jeu 10 octobre 2024 - 22:10

Paul Valéry (1871-1945) : de poète à non poète

Si la poésie valérienne est considérée comme universelle et profondément symboliste, Paul Valéry de son vivant n’entretenait qu’une relation distante à l’égard de la littérature poétique. En 1942, il écrit à Gide : « On me prend pour un poète, mais je me fous de la poésie. C’est par accident que j’ai écrit des vers ! ». Sa défiance l’entraine jusqu’au renoncement total à l’Idéal: nous ne valons que par la distance que nous prenons à l’égard de nos idéaux, nos réflexes habituels. Est-ce à dire que la recherche de l’Idéal serait une quête sans espoir de vérité sur soi-même ?

Paul Valéry : dernier poète symboliste

Le système valérien : le chaos en soi comme base de la création

Ce n’est que vers la cinquantaine que Paul Valéry est révélé au grand public avec son célèbre poème : La Jeune Parque. Ce succès tardif est la résultante de ses nombreuses crises existentielles, lesquelles sont pourtant le pendant de son esprit poétique et littéraire. Écrivain de l’ombre pendant de nombreuses décennies, Paul Valéry cherche surtout à égaler le grand Mallarmé. Mais il n’agit que comme un fidèle face à un Dieu absent qu’il ne peut ni atteindre ni dépasser. Un soir d’orage à Gènes, en 1891, il est victime d’une profonde crise existentielle qu’il compare à la nuit de feu pascalienne. De cette crise, le poète sétois comprend que tout Art passe par l’examen de ce chaos en soi, afin de le comprendre pour le dépasser. En 1896, il s’offre un premier chef-d’œuvre qui parait dans la revue Centaure: Conversation avec Monsieur Teste. Sorte de personnage hétéronyme, Monsieur Teste agit comme comme axiome cathartique pour son auteur. Il le purge de ses passions, de ses vains désirs de gloire et de ses idéaux.

À lire Mr Teste (page 33) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k19999qci:

La délicatesse, aller au-delà de soi

Après Monsieur Teste, Paul Valéry cherche sa propre voix poétique, à l’instar d’un chevalier crée par Chrétien de Troyes, dans l’enfer de la catabase, le poète conquiert son espace dans un royaume désert. Il se détourne progressivement de la littérature des autres et érige son propre système littéraire qu’il consigne dans des épais cahiers. Pour Valéry, plus un individu s’élève, plus son royaume est peu fréquenté. Chez les poètes symbolistes, plus la poésie est complexe, plus elle œuvre au salut de l’humanité entière. Cependant, la poésie est un luxe et les individus évoluent dans un monde global. L’originalité d’une œuvre et sa non-conformité doivent jouer de concert, avec un ajout conséquent de sensibilité qui fait toute la différence entre une œuvre des plus banale et un chef-d’œuvre. Pour William Marx, professeur au Collège de France, Paul Valéry est allé au-delà de la sensibilité: L’effort de Paul Valéry est de faire plus fort que soi. La délicatesse est un concept valérien qui permet de mettre en avant l’intemporalité des œuvres antiques ou classiques qui sont calquées sur la tradition. Entrer dans l’œuvre valérienne est faire un travail sur soi-même qui invite au dépassement, mais avec délicatesse.

Eupalinos ou l’Architecte : renoncer à ses multiples facettes

Dans sa jeunesse, Paul Valéry imagine un dialogue posthume aux Enfers entre Socrate et Phèdre. Texte intégral à lire ici.

Dans ce dialogue, Paul Valéry imagine Socrate en anti-Socrate, c’est-à-dire en constructeur non pas de lui-même, mais d’édifices matériels où tous les arts se confondent et créent une harmonie illusoire, car bâties pour plaire ou correspondre aux goûts des autres qui ne peuvent durer. Dans ce dialogue, Socrate admet qu’en soi coexistent d’autres soi que la contingence n’a pas permis d’achever et que le plus sage est d’y renoncer. “Nous naissons plusieurs, mais nous mourrons un seul”. Ces autres soi correspondent aux idéaux, aux illusions qui ne font qu’avilir l’homme en le privant de liberté. Dans ce dialogue, Paul Valéry examine ses propres contradictions et son renoncement à l’art poétique est aussi un renoncement à ses facettes multiples.

La fin de l’idéal pour Paul Valéry

En se détourant de l’idéal, en regardant l’œuvre se faire, les mots se relier entre eux et s’étonner des effets produits, Valéry devient maître de son propre esthétisme poétique et de sa théorie. Dans une posture hégélienne, il devient le penseur de l’histoire de l’art. Après le succès de la Jeune Parque, Valéry donne de nombreuses conférences, devient membre de l’Académie française, ce qui lui vaut de nombreux détracteurs, puis donne des cours au Collège de France dès 1937 jusqu’à la fin de sa vie en 1945. Il inspirera les théoriciens littéraires russes tels que Chomsky, Jakobson ou le français Roland Barthes qui assista à ses cours.

Purement métaphysique, son œuvre est un témoin universel destinée à ceux qui ont tempéré leur moi social, connu tout comme lui l’ascèse « la vie que je mène me supprime » écrit-il en 1912 dans ses cahiers. Tour à tour poète, non-poète et penseur, l’exploit de Valéry est d’avoir noué un lien étroit avec sa propre petite musique proustienne et son âme. À la manière d’un Dante ou d’un Chrétien de Troyes, Valéry comme un chevalier prédisposé dès le départ à laisser une trace indélébile et qui renonça à briller un temps pour terrasser l’enfer de la catabase de notre propre condition humaine. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve dirait Virgile à Dante. Notre dernier poète symboliste a démontré que l’on peut aller au-delà de soi par le biais de la Beauté même aux Enfers, par les temps qui courent, il n’est pas vain ni illusoire de le croire.

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Christelle Manant
Christelle Manant
Christelle Manant est consultante en rédaction web SEO. Elle est également auteure d’un livre « la lumière brille dans les ténèbres… » paru aux éditions Maïa, qui relate le parcours de 3 personnages en quête de paix et dans lequel chacun se vautre dans les 7 péchés capitaux tout en cheminant entre Rennes le Château et la Calabre, en compagnie du génial Dante Alighieri (la divine comédie), jusqu’au point de solitude, où chacun doit apprendre à vivre avec sa part d’ombre et sa part de ténèbres. Par ailleurs, elle a suivi l’enseignement du regretté Jacques Bouveresse sur « la nécessité et la contingence chez Leibniz » et s'est tourné vers la sémiotique et l’ontologie du pragmatisme peircien avec Claudine Tiercelin (Collège de France) en 2021.

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