce Devoir.

En effet, le parcours maçonnique nous met en présence de plusieurs sentences portant sur les devoirs. Au fur et à mesure de l’initiation, le rituel nous oblige à des devoirs, qui selon les degrés franchis apparaissent ou bien disparaissent, suivant une déclinaison chaque fois différente. Mais le lien entre ces diverses sentences paraît discontinu car chaque degré successif insiste sur un aspect particulier des devoirs, semblant correspondre à la progression acquise. Ce Devoir est ainsi multiforme dans son expression affichée.

Il nous faut donc dépasser cette forme changeante pour trouver l’idée sous le symbole. Il faut chercher une vision plus synthétique de ces composantes pour essayer d’aboutir à la notion plus conceptuelle du « Devoir » avec un grand D.

La question qui pourrait aider notre interrogation pourrait être la suivante :

Le Devoir connaît il une limite ? Est-il limité ou illimité, est-ce une obligation extérieure ou intérieure, commande-t’il une tâche finie ou infinie ? Et doit-on en attendre un résultat tangible pour mesurer le résultat de notre action ?

Il m’a semblé intéressant de me pencher sur ces deux approches possibles, à caractère plutôt philosophique, pour approcher la compréhension de ce Devoir, dont on nous parle tant, et dont on a tant de mal à poser la définition. Les maçons ont il opté pour une morale infinie ou au contraire finie, absolue ou relative ?

Selon le philosophe Kant, considéré comme le penseur de la morale formelle, le devoir est illimité, absolu. Il résulte d’une exigence qui s’impose à tous, celle du Bien pour tous.

La loi morale, chez Kant, a un caractère d’universalité. Elle est le fruit de la Raison, elle présente une approche intellectuelle, principielle, hors du contexte réel dans lequel elle pourrait jouer.

Elle est détachée du résultat, bonne ou mauvaise action. Avoir agi par devoir, c’est d’abord avoir agi en accord avec sa raison, sans attente du résultat comme preuve, sans être associé au sentiment de plaisir d’avoir abouti. C’est la volonté, comme cause interne, qui me met sur la voie de cette exigence par principe. L’accomplissement de l’action n’est motivé que par le respect que ma raison accorde à la loi morale. Car il n’y a pas justement de limite si ce n’est le Bien pour Tous sans cas particuliers, comme une règle de comportement normatif, une éthique en quelque sorte.

Ainsi elle est complètement désintéressée par définition. Elle est une loi pure, générale aux circonstances, provenant d’un principe supérieur de faire le Bien car il en est de l’Humanité dans son ensemble. Elle est détachée du contexte historique, comme le Décalogue, les 10 commandements. Il y’a un côté désincarné, séparant la vie matérielle de l’Homme pour s’attacher essentiellement à son être spirituel. Elle surplombe ainsi toute vie matérielle, comme une doctrine du comportement quelque soit le contexte de temps et d’espace.

C’est une vision du Devoir qui est répandue en Maçonnerie, un peu comme une règle générale de bonne conduite, être en accord surtout avec ses principes, hors contexte, avec une forme de satisfaction intellectuelle, confiant dans une éthique exigeante et respectée guidant son comportement.

Il y a une forme d’intellectualisme que beaucoup de maçons, essentiellement des Hauts Grades, apprécient comme un code d’éthique, un code de bonne conduite en quelque sorte. Ce qui est vertueux en soi bien sûr, car cela rajoute, aux devoirs profanes habituels, une couche de devoir moral à caractère général qui peut donner un sens supérieur à une existence d’Homme.

Bijou maçonnique du grade de chevalier rose-croix.

Mais cette approche peut manquer d’incarnation et rester dans le cadre théorique, coupée des contingences de la vie dans toutes ces vicissitudes. Pour autant, il peut exister une autre voie plus concrète de respect de la Loi morale. Il faut en effet construire le monde, agir Hic et Nunc, sur le champ, ici et maintenant. Cette autre approche a été développée par d’autres courants philosophiques qui ont mis l’accent plutôt sur la notion  « d’obligation morale ».

Ce sont les causes externes qui obligent au Devoir envers Autrui; c’est le partage ainsi qu’une forme d’identification à l’Autre qui nous oblige à nous positionner; au contraire de la démarche de Kant, qui elle , est déclenchée par un esprit de volonté pure, systémique, émanant d’une démarche formelle de principe, adoptée comme cause interne de l’action.

Cette obligation au Devoir envers nos semblables est dictée par un esprit de « réparation » devant les maux de l’existence. Cela relève du domaine de l’action concrète. C’est la Vie qui commande, avec sa limite la Mort, et cet intervalle d’existence semé de joies et de peines. Par solidarité en quelque sorte, par identification, le maçon se reconnaît dans ce parcours commun à tous les hommes. C’est cette humaine condition qui fait naître l’universel en soi et donc l’obligation morale de compatir, de réparer sinon d’adoucir. C’est paradoxalement le singulier, la circonstance rencontrée, qui nous amènent à l’universel en nous. C’est un acte de partage et de solidarité qui nous oblige.

Le Temple de la Rose-Croix, gravure du Speculum Sophicum Rhodostauroticum (Miroir de la sagesse des Rose-Croix) de Teophilus Schweighardt Constantiens (pseudonyme de Daniel Mögling), 1618.

Mais bien évidemment, cette initiative est délimitée par la restriction de ne pouvoir réaliser que ce qui dépend de nous, et dont nous serions capables. Et ça nous ramène à la position à adopter en matière de devoir. En qualité de maçon, où je situe mon devoir ? Dans une morale à l’exigence infinie, ou au contraire limitée à ce à quoi je peux répondre ?

Je pense, pour ma part, que le maçon doit concilier les deux, s’inscrire dans l’Eternel tout en vivant son humaine condition dans son Siècle. Concilier le Haut avec le Bas. Le spirituel avec le matériel. Et ne jamais oublier l’Esprit dans la Matière. Rendre visible l’invisible. Ce qui nous ramène à une forme de Sagesse pratique et réaliste que l’on retrouve chez Montaigne qui s’appuie sur Socrate lorsqu’il nous dit : « Fais ce pourquoi tu es fait et connais-toi toi-même » Car l’on ne peut donner que ce que l’on possède.

Conclusion:

Il est donc plus facile de faire son devoir que de le connaître.

Le Devoir n’est pas défini comme un mode opératoire. Il laisse la place à la hauteur à laquelle chacun veut le situer. Le Devoir est un concept-symbole qui a une portée de plus en plus grande au fur et à mesure de la progression en degrés, du secret de l’Apprenti à l’Amour universel. Le maçon va agir en conscience, face à lui même, et dans son intériorité, il fera ce qu’il doit. Fidèle à ses serments prononcés et qui l’ont façonné, il concevra lui même, et tout seul, l’ampleur de la tâche. Car c’est justement en rapport de l’ampleur de la tâche, que le devoir doit être évalué.

C’est ainsi que l’action sera Juste.

Conscient d’avoir respecté ses engagements et d’avoir agi avec un cœur vaillant, il assumera le résultat de son action, en toute responsabilité morale. Ainsi il pourra dire comme les Anciens : « Alea jacta est ». Le sort en est jeté, advienne que pourra.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES